À Jénine, les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne ont mené un raid contre un camp de réfugiés et ont liquidé un leader qui s’employait à unifier plusieurs factions de la résistance palestinienne. Dans la foulée, Mahmoud Abbas faisait fermer les bureaux d’Al Jazeera à Ramallah. Les forces d’occupation ne pouvaient sans doute rêver mieux. Cela peut sembler déroutant. Mais il faut partir de l’hypothèse que l’AP représente les aspirations du peuple palestinien. « Rien n’est plus faux », explique Ramzy Baroud. (I’A)
Après l’avoir assiégé durant dix jours, l’Autorité palestinienne (AP) a lancé le 14 décembre un violent raid sur le camp de réfugiés de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie. Les forces de sécurité de l’AP ont utilisé des tactiques semblables à celles employées habituellement par les forces d’occupation israéliennes dans la région.
D’une superficie d’à peine un demi-kilomètre carré, le camp accueille une population sans cesse croissante. Il compte aujourd’hui quelque 24 000 réfugiés, pour la plupart des descendants de Palestiniens ayant subi un nettoyage ethnique par les milices sionistes lors de la grande catastrophe, la Nakba de 1948.
Le raid a commencé par un siège intensif, suivi d’une attaque multidirectionnelle qui s’est soldée par le meurtre d’un jeune non armé, Rebhi Al-Shalabi, 19 ans, puis par celui d’un garçon de 13 ans, Muhammad Al-Amer. Les forces de l’Autorité palestinienne ont également tué Yazid Ja’ayseh, le commandant des Brigades de Jénine. Israël avait déjà essayé de l’assassiner à plusieurs reprises à cause de son rôle de leader dans la réunification des différents combattants de la résistance palestinienne.
Sans surprise, Israël s’est montré largement satisfait de l’action de l’AP contre la Résistance palestinienne. Mais il en attend davantage. « L’Autorité palestinienne a agi avec détermination contre les combattants du Hamas et du Jihad islamique au cours des dernières semaines, ont déclaré des sources de l’armée et du Shin Bet, mais les responsables israéliens ont exprimé l’espoir que son efficacité puisse être améliorée », a rapporté Haaretz.
De fait, Israël a tenté de soumettre Jénine à 80 reprises rien qu’au cours de l’année écoulée. Tuant au passage plus de 220 personnes, comme l’a rapporté Al Jazeera en citant des sources du ministère palestinien de la Santé.
En attaquant Jénine, l’AP aide l’armée israélienne à plus d’un titre. Elle tue et détient des résistants à l’occupation anti-israélienne ; elle use l’énergie et les ressources de la Résistance ; et elle permet à Israël d’économiser des milliers de soldats afin qu’ils puissent poursuivre le génocide à Gaza.
Pour beaucoup, en particulier les partisans de la Palestine à travers le monde, l’action de l’AP est pour le moins déroutante. Toutefois, ceux qui seraient surpris par la politique anti-résistance de Mahmoud Abbas et son autorité basée à Ramallah sont en réalité animés par une hypothèse erronée : l’AP serait une représentante légitime du peuple palestinien et se comporterait de manière cohérente avec les aspirations légitimes de tous les Palestiniens.
Rien n’est plus faux. Depuis de nombreuses années, l’AP a cessé de jouer un rôle qui s’écarte des intérêts d’une petite clique de riches élites pro-américaines et pro-israéliennes. Ils ne pensent qu’à leur enrichissement personnel, alors que des millions de Palestiniens continuent de subir un génocide israélien à Gaza et un système violent d’apartheid et d’occupation militaire en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
Un exemple particulièrement parlant et récent : à moins de 70 kilomètres de Jénine, des colons juifs israéliens illégaux et violents ont incendié la mosquée Bir Al-Walidin dans la ville de Murda, près de Salfit ; les services de sécurité de l’AP n’ont absolument rien fait pour affronter ces milices juives armées. Rien non plus par rapport aux centaines de pogroms perpétrés par des colons contre des Palestiniens en Cisjordanie au cours de l’année écoulée et même avant. Ne parlons même pas des crimes de l’armée d’occupation.
