Volodymyr Zelensky est aux États-Unis pour présenter à Joe Biden et ses alliés son plan pour la victoire dans la guerre qui les oppose à la Russie. Une ultime étape qui survient alors qu’un journal ukrainien annonce de nouveaux remaniements au sein de l’establishment militaire ukrainien. M. K. Bhadrakumar fait le point. (I’A)
C’est l’un des principaux journaux en ligne d’Ukraine qui est interdit en Russie depuis 2022. Strana rapportait vendredi dernier que Volodymyr Zelensky envisageait de démettre de leurs fonctions Rustem Umerov, ministre de la Défense, et le général Kirill Budanov, le puissant chef du renseignement militaire. Ainsi, la purge se poursuivrait au sein de l’establishment militaire de Kiev.
Umerov est un poids plume politique. Et il n’est pas militaire de profession. Il pourrait devenir un « bouc émissaire », alors que l’armée ukrainienne est en train de perdre la bataille du Donbass. Mais Budanov appartient à une tout autre planète : c’est un soldat professionnel dont la carrière s’est entièrement déroulée dans les forces spéciales de la Direction principale du renseignement (HUR) depuis qu’il a obtenu son diplôme à l’Institut des forces terrestres d’Odessa en 2007 – cet établissement formait à l’origine les élites soviétiques du renseignement militaire. Ironiquement, son expertise dans les opérations contre la Russie a placé Budanov en tête de la liste des hommes recherchés par Moscou.
En fin de compte, trois éléments rendent Budanov indispensable.
Tout d’abord, c’est un officier de renseignement exceptionnellement audacieux, d’une espèce rare dans n’importe quel pays, et donc un « atout stratégique » pour le régime de Kiev. Deuxièmement, il supervise trois milices russes anti-Kremlin qui se battent pour l’Ukraine, la plus importante étant le Corps des volontaires russes (RVC) dirigé par Denis Kapustin. Les autorités allemandes ont décrit ce dernier comme « l’un des activistes néonazis les plus influents » sur le continent européen aujourd’hui[1].
Kiev s’efforce de maintenir que le RVC agit de manière indépendante et que son succès ne fait que témoigner de la perte de contrôle du Kremlin sur la situation sécuritaire dans le pays. Mais en réalité, les raids du RVC sont étroitement coordonnés avec le HUR ukrainien qui fournit l’assistance logistique, vérifie les plans opérationnels, les arme et les finance. En fait, le RVC fait officiellement partie des forces armées ukrainiennes, enrôlées dans la « Légion internationale ». Par ailleurs, Kapustin a également des liens avec des groupes néonazis étasuniens.
Troisièmement, et c’est le plus important, les liens de Budanov avec la CIA sont légion. Le New York Times, dans un reportage sensationnel détaillant pour la première fois l’étendue de la présence de la CIA en Ukraine, a indiqué : « Le général Budanov était une étoile montante de l’unité 2245. Il était connu pour ses opérations audacieuses derrière les lignes ennemies et entretenait des liens étroits avec la CIA. L’agence l’avait formé et avait également pris l’initiative extraordinaire de l’envoyer en rééducation au centre médical militaire national Walter Reed, dans le Maryland, après qu’il eut reçu une balle dans le bras droit lors des combats dans le Donbass ».
Le Times décrit l’unité 2245 comme une « force commando top secrète qui a reçu une formation militaire spécialisée de la part du groupe paramilitaire d’élite de la CIA, connu sous le nom de “Ground Department”. L’objectif de la formation était d’enseigner des techniques défensives, mais les officiers de la CIA ont compris qu’à leur insu, les Ukrainiens pouvaient utiliser les mêmes techniques dans le cadre d’opérations offensives meurtrières ».
Ukraine, la guerre des images
25,00 €Ce qui est stupéfiant ici, c’est que ce lien infâme entre Langley et Budanov remonte au temps du gouvernement Obama – bien avant que les opérations russes ne commencent en février 2022.
