Comment gagner une guerre sans faire de victimes dans ses propres rangs ? Comment sécuriser un territoire sans y envoyer de soldats ? Sans doute les drones pourraient-ils y contribuer, car les opérateurs et les pilotes sont à l’abri, à distance, et opèrent par télécommande. En général, les militaires se montrent ainsi favorables aux drones, parce que ceux-ci seraient fiables, endurants et précis dans les localisations et les frappes. Les armes en question permettent un traitement des informations en temps réel et, surtout, elles réduisent radicalement les risques de pertes humaines, en tous cas du côté des attaquants. Or, aux yeux des militaires comme des politiques cela importe car à notre époque les médias et opinions acceptent mal les morts des siens au combat. Depuis la guerre de Viêtnam, c’est le principe de « zéro mort », du moins ce qui s’en avère visible au grand public.
Les drones, nous droguent-ils ? Une géostratégie nouvelle mais inquiétante !
Les militaires se réjouissent et les politiques sont soulagés, alors que les juristes de droit international froncent leurs sourcils et les pacifistes se lamentent! Voici un résumé des attitudes. Ce phénomène que l’on appelle d’usage militaire, est de plus en plus intensif des avions sans pilotes (aéronefs sans personnel, ou encore autrement dit « drones », « faux bourdons » en anglais). Ces avions correspondent à des aéronefs ou des plateformes volantes télécommandés (voir annexes), contrairement à des robots volants entièrement automatisés.
Dans le commerce des jouets, on vend des petits avions légers que l’on peut diriger soi-même. On parlera alors de l’aéromodélisme. Certes, ce n’est pas ce genre de jouet qui suscite autant d’intérêt du grand public. Les drones qui nous préoccupent essentiellement ici, sont ceux qui peuvent emporter une charge utile, destinée à des missions de surveillance, de renseignement, de transport ou surtout de combat de caractère militaire. Ils semblent révolutionner l’art de la guerre.
Un système de drones comprend, outre le personnel sur terre ou mer, trois éléments :
1) les plateformes volantes (bien sûr sans effectif),
2) les stations au sol (les relais ou les centres de commandes) et
3) les moyens de communication et de liaisons satellitaires.
Dans les différents pays du monde, on assiste à des développements variés mais rapides des systèmes de drones. D’après les militaires, leur usage n’est pas encore totalement pensé ou pensable. En fait, on ne peut que difficilement mesurer et évaluer les effets de ces développements sur l’art de la guerre, les politiques, les juristes ou l’opinion publique.
Ces drones sont en général utilisés au service des forces armées ou de sécurité tels que service secret, police, douane, etc. d'un Etat. La taille et la masse (de quelques grammes à plusieurs tonnes) sont fonction des capacités opérationnelles recherchées. Le pilotage automatique ou à partir du sol permet d'envisager des vols de très longue durée, de l'ordre de plusieurs dizaines d'heures, à comparer aux deux heures typiques d'autonomie d'un avion de chasse.
Un début d’essor des drones s’observait à l’époque de la guerre de Corée et de la guerre de Viêtnam, respectivement dans les années 1950 et 1960. Plus tard, ce genre d’armes s’est surtout développé aux Etats-Unis d'Amérique (EUA), puis Washington a opéré un transfert technologique en faveur d’Israël. Ce dernier est devenu avec le temps un fabricant, un exportateur et un utilisateur importants de drones à côté de l’armée américaine. En Europe, les drones ont été utilisés lors de l’agression américaine contre la Serbie en 1999. L'utilisation de drones est aujourd'hui devenue courante, en Afghanistan, en Irak, en Corne d’Afrique ou en Israël. Il existe plusieurs types de drones : des systèmes de renseignement stratégiques aux drones de combat. Ceux-ci posent désormais des questions militaires, juridiques et politiques[2] – en particulier lors de missions de combat de drones américains contre n’importe qui gênerait Washington.
