Entré en vigueur le 1er janvier 2013, le TSCG sera bientôt voté dans les différentes assemblées que compte la Belgique en vue de sa ratification. Lourd d’implications, le vote de ce texte à haute teneur symbolique place les partis de gouvernement qui revendiquent un ancrage à gauche dans une position des plus inconfortables.
Le malaise de la gauche de gouvernement
A plus d’un titre, le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), ou Pacte budgétaire européen, constitue un repoussoir idéal pour les forces qui militent, à travers le vieux continent, pour une alternative économique et sociale. Premier objet du courroux : la « règle d’or », qui consacre l’interdiction de présenter un budget en déficit structurel, et grève par là même les possibilités d’investissement productif, social ou environnemental d’envergure [1]. Autre facteur de mécontentement, le blancseing accordé à la Commission européenne pour déterminer les remèdes à administrer aux États de la zone euro en déficit excessif, qui condamnerait ces derniers à subir les effets de politiques d’austérité aussi destructrices qu’inefficaces [2]. Enfin, ce traité marque une étape décisive dans l’affaiblissement des parlements et des gouvernements nationaux au profit des instances non élues que sont la Commission et la Cour de Justice de l’Union européenne.
On aurait dès lors pu s’attendre à un net rejet de la part des élus qui se réclament de la gauche, une fois ces derniers appelés à se prononcer sur ce texte qui consacre ce que certains n’hésitent pas à qualifier de prémices d’une ère post-démocratique [3].
Mais les considérations politiques ont souvent tôt fait de transformer les choix idéologiquement évidents en dilemmes cornéliens. Les socialistes français en firent la cocasse démonstration en octobre dernier, puisqu’après avoir décrié le traité « Merkozy » depuis les bancs de l’opposition, ceux-ci durent l’avaliser une fois ce dernier endossé par le président François Hollande.
En Belgique, la complexité des structures institutionnelles augure une situation encore plus insolite. Le positionnement annoncé des familles socialistes et écologistes, qui partagent une certaine rhétorique hostile à l’austérité [4], à l’égard d’un texte qui contribuera à graver cette dernière dans le marbre a de quoi déconcerter : SP.A et PS voteront en faveur du texte à tous les niveaux de pouvoirs. Les écologistes s’y opposeront au fédéral, mais s’associeront à sa ratification là où ils exercent des responsabilités (Groen à la Région de Bruxelles- Capitale, Écolo dans toutes les entités fédérées) moyennant des garanties sociales et environnementales concernant son acte de transposition.
Jeux de pouvoirs
La première explication de cette gamme de postures qui va de l’inconstant à l’illisible tient au rapport au pouvoir. On observe ainsi une évidente corrélation entre un vote positif et la présence ou non dans la majorité gouvernementale. En première ligne se trouve le PS, qui aurait difficilement pu dénoncer un traité signé par la plume même du Premier ministre socialiste Elio Di Rupo le 2 mars dernier. Dans un contexte de relations tendues avec un monde syndical hostile à la ratification du TSCG, le premier parti de la Belgique francophone est bien décidé à priver Écolo de cette trop belle occasion d’incarner une opposition de gauche. « Si nous choisissons de rejeter le traité, il est certain que tous nos projets seront bloqués pour le reste de la législature », note avec fatalisme une élue régionale du parti vert. Une alternative dans la tête de tous lors du Conseil de fédération du 3 mars 2013 destiné à arrêter une ligne officielle à l’égard du Pacte budgétaire européen. Jusqu’alors virulent à l’égard d’un texte « annonciateur de politiques d’austérité d’envergures » [5], le parti a donc opté pour cet « accord de non-agression avec le PS », selon les mots d’un militant amer. Pour autant, les ailes gauches des deux partis ne semblent pas, hormis quelques électrons libres, disposées à défier leurs états-majors respectifs. La constitution des listes pour les élections de 2014 approche, et l’heure n’est donc pas à l’indiscipline.
