Luis Martínez Andrade, sociologue : « Le culte de la performance a détruit la spontanéité des joueurs »

À contre-courant  d’une grande partie des intellectuels de gauche et leur mépris du ballon rond, Luis Martínez Andrade revisite certains épisodes du  XIXème siècle à travers le football. Après avoir publié plusieurs essais sur la théologie de la libération, il publiait cette année Illusions du ballon, football et théorie critique.  Il montre que si le foot est un miroir de la société capitaliste, alors il en reflète aussi les antagonismes et les résistances.

Lier philosophie et foot, n’est-ce pas contradictoire ? On voit avec l’actualité que le foot n’est pas imperméable aux évolutions politiques (chants racistes des joueurs argentins)… 

Au premier abord, nous pouvons penser que ce lien est, en effet, contradictoire. Cependant, la philosophie doit non seulement nous aider à interpréter le monde mais aussi, comme disait Karl Marx, à le transformer. En ce sens, la philosophie peut devenir un outil non négligeable pour démasquer les formes abstraites et fétichisées de la réalité sociale. Dans la première moitié du XXe siècle, un groupe d’intellectuels allemands d’origine juive, composé par des sociologues, philosophes, économistes, a eu pour tâche l’analyse des aspects destructeurs de la modernité capitaliste. Ce courant, plus connu comme l’école de Francfort, a examiné les expressions socioculturelles qui ont conditionné l’émergence du fascisme et, bien évidemment, le processus d’aliénation de la culture de masse. Pour ces intellectuels, l’analyse du théâtre, du cinéma, de la littérature, et surtout de la culture de masse, était cruciale pour comprendre non seulement le pouvoir d’attraction du capitalisme mais également la transformation de la subjectivité. Ainsi, il faut dire que le football est en quelque sorte un certain miroir de la société, une expression socioculturelle de la température de la société. Si la société est homophobe, machiste, raciste, évidemment que les supporters, issus de cette société, vont en être le reflet et exprimer ces valeurs-là. Prenons le cas de l’Argentine, Enzo Fernandez, actuellement joueur de Chelsea, a malheureusement repris un chant dont l’origine est la finale de la coupe du monde entre la France et l’Argentine au Qatar. C’est quelque chose qu’il faut contrecarrer bien sûr et la question à se poser est : quel est l’état du monde dans lequel des supporters et des joueurs sont si loin de soutenir les causes populaires, voire révolutionnaires ? La majorité des supporters et joueurs pourraient se mobiliser pour arrêter le génocide en Palestine, comme auparavant on pouvait crier et soutenir certaines révolutions sociales. Pourquoi est-ce que maintenant les stades deviennent plutôt un écho, une résonance des positions les plus réactionnaires ?

C’est une question que nous, intellectuels et militants, devons-nous poser. Avec ce qui se passe en Palestine, les stades de foot devraient plutôt ouvertement condamner le génocide de l’État israélien. Mais au lieu de cela, ils chantent des propos racistes !

D’autre part, je pense qu’il faut se poser la question de l’hypocrisie de la FIFA. Eduardo Galeano, comme mentionné dans mon livre, dit que la FIFA est le Fonds monétaire international du foot. La FIFA, de façon hypocrite, condamne ces chants qui bien sûr sont des chants condamnables mais en même temps elle organise la coupe du monde au Qatar. Ils sont une sorte d’Appareil stratégique capitaliste, pour reprendre l’expression du sociologue Patrick Vassort. Les fonctionnaires de la FIFA ne s’attaquent pas à la corruption, par exemple de fonctionnaires tels que Joseph Battler (condamné pour « escroquerie, gestion déloyale, abus de confiance et faux dans les titres »). Ils disent qu’ils ont été écartés mais ces gens ne sont pas en prison.

Le racisme chanté par des joueurs argentins n’aurait-il pas des origines historiques (de racisme envers les Brésiliens); ou plutôt un climat favorable à ce genre de comportements avec le réactionnaire Javier Milei au pouvoir en Argentine?

