Moyen-Orient : l’embrasement s’étend 

Tandis qu'Israël poursuit ses opérations génocidaires à Gaza, avec 
une moyenne de 250 Palestiniens tués par jour, les forces militaires anglo-américaines ont bombardé le Yémen, fin de la semaine passée. Une agression de l'Otan visant à défaire le blocus exercé en mer Rouge par les Houthis, « en solidarité avec la Palestine ». Mardi, c'est l'Iran qui frappait le Kurdistan irakien pour « détruire un QG du Mossad », le service d'espionnage de l’État colonial et d'apartheid. Liban-sud, Yémen, Iran : l'embrasement régional n'est plus 
« à craindre », il s'étend...

Au nom de l’OTAN, les 12 et le 13 janvier, les États-Unis et le Royaume-Uni ont tiré plus de 70 frappes visant des sites militaires yéménites. Sanaa, la capitale du Yémen, a été touchée ainsi que les villes d’Hodeïda (Ouest), de Taëz (Sud), d’Hajjah (Nord-Ouest), toutes sous contrôle de la rébellion houthiste en guerre avec le gouvernement central. Ces bombardements occidentaux ont fait au moins cinq morts et six blessés (bilan provisoire) parmi les rebelles yéménites.

Fallacieusement présentée par ces auteurs comme une réponse « nécessaire et proportionnée » visant à « protéger le commerce mondial » l’agression de l’Otan a aussi été qualifiée de « défensive » avec pour objectif une… « désescalade ». Ou quand les mots servent à désigner l’exact contraire de la réalité. En effet, nombre d’observateurs indépendants voient mal comment le bombardement ce pays en guerre civile depuis 2014 diminuerait, en quoi que ce soit, les tensions ou rapprocherait d’une solution politique…

« Notre pays fait face à une attaque massive par des navires américains et britanniques, des sous-marins et des avions », a réagi Hussein Al-Ezzi, le vice-ministre des Affaires étrangères des Houthis, menaçant les États-Unis et l’Angleterre à devoir « se préparer à payer un prix fort et supporter les lourdes conséquences de cette agression ».

Le bombardement US-UK aura « des répercussions sur la sécurité régionale », a déclaré, de son côté, le Hamas. Exerçant un rôle de médiation entre rebelles Houthis et forces loyalistes dans la guerre civile du Yémen, le Sultanat d’Oman a dénoncé, lui, le « recours de la part de pays amis à l’action militaire ».

Mais qui sont précisément ces rebelles Houthis qui contrôlent partiellement le nord du Yémen ; qui tapent aux porte-feuilles d’Israël et de ses alliés, depuis plusieurs semaines, par une série d’attaques contre leurs navires commerciaux en mer Rouge ?

Qui sont les Houthis ?

Il s’agit d’un groupe politico-militaire et religieux, aussi connu sous le nom de Ansar Allah (ou « partisans de Dieu »), tel que le définit, dans un article fouillé, Natasha Linstaedt, professeur à l’Université de l’Essex (Royaume-Uni).

« Formée dans les années 1990, la milice porte le nom de son fondateur, Hussein Badreddin al-Houthi, et suit la branche zaïdite de l’islam chiite, qui représente 20 à 30 % de la population du Yémen. Les dirigeants du groupe sont issus de la tribu Houthi, qui fait partie de la confédération Bakil, la plus grande des trois grandes confédérations tribales du Yémen avec les Hashid et les Madhaj », précise Linstaedt.

En butte à des décennies d’exclusion militaro-économique et de terreur de la part du gouvernement du Yémen – piloté d’une main de fer par le dictateur Ali Abdullah Saleh depuis 1990 -, les Houthis sont entrés en guérilla et ont notamment lutté contre l’influence saoudienne croissante dans le pays. « Depuis l’éclatement de la révolution yéménite en 2011, les Houthis se sont battus pour chasser Saleh du pouvoir.  Ils ont pris le dessus et assassiné Saleh en décembre 2017. », poursuit l’universitaire. Entretemps la guerre civile yéménite, enclenchée en 2014 (et toujours en cours dix ans plus tard), a provoqué la mort de près de 377 000 personnes, dont de nombreux civils et enfants. « Bien que le gouvernement du sud bénéficie d’une reconnaissance de la communauté internationale, les Houthis contrôlent la majeur partie du nord du Yémen depuis 2014 (la capitale Sanaa et le port-clé de Hudeidah, qui génère jusqu’à 1 milliard de dollars de revenus) ».

