Le gouvernement colombien a pris la décision de céder l’usage de sept bases militaires colombiennes aux forces armées des États-Unis dont la finalité avouée serait de lutter contre le trafic de drogue et le terrorisme. Cet accord militaire a déclenché une crise diplomatique majeure en Amérique latine. Loin de n’être qu’une crise de plus, elle pourrait bien être celle de trop. Rappelons que la décision de M. Zelaya (Président légitime de la République du Honduras) de transformer la base militaire de Soto Cano en aéroport civil a joué le rôle de détonateur dans le coup d’État militaire qui a frappé le Honduras le 28 juin 2009.
I. Les raisons de la colère
Lors du dernier sommet de l’UNASUR [1] qui s’est réuni le 13/09/2009, le président colombien A. Uribe a été battu en brèche à des degrés divers par ses homologues du Venezuela, de Bolivie, du Nicaragua ,du Paraguay, d’Argentine, du Brésil et d’Uruguay. L’enjeu de cette réunion extraordinaire était d’interroger le gouvernement colombien sur le processus de militarisation en cours dans son pays. La coopération militaire entre les États-Unis et la Colombie s’est en effet vue entérinée par la mise à disposition de 7 bases militaires colombiennes à l’armée états-unienne.
Qu’il soit tantôt perçu comme une erreur politique d’envergure tantôt comme une menace par les membres de l’UNASUR ou même les deux à la fois, le gouvernement colombien apparaît désormais aux yeux de tous comme le satellite du Département d’État à la Défense.
L’objectif évidemment inavoué est de supplanter le démantèlement en cours de la base nord-américaine située à Manta (Équateur), celle-ci ayant été prévue par le Président R. Correa dès son élection en 2006. Cette base avait été installée en 1999 pour 10 ans, mais dès 2006, il fut attesté que les principales activités des militaires étaient le contrôle migratoire et l’appui logistique à la « guerre sale » en Colombie. L’illégitimité de cette base est stipulée par l’article 5 de la Constitution équatorienne. [2]
Parmi les opposants à cet accord, l’inquiétude est grande de voir s’accentuer les interventions militaires états-uniennes dans la région par le déploiement du « Commando Sud » [3] qui, dans le cadre du SIAD (Système inter-américain de défense), est susceptible de provoquer selon l’avocate Eva Golinger, une « déstabilisation des régimes progressistes latino-américains ». [4]
Mais, cette coopération apparaît aux yeux de beaucoup comme un leurre. Selon Carlos Gaviria, qui aspire de nouveau à briguer la présidence colombienne sous l’étiquette du Pôle démocratique alternatif (PDA) aux élections de 2010 :
« La souveraineté colombienne est fanée. Nous livrons notre souveraineté. Nous nous comportons comme un sujet des États-Unis ». [5]
R. Correa qui est également l´actuel président pro tempore de l’UNASUR, a lui-même averti que, même s’il existait un contrôle local sur ces bases, il serait impossible de déterminer ce que feraient les avions, les embarcations ou les troupes terrestres étrangères lorsqu’elles en sortiraient pour accomplir une mission déterminée.
La militarisation de la région andine est un processus qui s’auto-justifie en permanence faute de légitimité; elle se décompose en trois phases :
- La dépendance technologique et financière de l’armée colombienne à l’égard des États-Unis basée sur un besoin de maintenance, d’équipement, de stratégie militaire.
- Les opérations clandestines de la « guerre sale » effectuées par des paramilitaires et des mercenaires au long cours.
- L’installation de bases militaires et d’équipements de télécommunications dépassant le budget du pays concerné et nécessitant donc la présence d’experts Nord-Américains et d’un effectif militaire conséquent.
II. Les conséquences humaines
Un sentiment d’abandon touche toutes les classes populaires. Les paysans, les organisations syndicales mais aussi les intellectuels, les universitaires craignent de voir leur lutte passée et présente anéantie par l’incurie du gouvernement colombien. Le peuple se voit alors ravalé au rang de laissé-pour-compte par un État démissionnaire subjugué, au premier sens du terme, par le Département de la défense états-unien.
L’organisation internationale de défense des droits des syndicats et des paysans, Vía Campesina, voit également d’un très mauvais œil l’installation de ces bases :
« Ces bases représentent une menace contre le peuple et ses organisations de base car elles vont constituer de nouveaux foyers de guerre et provoquer la régionalisation de celle-ci. »
La Colombie est plongée dans une violence rendue au fil des ans presque ordinaire par les paramilitaires qui, dans le cadre de la politique de « sécurité démocratique » initié en 2007 se sont vu tacitement donner carte blanche.
Dans son rapport publié en avril 2008, Amnesty international dénonçait déjà l’hypocrisie politique militaro-sécuritaire menée par le gouvernement colombien :
« Les forces de sécurité utilisent notamment des groupes paramilitaires comme couverture pour mener leur « sale guerre », et cherchent à améliorer leur image en termes de droits humains en niant catégoriquement que ces paramilitaires agissent avec leur accord ou leur soutien ou, comme c’est pourtant souvent le cas, sous leur coordination. » [6]
Dans un reportage réalisé par le journaliste colombien Jorge enrique Otero, diffusé sur la télévision cubaine le 09/09/2009, le constat est proprement accablant.
En premier lieu pour le peuple colombien. En effet, les familles paysannes seront contraintes à l’exil et forcées d’abandonner leur terre et de vivre dans des conditions inhumaines dans les montagnes alentour comme plus d’un million de personnes depuis 2002. Margarita Palacios fait partie de ces populations déplacées, cela fait quatre ans qu’elle survit loin de ses racines depuis le jour où elle dut partir avec ses quatre enfants, alors que les premières factions de l’armée états-unienne arrivaient.
