Photos © Gabrielle Lefèvre

Le monde écartelé entre droit international et règles capitalistes

Le monde est écartelé entre deux « ordres ». Le premier a été établi après les souffrances de la seconde guerre mondiale et le péril nucléaire, à savoir la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l’Homme et tout le corpus de droit international qui en découle.

Le second est celui du plus fort, des colonisateurs anciens et nouveaux, des dominants riches qui contrôlent les flux financiers et des matières premières et qui imposent par la force les rapports économiques qui servent leurs profits. C’est ce qu’on appelle « l’ordre international fondé sur des règles » (« rules based order » – RBO). (1)

Pan-arabisme et pan-africanisme

Cela se traduit par la politique de guerre menée par les États-Unis soutenus par les pays occidentaux, encore riches. Parmi eux, l’Union Européenne dont les dirigeants sont totalement inféodés à ces « valeurs » variables selon le contexte géopolitique.

Un tragique exemple nous est donné par le génocide mené par Israël contre le peuple palestinien et le déni complet des gouvernants de ce pays et des États-Unis face aux avis et arrêts prononcés par les plus hautes instances internationales du monde, à savoir la Cour Pénale Internationale (pour juger des particuliers) et la Cour de Justice Internationale (pour juger des États).

Nous avons longuement détaillé les intérêts économiques et géopolitiques qui expliquent ces guerres menées contre les Palestiniens, contre les Libanais, contre les Syriens avec comme but d’affaiblir l’Iran et garder la mainmise totale sur les immenses ressources pétrolifères et gazières sur terre et dans les mers de cette partie du globe. Avec Israël comme porte-avion des occidentaux riches au milieu de pays dont on a tué au fil du temps les timides velléités de créer leur propre « marché commun », ce qui était l’ambition du libyen Kadhafi, massacré non pas parce qu’il était un dictateur mais parce qu’il s’opposait au pillage des ressources naturelles, au détriment des peuples arabes et africains, par les néo-colonisateurs de l’ultra-libéralisme contemporain.

L’exemple du Sahara Occidental

Les 29 et 30 novembre 2024, se tenait à Lisbonne la 48e Conférence internationale des comités de soutien au peuple sahraoui (EUCOCO). Un moment important historiquement puisque le Portugal célébrait le 50e anniversaire de la « révolution des œillets », à savoir la fin de la dictature fasciste et colonialiste sur le peuple portugais lui-même mais aussi sur les nombreuses colonies asservies depuis des siècles en Afrique, Asie et Amérique latine et qui constituaient ainsi le plus vaste empire colonial de l’histoire. (3) Cela représente soixante États devenus souverains !

Il n’était donc pas étonnant que des représentants d’anciennes colonies ainsi que d’autres anciens colonisés africains, soient venus apporter, lors de cet Eucoco, leur soutien à la lutte pour l’indépendance du peuple du Sahara Occidental, dernière colonie d’Afrique. 320 participants venant de 25 pays du monde ont analysé l’évolution de la domination marocaine sur ce petit peuple dont une partie vit en territoire occupé, l’autre dans des camps de réfugiés à Tindouf en Algérie, et la troisième partie en diaspora, notamment en Espagne, ancienne puissance occupante. (4)

Le Maroc, puissance occupante, réprime durement la population, emprisonne et torture les résistants, pille les ressources naturelles, dresse un mur de séparation et sème un grand nombre de mines antipersonnel pourtant interdites par les conventions internationales. Il refuse depuis des décennies la tenue d’un referendum d’autodétermination du peuple sahraoui, pourtant maintes fois exigé par les Nations Unies dont l’action est bloquée au Conseil de Sécurité des N.U. par la France (protectrice inconditionnelle du Maroc avec lequel elle a d’importants liens économiques) et les États-Unis (qui voient le Maroc comme allié stratégique dans ce Maghreb qui doit rester divisé afin de ne pas menacer Israël, tête de pont des intérêts géopolitiques et économiques américains et européens). Rappelons que sous la première présidence de Donald Trump, les États-Unis ont proclamé la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental, niant ainsi toute autorité des Nations Unies, en échange de la signature des accords dits d’Abraham. Ces accords selon lesquels le Maroc reconnaît l’État d’Israël ainsi que Jérusalem comme sa capitale unifiée, avec à la clef d’importantes relations militaires et économiques. Cela alors que le roi du Maroc, Mohammed VI, est dit « commandeur des croyants » et est censé protéger les lieux saints de l’Islam à Jérusalem. Mais la cupidité du régime monarchique et du petit groupe de dirigeants du Maroc, le « makhzen » est sans limite et encouragée par l’Union Européenne, particulièrement par la France.