À l’époque de la coupe du monde organisée au Brésil, en 2014, il y avait eu des propos racistes mais je pense que c’était du côté des supporters, peut-être pas du côté des joueurs. Mais parlant d’attaques racistes entre joueurs on peut pointer aussi la finale entre l’Italie et la France, en 2006. Zinédine Zidane avait justifié son coup de boule contre Marco Materazzi car il avait exprimé des propos racistes mais aussi insulté sa mère ou sa sœur. 

Dans le cas de Enzo Fernandez, on pourrait dire que c’est plus grotesque mais je pense qu’il faut aussi penser au statut du joueur professionnel contemporain. La majorité sont des gens très primaires dans la manière de voir les choses, bref, des adolescents millionnaires. Je les appelle des esclaves millionnaires, finalement ce sont des travailleurs d’une machine appelée le football-spectacle. On n’a pas cette conscientisation sociopolitique que l’on pouvait repérer à l’époque, par exemple, de la lutte de libération de l’Algérie (Mohamed Benhamed, Mohamed Boumezrag, Mokhtar Arribi, parmi d’autres) ou du club brésilien Corinthians (Walter Casagrande Jύnior, Sόcrates) à la fin des années 1970. Dans mon ouvrage j’aborde le cas d’Emanuel Mink, de Rino Della Negra, de Lilian Thuram, parmi d’autres, pour montrer justement qu’il y a eu des joueurs engagés politiquement, à géométrie variable selon les enjeux historiques, dans l’histoire du foot.    

Vous dites que la FIFA ne s’oppose pas à la corruption, mais la FIFA n’est-elle pas elle-même corrompue ? 

Bien sûr la FIFA est un Appareil stratégique capitaliste et qu’est-ce qu’on trouve derrière la FIFA, des blanchiments d’argent et des pots de vin, que ce soit dans le cas du Qatar, de la Russie et d’autres encore. Les fonctionnaires ne rendent malheureusement pas de compte parce qu’ils se disent que ce sont des associations privées. Rappelons-nous les rapports entretenus par la FIFA avec les dictatures militaires, la coupe du monde de 1978, tous les fonctionnaires de la FIFA n’avaient pas honte, se prenant même en photo et honorés par les dirigeants de la dictature de Jorge Rafael Videla en Argentine. C’est une organisation antidémocratique, obscure et opaque, qui a du pouvoir, avec plus de nations affiliées que l’ONU. Ils ont même plus de budget que certains États africains ou d’Amérique centrale et, si je ne me trompe pas, ils ne paient pas d’impôts. À cet égard, les enquêtes menées par le journaliste Andrew Jennings s’avèrent incontournables pour comprendre le réseautage de la FIFA.   

Quel était le projet ou l’idéologie des Corinthians ?

Dans le livre, je consacre un chapitre sur le Principe Espérance qui est une notion du philosophe marxiste Ernst Bloch, à la lumière de ce qu’il s’est passé au début des années 1980 au Brésil. À cette époque-là, le sociologue Adilson Monteiro Alves était nommé à la tête du club pour organiser l’équipe, mais précisons qu’il y avait trois joueurs très conscientisés, le plus connu c’est Sόcrates, « le docteur ». Mais aussi Walter Casagrande, un autre joueur qui, à l’époque, militait au parti des travailleurs, le parti de Lula, et Wlademir Rodrigues dos Santos. Ces trois joueurs étaient des militants politiques et cette équipe des Corinthians, pendant la dictature militaire, portait sur le dos de leurs maillots les mots « Démocratie corinthiane ». Ils ont réinventé l’organisation de l’équipe, tous votaient sur les décisions, même les gens qui ne sont pas des joueurs comme les masseurs-kinésithérapeutes (masajistas). Ils ont inventé ce qu’on appelle la démocratie corinthiane. Parallèlement, ils ont accompagné tous les processus d’agitation sociale comme les grandes grèves à Sao Paulo, avec Lula à leur tête. Il ne faut pas oublier que c’est une époque d’agitation sociale où même certains membres des églises, inspirées par la théologie de la libération, ont joué un rôle très important dans la lutte pour la démocratisation du pays. 

En quelle année cela s’est produit ?