On pourrait avancer que l’AP a été conçue, dès sa création en 1994, comme un organisme dont l’existence ne devait servir que l’occupation israélienne. De nombreux éléments viennent étayer cette affirmation, notamment les arrestations, les tortures et les assassinats de Palestiniens dissidents peu après la création de l’Autorité palestinienne.
La Central Intelligence Agency (CIA) des États-Unis s’est directement impliquée dans le soutien à l’AP dès le début. Elle a même élargi son rôle dès 1996, à la suite d’une série d’attaques palestiniennes de représailles contre des cibles israéliennes dans les grandes villes. Le directeur de la CIA, George Tenet, a alors joué un rôle important dans l’élaboration des politiques des forces de sécurité de l’AP, les préparant à une répression massive des groupes de résistance palestiniens. Cette implication était une condition du soutien financier des États-Unis sous l’administration de Bill Clinton, le type de soutien qui a semé les graines de la discorde entre le Fatah et le Hamas, discorde ayant atteint son apogée au cours de l’été 2007.
L’implication des États-Unis – et des autres forces armées des régimes clients de Washington dans la région – est devenue encore plus évidente sous la direction du lieutenant général Keith Dayton. Il a aidé à former, préparer et équiper les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne (NSF), produisant plusieurs bataillons de jeunes recrues (entre 20 et 22 ans) pour combattre leurs compatriotes palestiniens au nom du rétablissement de la loi et de l’ordre.
Ce prétendu rétablissement de la « loi et de l’ordre » a commencé sérieusement dès 2005 et se poursuit encore aujourd’hui. Il est intéressant de noter que c’est le même langage que l’AP utilise actuellement pour justifier sa guerre contre le camp de réfugiés de Jénine. Un porte-parole des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne, Anwar Rajab, a récemment déclaré à Al Jazeera que l’objectif du raid sur Jénine était de « poursuivre les criminels » et les contrevenants à la loi, et d’« empêcher que le camp ne devienne un champ de bataille comme Gaza ».
Assimiler les combattants de la Résistance à des criminels et lier cette criminalité supposée à la Résistance de Gaza est le discours typique de l’AP sur la résistance légitime contre l’occupation israélienne de la Palestine. C’est un discours que les États-Unis et Israël ont mis des années à élaborer et à perfectionner, faisant de l’AP sans doute la plus grande réussite de l’État d’occupation et de Washington au cours des dernières décennies.
Ce comportement et ce langage remontent à une célèbre déclaration de Dayton lui-même qui, dans un discours prononcé en 2009, a célébré la plus grande création des États-Unis en Palestine : « Et ce que nous avons créé – et je le dis en toute humilité – ce que nous avons créé, ce sont des hommes nouveaux… au retour de ces hommes nouveaux de Palestine, ils ont fait preuve de motivation, de discipline et de professionnalisme, et ils ont fait une telle différence ».
En effet, les « hommes nouveaux de Palestine » font toute la différence requise par les États-Unis et Israël ; ils combattent la même Résistance palestinienne qui défend Jénine contre l’assaut israélien, Naplouse contre les pogroms des colons armés et Gaza contre le génocide.
Aucun de ces « hommes nouveaux » – dont le nombre se compte en dizaines de milliers – n’a levé le petit doigt pour aider ses compatriotes palestiniens qui continuent à mourir de faim dans la bande de Gaza, à être torturés et violés en masse, et à être brûlés vifs à Jabaliya et à Khan Yunis, alors qu’ils se battent et meurent par milliers sans aucune aide de l’Autorité de Ramallah.
L’AP n’a jamais été créée, financée et armée par les États-Unis et Israël comme une force de libération ; elle a toujours été destinée à être un obstacle à la liberté des Palestiniens. Nous sommes témoins de la dernière preuve de cette affirmation. Cela se passe actuellement à Jénine ; en fait, dans toute la Cisjordanie occupée.
Bien sûr, l’AP ne sera pas en mesure d’écraser la résistance palestinienne. La « puissante » armée israélienne n’y est déjà pas parvenue au cours de nombreuses années. Mais la question demeure : combien de temps l’AP sera-t-elle autorisée à jouer le rôle d’exécutant de l’occupation israélienne et de protecteur des colons juifs illégaux, tout en se présentant simultanément comme le gardien des droits, de la liberté et de l’État palestiniens ?
Source originale : Middle East Monitor
Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action
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