Le chef de l’ONU, António Guterres, appelle le M23 à cesser immédiatement son offensive, à se retirer de toutes les zones occupées et à respecter l'accord de cessez-le-feu du 31 juillet 2024. Ces derniers jours, le M23 a réalisé une percée face à l’armée du gouvernement de Kinshasa dans la province du Nord-Kivu. Le groupe armé a pris mardi le contrôle de Minova, une ville du Sud-Kivu située à un carrefour stratégique le long de la route vers Goma, l’une des principales métropoles du pays. La semaine passée, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) révélait que la guerre dans la région a déjà provoqué le déplacement de plus de 230 000 personnes depuis le début de l’année. Nous avons interviewé Moïse Muchanga Bireo, enseignant à Goma.
Pourquoi ce silence autour de la guerre à l’est du Congo ?
Parce que autour de cette guerre il y a des multinationales qui en tirent profit. La RDC possède des minerais critiques que tout le monde veut, de gré ou de force, pour faire fonctionner ses industries et la technologie de pointe. C’est par exemple la société Apple, entreprise multinationale américaine qui achète du coltan venu du Rwanda, hors le Rwanda n’a pas mine de coltan sur son territoire. De toute façon, le Rwanda est soutenu par les grandes puissances. Il faut que ces puissances imposent au Rwanda de se retirer du Congo.
Quels sont les acteurs en présence en dehors du M23 et du Rwanda ?
Il y a l’Ouganda qui est impliqué directement avec des troupes sur le sol congolais qui traversent jour et nuit la frontière entre le Congo et l’Ouganda. Ce qui a été dénoncé plusieurs fois par le président de la société civile du territoire de Rutchuru. Nous avons aussi l’Union européenne qui continue de financer l’armée Rwandaise, malgré les accusations du gouvernement congolais sur l’implication de l’armée rwandaise dans le M23.
L’ONU alerte dans un rapport sur le pillage du coltan par le M23. Ce qui semblait connu depuis longtemps. (1)
Oui, selon des experts de l’ONU, le M23 exporte environ 120 tonnes de coltan par mois. Ce rapport de l’ONU est correct. On connaît l’itinéraire de passage du Congo vers le Rwanda. Le minerai quitte Rubaya dans le territoire de Masisi en empruntant la route Mushaki kilolirwe que le M23 a réhabilité avec des machines venues du Rwanda. Ensuite, ils transitent de Kilolirwe vers Kitchanga, de Kitchanga vers Rutchuru, de Rutchuru vers Kimbumba jusqu’à la frontière du Rwanda.
Quelles sont les tentatives de mettre fin à cette guerre ?
Depuis 1996 la République Démocratique du Congo et, plus particulièrement, les régions de l’est du pays, subissent un conflit armé permanent dont seules les populations civiles payent au jour le jour les conséquences.
Plusieurs accords ont été signés pour mettre fin à cette guerre, malheureusement aucune solution pour la paix ne voit le jour. Il y a eu les accords signés en Afrique du sud entre le gouvernement congolais avec les rebellions du RCD Goma et le MLC, qui nous avait amené vers un gouvernement du système 1+4, c’est-à-dire un président et quatre vice-présidents venus des différentes rebellions. Malgré cela une autre guerre avait éclaté, la guerre de CNDP dirigé par Rolland Nkunda. Des accords avaient été signés avec cette rébellion à Goma. Quelques années après, cette rébellion CNDP s’est transformée en un autre mouvement au nom du M23 . Finalement, selon moi, la résolution pour la paix au Congo c’est de mettre les moyens nécessaires (logistiques et financiers) à l’armée congolaise.
Comment la jeunesse se mobilise contre la guerre ?
La jeunesse se mobilise vraiment, les uns intègrent l’armée les autres font la collecte des biens et vivres pour soutenir les militaires qui sont au champ de bataille. En ce début de semaine, la jeunesse de Butembo et Lubero remettait deux camions remplis des vivres au militaires engagés au front. D’ autres s’organisent pour dénoncer les infiltrations de l’ennemi.
Quelles grandes villes sont actuellement impactées par la guerre à l’est du pays ?
Nous avons la ville de Goma encerclée par le M23, la ville de Bukavu dans la province du sud Kivu actuellement aussi menacée depuis quelques jours car le M23 se dirige vers sa périphérie, ainsi que vers la ville de Butembo.
Pouvez-vous nous esquisser un bilan du début de mandat, un an après la réélection du président ?