En 1981, on est presque à la fin de la dictature militaire au Brésil, qui a duré du coup d’État de 1964 jusqu’en 1985 avec les premières élections directes. Les Corinthians du Brésil avaient accompagné la révolution populaire, les grèves à Sao Paulo et surtout dans la ville de São Bernardo Do Campo où a surgi la figure de Lula. C’est également là que s’est développée la mouvance de ce qui est connu comme la théologie de la libération, c’est-à-dire que les chrétiens de gauche étaient liés organiquement à des mouvements populaires comme les ouvriers, les paysans, les églises. Dans cette mouvance, les Corinthians ont mené une sorte de lutte des classes dans les pelouses et ainsi que dans le champ social. C’était un événement inouï dans l’histoire du football : une équipe de foot professionnelle qui n’avait pas seulement une position politique qu’il faut bien sûr honorer, ils ont aussi remporté le championnat de São Paulo. Ils sont devenus une équipe à succès, ils ont remporté la coupe du Brésil avec beaucoup de joueurs comme Sόcrates. Des joueurs des Corinthians ont également joué la coupe du monde 1982 en Espagne. 

La théologie de la libération est méconnue en Europe, pouvez-vous expliquer quel est ce courant ?

Comme j’ai essayé de le montrer dans mes ouvrages précédents « Religion sans rédemption. Contradictions sociales et rêves éveillés en Amérique latine » (éditions Van Dieren, 2015) et « Écologie et libération » (Van Dieren, 2016), la théologie de la libération est née en Amérique latine dans un contexte particulier. Né dans les années 1950-1960, c’est une sorte de courant de pensée spirituel ou théologique qui a essayé, à partir d’expériences révolutionnaires et de luttes populaires, de comprendre théologiquement ces expériences qui étaient d’abord des mouvements anticapitalistes et anti-impérialistes. Pour comprendre le christianisme de libération, comme soutient le sociologue marxiste Michael Löwy, il faut se référer à la révolution cubaine de 1959. C’est là que la théologie de la libération a reçu cette influence anti-impérialiste car Cuba a marqué toute une génération de chrétiens et de militants qui ont pris au sérieux les messages de l’évangile, c’est-à -dire, suivre Jésus aux côtés des pauvres. Le Jésus-Christ libérateur, cher à Leonardo Boff, théologien brésilien lié aux mouvements sociaux. Ils ont essayé de se démarquer d’une Église de puissants qui a toujours légitimé les dominants, qui a justifié la colonisation, l’évangélisation. La théologie de la libération visait à se démarquer pour devenir une église populaire, une église de paysans, une église des plus démunis. C’est un courant de pensée latino-américain qui est né en Amérique latine, au début au Brésil, mais on peut repérer son influence dans d’autres pays comme l’Argentine, le Mexique, le Nicaragua avec la révolution sandiniste depuis 1979. Actuellement, c’est grâce au travail des éditions Van Dieren que la diffusion de la théologie de la libération est reprise dans le monde francophone. Du côté anglophone, le théologien écossais, Graham McGeoch, et membre du Council for World Mission, est en train de soutenir la diffusion des nouvelles perspectives dans la lignée de la théologie de la libération.  

Un des essais de votre livre « Illusions du ballon. Football et Théorie critique » (L’Harmattan, 2024) est consacré à la figure de Diego Armando Maradona, encensé, critiqué, il était fait de contradictions mais assumait fièrement des positions anti-impérialistes tout en étant un produit du système capitaliste…

Dans le cas de Diego Armando Maradona, comme pour Ernesto « Che » Guevara, il s’agit de personnages qui vont exprimer des contradictions. Nous, humains, sommes faits de contradictions, on peut bien sûr critiquer Maradona pour ses excès, les dégâts de la drogue, le fait qu’il était machiste, qu’il avait je ne sais combien de femmes et d’enfants en dehors de « la sainte institution du mariage ». J’essaie dans mon livre de montrer ces contradictions chez lui mais ce qu’on oublie de Diego Armando Maradona, c’est que c’était un joueur qui s’engageait comme peu l’ont fait. Il a essayé de mettre sur pied un syndicat de footballeurs. On est loin du cas de Neymar Jr. qui soutient quelques figures fascistes comme l’ancien président du Brésil Jair Bolsonaro et qui ne paie pas d’impôts. Maradona a reçu le prix du meilleur joueur du siècle et il a osé dédier son prix à Cuba ! De surcroît, il a même soutenu le processus bolivarien d’Hugo Chávez à l’époque, alors que tout le monde condamnait le président du Venezuela !

