Si vous pouviez, Ô mes aïeux,
couchés dans la paix de la terre, si vous pouviez ressusciter,
vous verriez avec des yeux larges de stupeur joyeuse,
Paris en fête comme longtemps il ne l'a été.
En fête ! ? En délire !
Un cortège, non. Une marée.
Soulevée par une lame de fond, elle s'avançait
en vagues lentes sucessives interminables.
Du matin jusqu'à l'apparition de la lune venue cligner
de l'oeil à nos chandelles, nous avons marché.
Le Front Populaire était né. Il triomphait.
C'était beau, grandiose, cette unité bandée comme un arc
visant bien plus haut que la Tour Eiffel
et bien plus loin que la France.
Et la poésie, libérée
des rimes, des encres, des papiers où elle restait confite,
se dévergondait dans la rue, saoule de vie,
de la vraie vie toute en muscles et en nerfs,
et qui vous fait le coeur si béant
qu'un oiseau viendrait s'y blottir et pousser ses cui-cui.
Qu'elle vous rend grand, cette poésie! Et fort
à ébranler les colonnes du temple des finances.
Elle gonflait nos poitrines de chants
Des chants, 0 mes aïeux, qui tonnaient comme des salves
contre les portes des bourgeois, verrouillées
dans l'effroi de ce colossal et fabuleux cortège
au coeur innombrable fourmillant d'étincelles.
En mai 1871, ils battaient des mains
quand les baïonnettes vous fendaient le crâne.
ô votre tragique, glorieux et inoubliable mai !
Les canivaux des faubourgs charriaient votre sang avec honte.
Mais, notre mai victorieux vous venge.
Vive le Front Populaire !
Il chante l'Internationale qu'Eugène Pottier écrivait,
défiant les fusillades.
Il chante avec une telle force, une telle foi
que Paris tout entier vibre comme Notre-Dame
quand jouent les grandes orgues.
Que ceux qui ne sont rien écoutent
Qu'ils sortent l'espoir
trop longtemps confiné dans leur placard comme une mite
et qu'ils le raniment à la lumière de nos lampions!
Qu'il est bon, Ô mes aïeux; de se planter droit,
de porter le regard haut
quand nous l'avons si souvent baissé
en ravalant notre colère,
de savoir que le soleil va se lever et se coucher
sur une terre dont les fruits seront partagés, que la France, désormais, est
NOTRE France.
Enfin douce, elle nous épargnera le Golgotha
sur lequel vous avez crevé
comme un ballot que l'on pousse du pied.
Et, elle nous offre
La Côte d'Azur,
les congés payés,
les premiers de l'Histoire.
Ah ! L'Histoire de France! A nous de l'écrire.
Nous sortirons de l'ombre tous ses enfants sans nom
immolés dans les usines, les mines, les labours,
sur les champs de bataille,
expédiés dans l'autre monde à coups d'encensoir,
estropiés, sacrifiés pour ajouter des perles
aux sautoirs des seigneurs et maîtres
et une rosace au veston des tartuffes de l'Etat.
La crapule est en haut, pas en bas.
Les premières vacances…
Trains, vélos, autos, celles qui toussent,
font des teuf-teuf essoufflés en s'ébranlant
et puis filent, le mors aux dents.
Quelle aventure cette descente impatiente
vers un monde inconnu, La Côte d'Azur.
Qui, est est d’azur, mes aïeux, d’azur merveilleusement
A croire qu'elle sort d'un conte de fée, et tentante,
tentante … comme un fruit défendu.
Et … elle nous attendait.
– Enfin, vous voilà, camarades !
Toujours à mouiller les mollets des nantis …
Quel ennui !
Et pour nous attirer, l'enjoleuse,
elle fait mousser ses vagues au bord du sable,
si blond qu'il fait penser aux cheveux des anges
sur les images pieuses, seuls cadeaux que vous ayez reçus.
Et je te lèche par-ci, et je te lèche par-là.
– Entrez donc! Je vous ouvre les bras.
Et plouf ! Surprise. Joie. Délice.
Ricanez dans vos transats, bourgeois !
Ricanez de nos maillots tricotés à la hâte
qui s'étirent comiquement jusqu'à nos genoux.
Peu importe! La vie est à nous.
Hé oui ! Mesdames, Messieurs, La belle France
avec rois, empereurs et tout son saint-tremblement
goinfrant aux frais du prolo et du cul-terreux
n'existe plus que dans vos regrets et songes-creux.
Celle d'aujourd'hui s'encanaille dans les faubourgs,
la casquette sur l'oreille, elle gouaille à votre nez.
Il faudra vous y faire.
La France qui a enfanté Gavroche est toujours féconde.
Et nous voilà! Gauches encore dans nos ébats tout neufs,
mais prêts à planter nos dents dans l'avenir
que, toujours, vous nous avez arraché des mains
à coups de sabre, à coups de feu
pour le gardez vôtre, sous la vigie de vos dogues.
Barbara Y. Flamand, juillet 2006