Très approximativement, il existe actuellement quelque 15 000 drones à usage militaire dans le monde, dont la moitié est fabriquée, hébergée et utilisée par les EUA. Ces derniers peuvent les lancer à partir de leurs quelque 800 bases à travers le monde ou à partir de leurs navires dans les océans. Cette concentration du secteur autant que la publicité et les débats qui en sont faits avant tout dans ce pays expliquent que les considérations suivantes se concentreront sur les agissements de Washington et plus particulièrement de l’administration d’Obama. En fait, celle-ci a institutionnalisé et développé l’usage des drones militaires. Il est vraisemblable que, comme de nombreux autres pays, la Russie ou la Chine fait aussi des efforts dans ce domaine.
Sans doute, Israël est-il particulièrement actif dans ce secteur en tant que fabricant, client et surtout exportateur mais nous ne le traiterons pas ici de ce sujet, faute de données suffisantes. Mentionnons simplement que ce pays est considéré comme le plus grand utilisateur de drones aériens militaires, même si en nombre d’appareils les forces américaines en possèdent plus. Pour Israël, les drones permettent de disposer d’un réseau de surveillance et de frappe presque permanent en Palestine et plus largement au Proche- et Moyen-Orient.
Avant aborder directement la problématique qui nous préoccupe, voyons dans quel contexte elle se situe.
Les grandes puissances et les firmes multinationales ont de plus en plus tendance de coloniser le « reste de l’univers » disponible: les profondeurs des mers, mêmes arctiques, et l'atmosphère terrestre, ainsi que le cosmos cybernétique ou virtuel. A défaut de régulations adéquates, ce « reste de l’univers » devient une jungle pour ces acteurs puissants et une source de guerres. Ces puissants ne souhaitent guère une régulation qui les freinerait dans leurs stratégies, notamment dans le domaine de leurs approvisionnements en matières premières et énergétiques. Enfin, l’environnement subit une colonisation sauvage, sans règles ni loi (d’où l’échec de Rio+20).
Cette sorte de colonisation est à interpréter en fonction d’une série d’autres évolutions fondamentales. La donnée de fond est sans soute le déclin relatif des EUA, la consolidation de la Russie et l’avènement laborieux mais réel de l’UE, ainsi que le renforcement de la Chine et, dans une moindre mesure, de quelques autres pays. La Chine opère une expansion – apparemment économique mais en réalité fort politique aussi – vers l’Asie du sud-est et centrale, vers l’Afrique et vers l’Amérique latine. Les EUA assumant leur déclin visent simultanément deux choses : une zone de libre-échange des deux côtés de l’Atlantique qu’ils espèrent dominer, ainsi que la substitution du bilatéralisme où ils peuvent encore s’imposer au multilatéralisme à la mode depuis la guerre 1939-1945 (d’où l’échec de Doha de l’Organisation mondiale du commerce).
Le monde est devenu ipso facto multilatéral à l’instar de ce qu’il a été pendant les dernières décennies du 19e siècle. Nonobstant, le but des EUA d’établir des zones de libre-échange est sans doute de « vassaliser » davantage l’UE ou le Japon sur le plan socio-économique; sur le plan sécuritaire, ce serait déjà réalisé, à défaut d’une armée européenne ou japonaise proprement dite. Il en est de même pour « encercler » davantage la Chine et la Russie. Le Conseil des ministres de l’UE a approuvé le projet en juin 2013. Or, en fonction de cela et à mon sens, l’UE aurait été mieux inspirée en renforçant son alliance stratégique avec la Chine, face à la Russie et surtout, pour d’autres raisons, face aux EUA.
Il convient enfin de se rappeler que faisant suite à l’accord international de 1982 sur les « zones économiques exclusives » (ZEE), les grandes ou moyennes puissances ont déjà pu énormément étendre leurs territoires maritimes[3]. Ces territoires s’étendent sur 54 millions de km², soit quelque 1/3 des surfaces maritimes en tant que territoires d’outre-mer contrôlés ou éventuellement revendiqués. Ces territoires se composent avant tout d’innombrables îles, archipels ou atolls, notamment dans le Pacifique. Leurs sous-sols contiennent énormément de matières premières et énergétiques.