Mais surtout, ce que l’on ne peut pas oublier, je pense que c’est important pour toute une génération marquée par la guerre des Malouines en Argentine, ce sont ses buts contre l’Angleterre ! On oublie ce qu’était l’empire britannique et tous ses crimes en Afrique, et ailleurs. En 1986, à la coupe du monde au Mexique, quand l’Argentine est confrontée à l’Angleterre, d’abord il a fait la célèbre « Main de Dieu ». On retient l’image d’un petit gars face au gardien anglais mais surtout après ça il y a ce qu’on appelle « el gol del siglo », le but du siècle. Il a laissé par terre les joueurs anglais comme si c’était des soldats de l’empire qui traînaient sur la pelouse et lui tout seul comme s’il avait le drapeau de l’Argentine, comme s’il avait l’épée de Simón Bolívar, comme un héraut de Toussaint Louverture qui courait pour marquer ce but. Comme s’ il voulait dire « Nous les dominés, on a toujours respecté cette place qu’on nous a laissé, en bas ». Mais lui a eu cette hérésie, pour la première fois, de vaincre l’empire britannique. Maradona est une figure intéressante et controversée oui, comme l’a raconté dans son film documentaire le célèbre réalisateur Emir Kusturica.

Photo: Flickr

Dans votre livre, la symbolique de ces deux buts est décrite à merveille. N’est-ce pas une histoire qui illustre le lien que vous faites entre le foot et la philosophie? Autrement dit quel était l’objectif du livre? 

Pour commencer, mon défi était avant tout de montrer que malheureusement la théorie critique est trop cryptique, est-ce une forme d’élitisme, de snobisme ? Si on utilise un langage plus sophistiqué, on donnera l’impression qu’on est plus brillant et j’ai voulu montrer dans ce livre que ce n’est pas vrai. On peut transmettre la philosophie ou la théorie sociale de façon plus courante et moins lourde, montrer qu’à partir du foot on peut parler de philosophie, de littérature, d’histoire intellectuelle, de sociologie. On peut philosopher de tout dans la vie, sinon ce ne serait pas la philosophie. D’un autre côté, c’est un défi pour les gens qui aiment le foot parce que dans beaucoup de livres sur le foot, ce que tu vas trouver ce sont des livres apologétiques ou très descriptifs, pleins de statistiques, et je pense qu’il faudrait aussi donner au foot son statut d’expression socio-culturelle. Pourquoi est-ce que par exemple le théâtre, si j’avais écrit un livre sur le cinéma et la philosophie, ça serait bien passé? Mais quand on mélange le foot, quelque chose du peuple, de populaire, on est qualifié de peu sérieux.    

Vous citez dans le livre Hartmut Rosa (Accélération), cela résonne avec les propos de Marcelo Bielsa, sur l’appauvrissement du foot, le nombre de matchs trop élevés… 

Oui, les fondateurs de l’école de Francfort, Max Horkheimer et Theodor Adorno, ont essayé de décortiquer la logique de la modernité capitaliste, le pilier idéologique mais aussi symbolique et matériel. Ils se sont rendus compte que la logique de la modernité capitaliste est la question de la productivité, l’accélération, car, pourquoi est-ce que le capital va promouvoir les inventions technologiques ? Parce que cela va contribuer à l’optimisation de l’exploitation du travailleur, ça va alimenter le vol de la plus-value. Le capital va innover dans la technologie, pas pour le bien-être de la société mais pour la quête de plus-value. C’est la dictature de la valeur !  

