«L’initiative de paix chinoise est pragmatique et raisonnable »

Dans cet entretien avec le professeur Alfred de Zayas, spécialiste du droit international et ancien mandataire de l’ONU, revient sur les critiques portées envers la Chine. Critiques internationales ou plutôt occidentales? Il y répond à travers de nombreux arguments historiques et géoplitiques. (IGA)

 

Actualité en question : La Chine est de plus en plus attaquée verbalement par les États-Unis. Quelles en sont les causes selon vous?

Professeur de Zayas Certains politiciens américains ne tolèrent aucune concurrence. Ils veulent être le numéro un mondial et y rester pour l’éternité. Ils croient à l’imagination du professeur Francis Fukuyama dans son livre stupide “The End of History”. Ils regardent avec suspicion et horreur comment la Chine s’est hissée au rang de première puissance économique mondiale. Ils souffrent de jalousie, d’hubris, de surestimation de soi, d’autojustification. Ils pensent avoir toujours raison et que les États-Unis ont la mission sacrée de fixer des règles pour le monde entier. Cette attitude arrogante se retourne contre eux. Les Chinois ne veulent pas de guerre avec les États-Unis. Ils veulent faire du commerce et avoir des relations amicales. Mais cela n’est pas possible si l’une des parties insiste sur sa “supériorité morale”.

Ici, de nombreux hommes politiques comme Biden, Blinken, le sénateur Lindsay Graham, expriment tout simplement une sinophobie vulgaire. On diffame le prétendu adversaire et on se sert encore de cette diffamation comme base pour adopter une politique et des mesures hostiles. Ces politiciens américains sèment la haine contre d’autres personnes et d’autres peuples, en violation de l’article 20 du Pacte sur les droits civils et politiques, qui interdit l’incitation à la haine.

 

Les États-Unis font notamment de la provocation dans le cas de Taïwan. Quel est le statut de Taïwan en droit international ?

Personnellement, j’éprouve une certaine sympathie pour les Chinois de Taïwan. Je leur reconnaîtrais le droit à l’autodétermination. Mais la Chine voit un danger existentiel si Taïwan devenait “indépendante”, car Taïwan ne pourrait pas rester longtemps ainsi. Taïwan deviendrait une base militaire des États-Unis. La situation est similaire à celle du Tibet. Je crois aussi au droit à l’autodétermination des Tibétains, mais – comme me l’a révélé un haut diplomate chinois il y a des années – à la minute où la Chine se retirera du Tibet, les Américains ou l’OTAN s’y installeront. (J’appelle l’OTAN la “North Atlantic Terror Organization” – il est certain que les attaques de drones contre des civils en Afghanistan et en Irak constituaient une terreur au sens du droit international, de même que l’utilisation d’armes qui ne peuvent pas faire la différence entre des cibles civiles et militaires. C’est ce que font les pays de l’OTAN à longueur de temps).

Depuis des décennies, les États-Unis mènent une politique d’encerclement de la Chine. Certes, nos politiciens ne connaissent que peu l’histoire et ne savent pas ce que l’Occident a fait aux 19e et 20e siècles. Mais les Chinois n’ont pas oublié les agressions de l’Occident aux 19e et 20e siècles – pas les deux guerres de l’opium, le vol de Hong Kong par la Grande-Bretagne, la “gunboat diplomacy” des États-Unis, les massacres de Chinois lors de la “révolte des Boxers”, le génocide de Nankin par les Japonais. Les Chinois savent à qui ils ont affaire. Ils savent qu’il ne faut pas faire confiance aux États occidentaux et à leurs alliés, qu’ils violent régulièrement les traités et ne tiennent pas parole. C’est pourquoi les Chinois ne veulent prendre aucun risque, ni à Taiwan ni au Tibet. Du point de vue du droit international, Taïwan et le Tibet appartiennent à la Chine, mais il faut à tout prix éviter toute violence. Cela devient toutefois difficile si les États-Unis provoquent constamment et tentent d’inciter les politiciens de Taiwan à se montrer défiants. En cas de violence – interdite par l’article 2(4) de la Charte des Nations unies – les États-Unis seraient les principaux coupables. N’oublions pas non plus qu’une provocation implique une menace. L’article 2(4) de la Charte des Nations unies interdit non seulement le recours à la force, mais aussi la menace.

Nous voyons ici un parallèle avec la crise ukrainienne, où les États-Unis et l’OTAN ont constamment provoqué et refusé de discuter d’une solution pacifique comme celle proposée par la Russie en décembre 2021.

 

La Chine a lancé une initiative de paix pour mettre fin à la guerre en Ukraine. L’Occident l’a rejetée comme étant de la propagande russe. Quelle valeur attribuez-vous à cette initiative ?

