Le 3 mars 2016, l’assassinat de Berta Cáceres, militante pour la protection de l’environnement, a eu un grand retentissement international et a mis en lumière l’étendue des atteintes aux Droits de l’Homme au Honduras. Depuis ce jour, sa fille, Bertha Zúñiga, et le nouveau coordinateur de la COPINH (1), Tomás Gómez Membreño, continuent le combat pour obtenir justice. Entretien
Quels sont les principaux axes de l’action menée par la COPINH et ses revendications les plus importantes ?
Tomás Gómez Membreño : Ces dernières années, la COPINH s’est focalisée sur la revendication de nos droits en tant que communautés indigènes et sur l’accès aux biens communs que la nature met à la disposition des hommes. La revendication de la reconnaissance des titres de propriété des communautés sur leurs terres dans les communautés indigènes. La formation de camarades, hommes et femmes, dans les diverses communautés. Nous avons travaillé à la mise en forme de nos propositions à opposer à l’actuelle politique extractiviste (2) pour faire face à cette spoliation de nos territoires et à cette destruction de nos visions du cosmos… mais aussi pour affronter ce processus de « développement », comme l’État l’appelle, qui est la conséquence directe des politiques néolibérales.
Quelle est votre critique de cette conception du développement prédominante?
Tomás Gómez Membreño : Les politiques néolibérales disent que le développement c’est avant tout la mise en oeuvre des activités extractivistes, des concessions minières, des projets éoliens, hydroélectriques, etc. Tandis que nous, et la COPINH aussi, nous croyons que pour assurer le développement des communautés indigènes, des familles, ce qui importe en tout premier lieu c’est l’accès à la terre.
Et, en second lieu, que les biens communs, comme l’eau, l’oxygène, les forêts, etc. ne soient pas privatisés. Il découle de cela que le développement suppose que les communautés puissent semer le maïs, les haricots, le yucca ou les agrumes pour assurer l’autosuffisance alimentaire de nos communautés. C’est ça, pour nous, le développement. Et c’est à l’opposé de la conception que l’État se fait du développement.
Bertha Zúñiga : C’est l’État qui est le principal promoteur de tous ces projets qui ne nous apportent que la mort. C’est aussi l’État qui impulse toute la répression nécessaire pour que ces projets soient mis en place par la force. Et la démonstration de cela c’est l’impunité avec laquelle agissent les entreprises nationales et les multinationales de connivence avec l’État.
Selon vous, quelle est la part de responsabilité des multinationales derrière la persécution et les récents assassinats de militantes sociales telles que Berta Cáceres et Lesbia Yaneth Urquía ?
Tomás Gómez Membreño : Remarquez bien ceci: dans la vision du monde des politiques néolibérales et des capitalistes, les biens communs de la nature comme l’eau, l’oxygène, les forêts… sont vus comme une marchandise. Mais les communautés indigènes les voient bien plutôt comme quelque chose qui fait partie de notre vie. Nous voyons que la responsabilité de ces multinationales consiste à accélérer le réchauffement global de notre planète. Ces dernières années, on a assisté à une accélération des concessions et des privatisations.
En ce qui concerne les 50 concessions et plus, sur le fleuve Río Blanco, lorsqu’on leur oppose de fortes résistances ou des luttes dures comme le fait la COPINH, alors les multinationales ont recours au renforcement de la sécurité ou à l’armée ou à la police pour mettre fin à toute lutte et résistance. Et même à l’assassinat de camarades comme Berta Cáceres ou Tomás García Domínguez.
35 % du territoire du Honduras est donné aux multinationales et aux compagnies extractivistes minières pour leurs projets de « développement ». Leur responsabilité est donc énorme lorsqu’ils veulent imposer leurs plans de pillage et de spoliation sur les terres des différentes communautés indigènes et sur le territoire du Honduras.
Au cours des six dernières années, la répression à l’encontre des mouvements de défense de la nature a coûté la vie de plus de 100 militants. Est-ce que les familles des victimes de cette répression ont reçu une aide quelconque ?
Bertha Zúñiga : La plupart de ces crimes sont toujours impunis à ce jour. Les assassinats des militants pour la défense de la terre et des biens communs de la nature sont des faits courants ; en ce qui concerne le cas exceptionnel de ma maman il s’en est suivi une pression énorme à l’encontre des représentants du gouvernement.
