Donald Trump est, à juste titre, critiqué pour ses diatribes racistes et sexistes. En revanche, la plupart de ses opposants se font plus discrets lorsque le président des Etats-Unis s’engage sur le terrain de la guerre. Ajamu Baraka explique ainsi comment l’agenda de l’anti-trumpisme a été calqué sur l’agenda des Démocrates, ignorant les positions anti-guerre et anti-impérialiste. Pas étonnant dès lors que ces mêmes Démocrates aient massivement approuvé la demande de Trump d’augmenter le budget militaire. Manipulé, le mouvement anti-Trump? Nous recommandons la lecture de cet article à ceux qui s’opposent avec raison aux frasques du président US, histoire de mener le combat jusqu’au bout…
La semaine dernière, en prévision du vote sur la Loi d’Autorisation de Défense Nationale (NDAA) de 2018, le sénateur libertaire Rand Paul a déclaré depuis les rangs de l’assemblée:
“Je me lève aujourd’hui pour m’opposer à une guerre non autorisée, non déclarée et inconstitutionnelle … Ce que nous avons aujourd’hui est essentiellement une guerre illimitée qui peut être menée n’importe où, n’importe quand et dans n’importe quelle partie du globe”.
Avec ces mots, Paul est devenu l’une des rares voix à s’opposer à cette obscénité plus connue sous le nom de “politique de guerre des États-Unis”. Seulement deux autres sénateurs l’ont rejoint: Bernie Sanders et Ron Wyden. Mais il y a ici un petit souci: Paul n’est pas concerné par la taille du budget militaire. Ce qu’il pointe du doigt, c’est le prolongement de la Loi d’Autorisation de l’Usage de la Force Militaire (AUMF) de 2001 qui a constitué la base “légale” pour la guerre mondiale contre le terrorisme que mènent les Etats-Unis.
Après que l’amendement de Paul à la NDAA ait été écarté, le Sénat a approuvé le vote par 89 voix contre 9 lundi. Le New York Times a correctement qualifié la chose d’un “effort bipartite” pour valider un budget militaire de 696 milliards de dollars. Ce budget comprend une augmentation de 75 milliards de dollars qui dépasse largement les 54 milliards que le président Donald Trump avait proposés au départ.
Le lendemain, Trump est apparu à la tribune des Nations Unies. Il a menacé de détruire la Corée du Nord, de saboter le Venezuela et d’abandonner l’accord nucléaire avec l’Iran, ce qui pourrait entraîner un conflit militaire avec cette nation.
Cacher la défense bipartite de l’Empire
Dans l’Amérique capitaliste, rien de tel que la guerre pour réhabiliter un président impopulaire. D’ailleurs, la seule fois où Barack Obama a eu vraiment mauvaise presse, c’est lorsqu’il s’est montré réticent à plonger totalement les Etats-Unis dans des efforts directs pour provoquer un changement de régime en Syrie, ce qui impliquait d’attaquer cette nation et d’envoyer de manière significative des troupes au sol. Pour les interventionnistes néoconservateurs et démocrates, laisser les Etats vassaux de Washington mener les opérations pour déclarer la guerre à la Syrie représentait un fardeau inutile et inefficace pour ces Etats.
De même, sur la question de la guerre, Trump n’a connu qu’une seule accalmie médiatique. C’est lorsqu’il a lancé une attaque contre la Syrie, démontrant à nouveau qu’il existe au sein de l’oligarchie un consensus sur l’instrument qui sera utilisé pour assurer leur domination globale et continue.
Le déclin de l’influence US se poursuit, de Bush à Trump en passant par Obama. Si bien que la domination globale des Etats-Unis dépend de plus en plus de sa capacité à projeter le pouvoir militaire. Il y a eu le “pivot asiatique” d’Obama, une véritable démonstration de fureur des Etats-Unis à travers l’Asie occidentale et l’Afrique du Nord depuis 2003, l’expansion d’AFRICOM pour contrer l’influence chinoise en Afrique, la promesse d’une occupation militaire permanente de l’Afghanistan pour bloquer la Nouvelle Route de la Soie chinoise et exploiter les ressources en minéraux afghanes… Tout cela montre qu’il faut un soutien populaire et continu pour poursuivre l’agenda de la guerre permanente.
Nous voyons donc que l’État est vulnérable. En effet, il doit pouvoir générer ce soutien populaire pour poursuivre son programme de guerre. Et cela offre une opportunité stratégique à l’opposition anti-guerre et anti-impérialiste.
Le niveau effroyable du soutien apporté par le Congrès reflète une grave crise de légitimité. Cette érosion de la confiance envers le Congrès doit être étendue à une position critique envers les dépenses de l’assemblée liées au budget du Pentagone ainsi que la rationalisation des dépenses militaires et de sécurité. Une brèche idéologique existe pour remanier les dépenses militaires et revoir l’agenda de guerre qui n’est autre qu’un agenda pour protéger les intérêts des 1%. La brèche existe aussi pour venir troubler l’acceptation toute patriotique des aventures militaires US hors de nos frontières.