Par l’usage intensif des drones entre autres, ces puissances peuvent surveiller et contrôler ces territoires, y attaquer ou y détruire quiconque et toute chose qui leurs paraissent inacceptables. Outre la mobilisation des multinationales privées de mercenaires[4], les écoutes et les enregistrements clandestins des communications à l’échelle mondiale complètent le programme de tentative de regagner une position dominante ou de garder un rang dans le concert des Nations.
Lorsqu’on parle de drones, de quoi s’agit-il véritablement ? Les drones sont souvent des aéronefs légers, sans personnel, donc à peu de charge. Ils disposent d’une grande autonomie d’action tant dans la durée de vol que du fonctionnement. La plupart du temps, ils sont lancés et dirigés à partir d’une base terrestre ou d’un navire. Ils ne sont pas encore entièrement automatisés. Le guidage peut cependant aussi s’opérer à des milliers de kilomètres, à supposer que l’on dispose des satellites et de relais terrestres entre ceux-ci. Les drones utilisent, entr’autres, la propulsion électrique par cellules solaires ou par pile à combustible.
Les drones d'observation, aujourd'hui les plus courants, équipés de caméras normales et infrarouges, de radars, représentent un élément important du renseignement tactique et stratégique. Les drones armés permettent, eux, de réduire au maximum la boucle bien connue des militaires : «Observation – Orientation – Décision – Action ». Cette capacité s’avèrerait particulièrement efficace dans l’assassinat à distance tel qu’il se pratique à travers le monde par les EUA ou Israël. Contrairement à l’administration de Bush II, celle d’Obama accepte les arguments militaires et dès lors a largement recours à l’usage de cette arme.
Comment gagner une guerre sans faire de victimes dans ses propres rangs ? Comment sécuriser un territoire sans y envoyer de soldats ? Sans doute les drones pourraient-ils y contribuer, car les opérateurs et les pilotes sont à l’abri, à distance, et opèrent par télécommande. En général, les militaires se montrent ainsi favorables aux drones, parce que ceux-ci seraient fiables, endurants et précis dans les localisations et les frappes. Les armes en question permettent un traitement des informations en temps réel et, surtout, elles réduisent radicalement les risques de pertes humaines, en tous cas du côté des attaquants. Or, aux yeux des militaires comme des politiques cela importe car à notre époque les médias et opinions acceptent mal les morts des siens au combat. Depuis la guerre de Viêtnam, c’est le principe de « zéro mort », du moins ce qui s’en avère visible au grand public.
De plus, les militaires apprécient aussi que le drone puisse survoler un territoire étranger, sans grands risques politiques et diplomatiques. La distinction entre les non combattants et les combattants est aisée. Enfin, les drones apparaissent attrayants, capables de voler longtemps et aptes à effectuer, dans un délai très bref, un raid dans la profondeur du dispositif des combattants ennemis.
En tant qu’engin militaire, les drones connaissent certaines limites à leurs usages :
– ils restent sensibles à la météorologie et à l’aérologie. Le nombre d’accidents s’avère non négligeable ;
– les flux de communications dont ils dépendent et qui leur assurent une grande efficacité sont aussi un facteur de vulnérabilité face à la possibilité d’interférences relativement aisées : des simples – logiciels sont capables d’intercepter, brouiller et pirater des communications satellitaires ;
– ils agissent de manière relativement prévisible et peuvent être contrés. Ainsi, par exemple, ils seraient fort vulnérables aux rayons lasers. A court terme, la défense anti-drones devrait évoluer, étape de la « lutte éternelle entre la lance et le bouclier » : des missiles air-air d'avions de combat, des missiles sol-air, capables de combattre des drones;
– ils ne peuvent dès lors opérer impunément que dans le cadre d'une supériorité aérienne et technologique importante. Cette supériorité serait assez fragile à plus long terme ;
– enfin, dans la sécurisation d’un territoire, les drones ne peuvent intervenir qu’au titre d’observateurs ou d’exterminateurs mais échappent à un contrôle véritable.
