Macron et Biden plaisentent lors d'un sommet du G7. DiplomatieAFP

Les Occidentaux font de piètres diplomates

« Cessez-le-feu ». Le mot semble avoir disparu des dictionnaires des dirigeants occidentaux. Isolés du reste du monde, ils déplorent du bout des lèvres le massacre des civils palestiniens. Mais ils soutiennent le droit d’Israël à éradiquer le Hamas et avec lui, deux millions de Gazaouis. Quitte à provoquer une déflagration régionale, voire mondiale. Erreur stratégique ? Faute morale ? En réalité, les États-Unis ne peuvent pas faire autrement. Les Européens suivent.

L’opération « Épée de fer » lancée par l’armée israélienne est un désastre. Inutile d’indiquer un décompte du nombre des victimes qui se déplorent déjà par milliers, il sera très vite dépassé. Une idée de l’ampleur du massacre tout de même : l’ONG Save the Children a estimé qu’un enfant mourrait toutes les quinze minutes à Gaza. L’ONU évalue à 1,4 million le nombre de déplacés dans l’enclave, dont 629.000 ont rejoint l’un des 150 abris d’urgence de l’UNRWA[1]. C’est 2,7 fois plus que leur capacité.

Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese a évoqué un risque de nettoyage ethnique. Elle appelle à un cessez-le-feu immédiat.

« Des lumières rouges clignotent partout »

L’opération « Épée de Fer » est une catastrophe humanitaire, mais elle risque aussi de déclencher un conflit régional. Le mardi 24 octobre, le Pentagone indiquait que les troupes étasuniennes stationnées en Irak et en Syrie avaient essuyé 13 attaques au cours de la semaine écoulée. Avec l’intensification des bombardements israéliens sur Gaza et une possible invasion terrestre, Washington s’attend à une escalade. Lundi, un responsable US confiait à CNN : « des lumières rouges clignotent partout ».

Les bases US ont été la cible de drones et de roquettes, 24 soldats étasuniens ont été blessés. Rassemblant différentes factions jihadistes, le groupe « Résistance islamique en Irak » a revendiqué les attaques. Le Pentagone a reconnu n’avoir aucune preuve que l’Iran dirigeait les opérations, mais la Maison-Blanche l’a accusé de « faciliter activement » ces attaques.

Deux jours après l’annonce du Pentagone, les États-Unis répliquaient par des frappes aériennes dans l’est de la Syrie. Elles ont visé des installations « utilisées par le Corps des gardiens de la révolution islamique d’Iran et des groupes affiliés. »

Un épouvantail de 97.000 tonnes

Cet incident intervient dans un contexte particulièrement tendu. Dès le lendemain de l’attaque du Hamas, les États-Unis déployaient le USS Gerald R. Ford en Méditerranée. Adressé aux ennemis régionaux d’Israël, le message lancé par les 97.000 tonnes du plus grand porte-avion de l’Histoire était clair : restez tranquilles. Mais le navire de guerre est loin d’avoir calmé le jeu. Comment le pourrait-il ? Si la cause palestinienne avait été mise à l’index ces dernières années, permettant même à certains pays arabes de normaliser leurs relations avec l’État colonial, le massacre en cours ne laisse pas indifférents les peuples de la région, et même au-delà.

Depuis l’attaque du Hamas, des affrontements quotidiens opposent le Hezbollah aux forces israéliennes à la frontière sud du Liban. Mercredi, on apprenait que Hassan Nasrallah avait rencontré le secrétaire général du Jihad islamique et le chef adjoint du Hamas. Les dirigeants ont évoqué « ce que les parties de l’axe de la résistance doivent faire en cette étape critique pour permettre la victoire (..) à Gaza et en Palestine » et « arrêter l’agression sauvage » d’Israël, selon un communiqué du parti chiite. De son côté, le ministre iranien des Affaires étrangères a averti jeudi les États-Unis qu’ils ne seraient pas « épargnés par l’incendie » si le massacre se poursuivait à Gaza. La semaine précédente, ce sont des tirs attribués aux rebelles houthis du Yémen et potentiellement dirigés vers des cibles israéliennes que le Pentagone affirmait avoir interceptés en mer Rouge.

« Faites attention »

L’USS Gerald R. Ford n’a manifestement pas suffi à intimider les opposants à Israël. Un deuxième porte-avion étasunien est en route pour la Méditerranée orientale. « Cela s’inscrit dans notre effort pour dissuader les actions hostiles contre Israël ou tout effort visant à élargir cette guerre après l’attaque du Hamas », a commenté le secrétaire US à la Défense, Lloyd Austin. Reformulé avec toute son éloquence de cow-boy en chef, le président Joe Biden a « signalé clairement aux Iraniens : faites attention ».

Le Pentagone a par ailleurs annoncé le déploiement dans la région d’un système de défense antimissile à haute altitude (THAAD) ainsi que plusieurs batteries de missiles sol-air Patriot. Des forces militaires supplémentaires ont également été placées en état de « pré-déploiement ». Ce renforcement du dispositif militaire US consiste-t-il à bomber le torse toujours plus pour intimider la galerie ? Ou Washington se prépare-t-il à un inévitable embrasement ?

