Moins d’une semaine après le test de missiles par la Corée du Nord, qui a déclenché une explosion d’avertissements théâtraux sur la convergence de la menace contre les Etats-Unis et leurs alliés de la part d’un « dictateur imprévisible » [1] qui « accumule les armes les plus dangereuses du monde » (pourtant bien loin des quantités de celles des Etats-Unis ou des autres membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies), « l’Inde a testé pour la première fois un missile à longue portée de capacité nucléaire. » [2]
En ces jours de missile-mania, vous imaginez peut-être que le Conseil de sécurité de l’ONU allait prendre immédiatement des mesures pour adopter une résolution condamnant cet acte.
Et finalement, c’est ce qu’il fit contre la Corée du Nord après que le pays ait lancé quelques missiles, si peu menaçants, que « les responsables américains n’ont jamais estimé comme une menace sérieuse ». [3]
Pyongyang, qui vit depuis longtemps sous l’épée de Damoclès nucléaire US, s’est vue intimer l’ordre en termes clairs d’abandonner son programme nucléaire. Et tous les autres pays ont reçu l’ordre de cesser tout commerce à de produits relatifs à la production de missiles avec la RPDC.
Le Conseil de sécurité qui s’érige en professeur de la non-prolifération a gardé le silence sur le test de missile de l’Inde. Pis, l’administration Bush a annoncé des plans de signature d’un traité avec New Delhi pour autoriser le transfert de technologies nucléaires US à l’Inde, même si l’Inde refuse de signer le Traité de non-prolifération nucléaire. [4]
Le crédule a reçu l’assurance que le transfert de technologie servirait uniquement à des objectifs civils, et même si vous croyez à cette garantie creuse, il reste la simple question d’expliquer comment on peut transférer des technologies nucléaires à un pays qui refuse de renoncer aux armes nucléaires, alors qu’en même temps, l’Iran, qui a signé le Traité de non-prolifération, est banni, démonisé et menacé alors qu’il cherche à développer son industrie civile nucléaire.
Il est intéressant de relever que les Etats-Unis voulaient entièrement mettre la main sur l’énergie nucléaire en Iran quand le Shah pro-US était au pouvoir et que les profits allaient être récoltés par un consortium de sociétés américaines dirigé par Westinghouse. [5]
La simple explication à cette incohérence peut être brossée ainsi :
A. L’Iran a des quantités de pétrole, mais ne semble pas du tout disposé à en céder des concessions aux sociétés pétrolières états-uniennes ou britanniques. De plus, son indépendance face au contrôle et à la domination US contrarie les plans US de contrôler l’Asie occidentale, le robinet pétrolier du monde.
B. L’Inde n’a pas beaucoup de pétrole, mais elle se situe à la porte de la Chine, un pays dont les Etats-Unis aimeraient beaucoup arrêter suffisamment la croissance afin qu’il ne défie pas leur primauté. Le New York Times estime ainsi de manière significative que la portée de l’Agri 3, le missile testé par l’Inde, « pourrait atteindre… les principales villes de Chine ». [6]
Le Japon, comme l’Inde, fait partie des plans de Washington visant à encercler un concurrent émergent avec des chiens d’attaque sur commande. Il a ajouté ses propres fulminations aux tirs de missiles de la Corée du Nord, utilisant cet événement pour justifier son avancée continuelle vers le militarisme entamée depuis longtemps, cette fois sous l’aile de son patron, les Etats-Unis.
Fukushiro Nukaga, patron de l’agence de défense du pays, a été jusqu’à songer publiquement à « acquérir la capacité militaire de mener des attaques préventives ». [7]
Shinzo Abe, le porte-parole du premier ministre et qui pourrait être le successeur du premier ministre Koizumi, a laissé courir « l’argument selon lequel attaquer la base de lancement de missiles (nord-coréens) pourrait cadrer dans le droit légal à l’autodéfense ». [8]
L’hystérie est en place. Elle donne le prétexte dont a besoin l’élite économique japonaise pour faire sauter les limites de la constitution anti-militariste du pays et aux Etats-Unis pour poursuivre « la fin de la Corée du Nord » ce que John Bolton, l’ambassadeur US à l’ONU, a décrit un jour comme étant la politique de Washington envers Pyongyang. [9].