L’Union Européenne ne respecte pas son propre droit

Les dirigeants de l’Union Européenne ont depuis de décennies des relations économiques et politiques étroites avec le royaume du Maroc, qui inonde certains d’entre eux de somptueux cadeaux (rappelons-nous les scandales du Quatargate et du Marocogate… Où en sont les condamnations pour corruption?).

Puisque les Nations Unies sont réduites à l’impuissance, les Sahraouis ont fait appel au droit européen pour faire avancer leur cause et ont porté plainte auprès de la Cour européenne de Justice afin que cesse le pillage de leurs ressources naturelles par le Maroc et ses amis. Grâce à l’action intelligente et déterminée d’un avocat français, Gilles Devers, malheureusement décédé peu avant cet Eucoco, les droits du peuple sahraoui et de son représentant légitime le Front Polisario ont été reconnus clairement… Actuellement, l’Union Européenne essaie par tous les moyens de contourner ces jugements, empêchant les Sahraouis de bénéficier d’accords commerciaux équitables leur permettant de bâtir un État viable, de sortir de l’assistance en tant que réfugiés et de la répression en tant que colonisés par le Maroc. L’arme légale brandie actuellement par le Front Polisario, ce sont les procès contre les firmes et entreprises qui violent le droit européen en exploitant illégalement les ressources sahraouies.

Les représentants d’états africains comme le Mozambique, l’Angola, et surtout l’Afrique du Sud ont clamé leur indignation devant ces dénis de droit. L’Algérie qui assure largement la survie des réfugiés, exerce des pressions diplomatiques fortes sur la France et sur l’Espagne (qui exploite elle-aussi les ressources du Sahara Occidental occupé au lieu de remplir ses obligations d’ancienne puissance occupante).

La situation est d’autant plus tendue que l’ingérence des États-Unis se fait plus forte et s’accentuera sans doute sous la présidence de Donald Trump, dans sa guerre commerciale avec la Chine. Celle-ci noue de plus en plus d’accords commerciaux en Afrique et étend sa « route de la soie » jusqu’en Amérique latine, aux portes des USA. Pendant ce temps, les BRICS+ (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) accroissent leurs forces économiques et entendent se libérer de plus en plus de ce système d’asservissement aux intérêts américains et européens.

Dans ce vaste et cynique jeu de pouvoirs, le concept de démocratie réglée par le droit international est gravement menacé. De cette rencontre internationale, surgit quand même un espoir : celui de la résistance des peuples aux colonisations, aux oppressions, grâce à un idéal de justice et de paix. Le peuple palestinien et le peuple sahraoui en sont deux exemples héroïques.

1. – Lire à ce sujet le très intéressant article de Anne-Cécile Robert dans Le Monde Diplomatique de novembre 2024 : « Revendiquer des valeurs pour contourner le droit ». « De l’« ordre fondé sur des règles ».

2. Sur le pan-arabisme et pan-africanisme de Kadhafi :

https://shs.cairn.info/revue-herodote-2011-3-page-78?lang=fr
https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/3110

3. https://fr.wikipedia.org/wiki/Empire_colonial_portugais

4. https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Sahara_occidental

https://www.amnesty.org/fr/location/middle-east-and-north-africa/north-africa/morocco-and-western-sahara/report-morocco-and-western-sahara

Source : entreleslignes.be

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