Quelques jours après l’article de Time, la chaîne CNBC (6/22/16) se fit l’écho d’une plainte selon laquelle on ne pouvait trouver d’acéminatophène nulle part : “Des produits de base comme le Tylenol ne sont même pas disponibles”. Ce qui doit avoir surpris la Pfizer Corporation puisque c’est sa filiale vénézuélienne, la Pfizer Venezuela SA, qui produit l’acéminatophène que j’ai acheté. (Ni l’auteur de l’article de Time Ian Bremer ni le commentateur de la CNBC Richard Washington ne se trouvaient au Venezuela, et il n’y a pas d’indices qu’ils y aient mis les pieds un jour, ni l’un ni l’autre.)
J’ai acheté les trois produits, plus un sirop pour la toux, et d’autres médicaments sans ordonnance, car je doutais que quiconque me croirait aux Etats-Unis si je ne pouvais montrer ces produits dans leur emballage d’origine.
Incessants tambours de mensonges
De fait, j’aurais moi-même douté si quelqu’un m’avait dit cela sans m’en fournir la preuve concrète, vu l’intensité des tambours du mensonge. Quand l’Orchestre Juvénile du Venezuela donna un concert à New York au début de 2016, avant que je déménage à Caracas, je m’y rendis en pensant “Purée! J’espère que les membres de l’orchestre seront bien habillés et bien nourris”. Ils étaient bien habillés et bien nourris.
Quand j’ai mentionné tout ça dans un débat à l’Université du Vermont, un étudiant m’a confié qu’il avait eu la même sensation lorsqu’il assistait au championnat panaméricain de football. Ils se demandait si les joueurs vénézuéliens seraient capables de jouer vu qu’ils devraient être fort affaiblis par le manque de nourriture. En fait, a-t-il dit, l’équipe du Venezuela a joué superbement et s’est hissé à des rangs de compétition plus hauts que prévus surtout quand on sait que ce pays est traditionnellement un pays du base-ball, contrairement à ses voisins obsédés du foot que sont le Brésil et la Colombie.
Même si cela peut être dur à croire pour des usagers des médias états-uniens, le Venezuela est un pays où les gens pratiquent des sports, vont au travail, vont à l’école, vont à la plage, fréquentent les resturants et aux concerts. Ils publient et lisent des journaux de toutes les tendances poltiques (la majorité sont d’opposition, NdT), de droite centre-droit, centre, centre-gauche et gauche. Ils produisent et regardent des programes de télévision, sur des chaînes de télé elles aussi de toute couleur politique.
CNN s’est ridiculisé récemment (Redacted Tonight, 2/1/19) dans un programme sur le Venezuela dont la voix évoquait “l’utopie socialiste qui vide aujourd’hui virtuellement tous les estomacs” et fut suivie d’une image d’une manifestation de droite où chacun apparaissait bien nourri.
Certes le téléspectateur pourrait penser que cela est sûrement dû au fait que les opposants proviennent des classes moyennes supérieures. Les mobilisations de travailleurs pro-gouvernementales devraient être le fait de ventres creux… Or c’est loin d’être le cas des manifestations massives en faveur du gouvernement bolivarien du 2 février 2019: les gens ont l’air d’aller très bien (photos). Et ce malgré le fait que l’administration Trump a resserré à l’extrême l’étau économique sur le pays, une réminiscence de la stratégie du “faire crier l’économie” mise en place par l’administration Nixon et la CIA contre le gouvernement démocratique du Président Salvador Allende au Chili, et contre d’autres gouvernements démocratiquement élus.
Manifestations rivales
Cette manifestation a révélé un appui considérable au gouvernement du Président Nicolás Maduro et un large rejet du choix du Président Donald Trump pour la présidence du Venezuela : Juan Guaidó. Guaidó, autoproclamé président du pays et reconnu quelques minutes plus tard par Trump, inconnu au bataillon pour 81 % des vénézuéliens comme l’a indiqué une enquête d’opinion menée par une firme privée, provient de la frange radicale de l’extrême droite vénézuélienne.
