(FILES) Members of the Yemeni Coast Guard affiliated with the Huthi group patrol the sea as demonstrators marched through the Red Sea port city of Hodeida in solidarity with the people of Gaza on January 4, 2024, amid the ongoing battles between Israel and the militant Hamas group in Gaza. - Heavy air strikes pounded rebel-held cities in Yemen early on January 12, 2024, according to the Huthi rebels' official media and AFP correspondents. The capital Sanaa, Hodeida and Saada were all targeted, the Huthis' official media said, blaming "American aggression with British participation". (Photo by AFP)AFP

Les Houthis ont-ils mis les États-Unis échec et mat en mer Rouge ?

Pour forcer Israël à mettre fin au massacre de Gaza, les Houthis ciblent des navires en mer Rouge, couloir stratégique du transport maritime mondial. Les États-Unis ont tenté de mettre fin à ces attaques par des frappes aériennes. Mais Biden le reconnait lui-même, ces frappes sont inefficaces. Pire, les Houthis renforcent leurs positions politiques dans la région alors que la popularité de Washington est au plus bas depuis l’invasion de l’Irak en 2003. Négocier ou aller plus loin dans l’escalade militaire ? Les États-Unis semblent ne disposer d’aucune solution valable.

L’assaut continu d’Israël contre la bande de Gaza commence à faire basculer le Moyen-Orient dans un conflit régional plus large. La semaine dernière, les Houthis du Yémen sont apparus comme un acteur improbable. Ils ont réussi à perturber le trafic maritime mondial au nom des Palestiniens de Gaza. Ce qui a poussé les États-Unis à lancer une série de frappes aériennes dans le cadre d’une tentative de dissuasion infructueuse.

Au cours des trois derniers mois, les Houthis ont attaqué des navires marchands traversant la mer Rouge. Cette intervention militaire inattendue poursuit deux objectifs : mettre fin à l’offensive israélienne soutenue par les États-Unis contre Gaza et autoriser l’acheminement de l’aide vers le territoire assiégé.

La pression exercée par les Houthis sur cette route commerciale essentielle a déjà des répercussions sur l’économie mondiale : effrayées, les compagnies maritimes ont détourné leurs navires vers des routes plus coûteuses, ce qui a entraîné une hausse des primes d’assurance et des prix du transport maritime mondial. Les effets de cette tentative de blocus pourraient bientôt se faire sentir sur les prix du pétrole et des biens de consommation dans le monde entier.

La marine US, considérée comme le garant de la sécurité des routes maritimes dans une grande partie du monde, a finalement été poussée à agir. Depuis la semaine dernière, les États-Unis ont lancé cinq frappes aériennes sur des positions houthies. Les Houthis ont redoublé d’efforts. Ils ont tiré plusieurs autres salves de missiles et des drones sur des navires de passage. Parmi les cibles  figuraient des navires commerciaux étasuniens ainsi qu’un navire de guerre de la marine US. Signe que les rebelles ont été enhardis par la riposte étasunienne.

Lors d’une conférence de presse à la Maison-Blanche, le président Joe Biden a reconnu que les attaques aériennes ne parvenaient pas à arrêter les Houthis. Mais il a ajouté que les États-Unis poursuivraient leurs frappes malgré tout.

En décidant de riposter, le gouvernement Biden semble s’être vautré dans un échec et mat géopolitique tendu par les Houthis. En effet, l’intensification des frappes entraînera probablement d’autres perturbations du transport maritime – ce qui va à l’encontre de l’objectif de réduire les fâcheuses conséquences économiques. La riposte risque même de déclencher une véritable guerre régionale. Par ailleurs, négocier ou se soumettre aux exigences d’une milice non étatique issue de l’un des pays les plus pauvres du monde serait perçu par beaucoup comme une capitulation des États-Unis et renforcerait la popularité des Houthis.

Aguerris par une guerre civile brutale contre le gouvernement yéménite en exil soutenu par l’Arabie saoudite, les Houthis ne semblent pas prêts à reculer, allant même jusqu’à s’inviter dans un conflit bien plus large.

Les Houthis veulent absolument ce conflit“, commente Iona Craig, journaliste et spécialiste politique du Yémen. “Cela fait partie de leur idéologie, dont l’élément anti-américain s’est formé pendant la période de l’invasion américaine de l’Irak. Ils se considèrent désormais comme les défenseurs des Palestiniens et de la population de Gaza.