Mais même dans ce cas ils se sont contentés de procéder à quelques arrestations dans les directions des enquêtes que nous avons suggérées dès le départ et ils ont bien pris soin d’intervenir très tardivement. Davantage de soutien que ça, il n’y en a pas eu. C’est plutôt le contraire. Il y a des gens qui dressent des obstacles et font barrage pour que des procès transparents et impartiaux n’aient pas lieu.
En tant que famille, nous avons demandé depuis le premier jour la mise en place d’une commission d’enquête internationale et indépendante qui puisse nous garantir la transparence. Mais l’État du Honduras fait la sourde oreille ; il ne répond ni oui ni non. Il ne répond jamais à cette requête ni à la volonté de la Commission Inter-américaine des Droits de l’Homme.
Par conséquent, nous sommes face à une situation qui nous pénalise doublement. Ils nous ignorent, ils n’écoutent pas nos voix ni nos demandes. L’État se drape dans le secret illégal qui nous lèse une seconde fois avec de nouvelles atteintes à nos droits.
Tomás Gómez Membreño : En fait, l’État ne va pas répondre parce qu’il est lui-même impliqué dans ces assassinats. Chez nous, il existe un dicton : « La poule ne peut pas se protéger du coyote », et aussi cet autre : « Les coyotes ne se mangent pas entre eux ». C’est l’État du Honduras qui encourage toutes ces privatisations et concessions minières et l’assassinat de la camarade Berta Cáceres et des défenseurs de l’environnement.
Berta était une personne intègre. Son combat allait beaucoup plus loin que le combat pour la sauvegarde d’un arbre. En ce qui concerne cette affaire, nous sommes convaincus que l’État ne va pas demander une commission indépendante pour cette bonne et simple raison que c’est le pouvoir économique et politique de ce pays qui est impliqué. Donc, il ne va pas mettre en place une commission indépendante pour faire la lumière sur cette affaire.
Et comment appréciez-vous le soutien que vous avez reçu au niveau international ?
Bertha Zúñiga : À ce niveau-là, oui, il y a eu un soutien très fort de la part des différentes organisations qui sont aux côtés de la lutte de la COPINH. La société civile de beaucoup de pays soutient nos demandes et ça, c’est très important pour nous parce que dans ce pays où nous vivons il est très difficile de se faire entendre de la Justice. Mais cela ne veut pas dire que nous allons nous résigner à l’impunité, au contraire. Nous savons que la justice ne nous sera rendue qu’en fonction de notre combat.
Mais j’insiste sur le fait que l’assassinat de ma mère a été un cas exceptionnelle, parce que toutes les autres familles on les oublie et il y a des morts sans aucune enquête du tout et même on les culpabilise fortement. En ce qui concerne le cas des militants de El Bajo Aguán, une zone de très intenses conflits, on les traite comme des gens en relation avec le terrorisme… lls n’ont jamais droit au moindre secours.
Votre sœur, Laura Zúñiga, est en ce moment même en tournée aux États-Unis pour faire connaître l’histoire de votre famille. Il y a même quelques jours, elle est intervenue lors d’un meeting de campagne d’Hillary Clinton pour dénoncer le rôle que celle-ci a joué lors du coup d’État contre le président Zelaya, en 2009. Quelles ont été les conséquences de ce coup d’État en ce qui concerne les politiques économiques et sociales ?
Bertha Zúñiga : Nous considérons que l’assassinat de ma mère a ses racines dans le coup d’État. C’est à partir du coup d’État que le modèle extractiviste a été intensifié, en créant un environnement juridique qui rend possible la mise en oeuvre de tous ces projets de mort, en encourageant la formation du militarisme par la création de forces spéciales et le renforcement de la police nationale… et c’est cela qui garantissait que tous ces investissements allaient pouvoir se faire en dépit de l’existence d’un fort mécontentement social.
Évidemment, le coup d’État a préparé le climat et a ouvert la porte à tout un paquet de concessions pour leur installation dans les rivières de tout le Honduras et spécialement dans notre région qui est une zone de forêts et de montagnes où les rivières ont leur source. Ainsi donc, la richesse naturelle de nos régions peut être sacrifiée pour des projets hydroélectriques, miniers ou autres. Et c’est le coup d’État qui est à l’origine de tout ça.
Quel est l’état actuel des forces progressistes au Honduras dans la perspective de la construction d’une alternative à ce système néolibéral ?
