“Nous avons besoin de liberté, comme n’importe quel autre peuple”

Le Père Yousef J. Sa’adah, 72 ans, est né à Haïfa en 1940. Il vécut l’exode de nombreux réfugiés en 1948, et lui et sa famille s’établirent à Naplouse. L’Eglise Catholique Grecque de Naplouse lui ouvrit ses portes en 1995. Entretien.
{{{Histoire et présent de la Palestine occupée}}}

Le Père Yousef J. Sa’adah est très critique à l’égard des décideurs européens :

« En 1917 le Premier Ministre Britannique, promit aux juifs de leur donner une terre pour l’Etat d’Israël. Et jusqu’à maintenant, la liberté nous est interdite pour bâtir notre propre Etat… Pour quoi ? …Pour quoi ? Deuxièmement, le Premier Ministre d’Angleterre n’était pas le propriétaire de la Palestine, mais son occupant, et malgré cela il la donna à autrui. Comment peut on prendre au sérieux sa promesse, et bâtir l’Etat d’Israël, alors que nous, jusqu’à maintenant, nous ne pouvons pas faire la même chose. L’année dernière, Abbas est allé à l’ONU afin de faire reconnaître un état pour son propre peuple, le peuple palestinien. Et les Européens ont dit que non. Quand Israël fut crée en 1948, l’Europe avait défendu cela, et maintenant ils nous disent qu’on abandonne. Cela est-il correct ? Est-ce cela la justice ? Je ne le crois pas ».

« On a vraiment besoin de l’Europe en ce moment. Qu’ils ouvrent leurs yeux et leur intelligence, et qu’ils écoutent avec les deux oreilles, car on a ici maintenant deux peuples, le peuple juif et le peuple palestinien, nous ne sommes pas contre le peuple juif, mais nous avons besoin de nos droits. Moi, comme réfugié, j’ai besoin de mes droits, j’ai besoin de ma liberté, comme n’importe quel autre peuple…Voilà le problème, et ce n’est pas un problème avec les Israéliens, mais avec vous, l’Europe, et les Etats-Unis. »

« On nous accuse d’être des terroristes. Mais en réalité l’Europe et les Etats Unis ont besoin d’Israël. Alors, pourquoi nous faire payer le prix, nous, et pas vous ? La Shoah fut la responsabilité des leaders européens en Europe. Cela ne s’est pas produit en Palestine. »

{{{Le droit au retour}}}

Le Père Yousef J. Sa’adah organise parfois des visites à Nazareth, la terre de naissance de Jésus. Il doit demander la permission aux autorités israéliennes et traverser des checkpoints :

« J’ai soixante-treize ans déjà, pourquoi jusqu’à maintenant je ne peux pas vivre en liberté ? Je ne peux pas voir les enfants vivre comme dans n’importe quel pays dans le monde. Ce petit garçon que vous voyez là, qu’est-ce qu’il a connu ? L’année dernière je suis allé à Nazareth, j’ai eu une permission pour le déplacement depuis Jérusalem. Il faut avoir une permission, et j’ai pris ce petit garçon avec moi, et ils l’ont arrêté. Pourquoi ? Parce que je n’avais pas une permission pour lui. Pourquoi devrais-je demander une permission pour un enfant de deux ans ou moins ? Et ils nous ont arrêtés pendant deux heures, en plus c’était le mois de décembre, et il faisait très froid. Est-ce que c’est juste ? »

« Et les Européens affirment qu’Israël a le droit d’agir ainsi pour la paix et la sécurité, mais ce petit garçon…est-il un très grand terroriste ? Je leur ai dit, qu’est-ce que ce petit garçon a-t-il fait ? Ils ont dit que c’était un jeune homme, le leader d’un groupe, qu’il avait douze ans…. Mais, quel est son âgé ? Il n’a que deux ans… »

« Alors, nous avons besoin de justice, de liberté. Je suis un réfugié, si quelqu’un me disait que je devais abandonner encore une fois ma maison et retourner à Haïfa, où je suis né, je refuserais car je n’aime pas l’idée d’aller là-bas, car tout a changé, les idées, la culture, tout cela est différent entre nous comme peuple et le peuple israélien. Moi-même je ne pourrais vivre avec eux. Mais j’ai besoin de mes droits, seulement de mes droits. Si je veux aller à Haïfa, le faire sans aucun problème, car c’est mon droit d’y aller, et pas de demander une permission. Comprenez-vous ? Car maintenant, n’importe quelle personne juive, ou vous les Européens, vous pouvez aller ici et là en Israël, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest sans aucun problème, et personne ne vous posera des questions : où vous allez, pourquoi vous êtes là…Et pour moi cela est interdit, même si je vais prier en Terre Sainte, où vécut notre Seigneur Jésus.

« J’ai besoin de mes droits. Mais si vous me disiez, allez-y, vous pouvez y aller, je refuserais car je ne veux pas vivre à Haïfa. Car ils sont différents, et ma mentalité, mes idées, mes yeux son habitués à ma réalité. Je suis un homme âgé, ma mentalité est différente de celle des jeunes…Toutefois, j’ai besoin de ces droits, pour vous et pour moi aussi, et pas seulement pour vous. Je suis humain, je ne suis pas un terroriste ».

{{{Le pluralisme religieux, l’antidote à la théorie du “choc de civilisations”}}}

« On a trois religions ici. Jésus dit : je suis la paix. Pas seulement pour les uns, mais pour tous ceux qui habitent sur la terre ».

« Il y a à Naplouse la chrétienté, les samaritains et l’Islam. Je veux que vous sachiez une chose : il n’y a absolument aucun problème entre nous. Nous sommes un très petit groupe, nous ne sommes que six cents chrétiens. Alors qu’il y a cent quarante mille musulmans. S’il y avait un quelconque problème, comment pourrions-nous vivre ici ? Pensez seulement une chose : s’il y avait un vrai problème ici entre nos communautés, nous n’aurions pu rester même pas une seule heure…. »

« Nous travaillons, nous avons des écoles, l’université, l’école publique… Alors, si jamais il se passait un problème sérieux, peut être dans un foyer, dans une même famille… Alors, même si cela finissait par se produire, les grands cheikhs, et les grandes familles de Naplouse arrêteraient tout de suite cette situation-là. Ils interdiraient de faire quoi que ce soit à ces gens-là (les “semeurs de troubles”, NdT), parce que nous sommes des frères qui vivons en paix ici. Il n’y a aucune différence entre nous. »

Propos recueillis par Alex Anfruns en novembre 2012 à Naplouse (Cisjordanie)

Source: Rebelion.org

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