A person votes at a polling station in Buenos Aires, during the Argentine presidential election on October 22, 2023. - Argentines head to the polls gripped by anxiety and with one thing in mind: to escape an economic quagmire that has seen annual inflation hit almost 140 percent. (Photo by JUAN MABROMATA / AFP)

Les Argentins aux urnes: quel espoir pour la démocratie?

Des élections présidentielles se tiennent en Argentine ce 22 octobre. Un second tour sera sans doute nécessaire pour départager les candidats. Une chose est sûre, le climat est tendu. La guerre judiciaire contre les leaders politiques et sociaux, la tentative d’assassinat contre Cristina Fernández de Kirchner et le « journalisme de guerre » marquent la vie politique en Argentine. Le contexte est particulier alors que le pays doit renégocier sa dette extérieure avec le FMI et traiter avec les multinationales qui lorgnent ses matières premières, dont le lithium, le gaz ou encore l’or. La guerre judiciaire a mis Cristina Kirchner sur la touche tandis que les médias déroulent le tapis rouge aux candidats du néolibéralisme. Quel espoir pour la démocratie à travers ce scrutin ? (I'A)

Au Brésil, lorsque Lula a été condamné à de la prison et fut exclu des élections de 2018, cela a facilité la victoire de Jair Bolsonaro à la présidence. Aujourd’hui, en Argentine, cette histoire se répète et les fondamentalistes du marché, incarnées par les candidats à la présidence Javier Milei et Patricia Bullrich, ont plus de chances d’être élus car Cristina ne se présente pas aux élections du 22 octobre 2023.

En Europe, nombreux sont ceux qui pensent que l’extrême droite en Argentine ou dans la région est favorable aux intérêts nationaux, comme le proclame l’extrême droite européenne, mais en Amérique latine, elle représente le contraire. En Amérique latine, la droite et l’extrême droite visent essentiellement là céder les richesses naturelles au grand capital international en échange de privilèges économiques et d’un pouvoir local. La droite latino-américaine, liée aux élites et aux oligarchies, a dominé la scène politique depuis le processus d’indépendance jusqu’à aujourd’hui ; elle a été associée aux métropoles impériales, au XIXe siècle avec l’Angleterre et du XXe siècle à nos jours avec les États-Unis.

En revanche, en Argentine, au cours des XXe et XXIe siècles, les forces politiques associées à la défense de la souveraineté nationale ont été le yrigoyénisme et le péronisme. Ces mouvements politiques ont été qualifiés par la droite politique et médiatique de “populistes”, dans leur tentative de disqualifier les politiques de redistribution des richesses et la défense de la souveraineté nationale. La droite argentine remet en cause les politiques d’inclusion sociale et les associe à l’idée de démagogie, niant ainsi le droit à la justice sociale, et se moquant de la défense des intérêts nationaux, à laquelle elle est hostile parce qu’elle est elle-même ascociée aux intérêts des entreprises étrangères.

À l’heure actuelle, la droite argentine est représentée par Milei et Bullrich. Ils constituent la continuité historique tragique des gouvernements oligarchiques.
Milei, par exemple, a reçu le soutien d’Elon Musk sur les réseaux sociaux ; l’Argentine est le quatrième producteur mondial de lithium et Tesla, l’entreprise que préside Musk, est très intéressée par son exploitation.

Milei propose de dollariser l’économie (ce qui représente une perte évidente de souveraineté), d’éliminer la banque centrale, de privatiser toutes les entreprises publiques, d’éliminer les politiques de redistribution des richesses ; et il exprime un alignement clair sur la politique étrangère des États-Unis lorsqu’il déclare qu’il romprait les relations avec la Chine ou le Brésil de Lula parce qu’ils sont “communistes”. Bullrich, avec plus de nuances, propose essentiellement la même chose, mais souligne la nécessité de la répression pour imposer le modèle néolibéral, sous l’euphémisme qu’il incarne la défense de la sécurité et de l’ordre.

L’idée est largement répandue en Argentine que la situation ne peut pas être pire. L’éducation publique gratuite et les soins de santé ne sont pas appréciés à leur juste valeur. L’importance des droits sociaux tels que les indemnités de licenciement, les congés payés, les primes de Noël, les pensions, les subventions aux transports et l’aide sociale aux familles en situation économique précaire, autant de droits acquis sous les gouvernements péronistes, est également perdue de vue.

Le risque de perdre ces acquis sociaux est réel et, bien que de nombreux Argentins votent pour leurs propres bourreaux, ils ne veulent pas voir leur situation se dégrader. Ce paradoxe s’explique en partie par le triomphe de la propagande néolibérale, alimentée par le discours médiatique dominant, très hostile à toute idée défendant les biens communs et la justice sociale.

Le niveau élevé de soutien à des personnalités telles que Milei et Bullrich confirme le terrain idéologique gagné par les élites. Le discours néolibéral a pénétré profondément et se reflète dans des idées populaires telles que “ceux qui ne travaillent pas sont paresseux” et que pour prospérer dans la vie, on n’a pas besoin de l’État, l’effort individuel suffit. En conséquence, le rejet des pauvres, le racisme et le manque de conscience politique sont renforcés, ce qui constitue l’un des principaux carburants permettant aux candidats de la droite argentine d’espérer remporter les élections.

Les actes grotesques de Milei avec une tronçonneuse, criant comme un fou, promettant des coupes dans l’État et dans ce qu’il appelle la “caste” politique, excitent les masses qui le suivent et qui ne s’identifient à aucun idéal social impliquant la défense de la dignité humaine ou de l’environnement. En effet, il est courant d’entendre de la part de nombreux jeunes entre 16 et 24 ans (en Argentine, le droit de vote commence à l’âge de 16 ans), “on s’en fout de tout, que tout aille au diable, je vote quand même pour Milei”. Comme s’il s’agissait d’une pulsion de mort ou d’autodestruction, l’Argentine marche sur un fil et risque de tomber dans une profonde crise morale, économique et sociale dont elle aurait beaucoup de mal à se remettre.

Le troisième candidat présidentiel ayant une chance d’accéder au second tour est le péroniste Sergio Massa, auquel s’identifient de nombreuses petites et moyennes entreprises, économies régionales et syndicats. Massa est soutenu par Cristina Fernández de Kirchner, par la Confederación General de Trabajadores (CGT), par d’autres syndicats liés à la défense du public et par les secteurs intermédiaires.

L’enjeu de ces élections en Argentine est la démocratie, entendue comme le gouvernement des majorités et le bénéfice des majorités elles-mêmes. Si les propositions qui promeuvent une régression sociale sans précédent triomphent, elles seront sans aucun doute mises en œuvre avec une répression policière accrue et une persécution judiciaire des dirigeants politiques et sociaux qui résistent aux politiques néolibérales. En résumé, le 22 octobre 2023 représente une bataille électorale qui oppose la démocratie péroniste à l’autoritarisme néolibéral.

Source: Investig’Action

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