Le film « Yallah Gaza » censuré à Lyon, le réalisateur répond

Pour qui veut avoir un aperçu des injustices que vivaient les Palestiniens de Gaza avant le 7 octobre, le film « Yallah Gaza » de Roland Nurier est un incontournable. L’exécutif de la communauté des communes du Pays Mornantais a pourtant décidé de le déprogrammer du cinéma de Mornant, au sud de Lyon, où il devait être projeté le 6 décembre dernier. Face à cette censure manifeste, le réalisateur, que nous avions déjà interviewé dans Télé Palestine, a décidé de réagir. 

Droit de réponse du réalisateur qui n’engage pas l’association « Le temps d’un film »:

Vous invoquez dans vos déclarations pour justifier la déprogrammation de mon film auprès de l’association mornantaise, je vous cite « que le film a été tourné avant le 7 octobre, qu’il est donc anachronique avec la réalité d’aujourd’hui. Le diffuser aujourd’hui n’était pas opportun « .

Donc si je suis votre logique on ne doit pas non plus programmer de westerns ou de films sur les amérindiens, vu que le vol de leur terre et le viol des traités par les états Unis datent de quelques centaines d’années ?

Ensuite vous affirmez que mon film présente « le Hamas comme un mouvement de résistance ».

Je m’intéresse à Palestine-Israël depuis plus de 40 ans, et d’une façon approfondie depuis 25 ans.

Je me suis rendu 2 fois en territoires occupés. C’est mon 2eme film, donc oui j’affirme et assume ma compréhension de la situation en tant que « citoyen-observateur ».

Le Hamas, comme d’autres mouvements ou groupes politiques palestiniens sont des résistants à l’occupation israélienne et cette résistance quelle qu’en soit la forme est un droit fondamental, reconnu par la charte des Nations Unis, textes signés par Israël, lors de son adhésion à l’ONU.

Les résistants de tout temps ont été qualifiés de terroristes, c’était d’ailleurs le cas de NELSON MANDELA, des membres du groupe MANOUKIAN, à qui la France doit tant et a rendu hommage récemment.

Dois-je vous rappeler l’extrait de la conférence de presse du Général De Gaulle le 27 Novembre 1967, lorsqu’il déclara :

« …/… Israël ayant attaqué, s’est emparé, en six jours de combat, des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant, il organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui une résistance, qu’à son tour, il qualifie de terrorisme …/… »

Que le Hamas et les autres milices palestiniennes aient commis le 7 Octobre des crimes de guerre au sens du droit international, est incontestable et c’est effectivement condamnable.

Mais je me refuse de me laisser enfermer dans le narratif israélien, et je souhaite garder mon libre arbitre.

Bien sûr en occident on préfère la résistance non violente, j’en fait partie, et c’est aussi pour cela qu’il y a une séquence dans YALLAH GAZA qui évoque la résistance citoyenne gazaouie lors des « marches du retour ». Ce fut un mouvement non violent en 2018-2019 durement réprimé par l’armée d’occupation israélienne faisant plusieurs dizaines de morts dans la jeunesse palestinienne dont des journalistes et du personnel de santé.

J’évoque dans mon film, par le biais de juriste, le droit international que nos responsables politiques nationaux mettent en avant pour condamner et prendre des sanctions (à juste titre) contre POUTINE suite à l’invasion de l’UKRAINE . Je m’appuie sur des faits, rien que des faits, lorsque je constate que ce même droit international est violé par Israël depuis 50 ans. (Et je ne parle pas du génocide en cours) sans qu’aucune sanction ne soit prise.

Il y a là, de mon point de vue, une faillite morale et humaine très inquiétante.

Avouez que ce 2 poids/2 mesures est assez difficile à accepter pour le commun des mortels.

Mon film YALLAH GAZA montre effectivement le GAZA d’avant (séquences tournées en 2021), j’évoque les écoles, les universités, les hôpitaux, les structures associatives qui fonctionnaient, malgré l’enfermement et oui sous administration du Hamas.

Le Hamas a été élu démocratiquement en 2015, il administrait alors la bande de Gaza, j’en fait juste le constat en tant qu’observateur sans aucune sympathie particulière pour ce groupe politique religieux.

Il me semble que certains de nos responsables politiques sont moins regardants à l’égard des pétromonarchies du Golfe.

YALLAH GAZA a rencontré un peuple qui « faisait société », avec ou malgré le Hamas, on pourrait en discuter des heures et je ne suis pas l’avocat du Hamas.

J’ai voulu révéler dans mon film ce peuple extrêmement éduqué, sa créativité, son éducation, sa jeunesse, sa soif de vivre comme tous les peuples du monde.