La manifestation pro-Maduro a suggéré sans surprise que Guaidó avait échoué dans la conquête d’un appui populaire au-delà des couches les plus riches de la société qui se réunissent dans les zones chics de l’Est de la capitale. Mais Guaidó n’a même pas réussi à gagner l’appui de nombreux riches. Le jour qui a précédé les manifestations rivales le 2 février, Henrique Capriles, le leader d’une faction d’extrême droite, a donné une interview à l’AFP parue dans le journal de centre-droit Últimas Noticias (2/1/19), le journal le plus lu au Venezuela. Capriles y déclare que la plus grande partie de l’opposition n’a pas appuyé l’autoproclamation de Guaidó comme président. Ce qui pourrait expliquer la surprenante faiblesse de la participation à la manifestation de Guaidó, organisée dans ces mêmes quartiers riches, éclipsée par la manifestation pro-gouvernementale sur l’avenue principale (avenue Bolivar) de la capitale.
Le New York Times n’a pas montré d’images de la manifestation pro-gouvernementale, se limitant aux déclarations d’ “experts” non nommés (2/2/19) pour qui la manifestation pro-gouvernementale était plus petite que celle des anti-gouvernement.
Les lecteurs peuvent observer les photos des manifestations rivales et juger par eux-mêmes. Les deux groupes ont fait de leur mieux pour mobiliser leurs fidèles, sachant que la capacité à montrer un appui populaire est un enjeu d’importance. Le strident journal de la droite vénézuélienne El Nacional (2/3/19) a publié une photo de l’opposition de droite:
Si c’est la meilleure photo qu’il a pu trouver, elle est remarquablement peu expressive comparée aux photos des journaux de gauche comme Ciudad Caracas (2/2/19)….
… ou le Correo del Orinoco (2/3/19), qui étaient trop heureux de publier des images de l’événement pro-gouvernemental:
L’improbable “aide humanitaire”
Une manifestation géante anti-gouvernementale était supposée rendre possible un coup d’état, une manoeuvre que la CIA a utilisée fréquemment – en Iran en 1953, au Guatemala en 1954, au Brésil en 1964 et dans bien d’autres cas, jusqu’au Honduras en 2009 et en Ukraine en 2015. Mais l’affluence à la “grande mobilisation” annoncée par l’administration Trump était décevante, et le coup d’état ne s’est pas produit. Le résultat est que Trump a soudain exprimé un vif intérêt pour remettre des médicaments et de la nourriture aux vénézuéliens (FAIR.org, 2/9/19).
Que Trump, qui a laissé mourir des milliers de citoyen(ne)s à Puerto Rico et fait mettre en cage de jeunes enfants à la frontière mexicaine, se transforme soudain en champion de l’aide humanitaire aux latino-américains, a quelque chose d’irréel. Pourtant les médias privés l’assument, sans rire.
La plupart des médias privés ont occulté les informations provenant de la Croix Rouge et de l’ONU – qui apportent déjà une aide humanitaire au Venezuela avec l’accord de son gouvernement – refusant d’administrer une aide états-unienne jugée par eux trop proche d’un stratagème politique et militaire. Ils ont même continué à construire l’image d’un Trump-champion-de-l’aide-humanitaire après les révélations qu’un avion états-unien avait été surpris au Venezuela en rain de débarquer des armes, et même après la nomination par Trump comme “envoyé spécial et chargé des opérations au Venezuela” du criminel Elliot Abrams, imputé dans l’affaire de l’Iran/Contragate. Abrams se trouvait à la tête du Bureau des Droits de l’Homme du Département d’Etat dans les années 80, lorsque les escadrons de la mort sévissaient partout en Amérique Centrale, et quand les armes des terroristes appuyés par les Etats-Unis au Nicaragua furent convoyées comme aide “humanitaire”, dans des avions repeints aux sigles de la Croix Rouge.
La télévision canadienne CBC (2/15/19) a au moins eu l’honnêteté de reconnaître qu’elle avait repris comme vrai un mensonge du Secrétaire d’Etat Mike Pompeo selon lequel le gouvernement vénézuélien avait bloqué un pont entre la Colombie et le Venezuela pour empêcher le passage d’une aide humanitaire. Le pont construit il y a quelques années n’a en fait jamais été ouvert à la circulation, apparemment à cause des relations hostiles entre les deux pays. Cette non-ouverture date de bien avant le supposé convoi d’aliments et de médicaments du gouvernement états-unien.
