Est-ce un hasard si, ces dernières années, nous assistons à des phénomènes météorologiques aussi extrêmes ? L’homme et le changement climatique y sont-ils pour quelque chose ? Et les habitants de Houston ne pouvaient-ils être mieux protégés contre une telle catastrophe naturelle ?
L’ouragan Harvey laisse derrière lui un sillage de destruction le long de la côte sud-est des États-Unis. On estime que 30 000 personnes ont besoin d’aide urgente suite aux dégâts de la tempête ou des inondations sur leur habitation. Près d’un demi-million de personnes ont été victimes du déchaînement de la nature qui a duré des journées entières. Au moins 38 personnes ont perdu la vie. La violence avec laquelle Harvey a frappé Houston et ses environs est inouïe.
Ce sont surtout les énormes quantités de pluie qui sont presque inimaginables. Sur de grandes parties de la ville se sont abattues des masses d’eau, un déluge auquel on ne s’attendrait qu’une fois par millénaire. Le Service national de météorologie a même dû ajouter de nouvelles couleurs à ses cartes des précipitations afin de pouvoir visualiser ce déluge.
Et l’ouragan ne touche pas que la population de Houston. L’industrie pétrochimique omniprésente dans la ville a subi elle aussi des dévastations. La zone industrielle de la chimie à Houston est la plus importante au monde en son genre et elle héberge le siège principal de multinationales comme ExxonMobil. Dans certaines entreprises, l’eau atteint deux mètres de hauteur.
Suite à la mise à l’arrêt accélérée des usines, plus de 450 tonnes de gaz nocifs se sont déjà libérées et ont envahi les quartiers de l’est de Houston, et des explosions se sont également produites dans une entreprise inondée. Si d’autres installations pétrochimiques doivent également être touchées, les conséquences pour les habitants et pour l’environnement seraient incalculables.
Pas un hasard
Harvey n’est malheureusement pas le seul ouragan de cette ampleur qu’ont dû subir les États-Unis ces dernières années. Il y a eu l’ouragan Katrina, qui a ravagé La Nouvelle-Orléans, et Sandy, qui a lourdement frappé New York. De l’autre côté du monde aussi, des tempêtes de plus en plus extrêmes se produisent. Le typhon Haiyan a fait plus de 600 000 sans-abri aux Philippines, et les violentes moussons qui ravagent en ce moment l’Inde, le Bangladesh et le Népal ont déjà fait plus de 1200 victimes. Chez nous, la tempête qui a eu lieu à la Pentecôte avec ses averses de grêle, ainsi que la vague de chaleur du mois de juin sont encore fraîches dans nos mémoires.
Il est de plus en plus évident que cette succession accélérée de phénomènes météorologiques extrêmes n’est pas un hasard. Elle va de pair avec le réchauffement de plus en plus rapide de la Terre. Et les modèles scientifiques d’aujourd’hui peuvent établir dans quelle mesure des tempêtes comme Harvey sont la conséquence du changement climatique.
Des conditions météorologiques de plus en plus extrêmes
Les ouragans existent certes depuis toujours. Depuis de nombreuses années, de violentes tempêtes s’en frappent la côte est des Etats-Unis pendant la saison des ouragans. Mais l’effet du changement climatique se constate dans la violence et les conséquences de ces tempêtes. Par exemple, le niveau de la mer qui monte sans cesse : plus ce niveau est élevé, plus grand est le risque de voir des côtes et des digues inondées par temps de tempête. Mais bien d’autres facteurs interviennent également.
Vu le réchauffement du climat, l’eau de la mer le long de la côte des États-Unis est devenue elle aussi de plus en plus chaude. Comme cette eau est plus chaude, elle s’évapore plus rapidement, ce qui fait que le ciel au-dessus de l’océan contient de plus en plus d’eau. De l’eau que Harvey a déversée à torrents au-dessus de Houston. De même, les vitesses élevées des vents ont encore été accélérées par la température à la hausse.
Le phénomène qui fait que Harvey est resté si longtemps à un même endroit – et qu’il a par conséquent continué à pleuvoir interminablement sur Houston – a également été renforcé par le climat en plein changement. C’est lié au fameux « jet-stream », un courant d’air très rapide dans l’atmosphère. Cette succession de vents rapides, très hauts dans l’atmosphère, exerce une énorme influence sur le temps qu’il fait à la surface de la Terre. Des températures plus élevées l’affaiblissent, de sorte que les régions à haute et à basse pression restent longtemps au même endroit et que le temps reste invariable pendant de longues périodes, comme lors de la vague de chaleur en Belgique en juin dernier. Et, de ce fait, l’ouragan Harvey lui non plus ne pouvait se déplacer, avec toutes les conséquences que l’on sait.
La politique n’en sort pas blanchie
71 % des gaz de serre qui ont été rejetés entre 1988 et 2015 proviennent de seulement 100 entreprises. Le fait que le rejet de CO2 et d’autres gaz réchauffe rapidement le climat avait déjà été découvert en 1966 par des scientifiques travaillant pour le géant pétrolier Esso, l’actuel ExxonMobil. Toutefois, l’entreprise avait décidé de garder cette découverte secrète, par crainte d’un durcissement des normes environnementales.
Après que d’autres scientifiques avaient fait état en public de la même découverte, des multinationales polluantes comme ExxonMobil se sont lancées dans un intense lobbying pour contrer des normes climatiques ambitieuses. Leur influence sur les négociations climatiques est particulièrement grande. Ainsi, des dizaines de multinationales ont pu participer aux discussions du sommet climatique de Paris en 2015. Elles ont obtenu l’accès à toutes les négociations, même les plus fermées, en échange d’un sponsoring de plus de 10 % du sommet. Leur ingérence directe est l’une des raisons pour lesquelles l’accord climatique de Paris, qui comprend quelques nouveaux objectifs importants, n’a rien de contraignant.