Beaucoup de ceux qui subissent la surveillance par drones et les attaques par ces derniers, expriment leur anxiété grandissante. Etre constamment regardé, observé et surveillé d’en-haut/au-dessus de sa tête… Le bourdonnement discret de cet avion sans pilote use les nerfs et épuise l’esprit. Ne pas savoir quand on doit subir une attaque accentue l’anxiété lancinante et durable. Une personne qui subit le phénomène souligne : « les drones, c’est comme être assis à côté de quelqu’un qui joue avec un pistolet chargé. On redoute à chaque instant que le coup parte ». De tous ceci résulte sans doute une accentuation de l’anti-américanisme déjà fort présent dans les pays concernés. L’usage des drones en tant qu’armes contre-insurrectionnelle risquent de cette façon d’amplifier au lieu de diminuer le risque d’insurrection.
A propos du « terrorisme », les militaires ou les politiques ont souvent évoqué le concept de « conflits asymétriques » dont l’illustration par excellence serait le bombardement des Deux Tours à New York en 2001. Or, en Yougoslavie[5], en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, en Somalie, à Yémen, en Lybie ou au Mali, la soi-disant « guerre anti-terroriste » (les bombardements, les tortures et bien entendu l’usage des drones militarisés) est bien plus asymétrique au vu des millions de victimes (tués, blessés ou chassés) qu’elle a occasionnées.
Du reste, on imagine assez mal que Washington accepte que des drones d’un autre pays survolent par exemple New York ou San Francisco. C’est bien la guerre asymétrique où on meurt encore, mais d’un côté seulement. L’usage croissant des drones n’a fait qu’accentuer ce caractère militairement asymétrique, ce qui soulève notamment des questions juridiques.
Depuis les années 1990, Washington a, d’abord implicitement puis explicitement, déclaré la guerre au terrorisme. Le but en aurait été triple :
1) éliminer ceux qu’il considérait comme les terroristes partout dans le monde,
2) contenir les conflits locaux préjudiciables aux intérêts américains et
3) préserver la sécurité du peuple américain.
Le premier correspond à vouloir opérer une substitution aux polices locales en sa propre faveur, alors que le second rejette tout respect de la souveraineté des différents pays. Seul, le troisième paraît légitime, par contre. Mais, Washington suppose que le terrorisme soit organisé à échelle mondiale sous le nom Al Qu’Aïda. Or, rien ne prouve que cela soit exact.
Il serait insupportable aux EUA de savoir que quel que soit l’endroit, des terroristes ou du moins ce que Washington considère comme tels, restent en vie. Pour ce dernier, il faut les éliminer par drones à coûts bas. Politiquement, cette manière d’agir paraît d’ailleurs plus indiquer qu’arrêter et détenir des terroristes suspects. Enfin, il vaut mieux recourir aux drones qu’envahir un territoire étranger et violer la souveraineté d’un pays. Or, si l’on admettait tous ces arguments, les quelques 200 Etats dans le monde pourraient potentiellement se comporter de la même façon. Vers quoi irions-nous ?
Quel que soit le principe, Obama admet avoir fait assassiner, sans jugement ni légitimité, par des centaines de frappes, plus de 3 000 personnes, sans compter le nombre des « victimes collatérales » (non combattants et enfants) dont le nombre serait faible selon l’administration. Quelle que soit la vérité, beaucoup s’inquiètent plus fondamentalement que l’utilisation d’un outil ne deviennent une stratégie en soi, stratégie qui se substituerait à une véritable stratégie nationale. Quant aux coûts bas, rien ne les confirme comme l’exemple récent de l’Allemagne le montre. Pour quelques 16 drones de combat[6], ce pays s’est engagé dans un programme de plus d'un milliard d'euros, soit € 63 millions la pièce. Il a dû y renoncer pour des raisons techniques, voire budgétaire.
