Au lieu d'admettre ses erreurs de jugement en Irak, George W. Bush est au
contraire en train de mener les Etats-Unis vers ce qu'on pourrait appeler un
état de "contre-terrorisme" permanent, qui aurait avoir recours à la
torture, aux escadrons de la mort et même aux punitions collectives afin de
combattre les présumés ennemis en Irak et à travers le monde.
http://www.consortiumnews.com/2005/011105.html
Depuis le début de son second mandat, Bush a renforcé la ligne dure, en
partie par la mise à l'écart des dissidents de son administration tout en
conservant ou promouvant ses protégés. Bush a aussi commencé à préparer son
jeune frère Jeb comme son successeur potentiel pour 2008, ce qui pourrait
aider à étendre la politique guerrière de George W. tout en maintenant le
contrôle de la famille Bush sur des secrets qui pourraient se révéler
dommageables.
Pièce centrale de cette stratégie radicalisée de pacification de l'Irak,
Bush envisage d'adopter les méthodes brutales qui furent employées pour
mater les soulèvements de paysans en Amérique centrale dans les années 80.
Selon le magazine Newsweek du 9 janvier, au Pentagone se déroule "un débat
intense" pour l'adoption d'une nouvelle politique baptisée "l'option
Salvadorienne".
Selon Newsweek, cette stratégie tire son nom de la "stratégie toujours
secrète" de l'administration Reagan-Bush de soutien aux forces de sécurité
d'extrême-droite du Salvador, qui menèrent des opérations clandestines
"d'escadrons de la mort" pour éliminer à la fois les guérilleros de gauche
ainsi que leurs sympathisants civils. "De nombreux conservateurs US
considèrent que cette politique a été un succès – malgré la mort de civils
innocents," écrit Newsweek.
Vétérans d'Amérique centrale
Le magazine a souligné aussi que nombre d'officiels de l'administration Bush
étaient des personnages clés dans les opérations en Amérique centrale dans
les années 80, tels que John Negroponte, qui était ambassadeur au Honduras
et occupe actuellement le poste d'ambassadeur en Irak.
Parmi les autres officiels en poste qui ont joué un rôle majeur en Amérique
centrale, on trouve Elliot Abrams, qui supervisait la politique en Amérique
centrale au sein du Département d'Etat et qui est actuellement conseiller
pour le Moyen Orient au sein du Conseil de Sécurité National ( National
Security Council ), et le vice-président Cheney qui fut un défenseur
puissant de la politique en Amérique centrale lorsqu'il était élu à la
Chambre des Représentants.
Les insurrections au Salvador et au Guatemala furent écrasées par le
massacre de dizaines de milliers de civils. Au Guatemala, environ 200.000
personnes périrent, y compris par ce qu'une Commission de Vérité qualifia
plus tard de génocide contre les indiens Maya des hautes terres
guatémaltèques. Au Salvador, environ 70.000 personnes périrent, parfois par
le massacre de villages entiers, comme le massacre effectué par un
bataillon – formé par les Etats-Unis – contre des centaines d'hommes, femmes
et enfants dans la ville d'El Mozote et ses environs en 1981.
La stratégie de Reagan-Bush comportait aussi une dimension domestique,
appelé le "contrôle des effets médiatiques" (traduction souple de
"perception management" – NDT) qui consistait en une opération sophistiquée
de propagande pour manipuler la peur du peuple états-unien tout en cachant
la réalité macabre de ces guerres. L'administration Reagan-Bush justifiait
ses actions en Amérique centrale en décrivant les soulèvements populaires en
Amérique centrale comme des tentatives de l'Union Soviétique pour poser le
pied sur le continent Américain et menacer la frontière sud des Etats-Unis.
[Pour plus de détails sur cette stratégie et le rôle tenu par George H.W.
Bush (père), lire le livre de Robert Parry 'Secrecy & Privilege: Rise of the
Bush Dynasty from Watergate to Iraq".]
Plus de souffrances
En recourant à "l'option Salvadorienne" en Irak, l'armée US augmentera les
souffrances, particulièrement dans les zones sunnites ou la résistance à
l'occupation US en Irak est la plus forte. Dans la pratique, Bush confierait
la direction des "escadrons de la mort" contre les Sunnites à d'autres
groupes ethniques Irakiens.
Newsweek révèle que "selon des sources proches de l'armée et au courant des
débats en cours, une des propositions du Pentagone consisterait à envoyer
des Forces Spéciales pour conseiller, appuyer et peut-être entraîner les
escadrons Irakiens, probablement des combattants Peshmergas Kurdes
soigneusement sélectionnés et des miliciens Chiites, pour cibler les
insurgés Sunnites et leurs sympathisants, même au delà de la frontière
Syrienne."
Newsweek cite une source militaire : "la population Sunnite ne paie aucun
prix pour son soutien aux terroristes. De leur point de vue, le coût de leur
appui est nul. Nous allons modifier cette équation."