Bien que, sans intervention sérieuse dans le système de production, le réchauffement climatique constitue une menace pour l’existence de millions de personnes, l’élite politique internationale se laisse acheter ou soumettre au chantage par une poignée de monopoles polluants qui font passer leurs profits avant tout le reste. Dans aucun gouvernement, le lien destructeur entre la politique et le grand capital n’est plus criant que dans l’actuel gouvernement américain du milliardaire Donald Trump.
L’ancien CEO d’ExxonMobil, Rex Tillerson, est aujourd’hui le ministre des Affaires étrangères des États-Unis. L’ancien gouverneur du Texas Rick Perry a affirmé tout comme Trump qu’il ne croyait pas au réchauffement climatique, et il entretient d’ailleurs d’excellents liens avec les géants pétroliers de son État. Il est aujourd’hui le ministre américain de l’Énergie. On pourrait presque affirmer qu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour préparer de nouvelles catastrophes climatiques du genre d’Harvey en annulant les mesures pourtant modestes d’Obama en faveur du climat, en empêchant l’instauration de nouvelles normes de protection de l’environnement et en retirant les États-Unis de l’accord climatique de Paris.
Les climato-sceptiques du gouvernement de milliardaires de Trump ne sortiront toutefois pas blanchis de l’affaire Harvey. En tant que gouverneur resté le plus longtemps en place dans l’histoire du Texas, Rick Perry a diminué, et non renforcé, la capacité de résistance de son État face à des conditions météorologiques extrêmes. Quand son administration de l’État du Texas a rédigé un rapport sur la montée du niveau de la mer, toute allusion au changement climatique y a été sciemment retirée afin de ne pas heurter les susceptibilités de l’industrie pétrochimique.
Et, pour pouvoir financer sa tristement célèbre politique fiscale permettant aux grandes entreprises d’échapper à l’impôt et à l’État de ne pas prélever un impôt progressif sur le revenu, Perry a économisé un beau paquet de milliards de dollars dans à peu près tous les domaines de sa politique. En 2011, par exemple, il a saigné le budget de la santé et des services civils d’un quart, celui de l’assurance-maladie Medicaid d’un tiers, entraînant la fermeture de centaines d’hôpitaux et de maisons de repos. Or c’est précisément de cette capacité d’accueil perdue qu’on a le plus besoin aujourd’hui à Houston et dans ses environs. C’est le mariage entre la négation du réchauffement climatique et le néolibéralisme qui a provoqué l’enfer que vivent aujourd’hui les habitants de Houston.
Un planning écologique
Le temps où nous ne faisons qu’imaginer ce qui allait se passer suite au réchauffement climatique est donc révolu. Nous vivons de tout près – aujourd’hui même – les conséquences du changement climatique. C’est pourquoi il est impératif d’agir vite si, à l’avenir, on veut éviter des catastrophes comme celle de Houston.
En premier lieu, il faut tout mettre en œuvre pour enrayer le réchauffement climatique devenu incontrôlable. Aujourd’hui, notre climat est de 1°C plus chaud qu’avant la révolution industrielle et, selon les prévisions scientifiques, ce chiffre peut tripler, voire quadrupler, si l’on n’opère pas de changement radical.
On ne peut compter sur des dirigeants comme Trump qui nient purement et simplement le changement climatique, ou comme la ministre flamande de l’Environnement Joke Schauvliege (CD&V) qui se défait de toute responsabilité.
Au contraire, nous devons immédiatement, dès aujourd’hui, nous atteler à construire un avenir durable. Il faut fermer les centrales nucléaires et investir à fond dans l’énergie renouvelable ; ne plus économiser à mort sur la SNCB et les transports publics, mais développer des transports publics de qualité et aux tarifs accessibles ; ne pas compter sur la main invisible du marché pour résoudre le problème, mais imposer des règles et normes claires afin de réduire de façon radicale les émissions de gaz à effet de serre.
S’adapter ou être englouti
Et, par ailleurs, il va aussi falloir nous armer contre un climat en mutation, et en tenant particulièrement compte de l’inégalité avec laquelle frappe le changement climatique. Car, à Houston aussi, ce sont les quartiers pauvres et habités par des gens de couleur qui ont été les premiers inondés, des quartiers qui sont aujourd’hui coincés entre l’effet des inondations et les installations pétrochimiques qui explosent. Et, le tiers-monde, qui ne porte quasiment pas de responsabilité dans le dérèglement du climat, est particulièrement frappé par le changement climatique.
Ce qui se passe Houston montre clairement que des autorités démissionnaires comme celles de cette ville ont abandonné leur population face aux catastrophes naturelles. Il n’y a aucune réglementation prévue pour pouvoir affronter ces nouveaux phénomènes extrêmes et les services de secours ne sont pas en mesure d’évacuer et d’accueillir tout le monde assez rapidement. Des projets d’infrastructures destinées à protéger la ville ont été reportés, sauf dans les quartiers dont les habitants pouvaient les payer.
L’ouragan Harvey doit donc servir de sonnette d’alarme. Si le changement climatique n’est pas pris au sérieux et si on ne lance pas de planning écologique à grande échelle, on n’a pas fini de voir de grandes villes être ravagées par des catastrophes comme Harvey.
Source: Solidaire, septembre 2017
Ce mois-ci dans Solidaire
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