Incapable de dissuader les Houthis, le département d’État US a tenté une approche différente mercredi, plaçant la milice sur sa liste du terrorisme mondial (Specially Designated Global Terrorist group). Les autorités US reviennent ainsi sur leur décision de 2021. Ils avaient alors retiré les Houthis de leur liste plus stricte des organisations terroristes étrangères (Foreign Terrorist Organization). La nouvelle désignation soumet les Houthis à des sanctions économiques et politiques, mais évite les règles plus strictes de la liste des organisations terroristes étrangères. Les groupes humanitaires ont déclaré que des mesures plus sévères entraveraient l’aide aux régions du Yémen que les Houthis ont fini par contrôler au cours de la guerre civile.

Deux heures après avoir été redésignés comme groupe terroriste par les États-Unis, les Houthis ont pris pour cible un porte-avions US. Et les États-Unis ont répondu par une nouvelle série de frappes.

L’administration Biden semble espérer que la dégradation des capacités des Houthis les contraindra à s’arrêter, mais cela ne semble pas fonctionner“, a confié à The Intercept Daniel DePetris, membre de Defense Priorities, un groupe de réflexion sur la politique étrangère basé à Washington. “Tout le monde peut être dissuadé, et les Houthis ne sont pas des fous. Mais le problème, lorsqu’il s’agit d’acteurs non étatiques, c’est qu’il faut plus de force pour les amener à changer leur calcul stratégique.

Et d’ajouter : “Les Saoudiens ont également pensé qu’ils pourraient battre les Houthis militairement sans avoir à répondre à leurs revendications politiques.

Des rebelles en guenilles aux aspirations régionales

Après des années de guerre civile et d’interventions étrangères, les Houthis, qui n’étaient à l’origine qu’une petite armée en guenilles, ont appris à riposter à des armées beaucoup plus puissantes. Un savoir qu’ils semblent mettre en pratique contre les États-Unis aujourd’hui.

Les Houthis, officiellement connus sous le nom d’Ansarallah, sont apparus il y a plusieurs décennies comme un mouvement opposé à la corruption du gouvernement yéménite. Depuis plusieurs années, le groupe est en guerre contre la coalition dirigée par l’Arabie saoudite au Yémen et participe actuellement à des négociations de paix pour mettre fin au conflit. Les États-Unis ont joué un rôle clé dans la guerre civile. Ils ont lourdement armé la campagne aérienne menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Ils y ont même apporté une aide directe pendant un certain temps. Cette offensive a fait de nombreuses victimes civiles sans réussir à vaincre les Houthis.

La guerre du Yémen est devenue un terrain d’entraînement pour les Houthis. Ils ont appris à déjouer la grande supériorité des armes étasuniennes, en particulier la puissance aérienne. Cette expérience est mise à profit dans l’opération actuelle en mer Rouge. Les rebelles utilisent des missiles antinavires peu coûteux ainsi que de petites embarcations pour attaquer les navires. Ils tirent leur avantage de  forces légères et mobiles qui font grimper les coûts et réduisent l’efficacité des attaques aériennes de l’ennemi.

Les Houthis disposent d’une force importante, mais ils s’appuient aussi sur une large répartition de leur puissance sur tout le territoire qu’ils contrôlent. Ils comptent davantage sur leur mobilité que sur des infrastructures lourdes“, explique Baraa Shiban, analyste politique du Yémen et chercheur associé au Royal United Services Institute. “Ils ont survécu à une longue campagne aérienne menée par deux des armées les plus puissantes de la région, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Ils ont adapté leurs déplacements et leurs opérations en conséquence. »

Les Houthis sont souvent considérés comme de simples mandataires de l’Iran, faisant partie d’un ensemble de groupes appelés “axe de la résistance” qui comprend le Hezbollah au Liban et les militants palestiniens du Hamas. Les analystes estiment toutefois que si l’Iran fournit aux Houthis de l’argent, des armes et un entraînement militaire, ces derniers jouissent d’une relative indépendance politique.

C’est les priver de leur influence que de dire que les Houthis ne sont que des laquais de l’Iran“, a déclaré à The Intercept Hisham Al-Omeisy, conseiller principal pour le Yémen à l’Institut européen de la paix. “Ils ont leur propre vision, leur propre agenda et leur propre idéologie.»

Selon des rapports des services de renseignements étasuniens, les Houthis auraient démontré de façon spectaculaire leur indépendance en prenant Sanaa, la capitale yéménite, en 2015, malgré les efforts iraniens pour les en empêcher.