En citant l'expérience centro-Américaine de nombreux officiels de
l'administration Bush, nous écrivions en Novembre 2003 – il y a plus d'un
an – que de nombreux vétérans de l'époque Reagan-Bush étaient en train de
tirer les leçons des années 80 pour tenter de résoudre le problème de
l'insurrection en Irak. Cependant, nous soulignions que les conditions
n'étaient pas comparables. [ voir Consortiumnews.com
http://www.consortiumnews.com/2003/111303.html ]
En Amérique centrale, et depuis longtemps, les puissantes oligarchies se
faisaient déjà protéger par des forces armées et de sécurité qui ne
s'encombraient pas de scrupules. Lorsque les soulèvements ont balayé la
région dans les années 80, l'administration Reagan-Bush y a trouvé des
alliés touts prêts – bien que
peu fréquentables – pour faire le sale boulot avec le soutien financier et
technologique de Washington.
La Dynamique Irakienne
En Irak, la situation est différente, parce que l'administration Bush a
choisi de dissoudre plutôt que de récupérer l'armée Irakienne. Les forces US
se sont retrouvées avec peu de forces locales alliées susceptibles de mener
les opérations de contre-insurrection autrement que par des soldats
états-uniens qui ne connaissent ni le pays, la culture et la langue.
Ces problèmes ont provoqué toute une série de tactiques contre-productives,
comme les arrestations massives et brutales de suspects irakiens, les
tortures de prisonniers à Abu Ghraib, et l'assassinat de civils innocents
par des soldats US à la gâchette facile et rendus nerveux par les attentats
suicide.
La guerre en Irak a aussi affaibli la position des Etats-Unis ailleurs au
Moyen-Orient et dans le monde. Les images de soldats US en train d'abuser
sexuellement les prisonniers Irakiens, les sacs sur les têtes des
prisonniers et l'achèvement d'un insurgé blessé ont terni l'image des
Etats-Unis partout dans le monde et rendu la coopération avec les Etats-Unis
de plus en plus difficile, y compris pour des pays longtemps considérés
comme
leurs alliés.
Au-delà des images troublantes, de plus en plus de documents révèlent que
l'administration Bush avait opté pour l'institutionnalisation de certaines
formes limitées de torture, en Irak comme ailleurs, dans le cadre de la
Guerre contre le Terrorisme. Au mois d'août dernier, un officiel de
l'antiterrorisme au FBI critiqua les pratiques abusives dans la prison de
Guantanamo, sur l'île de Cuba.
L'officiel écrivit ""à plusieurs reprises, je suis entré dans une salle
d'interrogation et j'ai trouvé un détenu par terre, pieds et poings liés, en
position foetale, sans
chaise, sans nourriture ni eau. La plupart du temps, ils s'étaient urinés et
déféqués dessus, et avaient été abandonnés là pendant 18 ou 24 heures.
Lorsque j'ai demandé ce qui se passait à la Police Militaire , ils m'ont
répondu que le interrogateurs avaient ordonné ce traitement la veille, et
que le détenu ne devait pas être déplacé. Une autre fois, l'air conditionné
était éteint, et la température de la pièce non ventilée était probablement
proche de 40 degrés. Le détenu était pratiquement inconscient au sol, avec
une touffe de cheveux à ses côtés. Il s'était apparemment littéralement
arraché les cheveux pendant la nuit."
Malgré le discours officiel selon lequel la torture ne ferait pas partie de
la politique des Etats-Unis, les accusations sur ces méthodes d'un autre
age touchent des échelons de plus en plus élevés de l'administration et se
rapprochent du bureau du président. Il semblerait que Bush, après les
attentats du 11 septembre, ait décidé de "retirer les gants", une réaction
compréhensible à l'époque mais qui aujourd'hui semble avoir été
contre-productive.
Un Monde Télévisé
De nombreux états-uniens ont fantasmé sur le plaisir de voir Oussama Ben
Laden torturé à mort pour son rôle dans les attentats du 11 septembre. Il
existe aussi une certaine culture de méthodes expéditives dans certaines
émissions de télé, telles que "24" de Fox, où la torture est un moyen
courant pour obtenir des résultats.
Mais le danger se présente lorsque le cas exceptionnel devient la règle,
lorsqu'il ne concerne plus un assassin en masse d'Al Qaeda, mais touche
désormais un père de famille tentant de venger un enfant mort sous les
bombes états-uniennes.
La réalité est généralement autre que celle montrée par les séries
télévisées, et plus proche du pauvre gars désespéré à Guantanamo qui baigne
dans ses propres déchets et s'arrache les cheveux. La situation peut être
encore pire lorsque la torture acquiert une qualité industrielle grâce à la
politique gouvernementale, lorsque les victimes passent par des goulags ou
des camps de concentration.