L’absurdité d’une “aide” dont on dit qu’elle contient pour 20 millions de dollars de nourriture et de médicaments, pour un pays qui compte trente millions d’habitants, et alors que les Etats-Unis ont volé 30 milliards de dollars du Venezuela en revenus pétroliers et en dérobent 30 millions tous les jours, se passe de commentaires.
“Etat failli”
Le Financial Times (4/11/16) a rapporté en 2016 que le Venezuela était un “état failli”, un “pur chaos” avec “quelque chose de semblable à une guerre civile en cours”.
La campagne de désinformation intégrale à propos du Venezuela été lancée en 2016 par le Financial Times. Ironiquement, ce journal a choisi le 14ème anniversaire du coup d’Etat manqué de 2002 contre le Président Hugo Chávez – le 11 avril 2016 – pour affirmer que le Venezuela sombrait dans le “chaos” et dans la “guerre civile” et que le Venezuela était un “état failli”. Comme pour les rapports de Time et de CNBC, le reporter du Financial Times n’était pas au Venezuela, et rien n’indique dans l’article qu’il y soit jamais allé.
J’ai demandé à des amis de droite au Venezuela s’ils étaient d’accord avec les titres du Financial Times. “Non, bien sûr que non” m’a répondu l’un d’eux, soulignant l’évidence: “il n’y a pas de chaos ni de guerre civile. Mais le Venezuela est un état failli, car il n’a pas été capable de couvrir tous les besoins en médicaments de sa population”. Si on prend ce paramètre, tout pays latino-américain est un état failli, et, à l’évidence, les Etats-Unis aussi.
Le New York Times a produit des articles (5/15/16, 10/1/16) affirmant que les conditions dans les hôpitaux vénézuéliens étaient horribles. Ces articles ont mis en rage les colombiens de New York, qui ont fait remarqué qu’un patient peut mourir au seuil d’un hôpital public en Colombie s’il n’a pas d’assurance. Au Venezuela, par contraste, les patients sont traités gratuitement.
Un Colombien résident à New York a raconté que sa mère était retournée récemment à Bogota après plusieurs années aux Etats-Unis, et qu’elle n’avait pas eu le temps d’obtenir une assurance médicale. Elle est tombée malade et s’est rendue à un hôpital public. L’hôpital l’a laissée dans la salle d’attente pendant quatre heures puis l’a envoyée vers un deuxième hôpital. Le deuxième hôpital a fait la même chose, la laissant attendre quatre heures avant de l’envoyer à un troisième hôpital. Le troisième hôpital se préparait à la r’envoyer vers un quatrième lorsqu’elle protesta, expliquant qu’elle avait une hémorragie interne et qu’elle s’affaiblissait.
“Je suis désolée, Señora, mais si vous n’avez pas d’assurance médicale, aucun hôpital public dans ce pays ne vous prendra en charge” a dit la préposée à la réception. “Votre seul espoir est de vous rendre à un hôpital privé, mais préparez-vous à devoir avancer une grosse somme d’argent”. Par chance elle avait un ami fortuné, qui l’emmena à l’hôpital privé où elle dut en effet avancer une grosse somme d’argent.
De telles conditions, en Colombie comme dans d’autres régimes néo-libéraux, ne sont pas mentionnées par les médias privés états-uniens, qui ont longtemps traité le gouvernement colombien, un régime de droite qui s’appuie depuis longtemps sur des escadrons de la mort, comme un allié des Etats-Unis (Extra!, 2/09).
Très bien, admettons, mais les rapports sur les conditions dans les hôpitaux vénézuéliens sont-ils vrais ou exagérés ? “Ils sont beaucoup mieux que ce qu’ils étaient il y a dix ans” me dit un ami qui travaille dans un hôpital de Caracas. En fait, explique-t-il, l’hôpital où il travaille a été ouvert il y a dix ans, et de nouveaux hôpitaux sont inaugurés actuellement. Pae exemple récemment à El Furrial, ou à El Vigia, comme en a fait état le journal de centre-droit Últimas Noticias (3/3/17, 4/27/18). Par ailleurs le gouvernement a ajouté, ou agrandi les infrastructures d’hôpitaux existants, comme celles d’un centre pour grands brûlés à Caracas ou trois nouvelles salles d’opération à l’hôpital de Villa de Cura.