Si le positionnement de la gauche institutionnelle peut donc se comprendre à la lumière de ces considérations stratégiques, les justifications invoquées se révèlent peu convaincantes. L’argument selon lequel un vote favorable permettrait de formuler des propositions progressistes au niveau européen qui resteraient inaudibles en cas de rejet est pour le moins contestable : les traités figurant au sommet de la hiérarchie des normes communautaires, il sera d’autant plus difficile d’infléchir la direction prise par l’UE une fois ce texte ratifié. D’autre part, on voit mal comment un petit pays comme la Belgique réussirait là où la France dirigée par un socialiste n’est parvenue qu’à arracher des concessions mineures à l’Allemagne en échange de son soutien au TSCG.
« À plus long terme, le manque de courage politique des formations de centre-gauche pourrait pourtant bien se retourner contre elles, en particulier en cas de non-respect de la règle d’or. »
D’autres relativisent le danger du traité pour la Belgique. « Depuis les années 2000, nous n’avons jamais été dans une situation de déficit qui légitimerait l’intervention de la Commission », observe ainsi le socialiste Ahmed Laaouej. Le sénateur souligne, par ailleurs, qu’il revient à chaque État de définir en toute indépendance la façon de parvenir à l’équilibre. C’est oublier un peu vite la tonalité résolument libérale des recommandations budgétaires adressées par la Commission. En outre, cette assertion relève d’une curieuse conception de la solidarité européenne, puisque les populations des États membres qui ne parviendraient pas à respecter la règle d’or subiraient de plein fouet les cures d’austérité.
Quant aux garanties obtenues par Écolo concernant l’acte de transposition, elles semblent surtout faire office de figuration. « Ces balises ne changent rien aux paramètres fondamentaux de la discipline budgétaire contenue dans le TSCG », note l’eurodéputé écologiste Philippe Lamberts, opposé à la ratification du texte. Il est par ailleurs illusoire de penser pouvoir, par un acte de transposition, changer l’esprit d’un traité qui tend à placer la rigueur budgétaire comme unique horizon. De façon générale, les caciques des deux partis ne souhaitent pas attirer outre mesure l’attention sur cette question délicate. Une motion déposée le 7 mai 2012 au Parlement wallon par le député régional et président du Mouvement de Gauche (MG) Bernard Wesphael qui demandait l’organisation d’auditions parlementaires contradictoires et une consultation populaire sur le traité a ainsi été rejetée sans débat par les députés de la majorité PS-CDH-Écolo.
Le piège du « chantage à l’Europe »
Bien que les deux partis laissent entendre qu’ils voteront ce texte à contrecœur, les considérations stratégiques n’expliquent pas tout. Une partie des dirigeants voit dans la logique de convergence budgétaire un pas supplémentaire vers une intégration européenne plus poussée qui permettra, à terme, d’impulser une direction plus sociale. « Cet argument a depuis vingt ans été utilisé par la gauche au pouvoir pour nous faire accepter l’inacceptable », remarque le politologue Raoul Marc Jennar, pourfendeur de longue date des orientations ultralibérales données à l’UE et auteur d’Europe : la trahison des élites.
C’est dans cette optique que les socialistes et verts européens ont avalisé plusieurs initiatives dans la lignée du TSCG. Ils ont ainsi voté en faveur de certaines dispositions du six-pack, notamment celles qui accroît la surveillance sur les politiques macroéconomiques des États membres. Ils ont également voté en faveur du two-pack, qui fixe les modalités du contrôle en amont et donne une base légale à l’intervention de la Commission dans les politiques économiques des pays en grande difficulté [6].
Bien que la participation des deux euro-partis ait contribué à réduire la portée des propositions initiales, on peut s’interroger sur l’opportunité d’apporter cette caution à des textes qui, même teintés de vert et de rouge, contiennent des régressions sociales majeures en puissance. La question européenne a par ailleurs pu servir de tête de pont pour une conversion idéologique d’une partie de la gauche aux préceptes libéraux. Ainsi, le Groupe Spinelli, structure pluripartisane créée en vue de promouvoir une Europe fédérale post-nationale et qui compte parmi ses membres fondateurs Isabelle Durant, ancienne coprésidente d’Écolo, a-t-il récemment appelé à la ratification du six-pack [7]. Signe de cette conversion rampante, certains membres du PS et d’Écolo ont déploré la signature du Pacte budgétaire non pas tant du fait de ses dispositions libérales et austéritaires, mais parce qu’il serait inutile au regard de la législation européenne actuelle. De quoi relativiser l’amplitude du grand écart réalisé par les socialistes et écologistes pour se rallier à ce traité au contenu néolibéral évident.