Refuser d’entendre la contextualisation que propose mon film, (en empêchant sa diffusion) c’est-à-dire l’enfermement de plus de 2 millions de personnes, par terre, par mer, par air, la privation de leur liberté, la confiscation de leur eau, les bombardements réguliers et aveugles (Rappel : avant le 7 Octobre Gaza avait subi 5 guerres faisant des milliers victimes très majoritairement des civils, des femmes et des enfants et des destructions très importantes des infrastructures), donc refuser la projection de mon film sous un prétexte fallacieux c’est aussi priver les citoyens de la communauté de commune de Mornant d’acquérir des connaissances historiques (les 20 premières minutes du film) et de se forger sa propre opinion.

Vous évoquez par ailleurs le fait « de ne pas vouloir importer le conflit au Proche-Orient ici » et je l’entends.

Il y a beaucoup à dire sur cette affirmation souvent reprise par nos responsables politiques nationaux ou locaux.

Et cela nous ramène à l’actualité et au génocide en cours à Gaza.

Qui importe le conflit en France ?

  • Est-ce YALLAH GAZA, ce petit film qui décrit une population d’avant le 7 Octobre et montre un peuple « normal qui vit dans un environnement anormal » ?
  • Ou bien les Responsables politiques français qui au lendemain du 7 Octobre se précipitent à Tel Aviv apporter leur soutien à un pays colonisateur qui viole les résolutions des Nations Unies et le droit international depuis 50 ans et sont incapables de prendre politiquement des sanctions contre un état génocidaire (voir le dernier rapport de Amnesty International et les nombreux rapports de la CPI et de la CIJ).
  • Ou bien encore les déclarations reprisent en boucle par une partie de la classe politique et nos grands médias affirmant que « l’Etat d’Israël a le droit de se défendre », ce qui ne tient pas debout une seconde du point de vue du droit international, car Israël est considéré puissance occupante et les palestiniens en situation d’occupation. Ce sont des éléments factuels et incontestables de droit international.

Autorisez-moi le droit de penser différemment.

Ainsi « je vendrai mon film comme des légumes dites-vous » ?

Je ne trouve cela pas très gentil ni pour tous les intervenant-e-s et l’équipe du film qui a travaillé pendant 2 ans pour arriver à le boucler, avec un tout petit budget, ni pour nos maraichers locaux.

On peut penser ce qu’on veut de la politique israélienne à l’égard de ses voisins, je revendique, quant à moi, dans mes films, le droit d’avoir une opinion sur le sionisme, idéologie coloniale d’un autre temps.                         

Voir mon film précédent LE CHAR ET L’OLIVIER, UNE AUTRE HISTOIRE DE LA PALESTINE (2019), film jugé pédagogique par l’ensemble de la presse pour la compréhension historique de cette région du monde.

Refuser la projection de mon film, comprenez-le, peut être interprété comme un soutien inconditionnel à Israël, et aujourd’hui il est assez inconcevable de soutenir ouvertement un état génocidaire sauf à quitter l’humanité des hommes.

J’estime donc qu’il est légitime et à fortiori depuis le 7 Octobre de porter un regard critique sur la politique israélienne, ce qui est juste une opinion dont on peut débattre.

Je vous invite donc à laisser projeter mon film et à venir échanger cordialement après le film.

Pour le moment votre décision est vécue par beaucoup de vos concitoyens comme une atteinte à la liberté d’expression.

En fait, de mon point de vue, ce que révèle ce refus c’est quelque part l’effondrement de notre idéal républicain, la disparition des valeurs de l’occident. (si prompte, par ailleurs à donner des leçons au monde entier en matière de démocratie et de droits de l’homme).

Si cela peut vous aider à la compréhension de ce que supportent les palestiniens de Gaza (et de Cisjordanie), depuis le 7 Octobre, je peux vous fournir des dizaines et des dizaines de vidéos de gazaouis qui filment leur propre génocide, qui témoignent de leur calvaire. Ces vidéos qui m’empêchent de dormir depuis 14 mois ne sont pas des fake news reprisent en boucle par une partie de nos médias sur les bébés décapités et femmes éventrées du 7 Octobre sans vouloir minimiser les actes commis par les groupes armés palestiniens .

Ces vidéos sont autant d’appels à l’aide qui me laissent impuissant et terriblement désarmé !

L’Histoire jugera un jour de l’abandon du peuple palestinien et de l’escroquerie intellectuelle (et géopolitique) qu’est la colonisation de la terre de Palestine.

Sincèrement je ne sais pas comment l’humanité va se relever des terribles moments que nous sommes en train de vivre !

YALLAH GAZA veut juste témoigner de la résilience d’un peuple en train de disparaitre sous nos yeux avec la complicité de l’occident et d’une grande partie des pays arabes.

Cordialement.

Hérisson Rebelle Production

Roland NURIER

Source: UJFP

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