Les mensonges de Robert Gates

En 1985, le président Ronald Reagan désigna Robert Gates comme directeur du service central des renseignements (DCI) mais ce choix ne put être avalisé parce qu’une majorité des membres de la commission des services de renseignement du sénat pensait qu’il mentait sur son implication exacte dans l’affaire Iran-contra.


Le conseiller indépendant dans le dossier Iran-contra, Lawrence Walsh, estimait avoir trop peu de preuves pour inculper Gates d’action criminelle. Cependant, il avait pu prouver que Gates était dès le début au courant des activités illégales de soutien d’Oliver North en faveur des Contras et du détournement de fonds dans cette affaire.

En 1991, Gates passa avec succès la procédure de nomination pour devenir DCI en dépit de l’opposition de plus de trente sénateurs qui estimaient que ses réponses étaient préparées et qu’il n’était pas sincère dans le débat concernant son rôle dans la politisation des  renseignements au sujet de l’Union Soviétique, de l’Amérique Centrale et de l’Asie du Sud-Ouest. Dans son mémoire de 1996, Gates ne dit rien de la sur-estimation par la CIA des forces militaires soviétiques bien qu’il ait passé une bonne part de sa vie professionnelle avec la CIA à prendre la mesure des prétentions et des capacités militaires des Soviétiques. Aujourd’hui encore, Gates ment au sujet de la guerre en Iraq lorsqu’il prétend que ce serait à la suite de carences des services de renseignement que l’administration Bush a pris la décision d’une guerre préventive contre l’Iraq.

Cette semaine encore, Gates a déclaré à Tavis Smiley de PBS, que les Etats-Unis seraient plus prudents à l’avenir avant de déclencher une guerre préventive suite aux échecs des services de renseignement en Iraq. Mais le rôle de la Maison Blanche et de la CIA dans la distorsion des renseignements au sujet de l’Iraq n’avait rien à voir avec cette décision. L’administration Bush s’appuyait sur des complicités tacites pour lancer et manipuler une campagne stratégique de désinformation en vue de convaincre le Congrès, les médias et le peuple Américain de la nécessité d’entrer en guerre.

Le président Bush voulait la guerre pour s’imposer comme un authentique commandant en chef ; le vice-président Dick Cheney voulait la guerre pour renforcer le pouvoir de la présidence ; le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld voulait la guerre pour réaliser son objectif de réformer l’armée en une structure plus petite et plus mobile ; la conseillère à la sécurité nationale, Condi Rice voulait la guerre parce que son cercle de vieux copains la souhaitait. Malheureusement, le secrétaire d’état Powell, s’il savait que l’entrée en guerre n’avait aucun sens, participa bêtement au complot par esprit d’équipe. Et maintenant, Gates, qui doit toute sa carrière à la famille Bush, aide George W. Bush à faire croire que la guerre en Iraq est imputable à des erreurs des services de renseignement.

Il y a des leçons à apprendre de la guerre en Iraq mais les erreurs des services de renseignement n’en sont certainement pas une. Le congrès doit apprendre qu’il a besoin de reconstruire sa légitimité et sa crédibilité qu’il a perdues en autorisant l’usage de la force en Iraq. La hiérarchie militaire doit apprendre à ne plus se rendre complice des manipulations présidentielles, ce qu’elle aurait déjà dû retenir de la guerre au Vietnam.

L’état major général n’a jamais relevé les mensonges présidentiels pendant l’escalade de la guerre du Vietnam ou la montée en puissance de l’agression en Iraq. Les médias les plus influents doivent apprendre à aller à l’encontre des courants d’opinion majoritaires et à analyser les arguments des opposants qui avaient raison au sujet du Vietnam et de l’Iraq. Judith Miller, du New York Times, n’a pas été la seule victime de la désinformation de  l’administration Bush ; Walter Pincus du Washington Post et Michael Gordon du Times auraient aussi dû faire preuve de plus d’esprit critique au sujet des informations qui leur étaient fournies.

Le rôle majeur de la presse est de tenir toutes les actions de l’administration sous le feu de la critique. La population Américaine doit apprendre à être plus sceptique en temps de crise lorsque les présidents la manipulent pour justifier leur choix de la guerre. James Polk l’a fait avant la guerre Mexico-Américaine ; William McKinley avant la guerre Hispano-Américaine et Lyndon Johnson pour justifier l’escalade de la guerre au Vietnam. Le congrès, l’armé, les médias et l’opinion publique doivent comprendre l’importance de la contestation loyale, particulièrement en temps de guerre.

Le président Barack Obama a commis une grosse erreur en décidant de garder Robert Gates comme secrétaire à la défense. Obama croit sincèrement à un changement de la politique de sécurité internationale. Dans son discours d’inauguration, il a affirmé que « Notre puissance seule ne peut nous protéger et elle ne nous donne pas non plus le droit de faire ce que nous voulons. » Il a dit que «  Le monde a changé et nous devons changer avec lui. » Le secrétaire de la défense Gates a, quant à lui, conservé les idées traditionnelles sur l’importance de la suprématie militaire de l’après-guerre froide.
Il est persuadé que la politique militaire américaine et les armes que nous avons achetées pour nous défendre nous ont apporté la victoire dans la guerre froide contre l’Union Soviétique. Dans son mémoire, il décrit la guerre froide comme un combat au cours duquel une volée de coups de toutes sortes a mis le grand adversaire au tapis. Obama a mis en doute la nécessité des politiques de l’administration Bush que Gates affectionne, y compris le déploiement de missiles sur le territoire national ; un système de missiles balistiques de défense en Europe de l’Est ; l’entrée de la Géorgie et de l’Ukraine dans l’OTAN et l’abrogation du traité anti- missiles balistiques.

Ces prises de position sont en partie responsables de l’isolement des Etats-Unis sur la scène politique internationale. Un réel changement implique qu’il soit mis fin au principe de supériorité militaire indiscutable et de militarisation de la politique de sécurité nationale.

A un moment crucial des débats sur la stratégie politique en Afghanistan, où plus de troupes n’ont aucune chance d’inverser la tendance irrésistible à la détérioration, il est essentiel que le congrès, les médias et les militaires reconnaissent les limites de leur pouvoir contre les Talibans et envisagent la nécessité d’un retrait de l’Afghanistan. Nous devons apprendre des  erreurs liées au mauvais usage de la puissance comme nous l’avons fait à Cuba, au Vietnam et en Iraq. Nous connaissons tous les paroles du commandant des forces navales Stephen Decatur : « Notre pays, qu’il ait tort ou raison. »

Mais nous ne devons jamais oublier les paroles de Carl Schurz, général major de l’Union et sénateur à l’époque, qui a dit : « Notre pays, qu’il ait tort ou raison. Quand il a raison, le maintenir dans la bonne voie ; quand il a tort, l’y remettre. »


 


Melvin A Goodman est senior fellow au Center for International Policy et professeur associé à la John Hopkins University.
Il a passé plus de 42 années dans l’US Army, la CIA et le Département de la Défense.
Son dernier ouvrage est : « Failure of Intelligence : The decline and fall of the CIA. »



 


Source: Publicrecord
Traduit par Oscar Grosjean pour Investig’action.

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