Washington bénéficierait de la complicité tacite de beaucoup de ses alliés, notamment de celle des dirigeants pakistanais mais aussi celle de l’Europe. Même, il aurait procédé à de « tueries par délégation et de bienveillance» à la demande de ces dirigeants. Que ce soit vrai ou faux, il reste qu’il s’agit d’assassinats par un Etat, aucunement justifiés, sauf par ces initiateurs. Pour ces derniers, ces assassinats seraient même justifiés au titre de prévention ou parfois par préemption. Il suffit que Washington attribue à telle ou telle personne dans le monde une simple « propension à la violence » et croit pouvoir en empêcher l’accomplissement pour que l’assassinat s’impose. Or, la majorité de l’humanité a une telle propension, qu’elle surmonte par soi-même ou sous la contrainte. Il n’en résulte aucun droit de tuer.
D’aucuns envisagent de réguler l’usage des drones pour les assassinats et c’est ce que prétend l’administration d’Obama depuis peu. L’usage serait limité aux cas où
– le danger d’être attaqué s’avère imminent,
– la personne soupçonnée et ses aides (familles, collègues, clans, amis, chauffeur, docteur, financier, etc.) sont identifiés,
– l’arrestation des personnes concernées n’est pas faisable,
– la frappe mortelle peut se faire sans « dommages collatéraux » excessifs.
Or, ce sont des organes exécutifs et administratifs qui prendraient en considération ces critères et décideraient de l’opportunité de tuer ou non. Ni le pouvoir judiciaire, ni la présomption d’innocence n’ont de place ici. En outre, on ne voit pas bien comment à partir des pays en jeu, les EUA pourraient être en danger imminent. L’identification des personnes soupçonnées n’est par ailleurs jamais certaine et le nombre de ses « aides » peut avérer quasi infini. De plus, une arrestation est une affaire de police qui en toute logique ne peut être remplacée par un meurtre. Enfin, qui appréciera si les dommages en question sont excessifs ou non ?
Les opérations par drones déjà évoquées se présentent pour les juristes comme des combats particuliers[7]. En effets, ces combats sont transformés en simple « campagne d’abattage plus ou moins ciblé » dans certains pays déjà cités. Par ailleurs, en raison de la différence démesurée de niveaux technologiques entre l’attaquant et la victime, il y a aujourd’hui encore la quasi impossibilité de toute réciprocité. En réalité, ces pays correspondent en plus à ceux contre lesquels il n’y a pas eu de déclaration de guerre, donc pas « d’état de guerre » dans le langage de la constitution belge.
La législation internationale de guerre suit un modèle qui semble dépassé en l’occurrence. Une guerre à distance, du moins des actes de guerre, correspond dans notre cas être capable de combattre sans engager un seul de ses propres soldats sur place. Plus de fronts, plus de bataille ligne contre ligne, plus de combattants proprement dit et plus d’opposition en face à face. Dans les attaques aux drones il n’y a plus rien qui ressemblerait au duel de jadis. Le principe d’égalité de droit entre combattants s’effondre. Que peut justifier l’exercice d’un pouvoir national qui supprime des femmes, des hommes et des enfants hors des frontières nationales et hors de guerres ?
La guerre comme violence armée et légitime se mue ainsi en exécution illégitime hors combat. On observe qu’en cas de guerre, la fin justifie les moyens, alors qu’avec l’usage des drones, le moyen semble imposer la fin en raison de ses nombreux avantages techniques. L’un ne risque rien, tandis que l’autre est tué. Serait-ce la guerre sans risque et même sans combattant ?
Mais finalement est-ce une guerre ? Non. Une déclaration de guerre passe d’Etat à Etat, Etats que le droit reconnaît comme des égaux. Ce n’est manifestement pas le cas pour aucun des pays mentionnés. Or, sur le plan international, il n’existe non plus un droit policier de poursuite. La déclaration de la « guerre globale contre le terrorisme » de Washington autorise ce dernier à abattre quiconque et partout où il le juge opportun : le monde entier devient un champ de bataille, sans qu’il y ait un champ. Voici un concept que le droit international ne connaît pas.