Ensuite, Budanov lui-même a rappelé en 2020 que les liens avec la CIA « n’ont fait que se renforcer. Ils se sont développés de manière systématique. La coopération s’est étendue à d’autres sphères et a pris de l’ampleur. »
Le Times ajoute : « La relation a été si fructueuse que la CIA a voulu la reproduire avec d’autres services de renseignement européens qui partageaient le même objectif de lutte contre la Russie. »
Le président Trump n’a pas voulu ou n’a pas pu s’opposer à la CIA. Mais lorsque Biden est entré dans le bureau ovale, les vannes ont été grand ouvertes. Selon le Times :
« Le chef de Russia House, le département de la CIA qui supervise les opérations contre la Russie, a organisé une réunion secrète à La Haye. Des représentants de la CIA, du MI6 britannique, du HUR, du service néerlandais (un allié essentiel en matière de renseignement) et d’autres agences se sont mis d’accord pour commencer à mettre en commun un plus grand nombre de leurs renseignements sur la Russie. Il en est résulté une coalition secrète contre la Russie, dont les Ukrainiens étaient des membres essentiels. »
Ces faits sont également antérieurs aux opérations militaires spéciales de la Russie en Ukraine et témoignent de l’obsession maniaque de Biden de déstabiliser la Russie en tant que puissance mondiale indépendante par tous les moyens.
La guerre par procuration menée par les États-Unis en Ukraine est en réalité dirigée par la CIA, tandis que le Pentagone et le département d’État jouent des rôles subalternes. Il appartiendra aux futurs historiens d’enquêter sur la raison d’être du choix curieux et non conventionnel de Biden de nommer William Burns, censé être un diplomate de carrière, à la tête de la CIA en 2020.
Burns est un « spécialiste » inhabituel de la Russie qui a joué un rôle dans la guerre de la CIA en Tchétchénie au début des années 1990, peu après l’effondrement de l’Union soviétique, lorsqu’il a été affecté à l’ambassade de Moscou. (Burns est revenu plus tard en tant qu’émissaire à Moscou).
À l’évidence, Biden savait précisément ce qu’il voulait faire. Il a choisi le seul homme sur lequel il pouvait compter pour tenir la CIA en laisse. Un homme bien au fait du petit monde des opérations clandestines et qui avait déjà une expertise du dossier russe.
Tout bien considéré, les informations de Strana concernant l’éviction de Budanov semblent donc peu probables. En effet, il ne pourrait être malmené sans l’aval de la CIA. Or, jusqu’à maintenant, il n’y a aucun signe probant que Biden en a fini avec la guerre par procuration contre la Russie, dont Budanov est une figure centrale.
Un mort-vivant
La prochaine réunion de Zelensky avec Biden devrait fournir quelques indices. Le président ukrainien propose de lui présenter un « plan de victoire ». L’ancien Premier ministre britannique Boris Johnson a récemment donné un aperçu de ce « plan de victoire » dans un article publié dans The Spectator, après sa dernière rencontre en tête-à-tête avec Zelensky à Kiev.
Johnson a annoncé que M. Zelensky proposera « un plan en trois volets pour la victoire de l’Ukraine », dont les éléments clés sont que les États-Unis devraient:
- « autoriser les Ukrainiens à utiliser les armes qu’ils possèdent déjà » ;
- « octroyer un paquet d’aides [pour Kiev] sous forme de prêt-bail : un demi-billion de dollars… ou même un trillion » ; et,
- intégrer immédiatement l’Ukraine au sein de l’OTAN afin que l’alliance « puisse protéger la majeure partie de l’Ukraine, tout en soutenant simultanément le droit ukrainien à reprendre le reste ».