Le mouvement Houthis regrouperait environ 20 000 combattants dirigés par Abdul-Malik al-Houthi, leader très hostile aux États-Unis et à leurs alliés. Depuis le début des bombardements américano-israéliens sur Gaza, les Houthis se revendiquent « solidaires du peuple palestinien », souligne Natasha Linstaedt. « Ils ont lancé une série d’attaques contre des navires commerciaux en mer Rouge, dont le Yémen est riverain. L’attaque la plus effrontée a eu lieu le 19 novembre 2023, lorsque des combattants ont utilisé un hélicoptère pour enlever l’équipage d’un transporteur de voitures lié à un homme d’affaires israélien ».

Nuançant l’efficacité des raids houthis, la professeure de l’Essex confirme néanmoins leur capacité de nuisance dans un carrefour stratégique qui concentre 12% du commerce mondial : « Bien que la plupart des attaques des Houthis sur la mer Rouge n’aient pas été couronnées de succès, celles-ci ont forcé des milliers de navires à contourner cette route et à se diriger vers l’Afrique du Sud, ce qui a entraîné des coûts et des délais considérables pour le transport maritime. »


Nouveau cap dans l’escalade régionale

Accusé par l’Occident de soutenir la rébellion houthiste, l’Iran a « fermement condamné » les récentes frappes anglo-américaines. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères iranien, Nasser Kanaani, a dénoncé une « violation flagrante de la souveraineté » du Yémen. Idem pour la réaction de la Russie qui a fustigé « une agression flagrante du territoire » yéménite. La Chine et l’Arabie Saoudite ont, tous deux, appelé les belligérants « à la retenue et à éviter l’escalade ». Chaque jour plus accrue autour de la guerre entre Israël et la résistance palestinienne, l’escalade a pourtant franchi, mardi, un cap supplémentaire…

Dans la nuit du 15 au 16 janvier, l’Iran a effectué plusieurs tirs de missiles balistiques sur la périphérie d’Erbil (Kurdistan irakien) et sur une partie du territoire syrien. Bilan provisoire : 4 morts, selon les autorités locales. Sur le site des « Gardiens de la révolution », un communiqué justifie en ces termes l’agression : « Le corps des Gardiens de la révolution islamique a annoncé […] la destruction du quartier général des espions du régime sioniste dans la région du Kurdistan irakien ».

Autrement dit, l’Iran affirme avoir pulvérisé un centre d’espionnage piloté par Israël au Kurdistan irakien ainsi qu’un « rassemblement de groupes terroristes anti-Iraniens », établis en Syrie. L’agence IRNA et plusieurs sites officiels iraniens ajoutent que l’Etat perse a « identifié les lieux de rassemblement des commandants et des principaux éléments liés aux récentes opérations terroristes – en particulier l’État islamique” (EI) – en Syrie », et les a « détruits ». Soulignant que ce bombardement était une « réponse aux récents crimes de groupes terroristes qui ont injustement martyrisé un certain nombre de nos chers compatriotes à Kerman et Rask ».

Pour rappel, le 3 janvier dernier, un groupe d’assaillants a perpétré un attentat-suicide au milieu d’une foule rassemblée à Kerman (sud de l’Iran) pour commémorer autour de la tombe du général Qassem Soleimani ; soit ce haut-gradé iranien des opérations militaires au Moyen-Orient, victime, en janvier 2020, d’un assassinat ciblé commandité par l’ex-président des Etats-Unis, Donald Trump. Revendiqué par Daesh, l’attentat de Kerman a fait 90 tués et de nombreux blessés…

Médailles d’Or de l’incohérence guerrière

Sans surprise, le département d’État américain a condamné les tirs de missiles iraniens, jugeant ces « frappes irresponsables » et compromettant « la stabilité de l’Irak ». En fidèle caniche français, le Quai d’Orsay a qualifié les frappes iraniennes de « violations inadmissibles de la souveraineté de l’Irak », stipulant que « de tels actes […] contribuent à  l’escalade des tensions régionales et doivent cesser ».

Eternelles médailles d’Or de l’incohérence et du 2P2M (Deux Poids, Deux Mesures), USA et France applaudissent donc leur violation de la souveraineté du Yémen puis, 48h plus tard, fustigent celle de l’Irak et de la Syrie par l’Iran… Comme d’habitude, tout dépend de qui viole les règles du droit international : « Si c’est nous, ça va ; si c’est eux, c’est inadmissible ! ».

L’assassinat d’un haut cadre du Hamas au Liban, la destruction partielle du Nord du Yémen et la riposte-vengeance au Kurdistan irakien contribuent à accélérer l’embrasement militaire en cours au Moyen-Orient. Sans, le moins du monde, s’attaquer aux racines politiques de la guerre coloniale en Palestine.

Olivier Mukuna

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