Les Houthis ont depuis longtemps fait de la confrontation avec les États-Unis et Israël un élément majeur de leur idéologie. Elle s’exprime comme un mélange d’islamisme, d’anti-impérialisme et d’antisémitisme manifeste. Comme d’autres groupes soutenus par l’Iran, les Houthis rejettent la plupart des aspects de l’ordre politique soutenu par les États-Unis dans la région et menacent gravement la stabilité des régimes alliés de Washington, comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

L’un des principaux éléments qui échappent à la plupart des gens sur Houthis, c’est que leur objectif final ne se limite pas au Yémen. Il s’agit d’un groupe expansionniste qui a des ambitions régionales“, analyse Al-Omeisy. “Ce conflit est l’occasion idéale pour eux de dire qu’ils sont la véritable avant-garde de la nation arabe, alors que d’autres dirigeants sont complices de la souffrance des Palestiniens. »

Gagner les cœurs et les esprits

Au cœur de l’agitation en mer Rouge, il y a la crise de Gaza, dévastée par les attaques israéliennes depuis l’offensive du Hamas le 7 octobre. Si les troupes israéliennes mènent la guerre ayant déjà coûté la vie à plus de 24.000 Palestiniens, les États-Unis sont les protecteurs et complices des opérations. Le gouvernement Biden continue d’offrir un soutien financier et diplomatique sans faille à Israël, malgré les accusations croissantes de complicité de génocide portées contre les États-Unis.

Les Houthis sont entrés dans la mêlée presque immédiatement. Dans les jours qui ont suivi l’assaut israélien, les Houthis ont envoyé des missiles balistiques en direction d’Israël et ont commencé à attaquer les voies maritimes de la mer Rouge.

Les Houthis sont depuis longtemps une force polarisante dans la politique yéménite. Mais ils ont profité du sentiment anti-américain dans le monde arabe et de l’indifférence apparente des régimes pro-US à l’égard des souffrances de Gaza pour élever leur statut géopolitique. Non seulement les Houthis se distinguent en tant que champions de la cause palestinienne, mais ils réhabilitent également leur réputation dans leur pays où ils ont lutté pour mettre en place un gouvernement fonctionnel au milieu de la guerre civile. Les représentants des Houthis sont devenus incontournables sur les chaînes de télévision en langue arabe où ils se plaisent à défier l’Occident sur le sort des Palestiniens.

La colère à l’égard des États-Unis devrait s’accroître dans la région, car le gouvernement Biden, avec ses frappes contre les Houthis, montre à quel point il fait passer l’économie mondiale avant la vie des Palestiniens.

Les États-Unis devraient prendre en compte le fait que ces actions à Gaza mettent en colère les populations de toute la région“, poursuit Al-Omeisy. “La perception locale est que lorsque le sang palestinien a été versé au cours des trois derniers mois, personne ne s’en est soucié, mais que lorsque les intérêts économiques de l’Occident ont été menacés, ils ont immédiatement agi. Ce message est parfaitement intégré à la rhétorique des Houthis et résonne très fortement dans la région.

Leur pari fonctionne. Plutôt que d’être affaiblis par les frappes aériennes US, les Houthis semblent renforcer leur position politique dans l’ensemble du Moyen-Orient. Les analystes relèvent que dans la région, l’opinion publique à l’égard des États-Unis a chuté à des niveaux jamais vus depuis l’invasion de l’Irak en 2003. Les sondages effectués auprès des Arabes de la région montrent une grande colère et une désillusion généralisée envers États-Unis depuis le début de la guerre de Gaza. Les opinions sont beaucoup plus favorables à l’égard de pays rivaux tels que la Chine et la Russie.

« Le gouvernement Biden et les décideurs politiques étasuniens n’ont pas encore compris à quel point l’antiaméricanisme est élevé dans la région. Il a atteint un niveau que nous n’avons pas vu depuis la guerre en Irak“, a déclaré Shiban du Royal United Services Institute. “Même s’ils prétendent qu’il s’agit d’une opération israélienne et que nous n’avons rien à voir avec cela, le public arabe n’y croit pas. »

L’armée US étant désormais bloquée dans un échange d’attaques avec les Houthis, les experts estiment que le gouvernement Biden n’a pas d’options valables.

“Je ne pense pas que les États-Unis tentent de s’engager dans un changement de régime au Yémen“, commente DePetris, membre de Defense Priorities. « Mais si la situation continue à faire boule de neige, le gouvernement pourrait finir par envisager cette possibilité“.


Source originale: The Intercept
Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action

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