Selon les règles de la loi, la stratégie de la chasse à l’homme est d’ordre policier alors que celle opérée par les militaires et suivie de l’assassinat ne s’appuie sur aucune règle. Le statut des homicides par drones semble par ailleurs flotter entre le travail du policier et la prévention de l’assistant social (sic!). L’ennemi se transforme en un être asocial, un terroriste dont il convient de protéger la société civilisé. Si l’arrêter, le juger et le condamner ne sont pas possibles, alors il faut le tuer. Il implique une mesure de sûreté signifiant en l’occurrence l’exécution extrajudiciaire. A supposer que la cible soit la cible visée, quid par ailleurs des « dommages collatéraux », des innocents assassinés ou blessés, des dégâts matériels ?
Du reste, par tir de roquettes ou de missiles, l’assassinat vise les buts ciblés. Or les cibles ne sont jamais suffisamment visibles. Donc, la décision du tirer à l’Américaine se base en réalité sur les modèles ou les profils de comportements (une analyse des formes de vie) ou des photos du soi-disant terroriste ou groupe de terroristes ou terroristes potentiels. Tuer donc telle ou telle personne sans identification individuelle ! Certes, un terroriste présumé mais assassiné ne conteste pas.
Rapprocher les lieux où vous circulez et vos fréquentations permettrait de les mettre sur la liste des condamnés par une instance administrative ou exécutive à Washington. Il en résulte que l’imprécision du tir se conjugue avec celle de la cible. Les personnes vaguement visées mais bien touchées sont présumées coupables jusqu’à ce qu’elles soient prouvées innocentes, bien entendu à titre posthume !
Les questions politiques nombreuses qui restent posées
Qu’arriverait-il si Washington décidait d’exterminer systématiquement ses ennemis, voire même ses simples adversaires partout dans le monde, en prétextant de sa sécurité ou ses intérêts comme en cas de la « guerre au terrorisme » ? Il pourrait tuer quiconque en Chine, en Russie ou même en UE. Or, ces derniers pourraient aussi le faire sur le sol américain. Que dirait Washington si les Russes abattaient un Tchétchène militant en pleine rue de New York ou si les Chinois en feraient autant avec un Ouighour récalcitrant ? N’est-ce pas la montée de Léviathan ?
Les drones sont développés pour fonctionner de manière automatique ou presque. Ils pourront bientôt attaquer sur base de programmes préétablis afin de tuer en se référant à de simples « profils de comportements » fort approximatifs. La responsabilité des assassinats n’existerait plus ! Peut-on l’accepter ? Comment réguler la question en droit international de guerre ? Une législation nationale peut-elle justifier le non-respect des lois internationales de la guerre ? L’usage des drones devient de plus en plus discret et l’opinion publique en reste mal informée. N’en résulte-t-il pas inéluctablement une réduction drastique du contrôle démocratique ?
La Charte de l’ONU interdit l’agression entre les Etats et prescrit le respect de la souveraineté de chacun d’eux. Quel qu’il soit, l’usage des drones s’oppose-t-il à cette interdiction, à cette prescription ? Que peuvent faire actuellement des gens qui subissent la présence des drones en Afghanistan, au Yémen ou en Somalie, contre Washington ? Et, que faire s’il s’agit simplement du « terrorisme international » largement imaginaire, engendré aux EUA ? Quelle sera la situation redoutable lorsque de plus en plus d’Etats acquièrent la technique des drones et enclenchent, avec bon ou mauvais prétexte, des guerres de drones ?
Le nombre de terroristes vaguement présumés paraît sans limite dans le temps. S’installe-t-on dans une soi-disant guerre sans limitation temporelle ? N’y a-t-il pas de risque que les autorités qui disposent des drones les utilisent contre leurs propres citoyens, même à l’étranger, comme cela fut parfois le cas ces derniers temps ? Ou pis, elles les feraient intervenir pour surveillances et répressions sur le sol national, plus particulièrement contre les manifestants ou les grévistes ?
Ce dont le président Eisenhower parlait, le « complexe militaro-industriel » légitime-t-il cet « arme du lâche » ? N’y a-t-il pas un danger que les développements industriels en tant que tels[8] suscitent, par le biais de leurs propres logiques de profits, l’usage croissant des drones contre toute opposition que craindrait un pouvoir ? Le chiffre d’affaires de ce « secteur de mort » s’élève dès aujourd’hui à plus € 5 milliards et demain au multiple de ce chiffre. Le débat politico-éthique est largement ouvert mais le temps presse pour pouvoir, ne fut-ce que, réguler le phénomène. Suffira-t-il qu’il soit transparent ?
