Gaza est la plus grande prison à ciel ouvert au monde. La Cisjordanie est également une prison, segmentée en différentes zones, connues sous le nom de zones A, B et C. En fait, tous les Palestiniens sont soumis à des degrés divers de restrictions militaires. À un certain niveau, ils sont tous prisonniers.
Jérusalem-est est coupé de la Cisjordanie et les habitants de la Cisjordanie sont coupés les uns des autres.
Les Palestiniens en Israël sont traités un peu moins mal que leurs frères dans les territoires occupés, mais ils vivent dans des conditions dégradantes par rapport au statut de première classe accordé aux juifs israéliens en vertu de leur appartenance ethnique.
Les Palestiniens suffisamment « chanceux » pour échapper aux menottes et aux chaînes sont de différentes manières toujours pris au piège .
Les réfugiés palestiniens du camp Ein el-Hilweh au Liban, comme des millions de réfugiés palestiniens dans la « diaspora », sont prisonniers dans des camps de réfugiés, portent une identité précaire, sans réelle valeur, ne peuvent voyager et se voient refuser l’accès au travail. Ils languissent dans les camps de réfugiés, attendent que leur vie s’améliore, même légèrement, comme leurs pères et leurs grands-pères l’ont fait avant durant près de soixante-dix années.
C’est pourquoi la question des détenus est une question très sensible pour les Palestiniens. C’est une représentation réelle et métaphorique de tout ce que les Palestiniens ont en commun.
Les protestations qui s’organisent dans les territoires occupés pour soutenir les 1500 grévistes de la faim ne sont pas seulement un acte de « solidarité » avec les hommes et les femmes incarcérés et maltraités qui exigent des améliorations dans leurs conditions de détention.
Malheureusement, la prison est le fait le plus évident de la vie palestinienne; C’est le statu quo, la réalité quotidienne.
Les prisonniers retenus en captivité dans les prisons israéliennes représentent la vie de tous les Palestiniens, piégés derrière les murs, les barrages militaires, dans les camps de réfugiés, à Gaza, dans les cantons de Cisjordanie, dans Jérusalem sous le coup de la ségrégation, attendaient de pouvoir entrer, attendant de pouvoir sortir. Tout simplement, toujours dans l’attente.
Il y a 6500 prisonniers dans les prisons israéliennes. Ce nombre comprend des centaines d’enfants, de femmes, d’élus, de journalistes et de détenus administratifs, lesquels sont détenus sans accusations ni procès, indépendamment de toute procédure régulière. Mais ces chiffres ne donnent qu’une idée limitée de la réalité qui s’est imposée sous l’occupation israélienne depuis 1967.
Selon le groupe des droits des prisonniers Addameer, plus de 800 000 Palestiniens ont été emprisonnés sous la domination militaire depuis qu’Israël a commencé son occupation des territoires palestiniens en juin 1967.
Cela représente 40% de l’ensemble de la population masculine des territoires occupés.
Les prisons israéliennes sont des prisons dans des prisons encore plus larges. En période de protestations et de troubles, en particulier lors des soulèvements de 1987-1993 et 2000-2005, des centaines de milliers de Palestiniens ont été soumis à des couvre-feux militaires prolongés, parfois des semaines et même des mois.
Sous les couvre-feux militaires, les gens ne sont pas autorisés à quitter leur foyer, avec peu ou pas d’interruptions pour même acheter de la nourriture.
Pas un seul palestinien qui a traversé (ou qui traverse toujours) de telles conditions de vie, n’est étranger à l’expérience de l’emprisonnement.
Mais certains Palestiniens dans cette grande prison ont reçu des cartes de VIP. Ils sont considérés comme des « Palestiniens modérés », ce qui leur a permis d’obtenir des permis spéciaux de l’armée israélienne pour quitter la prison palestinienne et revenir comme ils le souhaitent.
Alors que l’ancien dirigeant palestinien Yasser Arafat a été enfermé dans son bâtiment à Ramallah pendant des années, jusqu’à sa mort en novembre 2004, le président actuel de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, est libre d’aller où bon lui semble.
Israël peut, parfois, être critique à l’égard d’Abbas, celui-ci s’écarte rarement des limites acceptables fixées par le gouvernement israélien.
C’est pourquoi Abbas est libre tandis que le dirigeant du Fatah, Marwan Barghouti est emprisonné (avec des milliers d’autres).
La grève de la faim des prisonniers a débuté le 17 avril, en commémoration de la « Journée des prisonniers » en Palestine.