Tomás Gómez Membreño : Dans ce pays, au plan politique, nous constatons qu’il n’existe pas une stratégie à la hauteur capable de contrecarrer le système néolibéral capitaliste. Nous avons même l’impression que les forces progressistes sont embourbées dans les problèmes électoraux, c’est-à-dire la question de savoir comment faire pour arriver a être président ou avoir sa place dans la magistrature…
Cependant, elles ne voient pas comment construire une base sociale capable de faire face au possible défi d’un autre Coup d’État. En ce qui concerne le coup d’État contre Zelaya, nous pensons que s’il avait existé une base sociale solide, le Coup d’État aurait pu être évité. Ou du moins, il y aurait une alternative à ce modèle extractiviste et capitaliste qui ne se nourrit que de la spoliation et de l’assassinat des camarades qui luttent avec leurs organisations et qui sont le caillou dans le soulier de ce système.
C’est le cas de la COPINH et de l’OFRANEH (3) qui continuent cette lutte pour nos territoires, mais qui font aussi des propositions très solides à opposer à ces politiques néolibérales.
Bertha Zúñiga : J’ai envie d’ajouter que nous assistons à un changement par rapport à ce qui s’est passé immédiatement après le Coup d’État. Les organisations qui sont victimes du plus grand nombre d’agressions, qui sont les plus poursuivies, qui sont victimes du plus grand nombre de poursuites et qui sont le plus criminalisées se situent dans les zones rurales, là où ont lieu les invasions des territoires et tout le pillage des biens communs de la nature. On ne les trouve plus autant qu’avant dans les villes.
Mais c’est parce que la répression est tellement énorme suite à l’augmentation du budget de la sécurité et la création de forces militaires spéciales…Tout cela a asséné un coup très rude aux organisations ; il y a certes des essais de coordination, il y a des résistances très fortes dans les territoires, mais celles-ci sont rendues invisibles ; jamais les grands médias au niveau national n’en parlent ; au contraire, ils les criminalisent. En résumé, c’est une situation d’une très grande complexité.
Pouvez-vous nous parler de quelques-uns des projets des communautés en lutte au sein de la COPINH que nos lecteurs pourraient soutenir pour exprimer leur solidarité ?
Bertha Zúñiga : Nous avons beaucoup de projets en divers domaines comme l’éducation, la santé, la communication populaire, l’agriculture alternative… Un des projets qui peut recevoir un appui international c’est celui des radios communautaires qui font connaître les luttes des peuples et de la COPINH et pas seulement du Honduras, mais des peuples d’Amérique Latine. C’est sur ce projet que la COPINH place ses espoirs pour continuer à grandir et il est important pour faire connaître nos luttes pour la défense de nos territoires.
Tomás Gómez Membreño : Il existe aussi un programme de création d’écoles rurales avec l’objectif d’en faire un système de formation communautaire. Elles ont en charge depuis la formation politique jusqu’à l’élaboration d’une proposition alternative globale cela même dont parlait Bertha. Cela comprend autant l’éducation, la santé… que l’aspect spirituel, culturel et cosmologique des communautés indigènes.
Nous essayons de développer l’autogestion dans la vie des communautés, par exemple avec la récupération des semences créoles. Il existe une puissante lutte menée par la COPINH contre les produits transgéniques des grandes compagnies agroindustrielles comme Monsanto, entre autres.
C’est très important et c’est à mettre en rapport avec ce modèle néolibéral qui fait disparaître toutes les semences créoles, mais qui veut aussi breveter nos médecines naturelles et qui veut interdire et proscrire nos pratiques médicales traditionnelles et communautaires.
Notes:
1 – La COPINH est une organisation sociale et politique, sans but lucratif, indigéniste et pluraliste, ouverte, solidaire et unitaire, de la zone sud-occidentale du Honduras.
2 – La notion d’extractivisme est un concept large, et polysémique qui désigne les moyens et stratégies d’exploitation industrielle de la Nature, quand il s’agit d’extraire (sans retour et directement dans le milieu naturel) des ressources naturelles, pas, peu, difficilement, lentement ou coûteusement renouvelables. (wikipédia)
3 – L’Organización Fraternal Negra Hondureña, (OFRANEH), est une organisation de base, représentant le peuple Garífuna. Elle est en lutte permanente pour les droits collectifs sociaux, économiques, culturels et territoriaux et pour l’autonomie de ce peuple. Elle oeuvre ainsi à l’éradication de l’injustice historique et de la perte du patrimoine de son peuple, et s’emploie à récupérer et à fortifier l’identité et la spiritualité culturelle ancestrales… (réseau-Desc – https://www.escr-net.org/fr/membre/organizacion-fraternal-negra-hondurena-ofraneh )
Source: Publico
Traduit de l’espagnol par Manuel Colinas pour Investig’Action