III. La Colombie, bras armé de Washington ?
Cette décision de livrer en pâture la souveraineté nationale ne peut qu’entériner le processus de guerre en cours depuis le premier mandat d’A. Uribe (2002-2006) ; cela ne peut que nouer le bâillon sur la bouche de ceux qui se battent pour que cesse enfin le terrorisme d’État et la violation des droits humains en Colombie.
Dans une interview réalisée par la journaliste Sara Leukos et publiée le 3 septembre 2009, l’intellectuel états-unien James Petras voit dans cette ingérence la continuité du processus colonial :
« L’espace militaire stratégique est contrôlé par les États-Unis et, en ce sens la colonisation militaire est très avancée. Sur le plan économique, ils ont pénétré tous les secteurs les plus importants : le charbon, le pétrole et d’autres secteurs stratégiques de l’économie. Entre le contrôle militaire et l’influence économique, il ne faudra pas longtemps pour que la politique colombienne ne soit complètement subordonnée au bon vouloir de l’empire. » [7]
Auparavant, le 01/01/2008, le Pentagone avait réinstallé la quatrième flotte dans la région, créée en 1943 afin de protéger les navires dans l’Atlantique Sud. Cette structure avait été abolie en 1950, sa réactivation s’inscrit dans ce contexte. Aux trois bases aériennes situées à Malambo, dans le département de l’Atlantique, Palanquero dans la région de Cundimarca et Apia dans la région de Meta, s’ajouteraient 12 stations radars et les bases navales de Cartagena et du Pacifique ainsi que les camps d’entraînement de Tolemada et la base de Larandia, dans le Caqueta qui, à elle seule, s’étend sur 40 000 hectares et permet le contrôle de toute la zone frontalière avec le Pérou et l’Équateur.
Dès lors l’affirmation du président colombien d’un accord à visée seulement interne et d’un « accord militaire humanitaire » ne convainc personne, à commencer par les gouvernements de la région qui ne souffrent plus les expressions oxymoriques de ce genre.
Tandis que le 4 août 2009, une grande manifestation s’est déroulée sur la frontière colombo-vénézuélienne où se sont retrouvés des paysans et des élus du PSUV [8] pour protester contre l’installation de ces bases, la droite latino-américaine, quant à elle, voit dans cette présence militaire états-unienne un appui à ses visées déstabilisatrices et putschistes.
La Colombie n’a pas besoin de plus de militarisation, le fiasco du plan Colombie initié par B. Clinton, précédente version de cette intervention états-unienne, le démontre. Cet accord suppose donc l’aggravation de la barbarie colombienne.
La faiblesse de l’argumentation pour justifier cet accord n’a d’égale que la force de la réalité. Les conséquences prévisibles, parce que déjà constatées par le passé, seront, selon de nombreux spécialistes, désastreuses.
Le ministre de la défense colombien, Gabriel Silva, a prévenu dans le journal équatorien La Hora du 14/09/09 que si le narcotrafic et la lutte contre le terrorisme ne sont pas au centre des préoccupations de l’UNASUR, la Colombie pourrait bien en sortir et que « la nature de cet accord ne fera l’objet de débat que lorsque les pactes militaires des autres nations membres seront transparents ».
Le Chef d’État colombien a beau faire la sourde oreille, personne n’oublie que le danger de l’extra-territorialité de la guerre dont le dernier exemple fut le bombardement du camp équatorien de Raul Reyes, n°2 des FARC [9], le 01/03/08, est permanent. Personne n’oublie le rôle des interventions militaires états-uniennes au Guatemala, dans les îles Malouines, au Chili, au Nicaragua, à Cuba où les bases militaires ont servi de plateforme aux contre-révolutionnaires.
Le statu quo des discussions, dû au silence du gouvernement colombien et l’attitude indifférente des États-Unis à ce sujet est une embûche de plus sur le chemin de la paix de l’Amérique latine et Washington semble soutenir la Colombie et son peuple comme la corde soutient le pendu.
C’est ce qu’a déclaré l’historien Hector Soto dans l’émission quotidienne « en contacto » diffusée sur la télévision vénézuélienne :
« Avec ces accords militaires du Président Barack Obama, on rompt avec la belle idée d’une « ère différente » où les États-Uniens changeraient leur politique extérieure. En réalité, les États-Unis renouent avec leur politique militariste. » [10]
Sauf à espérer que le prix Nobel de la Paix reçu par Barack Obama agisse comme une épée de Damoclès au dessus de son image internationale, la lutte des peuples latino-américains pour leur souveraineté et pour une indépendance effective de toutes les nations de la région n’est, hélas, pas terminée.
Source: Alterinfos.org
Notes
[1] L’Union des Nations sud-américaines est une organisation supranationale économique et politique. Elle a été créée le 23/05/2008 lors d’un sommet à Brasilia.
[2] Art.5 : « L’Équateur est un territoire de paix. L’implantation de base militaires étrangères et les installations à vocation militaire y sont interdites »
[3] Le « Comando Sud » était initialement basé au Panamá, il fait partie des commandos unifiés des États-Unis déployés dans le monde entier sur des zones géographiques jugées prioritaires.
[4] Golinger, Eva, Code Chávez – CIA contre Venezuela, Ed. Oser dire, Bruxelles, 2006.
[5] www.latinreporters.com/colom….
[6] www.pcv-venezuela.org.
[7] www.aporrea.org/tiburon/n141….
[8] Parti socialiste uni du Venezuela.
[9] Forces armées révolutionnaires de Colombie.
[10] www.ain.cubaweb.cu/…/10edc….