Qu’est-ce qu’on leur a fait, à part les bombarder pour leur bien ? On ne se départit pas facilement d’une vision colonialiste du monde. Témoin un échange, mercredi, entre le journaliste de France 5 qui anime l’émission de talk-show politique “C dans l’air” et un de ses invités, Pierre Servent (un expert en quelque chose).
Le débat – comment se fesse ? – tournait autour de la menace terroriste, réelle et supposée.
Question du journaliste (les citations sont d'après des notes prises au vol, si vous voulez entendre au mot près, allez sur le site web de l'émission) : "La menace d'attentats pourrait-elle être liée aux ravages créés en Afghanistan par les drones, avions sans pilote qui ne servent plus seulement à l'observation, mais tirent des missiles et font des morts tous les jours ?"
Un petit reportage explique alors ce qu'est la vie des militaires américains qui utilisent ces drones : ils habitent la Floride ou le Nevada, quittent la maison familiale le matin après un bon petit déj', vont au bureau où, confortablement assis devant des écrans dans une salle climatisée, ils manipulent un joystick. Et à des milliers de kilomètres de là un drone survole des villages afghans. Si l'opérateur repère quelque chose de suspect, il pousse sur un bouton – en Floride ou au Nevada – et des gens prennent un missile sur la gueule trois secondes plus tard en Afghanistan (ou ailleurs, peu importe pourvu que ce soit dans un pays musulman). A midi, ils rentrent chez eux manger un hamburger et faire un bisou à Madame, puis retournent au bureau faire la guerre, avant de regagner leur petite maison pour regarder la télé (Chuck Norris, c'est reposant après une journée de dur labeur au service de la civilisation). Le soir, dodo réparateur : la journée de demain sera dure, y'a pas mal de muslims à exterminer encore.
Et les experts de préciser, l'air manifestement satisfaits, qu'à aucun moment avant que le ciel leur tombe sur la tête, les cibles n'ont eu le sentiment d'être surveillées : elles n'ont rien vu, rien entendu… Il ne vous étonnera pas d'apprendre au passage qu'Israël est devenu un des principaux producteurs de ce genre de joujous, dont la taille varie de celle d'une libellule à celle d'un Boeing 737 et l'autonomie peut atteindre des dizaines d'heures de vol.
Donc, disais-je, question du journaliste : ces drones font des morts tous les jours depuis de nombreux mois en Afghanistan (140 morts au cours du mois écoulé seulement, sans qu'on puisse savoir combien de civils, de femmes et d'enfants parmi eux), n'y aurait-il pas un lien avec une hypothétique menace terroriste chez nous ? (il est bien élevé, le journaliste, et il tient à sa place, donc il ne suggère pas que l'usage de ces drones EST du terrorisme).
Réponse de l'invité Pierre Servent (photo à droite, évidemment !) : "cela paraît peu vraisemblable ! il y a de nombreux mois que les drones sont utilisés de cette manière et tuent tous les jours, et cela n'a jamais engendré de menace terroriste. Donc il n'y a aucune raison de penser que ce soit le cas maintenant".
C'est pas une logique implacable, ça ? Pourquoi voulez-vous que des gens que de courageux militaires occidentaux se fatiguent à flinguer à coups de joysticks depuis des mois finissent, comme ça, soudain, sans justification, par mal le prendre ? Ils ont eu le temps de s'habituer, non ? (si non, c'est vraiment la preuve de leur infériorité et de leur inaptitude au monde moderne).
Vraiment, s'ils finissaient par se fâcher – sait-on jamais ? c'est gens-là ne sont pas des cartésiens démocrates comme nous – ce ne serait que la preuve de leur perversité intrinsèque, et on ne pourrait en tirer d'autre conclusion que la nécessité de multiplier la flotte de drones par dix. Au moins. Avec des plus gros missiles, si possible.
Dans ses voeux de bonne année, voici dix mois, la Libre Belgique souhaitait "que la nature dramatiquement perverse de certains peuples, de leurs dirigeants et de leurs référents religieux ne répande pas – ou moins ! – de guerres, d’épurations et de violences de toute nature". Comme c'était bien vu.
Source: Les doigts dans la crise