Toute cette question de la productivité qui fait que l’on est face au chaos climatique à cause de ce productivisme, c’est un pilier de la modernité. Beaucoup de gens souffrent de burn out, les longues heures de travail et en même temps on est dans une société où les travailleurs perdent des acquis sociaux, comme cette initiative du macronisme de repousser l’âge de la retraite. Sur ce dernier point, je vous recommande les travaux de l’historien Johann Chapoutot qui montrent le continuum entre les principes du management moderne avec l’idéologie nazie. Les travailleurs perdent des acquis sociaux mais en même temps on nous frappe avec les outils de la productivité, de la rentabilité. Le foot étant un spectacle et n’étant pas imperméable aux logiques capitalistes, il doit répondre à cette question de l’accélération, surtout avec l’usage de big data, même les joueurs deviennent des machines à être programmées ou déprogrammées, selon le cas. Les footballeurs ne sont plus des joueurs comme dans les années 1980, ils sont devenus des athlètes de haut niveau, je ne sais pas si quelqu’un comme Diego Armando Maradona aurait joué dans le foot actuel. Dans mon livre, j’essaie de dialoguer avec la théorie de Hartmut Rosa à partir de la figure de Juan Román Riquelme, « le dernier des Mohicans » selon Eduardo Galeano. 

Pourquoi Riquelme serait le « dernier des Mohicans »?

Dans le livre j’essaie d’établir un dialogue avec la Théorie critique. Depuis les travaux d’Horkheimer et d’Adorno jusqu’aux réflexions d’Hartmut Rosa, la question du productivisme est fondamentale pour comprendre la logique de la modernité capitaliste. Dans ce qu’on nomme « modernité tardive », la rationalité technique a colonisé, à travers l’usage des big data, toutes les activités humaines. Le football-spectacle n’échappe pas à ce phénomène. Le culte de la performance (résultats) a détruit les dernières manifestation de spontanéité des joueurs. À partir de la théorie du « non-contemporain » (Ungleichzeitigkeit) proposée par Ernst Bloch, je mobilise la figure de Juan Román Riquelme pour montrer la rébellion contre l’obsolescence du numéro 10 dans les schémas tactiques de nos jours.         

Avec les critères de sélections actuels on aurait peut-être dit à Maradona « tu es trop petit ».

Oui, on voit par exemple que Cristiano Ronaldo passe je ne sais pas combien d’heures à faire de la musculation et on nous montre qu’on doit passer des heures à brûler des calories à la gym. Mais pourquoi devrions-nous faire cela, parce que finalement cela devient le modèle de la société dominante. Ces modèles esthétiques de beauté sont également imposés aux femmes, comme l’a bien démontré la journaliste Mona Chollet. Ce que dit Marcelo Bielsa c’est de regarder en même temps combien de compétitions de foot il y a. Il y a la ligue des clubs, tu as la coupe des nations, la coupe, l’euro, maintenant on a les jeux olympiques. On est dans un état social où la question de la productivité de la société du spectacle n’a donc pas de répit, tu dois tout le temps être productif, je pense que Marcelo Bielsa a exprimé une critique de ce caractère productiviste du foot et du spectacle.

Marcelo Bielsa semble être le seul à dire ces choses-là, à ne pas se contenter d’entrainer ses joueurs mais exprimer des positions, des principes forts! Également sur le fait que le foot comme sport populaire est cannibalisé sans fin par l’argent…

Il y en a eu d’autres avant lui dans les années 1970 le joueur mexicain Carlos Albert Llorente a décidé de poursuivre en justice son club à cause de son transfert dans une autre équipe. Quelques années plus tard, avec d’autres joueurs, il a essayé de mettre sur pied un syndicat de footballeurs. En 1992, les joueurs mexicain Javier Aguirre (sympathisant de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale-EZLN) et Alfredo Tena, quant à eux, se sont intéressés à former un syndicat. Malheureusement, leur projet n’a pas abouti. C’est justement à partir de la coupe du monde des États-Unis de 1994 que le foot a changé, parce qu’ils se sont rendus compte qu’il y avait une niche de marché. Toute une industrialisation a vu le jour. Les États-Unis ont organisé le processus de productivité des joueurs, il y a eu la loi Bosman, la loi Zico au Brésil. Si, dans le néolibéralisme, le travailleur voit ses droits détruits par l’idéologie productiviste, le joueur (qui est également un travailleur) va expérimenter la même sorte de problématique. C’est pourquoi les footballeurs doivent prendre conscience que finalement ils sont également des travailleurs et des travailleuses et, en conséquence, ils doivent s’organiser pour défendre leurs droits.             