Le président français se tient visiblement prêt pour la deuxième option. En visite à Tel-Aviv, Emmanuel Macron a proposé que la « coalition internationale contre l’État islamique, que nous avons utilisée pour nos opérations en Irak et en Syrie, combatte aussi le Hamas ». Deux pays complètement dévastés par la guerre, c’est l’horizon vers lequel Macron se projette.

« Cessez-le-feu », un mot tabou

Assis sur une poudrière, l’Oncle Sam refuse d’éteindre son cigare. Dans une belle inversion du droit international qui consacre la résistance des peuples occupés par tous les moyens nécessaires, l’Occident soutient le droit d’Israël à se défendre envers et contre tout. Ce soutien ne souffre même pas des risques de nettoyage ethnique. La nostalgie, sans doute.

Une première résolution russe appelant à un cessez-le-feu humanitaire a ainsi été recalée le 17 octobre au Conseil de sécurité de l’ONU par les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et le Japon. Le texte ne condamnait pas le Hamas. « Scandaleux », « hypocrite » et « pas défendable » selon l’ambassadrice US. Deux jours plus tard, le Brésil remettait le couvert. Le texte appelait une fois de plus à un cessez-le-feu, mais condamnait aussi fermement « tous les actes de violence et d’hostilité dirigés contre des civils ainsi que tous les actes de terrorisme », notamment « les attentats terroristes odieux perpétrés par le Hamas en Israël depuis le 7 octobre 2023 et la prise d’otages civils ». Pas suffisant encore. Un seul veto a fait capoter le texte minutieusement travaillé, celui des États-Unis. Motif : la résolution passait sous silence le droit à la légitime défense d’Israël.

Pas de cessez-le-feu au Conseil de sécurité donc. Ni au parlement européen. Après de longues tractations, les représentants des 27 États membres ont accouché ce jeudi d’une résolution appelant à des « couloirs humanitaires » et … des « pauses ». Le droit d’Israël à se défendre comme il l’entend n’est évidemment pas remis en cause. « Le Hamas est une organisation terroriste qui doit être détruite », n’a pas manqué de rappeler Usula von der Leyen, visiblement indifférente aux bombardements d’hôpitaux. L’Union européenne laisse ainsi le champ libre au nettoyage ethnique tant redouté. Mais Tsahal devra parfois marquer des « pauses ». En cas de conflit régional, voire mondial – rappelons que l’Iran a des accords de coopération militaire avec la Chine- on imagine déjà les Européens crier « pouce » entre deux tirs de missiles nucléaires.

Les Occidentaux font de piètres diplomates

Israël ne viendra pas à bout du Hamas par la force militaire. Et la résistance palestinienne, sous quelque forme que ce soit, survivra à l’opération « Épée de fer ». Colonial, le conflit israélo-palestinien appelle inévitablement une solution politique. Pourtant, les dirigeants occidentaux se montrent incapables d’envisager cette option. C’est une habitude. Et elle ne leur réussit pas.

La guerre en Ukraine aurait fait plus d’un demi-million de morts depuis l’invasion russe. « Invasion non provoquée », comme le martèlent les génies de la com’ outre-Atlantique. En oubliant que le Donbass est en guerre depuis 2014 et que Moscou s’y est reprise à deux fois pour mettre fin au conflit par voie diplomatique. Mais de l’aveu même d’Angela Merkel et François Hollande, les accords bafoués de Minsk 1 et 2 n’étaient qu’une entourloupe pour gagner du temps et armer Kiev jusqu’aux dents. Avant même le lancement de son « opération spéciale », Vladimir Poutine avait encore tenté de négocier avec Washington le statut de l’Ukraine et les préoccupations sécuritaires de la Russie. Silence radio à la Maison-Blanche. La guerre se poursuit, et les espoirs occidentaux d’affaiblir durablement le rival russe s’estompent. Les Ukrainiens en paient le prix fort.

En 2011, des rebelles de la province de Benghazi prenaient les armes pour contester le pouvoir de Kadhafi en Libye. Plusieurs pays avaient proposé un service de médiation. Le Venezuela d’Hugo Chavez avait notamment obtenu le feu vert de Kadhafi pour mettre en place une commission spéciale destinée à trouver une solution pacifique. Efforts court-circuités par les États-Unis : « On n’a pas besoin d’une commission internationale pour dire au colonel Kadhafi ce qu’il doit faire pour le bien de son pays et de son peuple, c’est-à-dire s’en aller », avait réagi Philip Crowley, le porte-parole de la « diplomatie » US. Nous connaissons la suite : les bombardements de l’OTAN ont provoqué un chaos dont la Libye et la région du Sahel ne sont pas encore sorties.

En Syrie également, les experts les plus avisés affirmaient dès le début du « printemps » que la solution ne pouvait être que politique. Les États-Unis et leurs alliés ont préféré soutenir la rébellion armée, malgré les mouvements terroristes qu’elle comprenait. C’est que la chute d’Assad était imminente, disait-on. Des centaines de milliers de morts et des millions de déplacés plus tard, Assad est toujours en place. Le pays est ravagé par la guerre. Des mouvements terroristes occupent une partie du territoire. Tout comme les troupes US qui ont établi des bases militaires à proximité de zones pétrolières.