Le plan en 12 points des Chinois est bien ancré dans la Charte de l’ONU et dans des résolutions de l’ONU. Le plan est conforme à l’esprit et à la lettre du droit international, notamment l’obligation de résoudre les différends par des moyens pacifiques – une obligation de dialogue et de compromis, la nécessité d’un “quid pro quo”. La Chine a proposé son aide en tant que médiateur et a récemment fait ses preuves dans la médiation entre l’Iran et l’Arabie saoudite. La Chine, le Brésil, le Mexique et d’autres pays veulent faciliter une trêve et des négociations rapides.

En tant que citoyen suisse depuis 2017, je pense souvent à la pertinence de l’idée de paix du saint patron de la Suisse, Nicolas de Flüe (1417 – 1487). En 2013 déjà, j’ai fait un pèlerinage à Flüeli-Ranft dans le canton d’Obwald, j’ai visité Stans et Sarnen, où Frère Nicolas est enterré dans l’église paroissiale de Sachseln. C’est à lui que l’on doit le compromis de Stans de 1481, qui a empêché la désintégration de la Confédération. En décembre 1481, le curé de Stans se rendit chez Nicolas et revint avec un conseil de l’ermite pour négocier. Les conseillers se réunirent à nouveau et parvinrent à une solution après seulement deux heures.

L’initiative de paix chinoise est tout à fait pragmatique et raisonnable. Faire la paix signifie : pas de vainqueurs, pas de vaincus, signifie un “do, ut des”, un compromis. Mais Biden, Blinken et Selenskij parlent de “victoire”. Cette attitude prolonge la guerre, en violation de l’article 2(3) de la Charte des Nations unies.

 

La Chine est régulièrement critiquée par l’Occident pour sa situation en matière de droits de l’homme. Ces critiques sont-elles justifiées ?

Nous avons tous intérêt à promouvoir la réalisation des pactes des droits de l’homme de l’ONU. Mais cela ne passe pas par des critiques hostiles, mais par des initiatives constructives. En tout cas, les États-Unis n’ont aucune raison morale de critiquer la Chine. Ils doivent d’abord balayer devant leur porte. L’histoire des États-Unis est marquée par le génocide des autochtones Crees, Cherokees, Dakotas, Mohawks, Navajos, Pueblos, Seminoles, Sioux, Squamish, par la traite des esclaves et l’esclavage, par la discrimination et la politique d’apartheid envers la population noire. Aujourd’hui encore, les Noirs sont désavantagés aux États-Unis. Seuls les Noirs qui “s’adaptent” ont un espoir de faire carrière.

Bien sûr, les Chinois ont des problèmes de droits de l’homme – tout comme la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, l’Inde, le Pakistan, l’Indonésie, etc. La Chine coopère avec le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, avec le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et a invité Michelle Bachelet, la Haut-Commissaire de l’ONU, à visiter la Chine en mai 2022. Aujourd’hui, la Chine a sorti des millions et des millions de personnes de la pauvreté absolue. La Chine a de nombreux mérites qui doivent être reconnus.

 

Mme Bachelet a pourtant rendu public un rapport sur son voyage en Chine. Que contenait-il ?

Le rapport final de Mme Bachelet du 28 mai 2022 après sa mission en Chine était en fait assez constructif et équilibré. Je pense que sa mission a été un grand succès. Elle s’est rendue partout, y compris au Xinjiang, a parlé à de nombreux Ouïghours et a créé un groupe de travail au sein du bureau du haut-commissaire afin de mieux coordonner la coopération avec la Chine. Mais le bureau a rédigé un soi-disant contre-rapport ou “assessment” qui disait exactement le contraire de ce que Bachelet avait clairement et positivement constaté à Guanzhou. Je l’ai félicitée à l’époque pour cela. Comme Bachelet ne voulait pas assumer la responsabilité de l'”assessment”, elle ne l’a publié que lorsqu’elle a quitté ses fonctions le 31 août 2022. Bachelet a été littéralement harcelée par la presse et par certains rapporteurs spéciaux occidentaux, car on attendait d’elle qu’elle condamne la Chine pour le prétendu génocide des Ouïghours. Elle ne l’a pas fait, parce qu’il n’y a absolument aucun génocide dans ce pays et qu’il n’y en a jamais eu. Elle en a eu assez de l’hypocrisie de “l’industrie des droits de l’homme” et est rentrée chez elle (au Chili). 

 

Vous avez évoqué les mérites de la Chine, dont on ne parle jamais dans nos médias grand public. Quels sont ces mérites ?

Dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels, les Chinois ont beaucoup progressé. Ils remplissent mieux que les pays occidentaux les obligations du Pacte des Nations unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ils veillent au droit à la santé et aux soins, au droit au travail, au droit à la libre formation. Ils s’efforcent d’atteindre les “Objectifs de développement durable”, ils aident de nombreux pays en développement en Afrique et en Asie – et surtout – ils ne mènent pas de politique de guerre.

