Par le passé, les gouvernements européens ont parfois dit des choses qu’Israël a pu juger désagréables. En 1980, par exemple, une déclaration des neuf pays qui composaient alors la CEE disait que les colonies israéliennes en Cisjordanie et à Gaza étaient illégales au regard du droit international. Ils ont même insisté en déclarant que des mesures unilatérales pour changer le statut de Jérusalem n’étaient pas acceptable et appelèrent à des négociations entre Israël et l’OLP.
Les USA alliés d’Israël, et l’Europe ?
Se dresser face à l’agression israélienne est une chose. Mais prendre une position de principe indépendante de l’influence américaine est une toute autre affaire, et c’est quelque chose que l’Union européenne n’a pas été en mesure de faire sérieusement depuis qu’elle est devenue un acteur important de la diplomatie internationale. Indépendamment de qui a occupé la Maison-Blanche, les États-Unis ont toujours fait tout ce qu’ils estimaient nécessaire pour affirmer leur suprématie au Moyen-Orient. La crise de Suez dans les années 1950 marque le début de cette hégémonie. Après l’attaque de l’Égypte par la Grande-Bretagne, la France et Israël en réponse à la nationalisation du canal, les USA ont déclenché une ruée sur la livre sterling. Les conséquences de cette action ont été si graves que la Grande-Bretagne est sortie d’Égypte, avec la France et Israël derrière elle. Washington n’allait plus rien tolérer dans la région sans sa permission.
Une anecdote circulant parmi les initiés de la politique étrangère de Bruxelles nous offre un indice sur la perception d’Israël dans les couloirs des institutions européennes.
Lors du premier mandat de Netanyahou comme Premier ministre dans les années 1990, un député espagnol a rappelé que les activités d’Israël dans les territoires occupés étaient tellement litigieuses que même le gouvernement de Clinton était mal à l’aise avec cette situation. Netanyahou aurait riposté de façon méprisante : « Vous, Européens, ne regardez que ce qu’il se passe au-dessus de la table. Si vous regardiez en dessous, vous verriez que nous tenons les Américains par les couilles. »
Prétendre qu’Israël manipulerait les États-Unis de cette élégante manière est un point de vue discutable. Même s’il ne manque pas de preuves quant à l’énorme poids du lobby pro-israélien sur Washington, les USA utilisent aussi cette alliance pour leurs propres intérêts coloniaux au Moyen-Orient. Malgré les nombreux cas de tensions entre les deux nations dans les premières décennies suivant 1948, Israël a été considéré comme un « État client » de plus en plus important dès la présidence de Richard Nixon au début des années 1970. Quand il est devenu clair que la guerre du Vietnam était perdue, Nixon a développé une nouvelle doctrine : les États-Unis devaient éviter la confrontation directe dans les pays du « tiers-monde » et s’appuyer plutôt sur des « laquais » comme Israël ou l’Iran (conduite par le Chah à l’époque).
Pendant la guerre froide, l’Ouest étaient engagé dans la lutte contre le nationalisme arabe et l’influence soviétique dans cette région. Pourtant à la chute du communisme, le Pentagone ne s’est pas détourné du Moyen-Orient. Bien au contraire ! L’historien palestinien Rashid Khalidi a fait remarquer que les néo-conservateurs s’étaient fixés un agenda pour établir une nouvelle forme d’hégémonie américaine sur la région en collaboration avec Israël. Programme clairement affiché dans un document de 1996 que Richard Perle – un personnage important du Pentagone et un ardent défenseur de la guerre en Irak – avait écrit pour Netanyahou. Préconisant un changement de régime à Bagdad, il insistait pour que les USA et Israël aient un objectif identique de « paix à travers la force », métaphore orwellienne pour ne pas utiliser le mot « guerre ».
Le rapprochement d’Israël vers l’Union européenne a été le fruit de la coopération dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » que George W. Bush a déclarée suite aux atrocités du 11 septembre. Parce que les élans unilatéraux de Bush se sont révélés un facteur de division, il serait facile de penser qu’il y avait un désaccord transatlantique grave au cours de son premier mandat. En effet, avec Jacques Chirac et Gerhard Schröder contre la guerre en Irak, un débat surréaliste a eu lieu fin 2002. Les éditorialistes faisaient courir des histoires comme quoi des Américains en colère avaient rebaptisé leurs french fries en freedom fries ; boycottaient les vins de Bordeaux ; étaient révoltés de l’ingratitude envers les vaillants soldats américains venus mourir sur les plages de Normandie. Les conversations que j’ai eues avec des diplomates US de cette période ont été parmi les plus étranges de ma vie. Je me souviens d’un fonctionnaire dire sérieusement que les Français ne pouvaient pas s’opposer à la guerre parce qu’ils l’avaient soumis au tabagisme passif dans un café parisien le week-end précédent ! Je sais que la nicotine est nuisible, mais une agression militaire l’est-elle moins ?