LE LIBAN DANS L’IMPASSE ?
La crise libanaise tend, de plus en plus, à « s’internationaliser ».
Elle échappe, de plus en plus, aux protagonistes libanais et, même, arabes qui essayent de retarder son éclatement de peur qu’elle n’éclabousse, à la suite de l’Irak, la région moyen-orientale tout entière.
Dans ce contexte, il est normal de se demander à quoi servent les réunions qui se poursuivent entre Nabih Berri, président du Parlement et représentant des forces de « l’opposition », et Saad Hariri, leader de la majorité représentée par ce qui reste du gouvernement présidé par Fouad Sanioura, puisque ces réunions n’aboutiront, probablement, à rien de consistant, sauf à retarder le retour à l’impasse…
Les menaces de l’administration Bush
Et « le chapitre sept »
Il est vrai que le retour au calme, après les journées dramatiques du 23-25 janvier et du 14 février, est très important, voire même primordial, parce qu’il pourra aider à décanter la situation explosive qui se formait alors : l’escalade de la violence entre Sunnites et Chiites, exacerbée par des déclarations enflammées et répétitives, avait atteint un point tel qu’elle aurait pu provoquer des guerres confessionnelles. Surtout que toutes les conditions requises (allant des armes distribuées, en masse, à la population civile, au retour des colis piégés, à Aïn-Alaq, notamment) étaient déjà présentes et… rappelaient d’autres images de violence constituant le quotidien du peuple irakien.
C’est, d’ailleurs, cette situation nouvelle qui poussa l’Arabie saoudite et l’Iran à revenir aux négociations et à persévérer dans cette voie, malgré toutes les tentatives de l’administration étasunienne de Georges W. Bush de les mettre en échec, tantôt à partir de l’arrivée inopinée de Condoleeza Rice dans la région et des directives qu’elle prodigua aux représentants des services de sécurité des pays arabes dits « modérés » (L’Arabie saoudite, l’Egypte, les Emirats arabes unis et la Jordanie), tantôt à partir des menaces lancées par différentes personnalités de cette administration, dont surtout le vice-président Dick Cheney, contre le Liban, par le Hezbollah interposé. Sans oublier tout ce qui s’était dit et se dit encore sur la possibilité de recourir au « chapitre sept » des statuts des Nations unies afin d’imposer la formule étasunienne du tribunal international concernant les crimes politiques commis ces deux dernières années au Liban, bien qu’aucune force politique, y compris le Hezbollah, ne se soit opposée à sa formation : tout ce que certains demandaient, c’était le recours à certains amendements concernant la suppression de tout ce qui risque de porter atteinte à la souveraineté libanaise.
Une telle analyse conduit à poser une nouvelle question : pourquoi l’Arabie saoudite, considérée comme l’amie et l’alliée des Etats-Unis, a-t-elle lancé ces pourparlers sur le Liban avec l’Iran, l’ennemi juré ? Une sédition vis-à-vis de Washington se profile-t-elle dans les agissements du roi Abdallah?
Bien sûr que non.
L’Arabie saoudite est toujours l’alliée fidèle et inconditionnelle des Etats-Unis… Mais de quels Etats-Unis ?
Et, là, nous devrions rappeler qu’actuellement, il y a deux « Etats-Unis » : les premiers, représentés par ceux qui appuient les conclusions du rapport de la « Commission Baker-Hamilton » ; les autres, ceux des ultra conservateurs, les « Born again Christians », illustrés par Dick Cheney et Georges W. Bush.
Les premiers statuent sur la nécessité d’en finir avec la guerre en Irak et de rechercher des solutions pacifiques aux autres conflits et problèmes de la région arabe et moyen-orientale, dont, précisément, ceux de la Palestine et du Liban, mais aussi le conflit actuel avec l’Iran et la Syrie… Contrairement aux seconds qui pensent que la seule solution est dans la poursuite des guerres, même si cela nécessite la présence de nouveaux contingents (les 21 000 nouveaux soldats américains prévus par Bush).
Les développements des deux derniers mois
Et les objectifs du sommet arabe
C’est, donc, à partir des conclusions du rapport de la « Commission Baker-Hamilton » qu’il nous faut voir les développements politiques des deux derniers mois dans le Monde arabe et, par conséquent, au Liban.
D’abord, il y a la course de vitesse entre le renforcement de la présence militaire étasunienne en Irak et les appels au retrait des troupes avant la fin de l’an 2008, surtout à la suite de deux échecs notoires : la « bataille » pour assainir Bagdad et la « Conférence de Bagdad » qui devait poursuivre l’œuvre militaire par un programme politique.
Ensuite, il y a les menaces proférées contre l’Iran (et la Syrie aussi) par Georges Bush et Dick Cheney et les préparatifs d’une attaque-éclair (que des journaux russes prévoient pour le 6 avril) à laquelle participeraient les ultra militaristes israéliens, dont la ministre actuelle des Affaires étrangères, Tsippi Levni, malgré la situation critique vécue par le gouvernement israélien et, aussi, par les formations politiques en Israël à la suite de l’échec de l’agression perpétrée contre la Résistance libanaise, le Hezbollah en particulier, en juillet – août 2006. Ces menaces qui se contredisent avec l’arrivée d’émissaires américains (et européens) en Syrie et leur recherche d’un possible terrain d’entente avec ce pays et aussi avec l’Iran.