Le travail actuel de la United National Antiwar Coalition pour encourager le travail éducatif public sur l’Afghanistan en octobre, la nouvelle coalition qui s’oppose aux bases militaires US à l’étranger et la campagne de désinvestissement militaire lancé par Code Pink ne sont que quelques exemples des efforts qui sont menés pour profiter de l’occasion.
La Black Alliance for Peace (BAP) a pris part à ces efforts. En tant qu’ alliance opposée à la guerre, à la répression et à l’impérialisme, BAP croit que l’environnement actuel offre l’opportunité d’établir des liens entre d’une part, l’opposition à la force militaire intérieure incarnée par la police, et d’autre part, l’opposition à ce régime guerrier incarné par l’Etat US.
Cela dit, nous ne nous faisons pas d’illusions sur les difficultés du moment. Soigneusement ficelée, la guerre contre le terrorisme a donné lieu à une manipulation efficace de la conscience collective. De même, au niveau national, le retour de flamme causé par l’entretien et le soutien de ces forces que les Etats-Unis prétendent combattre a permis de conditionner la population à accepter la répression de l’Etat ainsi que la violence comme réponse rationnelle à toute menace.
La peur est associée au racisme. Et l’ignorance est entretenue sur ce qui se passe dans le monde et sur l’activité criminelle que mènent les Etats-Unis pour faire avancer les intérêts de l’élite institutionnelle et financière. Si bien qu’une vaste majorité soutient le militarisme et même la guerre. Voici un exemple: à la suite d’une propagande constante sur la Corée du Nord, 58% de la population soutient maintenant le bombardement de ce pays alors que la majorité des Américains n’ont aucune connaissance des enjeux qui ont conduit à la guerre de Corée.
L’opposition à Trump a été formulée de manière à soutenir l’ordre du jour du Parti Démocrate, mais pas l’agenda anti-guerre. Si bien que l’anti-trumpisme n’inclut pas de positions contre la guerre et l’impérialisme US.
Lorsque le gouvernement Trump a proposé une augmentation de 54 milliards de dollars des dépenses militaires – ce que beaucoup voyait comme une demande obscène -, nous avons assisté à une réponse négative mais momentanée de quelques libéraux démocrates. Ils pensaient que cela serait perçu comme une nouvelle action supposée démoniaque parmi tant d’autres du gouvernement. Alors, la question a fait l’objet d’un débat parmi les Démocrates. Jusqu’à ce que 117 d’entre eux valident avec les Républicains au parlement – y compris une majorité de représentants des Afro-américains – la proposition du gouvernement, et même une allonge de 18 milliards de dollars. A ce moment-là, les Démocrates sont restés silencieux sur la question qui les avait animés.
La communauté des progressistes et ce qui est censé incarner la gauche n’a pas fait beaucoup mieux. Ces forces auraient dû y consacrer toute leur attention. Au lieu de cela, elles se laissaient distraire pour redéfinir leur opposition à la suprématie blanche dans une forme d’opposition facile et virant au grotesque, une opposition contre les forces marginales des néo-nazis. Les progressistes débattaient ainsi de la violence des antifas. Alors que l’hypocrisie est parvenue à se réconcilier avec le libéralisme, ils ne remarquaient même pas que leurs préoccupations sur la violence des antifas étaient en contradiction avec leur soutien aux violentes interventions que l’Etat US a menées dans des endroits comme la Libye ou la Syrie. Donc, pour ces mouvements-là, la guerre et la violence sont devenues normales, sauf si elles sont exercées par des forces non-autorisées comme les populations opprimées, les antifas ou les nations dans le viseur de l’impérialisme US. Dans ce cas-là, ils s’opposent à la violence. Pourquoi s’embarrasser avec la guerre et le militarisme? Et voilà comment les positions anti-guerre et anti-impérialiste n’ont pas été intégrées à l’anti-trumpisme.
Les Démocrates se moquent des gens lorsqu’ils prétendent, au moment opportun, qu’ils vont s’opposer à l’augmentation des dépenses militaires. Leurs critiques sur le caractère belliqueux et dangereux de Trump sonnent faux. Autrement, ils n’auraient pas rejoint les Républicains pour soutenir l’augmentation des dépenses militaires.
En fait, les deux partis soutiennent le militarisme parce que les deux partis soutiennent les intérêts de l’oligarchie. Et l’oligarchie ne s’intéresse qu’à une chose: maintenir l’empire.
Et pour maintenir l’empire, ils sont prêts à se battre jusqu’à la dernière goutte de notre sang. Mais nous avons une surprise pour eux.
Ajamu Baraka is the national organizer of the Black Alliance for Peace and was the 2016 candidate for vice president on the Green Party ticket. He is an editor and contributing columnist for the Black Agenda Report and contributing columnist for Counterpunch magazine.
Source originale: Counterpunch
Traduit de l’anglais par Investig’Action
Source: Investig’Action
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