Il y a du positif avec la gratuité de l’enseignement de base. Beaucoup d’enfants issus des familles pauvres bénéficient de cette éducation sans payer aucun franc. Mais le salaire est encore insuffisant pour les enseignants. Il y a une avancée positive dans l’armée sur le plan logistique. Avec l’intégration de jeunes formés récemment pour défendre l’intégrité territoriale devant une armée étrangère bien équipée et motivée. Il y a aussi un avancée sur la liberté d’expression. Par contre, sur le plan social, c’est la majorité de la population qui vit toujours dans la misère.
Et d’un point de vue sécuritaire, particulièrement à l’est du pays, la situation est catastrophique. Enfin, au niveau diplomatique, tout a échoué !
Que peut faire l’ONU?
L’ONU fait déjà son travail en dénonçant la présence de militaires rwandais sur le sol congolais et le pillage de minerais du Congo par le Rwanda. Personnellement, je pense que le rôle de l’ONU c’est de maintenir la paix et protéger l’intégrité territoriale des pays en guerre. Malheureusement, les militaires de l’ONU représentés par la Monusco pendant plus des vingt an au Congo n’ont jamais amené la paix à la population congolaise. Ce que l’ONU peut faire actuellement, c’est d’imposer aux puissances occidentales de ne plus soutenir le Rwanda car des milliers de Congolais souffrent et meurent chaque jour depuis des décennies à cause de cette guerre.
Un autre problème de cette guerre, le Rwanda et Tshisekedi ont les mêmes parrains.
C’est-à-dire?
Je pense que c’est de l’hypocrisie tout simplement qui se limite à condamner sans agir, sans imposer des sanctions économiques contre l’agresseur comme cela se fait contre la Russie, ou sans fournir les armes à la RDC pour se protéger comme cela se fait pour l’Ukraine. Qui achète le coltan ou les minerais ‘’produits’’ par le Rwanda ? C’est la politique de deux poids une mesure. Et malgré les rapports de l’ONU et de la MONUSCO sur les violations de nos frontières, tout le monde se contente de simples condamnations.
Quel est le rôle de la Belgique actuellement?
Les Congolais se voient abandonnés par son ancien colonisateur la Belgique pendant plusieurs années sans aide militaire ni matérielle et se montre sourds d’oreille comme si tout allait bien au Congo. La population à l’est du Congo voulait que Tshisekedi s’allie avec la Russie comme l’a fait le Burkina Faso pour rompre avec la France. C’est un des espoirs pour faire revenir la paix au Congo.
Si vous aviez un message à faire passer aux Européens ?
Je souhaite dire au décideurs européens de cesser de financer les guerres au Congo. Si ils ont besoin de minerais, de passer officiellement par le gouvernement congolais et nous laisser en paix. Nous avons droit à la vie comme les autres peuples du monde.
Le 17 janvier est la date de l’assassinat de Patrice Lumumba, premier ministre du Congo indépendant en 1960. Peut-on affirmer qu’il y a un héritage de Lumumba dans la classe politique actuelle ?
Des parties politiques se disputent l’héritage de l’idéologie de Patrice Emery Lumumba, notamment le Palu ( Parti lumumbiste unifié) d’Antoine Gizenga et du Mouvement Lumumbiste progressiste ( MLP) de Franck Diongo. Malheureusement, ceux qui se disent lumumbistes posent des actes contraires à l’idéologie de Lumumba, notamment l’amour de l’argent. Lumumba aimait le Congo. Il était un libérateur pour le pays, chose que ne sont ceux qui se disent Lumumbistes actuellement. Aujourd’hui encore, Patrice Lumumba reste une figure héroïque des indépendances africaines. Cependant, ses idéaux ont du mal à percer et à guider les politiques publiques. Nombreux sont ceux qui se réclament de son école mais peu mettent en application ses idées. Un colonel de l’armée congolaise, Mamadou Ndala, avait juré de défendre les frontières du Congo pendant la rébellion passée du M23 de 2013, et qui les avaient vaincu par les armées jusqu’à la frontière du Congo vers l’Ouganda. Malheureusement, il fut assassiné par des personnes non patriotes pendant qu’il traquait les ADF (Forces de défense alliées, alliés à l’EI).
Notes :
(1) Saïd Bouamama dans sa vidéo Le Monde Vu d’en Bas en février 2024 : Un simple regard sur les exportations rwandaises suffit à comprendre les enjeux de ce génocide. Le Rwanda exporte une quantité énorme de matériaux stratégiques qu’il ne produit pas sur son territoire ou qu’il ne produit pas suffisamment. Sont concernés en particulier le Coltan, la cassitérite ou le diamant. Le Rwanda devient ainsi en 2014 le premier exportateur mondial de coltan.
Source : investig’Action
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