Pendant ce temps, le gouvernement étrenne une nouvelle ligne ferroviaire à haute vitesse, Le Rêve d’Hugo Chávez, en mars (Correo del Orinoco, 2/6/19). Comme les médias états-uniens n’ont jamais laissé passer d’informations sur les réussites obtenues depuis la première élection d’Hugo Chávez en 1998, et n’ont publié que des informations sur de soi-disant dysfonctionnements, exagérés ou comme nous l’avons noté, inventés de toutes pièces, il ne reste aux lecteurs qu’à consulter une histoire alternative. En voici une, publiée par un vénézuélien sur YouTube (3/31/11): “Por Culpa de Chávez” (“C’est la faute à Chavez”). Dépeignant de nouveaux hôpitaux, lignes de transit, logements publics, usines, etc.. construits par le chavisme, il peut aider à comprendre pourquoi le gouvernement de Nicolas Maduro continue à jouir d’un soutien aussi fort de la part de nombreux(ses) citoyen(ne)s.
Guerre économique
Il ne s’agit pas de minimiser les problèmes du Venezuela. Le pays a été touché, comme d’autres nations productrices de pétrole, dans les années 80 et 90, par la chute des prix du pétrole. Mais comme cela n’a pas fait tomber le gouvernement bolivarien, l’administration Trump a créé une crise artificielle basée sur une guerre économique extrême pour priver le pays de devises étrangères nécessaires à l’importation de biens de première nécessité. Les mesures de Trump semblent conçues pour empêcher toute reprise économique.
Comme dans tout pays en guerre (et l’administration Trump a placé le Venezuela dans des conditions de guerre et sous la menace d’une invasion immédiate), il y a des pénuries, avec de nombreux produits qui se retrouvent sur le marché noir. Ceci ne devrait surprendre personne: pendant la deuxième guerre mondiale aux Etats-Unis, alors que la manne n’était pas gravement menacée d’une invasion, il y eut un strict rationnement de produits tels que le sucre, le café ou le caoutchouc.
Le gouvernement du Venezuela a mis la nourriture, la médecine et les produits pharmaceutiques à de très bas prix mais beaucoup de marchandises ont été déviées vers le marché noir, ou sont sorties par la frontière de la Colombie, du Brésil et des Caraïbes, privant les vénézuéliens de provisions et ruinant les producteurs colombiens. Le gouvernement a récemment renoncé à certaines des lourdes subventions des prix, ce qui a produit une hausse des prix dans un premier temps. Ces dernières semaines, les prix ont commencé à baisser, en particulier parce que le gouvernement a unifié les taux de change et exercé un contrôle plus serré sur la frontière colombienne pour prévenir la contrebande.
Il n’y a jamais eu de discussion sérieuse sur aucun de ces thèmes dans les médias privés états-uniens, et moins encore sur la campagne de mensonges ou sur la guerre économique menée par l’administration Trump. Il n’y a pas eu de comparaison avec les conditions de vie des années 80 et 90, lorsque le gouvernement néo-libéral imposa les recettes économiques du FMI, avec pour résultat une révolte populaire : le sanglant Caracazo de 1989. La répression gouvernementale coûta la vie de centaines (selon le gouvernement de l’époque) ou de milliers de personnes (selon les critiques de ce gouvernement), sans compter les nombreuses victimes de la loi martiale qui fut alors instaurée.
Les efforts menés par l’opposition de droite pour provoquer un soulèvement semblable du type “Caracazo” qui pourrait justifier une “intervention humanitaire” étrangère, ont échoué de manière répétée. Il ne reste donc à l’administration états-unienne et aux médias privés qu’à recourir aux plus extrêmes mensonges sur l’Amérique Latine qu’on a connus depuis les guerres de l’administration Reagan dans les années 80.
Traduction de l’anglais : Thierry Deronne pour Venezuela Infos
Source : Fair