Premier article d’une longue série sur l’écologie du mouvement : l’écomotricité. Réflexions sur les limites soutenables des capacités de production de la force motrice dans tous les secteurs « sport, travail, enseignement ».
On parle beaucoup d’empreinte écologique, de biodiversité, de gaz à effets de serre, de soutenabilité et du bouleversement catastrophique du milieu naturel.
Aucun groupe politique, aucune organisation sociale n’ignorent la question écologique.
On parle beaucoup de croissance toxique et de productivité insoutenable pour l’empreinte écologique, la biodiversité et l’atmosphère.
Mais personne à aucun moment ne remet en question le système dominant qui pousse « les forces motrices » – c’est-à-dire dire les hommes — à produire de façon insoutenable. C’est tout le contraire qui se produit aujourd’hui puisqu’on demande à ces forces motrices de produire plus, plus vite et plus longtemps, comme s’il « n’y avait pas de corrélation entre leur activité, leur mode de production, la santé et l’environnement ».
Les chiffres du productivisme sur la santé des travailleurs sont inquiétants.
En effet, « pour la première fois en 2015, les dépenses liées à l’incapacité de travail dépassent celles du chômage. »
Pire, on parle même de manque à gagner pour les entreprises et l’industrie, voire de coûts pour la croissance et le PIB quand ces forces motrices sont à l’arrêt pour cause de maladies, de stress, de burn-out.
« Selon l’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité), le stress coûte entre 0.8 et 1.6 milliard d’euros par an, en France. À l’échelle de l’Europe, selon plusieurs instituts de recherche, ce coût serait de l’ordre de 20 milliards d’euros par an. » (1)
La servitude imposée aux « forces motrices » va même jusqu’au contrôle de leur aptitude à la production avec l’aide d’organismes médicorépressifs. Une série de tests d’évaluation leur sont imposés pour vérifier leur capacité ou leur incapacité à produire en cas d’arrêts pour cause de maladie.
Quand la pression insupportable et insoutenable exercée sur les forces motrices altère leur capacité de régénération et force un temps d’arrêt pour cause de maladie, c’est tout le système qui crie au scandale et au manque à gagner pour l’industrie et pour la croissance.
Il faut en permanence rentabiliser les « forces motrices » puisque la production ne peut souffrir de contretemps même si celle-ci obère l’avenir et la santé de l’homme et de son environnement.
Si nous nous posons la question essentielle d’une croissance toxique et d’une insoutenabilité du productivisme sur l’empreinte écologique, la biodiversité et l’environnement, nous devons nous poser la même question sur la soutenabilité de l’énergie déployée par les « forces motrices ». Et nous devons tenir compte de l’altération de leur écosystème, c’est-à-dire de leur enveloppe corporelle et de leur plasticité.
L’objectif de cette réflexion est d’améliorer l’ergomotricité du producteur dans le monde de l’éducation, dans le monde du travail et dans le monde du sport tout en veillant à diminuer la pression imposée à ces « forces motrices » puisque les mêmes causes produisent les mêmes effets sur l’homme et son environnement.
Le productivisme, la compétitivité et la position concurrentielle, pierre angulaire de notre système de croissance dominant, sont totalement contre-productifs.
Pour Albert Jacquard, la compétition est le pire des systèmes, c’est un combat à mort de tous contre tous »
Ce système est dans une impasse, il n’a plus rien à voir avec un progrès mondial.
Une croissance intelligente et soutenable ne doit pas dégrader le capital humain de la même façon qu’elle ne doit pas dégrader le capital naturel que représente l’environnement.
Certains diront que ceci est faux puisque l’homme vit plus longtemps et que c’est le progrès qui rend possible la longévité.
À grand renfort de budget public, la propagande bat son plein. En pleines pages dans de grands quotidiens et hebdos (au total on parle d’une campagne coûtant de 5 à 8 millions d’euros), le gouvernement enfonce le clou : « espérance de vie en France, 1950 : 66 ans, 2010 : 81 ans… ».
Mais la riposte est on ne peut plus claire et les arguments ne manquent pas pour contredire les affirmations qui prônent le maintien des « forces productives » prisonnières du mode de production.
Ce n’est pas le mode de production — il se dégrade en permanence et exerce toujours plus de contraintes sur les hommes et leur environnement — qui permet de vivre plus longtemps, ce sont au contraire les acquis sociaux et la sécurité sociale, c’est à dire le mode de protection sociale des hommes. Et c’est justement ce qu’on détruit actuellement à toute vitesse qui a rendu le progrès possible.
« On vit plus longtemps. C’est un progrès, pas une contrainte. Ce progrès est le produit de la conquête, par les salariés, des systèmes de protection sociale. On vit plus longtemps parce que l’on peut mieux se soigner dès le plus jeune âge et parce que, grâce aux systèmes de retraites, l’on n’est plus obligé de travailler jusqu’au bout pour survivre et le temps de travail a été fortement réduit. »
Dans de nombreux pays où il n’y a, malheureusement, ni protection sociale ni retraite, l’espérance de vie est beaucoup plus faible : 53 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes en Afrique ! C’est d’ailleurs pourquoi FO, avec la CSI (Confédération syndicale internationale), se bat pour l’instauration d’un plancher de protection sociale universel. »
Ne pas confondre progrès technique et progrès humain, c’est-à-dire contrainte et servitude, avec travail émancipateur pour le bien collectif et le mieux-être collectif. Ni produit intérieur brut et bonheur intérieur brut.
Aujourd’hui, le progrès technique ne remet pas en question la servitude, la domination et l’aliénation au mode de production, au contraire puisque le progrès technique est mis au service de l’exploitation.
Un système de travail soutenable désigne « un système qui doit être en mesure de reproduire et développer toutes les ressources et composantes qu’il utilise. » Il s’agit de trouver des alternatives aux systèmes intensifs de travail qui augmentent les rythmes et la charge de travail, et raccourcissent les délais. »
Le progrès technique doit impérativement servir le progrès émancipateur du producteur et la soutenabilité des « forces motrices », donc se préoccuper du bien-être et de la santé du travailleur, augmenter la bienveillance et le bonheur intérieur brut.
Le progrès doit donc servir la régénération de l’empreinte écomotrice en allégeant la charge et la pression qui pèse sur le dos du producteur, permettant en conséquence d’alléger la charge qui pèse également sur nos écosystèmes et notre environnement.
Note:
Source: Investig’Action