Les systèmes de drones armés ne sont-ils pas susceptibles de devenir des moyens de destruction massive, actes potentiels contre l’humanité ? L’ONU ne devrait-elle exiger un moratorium sur l’usage militaire des drones ? Certes, il ne fait pas encore partie des armes interdites par le droit international positif. Ne faut-il pourtant pas les interdire à l’instar des mines anti-personnelles et des armes à sous-munitions ? N’est-il pas urgent de démilitariser simplement les drones en circulation, en les rendant à l’exploitation civile bien utile dans les domaines de la surveillance de la circulation ou des risques de catastrophes naturels, du jeu d’amateurs, de la protection de l’environnement, de la météorologie, etc. ?
Les protestations contre l’usage militaire des drones se multiplient bien sûr aux EUA et au Pakistan mais également au Royaume-Uni et en Allemagne mais non pas en Belgique mais bien en Iran[9]. De nombreux milieux y participent : certains partis, beaucoup d’Eglises, les mouvements de paix, les associations telles que Pax Christi US, Deutschland et UK[10], Human Rights Watch, MIR/IRG, Drones Campaign Network ou Scientists for Global Responsability[11].
[1] AgoraVox, Drôles de drones, 20.5.2013.
[2] Les dimensions éthique, psychique, sociologique et philosophique qui sont négligées ici, par contre sont excellemment traitées par CHAMAYOU, Grégoire, Théorie du drone, La Fabrique, Paris, 2013 & PAJON, Christoph et Grégory Boutherin, Les systèmes aériens opérés à distance : vers un renouveau des rapports homme/machine dans l’art de la guerre ?, in : Documentation Française, La, Les drones aériens: passé, présent et avenir. Approche globale, Paris, 2013.
[3] En ordre d’importance, les puissances en question sont la France, les Etats-Unis d'Amérique, la Russie, le Royaume-Uni et la Chine. Rappelons qu’une zone économique exclusive est un espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière d'exploration et d'usage des ressources. Elle s'étend à partir de la ligne de base de l'État jusqu'à 200 milles marins (environ 370 km) de ses côtes au maximum.
[4] Ces multinationales ont des effectifs qui dépassent plusieurs millions de personnes et des équipements nombreux les plus actuels.
[5] Rappelez-vous des « frappes chirurgicales » des avions de l’OTAN en Serbie !
[6] Il s’agirait des Global Hawk RQ-4B (USA – Allemagne), voir le tableau dans les annexes.
[7] Ils rappellent les massacres commis lors de la colonisation en Afrique et aux deux Amériques.
[8] Les multinationales fournisseurs de ces engins ou des pièces nécessaires ou encore le personnel (les mercenaires privés) pour les faire fonctionner sont notamment Northrop Grumman, Dassault Aviation, Lockheed Martin, General Atomics, Boeing, Raytheon, Rafal Advanced Defense Systems, lAl, Paramount Group, UAV-Engines-Elbit, Aerosud Holdings, Vanguard Defense Industries, Blackwater, Aerovironnement.
[9] L’Iran proposera dès la rentrée de septembre 2013 des cours de lutte contre les drones à ses collégiens et lycéens. C’est le 22 août 2013 que le journal Al Arabiya qui nous l’apprenait : la nation iranienne formera bientôt ses plus jeunes citoyens au maniement de dispositifs de défense aérienne. Sources : english.alarabiya.net , melty
[10] La question des drones figurait au programme des deux journées de conférence organisées par Pax Christi International à Bruxelles les 29 et 30 juin 2011.
[11] Voir les nombreuses indications in : BOUTHERIN, Grégory, Les drones, futurs objets d’Arms control ?, in : Documentation Française, La, Les drones aériens: passé, présent et avenir. Approche globale, Paris, 2013.