Isa Gultaslar, Belgian lawyer representing Abdeslam's co-defendant Sofiane Ayari, attends the last day of trial of the prime suspect in the November 2015 Paris attacks Salah Abdeslam and his accomplice Ayari, at the courthouse in Brussels on April 23, 2018. A Belgian court on April 23 sentenced to 20 years in prison both Paris suspect Abdeslam, the last surviving suspect in the Paris attacks, guilty of terrorism-related attempted murder over a shootout with police in Brussels days before his capture in 2016, and Abdeslam's accomplice co-defendant Sofiane Ayari. (Photo by Stéphanie LECOCQ / POOL / AFP)AFP

Me Isa Gultaslar : « Les entreprises qui soutiennent les crimes israéliens peuvent être poursuivies »

Si nos responsables politiques offrent à Israël un blanc-seing diplomatique ou même un soutien militaire pour le massacre de Gaza, le monde est-il condamné à rester impuissant ? Probablement pas. Israël et ses complices pourraient devoir rendre des comptes devant la justice. Avocat bruxellois, maître Isa Gultaslar nous en dit un peu plus sur les leviers à activer. Mercredi, avec d’autres avocats ayant contribué au dépôt d’une plainte pour génocide contre Israël devant la CPI, il participait à une conférence organisée à Bruxelles par le Conseil européen palestinien pour les Relations politiques afin d’évoquer la situation à Gaza. Nous l’avons rencontré.

Dans les années 90, la Belgique s’était dotée de la loi dite de compétence universelle pour poursuivre les infractions graves aux conventions internationales de Genève[1]. Cet instrument juridique pourrait-il servir à sanctionner les crimes commis par l’armée israélienne à Gaza ?

Historiquement, la Belgique faisait partie des premiers pays à recourir à cette loi. Elle permettait de poursuivre les auteurs de crimes les plus graves, même lorsque ces crimes étaient commis dans un autre pays, à l’autre bout de la planète. La loi de compétence universelle permettait ainsi de lutter contre le sentiment d’impunité, mais au fil des années, elle a été balisée à plusieurs reprises. Aujourd’hui, si vous souhaitez déposer plainte en saisissant cette loi, il faut que la victime soit belge, ou que l’auteur soit belge ou qu’il se trouve sur le territoire belge.

Difficile de faire aboutir une telle plainte alors ?

Ce n’est pas l’unique difficulté. Il y a aussi un filtre au niveau du parquet fédéral. Lorsque les plaintes ne sont pas politiquement ou diplomatiquement correctes, elles ont peu de chances d’aboutir. Il faut aussi tenir compte de l’immunité des dirigeants étrangers. Tant qu’ils sont au pouvoir et disposent de cette immunité, ils ne peuvent pas être poursuivis. Concrètement, si vous déposez plainte contre un ancien allié africain déchu, il ne faut pas s’inquiéter, elle devrait aboutir. Mais si vous déposez plainte contre un allié puissant, elle n’aboutira pas.

La justice est-elle impuissante ?

Il ne faut pas être naïf. La justice n’a pas la solution à tous les problèmes, surtout lorsque leur origine est politique. Dans une démocratie saine, sans que les ONG ou les avocats interviennent, les autorités publiques devraient agir. Il y a deux jours, j’ai vu une vidéo de Macron qui condamnait fermement les attaques sur une école maternelle en plein centre-ville. Il expliquait à quel point c’était ignoble. J’étais surpris, je pensais qu’il parlait de Gaza. En réalité, c’était une vidéo de 2020. Et Macron parlait de l’Ukraine. On l’a bien vu avec cette guerre, tous les instruments possibles, tous les outils en termes de sanctions, de gels des avoirs et autres condamnations ont été enclenchés. C’est ce qui devrait se passer aussi pour la Palestine dans des démocraties saines. Mais ce n’est pas le cas. Alors, pour pallier cette schizophrénie qui conduit à l’inertie, on se retrouve à bricoler des solutions judiciaires.

Quel genre de bricolages ?

Il y a des possibilités concrètes qui sont juridiquement défendables. Par exemple, une entreprise belge qui fait du commerce dans les territoires occupés ou qui participe par son soutien aux crimes commis sur place peut être poursuivie au pénal pour blanchiment ou recel. Avec l’idée que l’origine des fonds déduits de cette activité serait illicite dans la mesure où elle relèverait de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Par ailleurs, pour éviter le filtre que le parquet fédéral peut imposer pour les plaintes pénales, il est possible de mener des actions au civil. Vous pouvez ainsi introduire une action en responsabilité devant les tribunaux civils.

Techniquement, tout cela est parfaitement faisable. Et ce serait très intéressant dans la mesure où les plaintes déposées devant les instances internationales sont beaucoup plus lourdes. Certes, ces plaintes sont extrêmement importantes, mais elles sont surtout symboliques et ont moins de chances d’aboutir. On connait en outre la temporalité judiciaire à laquelle la CPI n’échappe pas. Ça peut prendre des années et pendant ce temps-là, des gens continuent à mourir ou à perdre leurs proches.

Actuellement, des associations permettent d’envoyer des dons à l’armée israélienne et favorisent le départ de binationaux pour renforcer ses rangs. Sont-elles à l’abri sur le plan judiciaire ?

Il est tout à fait possible d’engager des poursuites si vous établissez que des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité sont commis sur place et que des binationaux partis là-bas ont participé à l’offensive. Le parquet fédéral devrait même s’autosaisir. Depuis une quinzaine d’années, la loi sur le terrorisme vise les jeunes qui partent en Syrie ou en Irak par exemple. S’ils ont commis des exactions à l’étranger, ils se trouvent parfaitement condamnés à leur retour en Belgique. C’est exactement la même chose ici. Si un binational incorpore l’armée israélienne et participe à des exactions criminelles dans la bande de Gaza, il devrait être poursuivi. Encore une fois, dans une démocratie saine, c’est même le parquet fédéral qui devrait s’autosaisir.


Source: Investig’Action


[1] De nombreuses plaintes avaient ainsi été déposées contre des génocidaires rwandais, Augusto Pinochet ou encore Ariel Sharon. Mais aussi contre le président US George Bush ou le secrétaire d’État Colin Powell. Si bien que les États-Unis ont fait pression sur la Belgique, allant jusqu’à menacer de déménager le siège de l’OTAN. La loi a donc été revue. (NDLR)

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