Un fourvoiement sans conséquences ?
Si elles restent sans commune mesure avec ce qui a pu exister en France, les initiatives contre le TSCG se multiplient à l’aube du cycle de sa ratification. Déjà signataires d’une lettre commune appelant les parlementaires à rejeter le traité, les syndicats FGTB et CSC ont prévu plusieurs mobilisations qui concernent également le six-pack et le two-pack. Le mot d’ordre ? Changer de cap. « Les citoyens doivent se rendre compte qu’ils payent cash les mesures prises au niveau européen », déclare Jean-François Tamellini, secrétaire fédéral de la FGTB. Le syndicat socialiste entamera par ailleurs un intense travail de lobbying auprès des parlementaires régionaux wallons, rejoint sur ce terrain par le Centre d’éducation populaire André Genot (Cepag), auteur d’un appel lancé aux citoyens à interpeller leurs élus. Par ailleurs, cette affaire pourrait donner à la gauche de la gauche l’occasion de placer PS et Écolo face à leurs contradictions. « Voter pour ce traité revient à renier les fondements historiques et l’héritage de la gauche », fulmine Bernard Wesphael, seul élu, pour l’heure, à dénoncer ce traité au Parlement wallon.
Pour autant, ce vote exemplatif du double discours sur l’Europe marque-t-il une étape supplémentaire du divorce entre l’électorat progressiste et la gauche de gouvernement ? Rien n’est moins sûr. Si les contradictions sur ce dossier pourront lui être reprochées lors des élections européennes de 2014, elles seront sans nul doute noyées dans les campagnes pour les scrutins législatifs et régionaux qui se tiendront le même jour. Malgré les démentis, certains craignent aussi que les liens organiques entre la FGTB et le PS ne conduisent une partie de la direction syndicale à ménager ce dernier sur cette question. Enfin, alors que les thématiques européennes nécessitent une pédagogie particulière, les principaux médias se distinguent par un silence assourdissant quant aux implications du TSCG. Autant d’éléments qui rendront le message des opposants au traité difficilement audible pour le citoyen belge, traditionnellement réceptif au sophisme associant la critique l’UE libérale à de l’anti-européisme.
À plus long terme, le manque de courage politique des formations de centre-gauche pourrait pourtant bien se retourner contre elles, en particulier en cas de non-respect de la règle d’or. Le pays devrait alors se soumettre aux plans de désendettement structurels conçus par la Commission, qui pour ce faire ne se priverait pas de détricoter de bout à bout le modèle social belge. Les formations ayant sciemment participé à cette limitation de souveraineté s’en trouveraient complices. L’alibi européen, d’ordinaire commode pour justifier les politiques antisociales, pourrait dès lors se révéler insuffisant pour empêcher la rupture avec les couches populaires.
Notes:
[1] J. Généreux, « La « règle d’or », règle des ânes », 21 septembre 2012, marianne.net.
[2] En comprimant la demande interne de biens et de services, les politiques de consolidations budgétaires contribuent à accroître le ralentissement de la croissance économique. X. Dupret, « La zone euro malade d’elle-même », 3 août 2011, gresea.be.
[3] E. Gauthier, M.-Ch. Vergiat, et L. Weber, Changer d’Europe, Broissieux, éditions du Croquant, février 2013, p. 41.
[4] Si la pratique politique des quatre formations est marquée, avec certaines nuances, par le social-libéralisme, la critique de l’austérité figure bien dans leur programme.
[5] « Traité budgétaire européen : Écolo attend des éclaircissements avant de décider », 24 septembre 2012, rtbf.be.
[6] Notons toutefois qu’à la différence des écologistes, les socialistes belges se sont distingués en votant contre le two-pack, contrevenant ainsi à la ligne officielle de leur groupe au Parlement européen.
[7] Groupe Spinelli, « Seule une Union européenne fédérale pourra résoudre la crise – Union fédérale ou désintégration », 28 mars 2012, spinelligroup.eu.