C'est aussi la raison pour laquelle les Etats-Unis et d'autres pays
civilisés ont longtemps banni la torture et interdit le meurtre intentionnel
de civils innocents. Les objectifs du droit international ont été d'établir
des normes qui ne peuvent être violées, même dans des cas extrêmes ou lors
d'explosions passagères de rage.
Et pourtant, Bush – avec une expérience limitée dans les affaires
internationales – a pu aisément faire passer l'idée d'une "exception
Américaine" qui, grâce à une sorte de bonté innée des Etats-Unis, les
libérerait de toutes les contraintes légales qui s'imposent aux autres pays.
Mais Bush croit aussi à la sagesse des décisions "venant des tripes". Après
le renversement du gouvernement Taliban en Afghanistan à la fin de 2001,
Bush porta son regard sur l'Irak. Comme un joueur à las Vegas qui doublerait
sa mise, Bush fait confiance à son instinct.
Mais tandis que l'insurrection Irakienne persiste et se développe, et que
les troupes US et leurs alliés subissent de plus en plus de pertes, Bush se
retrouve acculé devant un éventail d'options de plus en plus restreint.
Bush pourrait reconnaître ses erreurs et chercher une aide internationale
pour sortir les forces US embourbées en Irak. Mais Bush a horreur de
reconnaître ses erreurs, même les plus petites. De plus, la rhétorique
guerrière de Bush n'a pas encouragé les autres pays à lui venir en aide.
Au contraire, Bush semble vouloir mettre de l'huile sur le feu en
envisageant des raids à travers les frontières des pays voisins de l'Irak.
Il est aussi en train d'envisager un élargissement de la guerre en faisant
assassiner les Sunnites par des Kurdes Irakiens ou des Chiites, ce qui
serait la porte ouverte à une guerre civile et un génocide.
L'Option Pinochet
Il existe aussi un risque personnel pour Bush s'il choisit "l'option
salvadorienne". Il pourrait devenir une version états-unienne de l'ancien
dictateur Chilien Augusto Pinochet ou Efrain Rios Montt du Guatemala, des
dirigeants qui ont lancé leurs forces de sécurité dans des opérations
d'assassinats, de "disparitions" d'opposants et de tortures de prisonniers.
Comme la politique actuellement envisagée par George W. Bush, Pinochet avait
même parrainé son "escadron de la mort" personnel – connu sous le nom
d'Opération Condor – qui traquait les opposants partout dans le monde. Une
de ces attaques en septembre 1976 fut menée contre le dissident chilien
Orlando Letelier par l'explosion de sa voiture à Washington DC avec deux
collaborateurs états-uniens à bord. Letelier et sa collègue Ronni Moffitt
furent tués.
[ note de CSP – on rappelera le rôle des cubains anticastristes de Miami
dans cet assassinat. "Le monde est petit et Cuba est son prophète" ]
Avec le soutien d'amis états-uniens haut placés, les deux anciens dictateurs
ont réussi à éviter la prison. Cependant, Pinochet et Rios Montt sont
devenus des parias qui risquent un procès qui les condamnerait pour leur
responsabilité dans des atrocités. [ pour en savoir plus sur le protection
de Pinochet par George H.W. Bush, voir http://www.secrecyandprivilege.com/ ]
Une des manières pour Bush d'échapper à ce genre d'ennuis serait de
s'assurer que ses alliés politiques se maintiennent au pouvoir après la fin
de son deuxième mandat en janvier 2009. Ceci pourrait se faire en
promouvant son frère Jeb pour les présidentielles de 2008, ce qui serait une
garantie contre l'apparition inopportune de documents compromettants.
Le président Bush a expédié son frère Jeb Bush, gouverneur de la Floride, en
Asie du Sud pour examiner les dégâts du Tsunami, ce qui a déclenché toute
une spéculation sur les raisons de cette promotion internationale de Jeb sur
un terrain propice à l'étalage de bons sentiments. [ promotion de "l'image
sociale" en cours… cf "Hitler, portrait d'un homme ordinaire"
http://fr.groups.yahoo.com/group/CubaSolidarityProject/message/7329 – Ndt ]
Bien que Jeb ait insisté qu'il ne se présenterait pas aux présidentielles de
2008, la famille Bush pourrait trouver des arguments convaincants pour
l'encourager à changer d'avis, surtout si la guerre en Irak s'éternise et
que les tiroirs de George W. commencent à déborder de documents
compromettants.
Traduction Cuba Solidarity Project
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Robert Parry broke many of the Iran-Contra stories in the 1980s for the
Associated Press and Newsweek. His new book, Secrecy & Privilege: Rise of
the Bush Dynasty from Watergate to Iraq, can be ordered at
secrecyandprivilege.com. It's also available at Amazon.com, as is his 1999
book, Lost History: Contras, Cocaine, the Press & 'Project Truth.'