Puis, il y a le retour au calme en Palestine, sous l’égide du même roi saoudien, et la formation, à la suite des « Accords de la Mecque », d’un gouvernement d’unité nationale qui a mis en veilleuse les tentatives israéliennes de pousser les Palestiniens à la guerre civile…
Enfin, il y a la situation du Liban où la menace d’un conflit sunnite-chiite atteindrait de ses feux la région du Golfe arabique tout entière. C’est, d’ailleurs, cette menace qui a poussé les Saoudiens et les Iraniens à unir leurs efforts, malgré tout ce qui les sépare, et à demander aux belligérants (chiites et sunnites libanais), dont ils sont les amis et les alliés, de cesser toute escalade et de se rencontrer afin de parvenir, à travers la discussion, à une solution, même partielle, aux deux problèmes du gouvernement et du tribunal international… Et ce, afin de permettre, d’une part, à l’Iran de se concentrer sur ses problèmes spécifiques, et, d’autre part, au nouveau Sommet arabe, qui devra se réunir le 28 mars à Riad, d’entériner les accords supervisés par le roi Abdallah afin d’asseoir son leadership sur le monde arabe, en général, et de relancer l’initiative qu’il avait préconisée, il y a quelques années, lors du Sommet de Beyrouth, dans le but de « trouver une solution au conflit israélo-arabe ».
Cependant, ce plan politique saoudien visant à résoudre le conflit libano-libanais n’est pas bien solide, même s’il a l’aval de l’Iran, son ancien ennemi, et d’une partie de ceux qui détiennent le pouvoir aux Etats-Unis.
Les raisons en sont nombreuses. Il y a, d’abord, celles relevant de l’administration américaine dirigée par Georges Bush et son équipe. Il y a, aussi, le rôle des deux forces régionales voisines du Liban, Israël notamment. Il y a, enfin, les positions de certaines forces intérieures (les « Forces libanaises » de Samir Geagea, en particulier) qui ont mis tous leurs espoirs dans l’administration américaine actuelle après les avoir placés en Israël au moment de la guerre civile (1975-1989).
En effet, Georges Bush et son équipe, qui se sont vus perdants dans les élections partielles de novembre 2006, croient pouvoir récupérer, une fois de plus, une partie de leur popularité perdue en « prouvant » aux citoyens de leur pays qu’ils sont les seuls capables de les protéger contre de nouveaux terroristes, présumés (le Hezbollah) ou réels (les « Fath Al Islam » et autres consorts qu’ils ont financés, aux dires de certains de leurs concitoyens, dont des journalistes éminents et bien renseignés comme l’est Seymour Hersch). Au même moment, les Talibans refont surface en Afghanistan et Oussama Ben Laden et sa « Qaïda » sont presque oubliés.
Un nouveau Liban
Un nouveau Moyen-Orient
La guerre de la « démocratie » bushienne en Irak et dans toute la région arabe se poursuit, donc. Et cela afin de permettre la naissance prochaine du « Nouveau Moyen-Orient » (agrandi ou élargi) annoncé par Condoleeza Rice durant l’été 2006.
Et, dans quel pays autre que le Liban cette naissance peut-elle avoir lieu ?
Surtout que ce petit pays est, actuellement, une presque « chasse gardée » étasunienne, puisque la politique de son gouvernement est tracée par l’ambassadeur Jeffry Fieltman, que les dirigeants militaires étasuniens ont décidé d’y créer une base navale et une cité pour les familles de leurs officiers œuvrant en Irak. Lucky us ! Nous avons beaucoup de chance !
Pendant ce temps, et tandis que les bombardiers israéliens continuent à survoler notre pays sans être vus par les troupes onusiennes venues dans le but d’appliquer la résolution 1701, les forces pro américaines ont relancé la campagne du « fédéralisme confessionnel », c’est-à-dire du partage du Liban en mini Etats confessionnels, à l’exemple de l’Irak. Et, chaque fois que les possibilités d’une ouverture se font sentir, l’escalade, verbale ou non, tente de leur faire obstacle et de les repousser aux calendes grecques.
Nous ne nions pas, bien entendu, la responsabilité des forces dites « de l’opposition » dans cette situation de crise, parce qu’elles ont pour seul mot d’ordre le partage du gâteau de l’Etat confessionnel, à partir de la revendication du tiers du gouvernement, et qu’elles jouent, pour cela, un rôle passif et attentiste, bloquant, sans trop d’efficacité, le centre-ville de Beyrouth et aidant, sans le savoir peut-être, le gouvernement de Fouad Sanioura dans sa vision économique dont la troisième « Conférence de Paris », tenue le 25 janvier passé, n’est que les prémices de ce qui se prépare sur le plan de la vente des biens publics et, par suite, de l’augmentation de la dette publique à partir de projets non productifs et n’ayant aucun lien avec les réformes sociales et politiques nécessaires.
Donc, la paix civile et sociale est menacée au Liban ; et la menace vient du fait du projet de mainmise des Etats-Unis sur les richesses de la région, mais aussi de son refus d’aider à trouver une solution durable au conflit israélo-palestinien, qui ne peut se résoudre que par le droit au retour des Palestiniens, et israélo-arabe, qui se traduit chez nous par le retrait des fermes de Chebaa et des hauteurs de Kfarchouba, le respect de la souveraineté de notre territoire et la libération des détenus libanais.
Cette menace de dégradation ne doit-elle pas pousser les peuples européens à réfléchir et à agir.
A réfléchir sur le pourquoi de la position « suiviste » actuelle de leurs gouvernements qui, au moment de la guerre étasunienne contre l’Irak, avaient su faire face et souligner leur indépendance et leur maturité.
Et, surtout, à agir afin de refaire de la Méditerranée une région de paix et de prospérité, où n’existerait plus aucune trace des bases militaires étasuniens et des « chambres noires » de leur CIA ?
Marie NASSIF-DEBS
Beyrouth, le 17 mars 2007