 

On reproche souvent à la Chine d’avoir des ambitions de grande puissance et de vouloir dominer le monde. Êtes-vous d’accord avec un tel reproche ?

La Chine est une grande puissance. C’est un fait. Mais la Chine ne cherche pas à dominer le monde, contrairement aux États-Unis. La Chine respecte la charte de l’ONU et la considère comme une sorte de constitution mondiale. La Chine participe de plus en plus aux débats du Conseil de sécurité, de l’Assemblée générale des Nations unies et du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Il faut s’en féliciter. En outre, la Chine mène une politique constructive en Asie et en Afrique, et l’initiative “la Ceinture et la Route” y a largement contribué.

 

Dans quelle mesure la Chine a-t-elle fait l’objet de critiques au sein du Conseil des droits de l’homme de l’ONU ?

Les États-Unis et les Européens le font systématiquement et depuis longtemps. Pas la moindre trace de respect, d’équilibre ou d’une quelconque pensée constructive. Il s’agit de confrontation et de diabolisation. Toutefois, comme on peut l’observer partout dans le monde – y compris au Conseil des droits de l’homme de l’ONU – la Chine a de plus en plus d’amis. Par exemple, le 6 octobre 2022, la résolution cynique que l’Occident avait présentée contre la Chine a échoué avec tambours et trompettes – à cause du soi-disant génocide au Xinjiang. Au grand dam des Américains, 19 États ont voté contre et 11 se sont abstenus, malgré une incroyable opération de propagande des États-Unis et de leurs vassaux – y compris quelques ONG achetées. Cela montre que la “Global Majority” est plus proche de la Chine que de l’Occident. Les temps changent.

Mais il n’y a pas qu’à l’ONU que l’Occident échoue lorsqu’il s’agit de la Chine. Il est étonnant de constater que les politiques occidentaux n’ont rien appris de leur échec. Ces jours-ci, nous avons justement dû entendre les haines du G7 à Nagano, au Japon. L’Occident est en passe de s’isoler lui-même, si l’on pense à l’initiative Belt and Road, à laquelle participent déjà 150 pays. Si l’Occident continue à se comporter de manière aussi inamicale, Xi Jinping décidera peut-être de stopper certaines exportations vers l’Occident, par exemple celles de terres rares. En effet, la Chine a le monopole du marché des terres rares. Certains en Allemagne ont remarqué avec inquiétude que l’économie allemande dépendait en quelque sorte des livraisons chinoises.

 

Les Chinois vont-ils arrêter les livraisons ?

Pour l’instant, non. Jusqu’à présent, les Chinois n’ont pas abusé de ce monopole de marché pour faire du chantage. Mais si nous, en Occident, continuons à être aussi haineux, la Chine en tirera tôt ou tard les conséquences logiques.

 

L’Occident ne joue-t-il pas constamment avec le feu dans la conviction arrogante qu’il est le centre de la terre ?

Les hommes politiques de Washington, Ottawa, Londres, Paris, Berlin ne représentent pas la population. Ils sont une “clique” qui ne comprend presque rien à la réalité du monde. L’hubris et l’arbitraire règnent. L'”Occident” est une minorité dans le monde et tente de maintenir sa position de force par la violence et la menace. Cela est dangereux. Nous ne sommes plus depuis longtemps le centre de la terre et il est grand temps que nos politiques le comprennent afin d’en faire ce qui est le plus raisonnable.

 

Que faut-il pour que l’Occident, sous la direction des États-Unis, ne pousse pas également la Chine à la guerre ?

Des gens comme Anthony Blinken et Victoria Nuland ont toujours été des bellicistes. Ils sont soutenus par les nombreux lobbyistes de la guerre. Et c’est ainsi que nous obtenons des budgets de guerre toujours plus importants. Le système est corrompu jusqu’à la moelle, et les grands et les petits de l’industrie de la guerre gagnent des milliards. Les fournisseurs d’armes comme Lockheed Martin, Boeing, Raytheon et d’autres en font partie. Ce sont justement ces seigneurs qui déterminent la politique américaine.

Pour éviter une nouvelle escalade, les Européens doivent marquer un coup d’arrêt. Emmanuel Macron a demandé de devenir plus indépendant des États-Unis. C’est la bonne approche. Si l’Europe – du moins quelques États comme la France, l’Allemagne et l’Italie – se retirait de la politique de guerre, cela aurait un impact sur les autres États. La même chose aurait été nécessaire dans la guerre en Ukraine. Il faut espérer que la raison revienne enfin et que les Européens s’opposent au bellicisme américain et britannique. La paix aurait alors une vraie chance. On n’en a certes pas l’impression, mais si la France adopte résolument une autre position, cela pourrait avoir valeur de signal. L’espoir meurt en dernier.

 

Traduction Bernard Tornare

Source : dezayasalfred.wordpress.com

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