On rappellera aussi qu’avant l’invasion de l’Afghanistan en 2001, les talibans avaient proposé de faire juger Oussama ben Laden dans un pays tiers par un tribunal islamique. Option rejetée par les États-Unis avec les résultats que l’on connait. Et ne parlons même pas de l’invasion de l’Irak. Washington n’avait pas un prétexte à instrumentaliser pour envahir le pays, il a fallu en inventer.

Après nos dividendes, le déluge

On le voit, au cours des dernières décennies, les Occidentaux ont enchaîné les mauvaises décisions, privilégiant systématiquement le chant des armes tout en accélérant leur déclin. Il ne s’agit pas simplement d’erreurs stratégiques ni même de fautes morales. Les puissances occidentales sont tout simplement incapables de faire autrement. Dans un système régi par la course au profit maximum, les intérêts de quelques multinationales – surtout actives dans l’armement et l’énergie – dictent la marche à suivre. Si bien que les stratégies occidentales ne peuvent pas se projeter au-delà des dividendes d’Exon ou Lockheed Martin.

L’élargissement de l’OTAN est un exemple révélateur. Les plus grands experts, y compris aux États-Unis, dénonçaient l’expansion de l’alliance militaire comme une grave erreur stratégique. Sur les ruines de l’Union soviétique, la Russie multipliait alors les tentatives de rapprochement avec l’Occident. Mais une poignée de faucons et de lobbyistes de l’armement ont mené une campagne intense pour que l’OTAN s’étende à l’Est. Les marchands d’armes se sont ouvert de nouveaux débouchés et les tensions croissantes avec Moscou ont rempli les carnets de commandes. Nous connaissons la suite.

Avec la Chine également, Washington est incapable d’entrevoir autre chose que la confrontation. En 2013 pourtant, Xi Jinping rencontrait Barack Obama et lui proposait « un nouveau type de relations entre grandes puissances » basé sur l’évitement de conflit, le dialogue, le respect des « intérêts primordiaux » de chacun. Il fallait chercher « la coopération et le progrès dans les domaines d’intérêt mutuel ». Obama fut enthousiasmé. À plusieurs reprises, le président US fit écho à ce « nouveau type de relations entre grandes puissances. » Mais ses conseillers lui rappelèrent rapidement que l’idée implicite d’un monde multipolaire dans lequel les États-Unis cohabiteraient avec d’autres grandes puissances était inconcevable. L’idée d’une diplomatie win-win fut rapidement enterrée[2].

Au boulot !

Au Proche-Orient, la position des États-Unis et de leur remorque européenne n’a donc rien d’étonnant. Les économies occidentales ont leur propre dynamique régie par des lois du marché totalement débridées. Pas de stratégie à long terme pour répondre de manière organisée aux besoins. La concurrence se révèle une lutte acharnée où les multinationales sont condamnées à engranger un maximum de profits sous peine de faire faillite ou d’être rachetées par des rivaux. Jouer les médiateurs pour désamorcer les conflits n’est pas une option quand les poids lourds de l’économie vivent de la guerre.

Et tant pis si cela va à l’encontre de l’opinion. Selon un sondage réalisé par CBS News, 52% des États-Uniens pensent que leur gouvernement ne devrait pas envoyer des armes à Israël. 85% craignent une extension de la guerre au Moyen-Orient et 56% ne sont pas satisfaits de la politique de Joe Biden dans le conflit. 

La majorité des États-Uniens préfèrerait la voie diplomatique. Pourtant, leur président a réclamé au Congrès une rallonge budgétaire de 106 milliards de dollars pour soutenir l’Ukraine et Israël, tenir tête à la Chine et, accessoirement, poursuivre la construction du mur anti-migrants tant décrié sous Donald Trump. Pour faire passer la pilule, le président candidat à sa succession a expliqué que ces fournitures militaires allaient entrainer la création d’emplois dans l’industrie de l’armement. « Et bien sûr, par une heureuse coïncidence, ces industries de la défense sont implantées dans des États comme l’Arizona, la Pennsylvanie, l’Ohio ou le Texas qui se trouvent être des « swing states » (…) pour les élections de 2024 », souligne avec ironie l’ancien diplomate indien, M.K. Bhadrakumar.

Résumons : un enfant meurt toutes les 15 minutes à Gaza et, contre l’avis de ses citoyens, Joe Biden s’engage à poursuivre le bain de sang en promettant des emplois dans l’armement. Nous en sommes là.

Mais ce n’est pas une fatalité. Si les dirigeants occidentaux n’ont littéralement pas d’intérêts à chercher une solution pacifique en Palestine ou en Ukraine, la mobilisation populaire peut les y forcer. Vous savez ce qu’il vous reste à faire.


Source: Investig’Action


[1] L’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient

[2] Cet épisode est relaté dans le livre de l’historienne Jude Woodward, USA-Chine, Les dessous et les dangers du conflit, Investig’Action, 202.

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