Les rapports, publiés dans « Safa News Agency » et ailleurs, ont soulevé beaucoup d’attention sur les réseaux sociaux. La tragédie de la double réalité palestinienne est un fait incontournable.
Barghouti est beaucoup plus populaire parmi les partisans du Fatah, l’un des deux plus grands mouvements politiques palestiniens. En fait, il est le dirigeant le plus populaire parmi les Palestiniens, indépendamment de leurs positions idéologiques ou politiques.
Si l’AP s’intéressait vraiment aux prisonniers et au bien-être du chef le plus populaire du Fatah, Abbas se serait occupé à forger une stratégie pour décupler l’énergie des prisonniers aux ventres vides et des millions de personnes qui se sont rassemblées pour les soutenir.
Mais la mobilisation de masse a toujours fait peur à Abbas et et à son Autorité. Elle est bien trop dangereuse pour lui, car l’action populaire remet souvent en cause le statu quo et risquerait d’entraver sa domination, validée par Israël, sur les Palestiniens vivant sous occupation.
Alors que les médias palestiniens ignorent la fracture au sein du Fatah, les médias israéliens l’exploitent à fond, la replaçant dans un contexte politique plus large.
Abbas devrait rencontrer le président américain Donald Trump le 3 mai.
Il veut laisser une bonne impression sur le président impulsif, d’autant plus que Trump diminue l’aide étrangère dans le monde entier mais augmente l’aide américaine à l’AP. Cela suffirait à expliquer le point de vue de l’administration américaine sur Abbas et son appréciation du rôle de son Autorité pour assurer la sécurité d’Israël et conserver la même situation sur le terrain.
Mais tous les partisans du Fatah ne sont pas contents de la soumission d’Abbas. Les jeunes du Mouvement veulent réaffirmer une forte position palestinienne en mobilisant le peuple, alors qu’Abbas veut garder les choses en l’état.
Amos Harel soutient dans Haaretz que la grève de la faim, impulsée par Barghouti lui-même, était une tentative de ce dernier de défier Abbas et « contester le plan de paix de Trump».
Cependant, Trump n’a pas de plan. Il donne carte blanche au Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, pour faire ce qu’il veut. Sa solution est: un État, deux États, selon les deux parties. Mais les deux parties sont loin d’être des puissances égales. Israël a des capacités nucléaires et une puissante armée, alors qu’Abbas a besoin d’une permission pour quitter la Cisjordanie occupée.
Dans cette réalité inégale, seul Israël décide du sort des Palestiniens.
Lors de sa récente visite aux États-Unis, Netanyahu a fait connaître sa vision du futur.
« Israël doit conserver un contrôle primordial de la sécurité sur toute la zone située à l’ouest du Jourdain », a-t-il déclaré.
Dans le journal La Nation, le professeur Rashid Khalidi a exposé le véritable sens de la déclaration de Netanyahu.
En prononçant ces mots, « Netanyahu a dévoilé un projet permanent d’occupation et de colonisation, excluant un État palestinien indépendant et souverain, quelle que soit la fiction ‘d’État’ ou ‘d’autonomie’ souhaitée pour dissimuler cette réalité brutale », écrit-il.
« Le silence subséquent de Trump équivaut à la bénédiction du gouvernement américain pour cette vision grotesque de l’assujettissement perpétuel et de la dépossession pour les Palestiniens ».
Pourquoi les Palestiniens devraient-ils rester silencieux ?
Leur silence ne peut que contribuer à cette réalité grossière, aux circonstances pénibles et présentes, où les Palestiniens sont perpétuellement emprisonnés dans le cadre d’une occupation sans limite dans la durée, tandis que leur « leadership » reçoit à la fois un accord d’approbation d’Israël, et des accolades et des fonds à Washington.
C’est sur cette toile de fond que la grève de la faim devient beaucoup plus urgente que la seule nécessité d’améliorer les conditions des Palestiniens incarcérés.
C’est une révolte au sein du Fatah contre leur direction qui a failli, et une tentative énergique de tous les Palestiniens de démontrer leur capacité à déstabiliser le système « israélo-américain-AP » qui s’est imposé depuis de nombreuses années.
« Les droits ne sont pas accordés par un oppresseur », a écrit Marwan Barghouti de sa prison le premier jour de la grève de la faim.
En vérité, son message était dirigé vers Abbas et ses copains, autant qu’il était destiné à Israël.
* Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine – Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest. Visitez son site personnel.
Source: Chronique de Palestine