Avec le Qatar on a encore dépassé un degré de négation de l’humain mais la prochaine coupe du monde, ce sera autre chose, elle se jouera au Mexique, aux États-Unis et au Canada. Une aberration écologique avec les transports mais aussi humaine pour les joueurs, ça implique fatigue, blessures…

Oui, c’est une aberration écologique et rappelles-toi à l’époque de la coupe du monde au Brésil quand ils ont décidé de bâtir un stade dans la forêt amazonienne, où peu de matchs ont été joués, mais après ça, les stades ne sont plus fonctionnels, donc ce n’est pas seulement la coupe du monde au Qatar. Ce sont tous les méga-événements sportifs, jeux olympiques et coupe du monde, maintenant sont des pratiques écocides, bâtir ces stades de foot avec ce budget quand ce dont la population a besoin sont des moyens de transport gratuits, hôpitaux, logements sociaux, écoles, etc. Il faudrait plutôt investir dans la gratuité mais on voit là l’hypocrisie, parce qu’on nous parle beaucoup de décroissance mais on continue d’accepter cette sorte de méga-évènements sportifs dans une société, quand on voudrait une transition écologique à tous les niveaux, mais ce n’est pas le cas, il y a beaucoup d’hypocrisie.

Pour les Jeux Olympiques de Paris, ils ont fait l’inverse justement, ils ont pratiquement doublé, passant le prix du ticket à 4 euros.

Tout à fait, donc on voit cette hypocrisie, tant du côté des organisateurs de la FIFA que de celui des politiciens de tout poil qui pensent qu’organiser une coupe du monde ou les JO aujourd’hui c’est une sorte de vitrine, mais finalement, ce que l’on voit après, quand on fait le bilan, on voit que tout cela est payé sur le dos de citoyens. Ces politiciens et businessmen, serviteurs du capital, préfèrent davantage la construction de stades que d’hôpitaux ou logements sociaux.

Michea évoque Naomi Klein et « la stratégie du choc » dans son livre Le plus beau but était une passe. Il élargit la zone d’application de cette stratégie aux grands évènements sportifs internationaux, telle la Coupe du monde de football en Afrique du Sud et au Brésil qui fournissent un prétexte idéal « pour faire table rase du passé et installer en un temps record – dans une région donnée du monde – certaines des infrastructures (urbanisme adapté à l’automobile, complexes hôteliers géants, centres commerciaux tentaculaires, nouveaux systèmes de transport et communication, etc.) exigées par une économie « moderne » et « compétitive », autrement dit, « capitaliste ».

Bien sûr que l’on peut critiquer le Qatar parce qu’il a organisé une coupe du monde dans son pays où il n’y a pas de ligue nationale, un pays où les travailleurs sont des esclaves (le système de la kafala ou parrainage), avec toute l’immigration. Mais à mon avis ce n’est pas seulement le Qatar, je pense que c’est général, et tu viens de le souligner, la prochaine coupe du monde est organisée dans trois pays, combien de pollution on aura pour le transport de tous ces supporters qui vont aller et venir pour voir les matchs. Mais je pense que ce sera une des premières coupe du monde où, si je ne me trompe, il y aura plus de 40 pays parce qu’ils ont voulu intégrer, je ne sais pas si c’est la FIFA, des pays d’Afrique, d’Asie. C’est le business qui les intéresse parce qu’ils savent qu’on est dans une société de consommation et les États-Unis ou le Canada vont apporter beaucoup d’argent. Il faut le dire haut et fort : les méga-événements sportifs sont des pratiques écocidaires ! Ce n’est pas seulement l’ultime stade de la grotesque société de spectacle, mais aussi les piliers idéologiques de la modernité capitaliste. 


Source : investig’action

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