Ces dernières années, le rôle des forêts dans l’atténuation des changements climatiques a gagné en reconnaissance. Pour devenir peut-être la bouée de sauvetage d’une communauté internationale en quête de solutions consensuelles. Dès lors, la future politique climatique mondiale, discutée à Bali en décembre 2007 et à Poznan aujourd’hui, va-t-elle permettre de renverser la tendance en matière de déforestation ? Réussir, au nom de la réduction globale des émissions de carbone, là où les scientifiques, les mouvements écologistes, indigènes ou paysans et certaines politiques publiques ont échoué ces dernières décennies ?
16 décembre 2008
Bien qu’elles aient longtemps été sous-estimées, voire contredites, les estimations convergent enfin : la déforestation, à son rythme actuel, est responsable d’environ 20 à 25% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, principales causes du réchauffement de la planète. Plus précisément, la destruction de la forêt tropicale provoque chaque année plus de rejet que l’ensemble du secteur des transports à travers le monde. Dans les pays du Sud, 35% des émissions sont dues au déboisement et jusqu’à 65% dans les régions les plus pauvres. Si les forêts absorbent et stockent naturellement du carbone en grande quantité (et en rejettent en fin de vie ou lorsqu’on les coupe), elles jouent aussi un rôle crucial dans le refroidissement et l’assainissement de l’atmosphère, dans la provision d’eau douce et de pluie.
Bref, la préservation des forêts apparaît aujourd’hui essentielle à l’efficacité des efforts mondiaux entrepris pour atténuer les changements climatiques. D’autant plus depuis que le rapport Stern, du nom de l’ancien vice-président de la Banque mondiale, est venu corroborer en 2006 que les initiatives de réduction de la déforestation étaient dans l’ensemble moins coûteuses que celles entreprises dans d’autres secteurs…
Le Protocole de Kyoto, entré en vigueur en 2005, permettait déjà aux pays développés de « réduire leurs émissions » en finançant des projets de reforestation dans les pays du Sud. Si, à en croire la FAO, les retombées sur le secteur forestier en sont encore à ce jour très modestes, la qualité environnementale des projets financés est également controversée. L’idée débattue actuellement pour donner suite au Protocole de Kyoto au-delà de 2012, consiste à ajouter à ce mécanisme, des dispositifs récompensant les Etats qui luttent contre la déforestation. Il s’agirait de rémunérer les tonnes de carbone qui ne seront pas parties en fumée, de rétribuer les « déforestations évitées ».
De nouveau, le projet prête le flanc à plusieurs niveaux de critiques. Techniques d’abord, de faisabilité. Comment mesurer la « déforestation évitée » ? Alain Karsenty du CIRAD identifie trois difficultés : « la légitimité de l’extrapolation à partir des tendances historiques ; la capacité d’estimation des scénarios de référence de type prédictif ; enfin, la possibilité réelle d’imputer à différentes politiques publiques la baisse du taux de déforestation et, plus encore, d’en mesurer l’effet net ». Le risque est grand en effet qu’un tel dispositif incite à accélérer le déboisement avant l’entrée en vigueur du mécanisme, récompense de fait les pays qui ont déjà déboisé tout ce qui pouvait l’être, génère des réductions fictives d’émissions, rémunère des diminutions de déforestation qui auraient de toutes façons eu lieu, ouvre la porte à diverses formes de chantage à la coupe et nourrisse un nouveau marché d’expertise et de consultance forestières…
Au-delà des problèmes de faisabilité en effet, il est à craindre que les mesures préconisées exonèrent à moindres frais les pays du Nord de leurs responsabilités et avantagent plus les entreprises forestières, leurs plantations et leurs consultants que les forêts tropicales elles-mêmes et leurs habitants. Ce point de vue, partagé par la plupart des organisations actives contre la déforestation, comme le World Rainforest Movement, va de pair avec l’analyse selon laquelle ce nouveau système mondial d’incitants financiers à réduire la déforestation, plutôt qu’identifier et freiner ses véritables moteurs – la pauvreté dans les régions tropicales, les intérêts de l’industrie et le consumérisme des pays riches –, risque en réalité de finir par récompenser, dans sa mise en application, les entreprises et les gouvernements qui la stimulent.
Parmi les grands promoteurs d’initiatives visant à la « réduction des émissions dues à la déforestation (RED) », figure la Banque mondiale. Moyens préconisés : une activation des « marchés du carbone actuels (qui) n’exploitent que très peu les bénéfices potentiels du CO2 lié aux forêts » et des incitants publics et privés au déboisement évité et au reboisement. Mais, que ces politiques soient menées dans le cadre du projet de « Partenariat mondial pour les forêts », imaginé par la Banque dès 2006 de concert avec les grandes ONG conservationnistes, les Etats et les entreprises, ou à travers le « Fonds de partenariat pour le carbone forestier », lancé à Bali fin 2007, elles font aussi l’objet de sévères critiques.
Des critiques qui portent d’abord sur la prééminence des approches globales fondées sur le marché… et ses vertus philanthropiques. « Pour la Banque mondiale, seuls les marchés pourront rapporter assez de fonds pour assurer l’efficacité des efforts mondiaux d’atténuation des changements climatiques, analyse Tom Griffiths du Forest Peoples Programme. Son plan suppose d’ailleurs que ces efforts seront financés essentiellement par des fonds commerciaux à partir de 2014 ».
Les populations tributaires des forêts d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine nourrissent aussi de vives craintes à l’égard du peu de cas que les initiatives de la Banque en matière de foresterie du carbone, font des questions sociales et de droits humains. « Comment une organisation si favorable ces dernières années aux industries d’extraction, à l’exploitation forestière marchande, à l’agrobusiness et aux plantations à croissance rapide tiendrait-elle compte des droits, des réalités et de l’avis des peuples autochtones ? ».
Plus d’un indice technique permet en effet de comprendre que, dans leurs formes actuelles, les nouveaux dispositifs de primes aux pratiques prétendument durables, à l’extraction à impact réduit et aux activités de reboisement finiront par profiter d’abord à de grands concessionnaires commerciaux, aux sociétés d’exploitation forestière et de plantation industrielle. L’apparent consensus dans la mobilisation mondiale pour atténuer le réchauffement climatique en préservant les forêts est lourd d’intérêts antagoniques, lorsqu’il n’aggrave pas lui-même le problème.
Bernard Duterme
Directeur du CETRI (Louvain-la-Neuve), coordinateur de l’ouvrage « Déforestation : causes, acteurs et enjeux » (Alternatives Sud, Paris, 2008).