Johnson a souligné que l’extension de la garantie de sécurité de l’article 5 de l’OTAN « à l’ensemble du territoire ukrainien actuellement contrôlé par l’Ukraine (ou à la fin de cette saison de combat), tout en réaffirmant le droit absolu des Ukrainiens à l’ensemble de leur nation de 1991 » constituerait la « plus grande étape », qui signifierait sans ambiguïté au Kremlin qu’il n’existe plus aucune forme de « sphère d’influence » ou d’ « étranger proche ». Et que tout « comme Rome et la Grande-Bretagne, les Russes ont résolument rejoint les rangs des puissances post-impériales ».
Zelensky a depuis confirmé les trois éléments clés évoqués par Johnson. Il est intéressant de noter qu’il l’a fait après une visite inopinée à Kiev de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen – une autre russophobe notoire comme Johnson. Après cette visite, Zelensky a déclaré aux journalistes vendredi : « Le plan de victoire, ce pont pour renforcer l’Ukraine, peut contribuer à des réunions diplomatiques futures plus productives avec la Russie. Sans cela, nous vivrons comme nous vivons aujourd’hui et nous continuerons à nous battre ».
Il est clair que Zelensky exclut tout pourparler de paix à court terme avec la Russie, ce qui, bien entendu, nécessiterait une escalade spectaculaire et imminente capable d’amener l’armée ukrainienne à plier bagage.
En fin de compte, les informations de Strana démontrent que la stratégie occidentale contre la Russie, comme lors de la guerre du Viêt Nam, repose sur des sables mouvants. Zelensky lui-même en est manifestement conscient.
Il continue de faire bonne figure malgré l’échec imminent de l’offensive de Koursk. Les forces russes encerclent les envahisseurs dans les forêts et les marais de cette région abandonnée, et les drones tueurs les prennent pour cible alors que les arbres perdent leurs feuilles avec l’automne.
Zelensky sait qu’il est désigné comme l’architecte de l’offensive de Koursk. Et les vautours tournoient dans le ciel. En effet, certains des principaux commandants de l’armée ukrainienne, dont l’ancien commandant des forces armées, le général Valery Zaluzhny, aujourd’hui ambassadeur à Londres, avaient exprimé leur scepticisme lorsque Zelensky a abordé pour la première fois la question de l’offensive de Koursk. Parmi les opposants à l’offensive figurait le très respecté Emil Ishkulov, commandant de la 80e brigade d’assaut aérien de l’Ukraine, qui a été démis de ses fonctions en juillet à la suite de protestations d’officiers de haut rang.
Selon un article de Politico, l’objection de Zaluzhny était qu’« il n’y avait pas de deuxième étape claire après que la frontière [russe] ait été franchie avec succès par des unités ukrainiennes d’élite issues de quatre brigades ». « Il n’a jamais obtenu de réponse claire de la part de Zelensky », a déclaré l’un des responsables. « Il a estimé qu’il s’agissait d’un pari. Zaluzhny a posé la question suivante : « Une fois que vous aurez la tête de pont, que se passera-t-il ensuite ? »
De toute évidence, l’heure de vérité approche à grands pas pour Zelensky. Les hommes peu sûrs d’eux ont tendance à se méfier des hommes plus charismatiques, comme Zaluzhny qui, étonnamment, a accepté son éviction avec calme et s’est exilé à Londres. Mais il s’avère aujourd’hui qu’il avait l’intention d’obtenir un jour le poste de Zelensky pour lui-même. Et il dispose également de puissants soutiens.
Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer Zelensky. Quatre jours après que Zaluzhny a été démis de ses fonctions de commandant en chef, le 4 février, il a remis au général la plus haute décoration nationale d’Ukraine, le titre de « Héros de l’Ukraine ». Il est intéressant de noter que Zelensky a également décerné ce titre à un autre général lors de cette même cérémonie : un certain général Budanov…
Source originale: Indian Punchline
Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action
[1] Voir le document académique intitulé Ukrainian Nazism today : origin and ideological and political typology sur le site du ministère russe des Affaires étrangères
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