Au coeur de l’hystérie, on retrouve l’idée, sans l’ombre d’une preuve, ni même un élément de crédibilité, à savoir que les tests de tirs de la Corée du Nord signifieraient que le pays ait l’intention d’attaquer les Etats-Unis et le Japon.
Ou bien est-ce Montréal ?
Le National Post canadien, un des quotidiens les plus cinglés de la planète, a même prétendu que la Corée du Nord représente un immense danger pour le Canada. De crainte d’attaques de représailles dévastatrices, Pyongyang n’enverra jamais un missile d’attaque en direction d’une ville américaine. Mais elle ciblera plutôt Montréal.
Le New York Times, à peine mieux, ajoute sa contribution à la campagne de parano envers la Corée du Nord. « Les responsables des renseignements américains, avertit le journal dans son édition du 19 juin, estiment qu’une version à trois étages du missile Taepodong 2 de la Corée du Nord pourrait atteindre l’ensemble des Etats-Unis. »
Course à la manchette. Et tant que vous y êtes, conseillez à votre tante d’avoir la sagesse de faire des contrôles réguliers sur le cancer des testicules, maintenant qu’elle a les boules… Alors qu’une version à trois étages du Taepodong 2 pourrait être capable d’atteindre le continent des Etats-Unis, elle n’a jamais été testée et n’est pas sur les rampes de lancement.
Au lieu de cela, il s’agissait d’une version à deux étages que les Nord-Coréens ont testée, version qui ne peut atteindre le continent américain. Et même si elle le pouvait, cela ne signifie pas qu’elle serait utilisée comme arme de première attaque. Tout revolver d’un officier de police peut vous faire exploser la tête. Cela signifie-t-il que vous deviez vous balader en rue avec un bazooka, prêt à lancer une attaque préventive sur tout policier qui passe à proximité ? Pourquoi alors le New York Times attire-t-il l’attention sur la portée d’un missile qui n’a jamais été testé et n’a jamais été lancé ?
Il est sûr que les pays n’acquièrent pas des armes sans reconnaître qu’un jour elle pourraient avoir à les utiliser (ou, du moins, envisager le cas où ils devraient les utiliser si nécessaire.)
Mais les armes peuvent servir à deux fonctions. Elles peuvent être utilisées comme instruments de dissuasion. Il y a probablement peu de moments dans l’histoire où les intentions agressives ont été exprimées comme quand Madeleine Albright, alors ambassadeur des USA à l’ONU, a demandé à Colin Powell : « A quoi bon avoir ces superbes armes dont vous nous parlez toujours si nous ne pouvons pas les utiliser ? » [10]
Vous pouvez être pratiquement sûr que la Corée du Nord n’a aucune intention d’utiliser ses armes nucléaires rudimentaires (pour autant qu’elle en ait effectivement) et sa technologie de missiles de base pour déclencher une guerre. La Corée du Nord est faible, et les faibles ne déclenchent pas de guerre. Sa force aérienne ne peut voler par manque de fuel. Sa marine est rudimentaire et construite pour l’autodéfense. Et alors qu’elle dispose d’une vaste armée, la moitié de son personnel est engagé dans la construction et l’agriculture. Le budget militaire de la Corée du Sud est de plusieurs fois plus important. Et le Nord n’a pas de superpuissance militariste derrière lui.
De plus, avec une propagande si évidente, la description de Washington et Tokyo de la Corée du Nord comme une menace d’agression pourrait être un cas d’école du concept freudien de projection.
Sachant que la péninsule coréenne a été attaquée, bombardée, occupée et colonisée par deux pays successifs, c’est évident où l’histoire des agressions se situe.
C’est au point que les Etats-Unis ont ravivé la doctrine nazi de guerre préventive, attaqué et occupée trois pays depuis 1999, déclaré virtuellement la guerre en désignant la Corée du Nord comme part de l’« axe du mal ». Ils ont aussi rejeté les supplications de Pyongyang d’établir des pourparlers bilatéraux, de normaliser les relations et de signer un traité de paix (« Nous ne faisons pas de pactes ou de traités de non-agression, des choses de ce genre », a déclaré un jour l’ancien Secrétaire d’Etat Colin Powell [11]). Ce serait dès lors une grosse inversion de la vérité de déclarer la Corée du Nord et non les Etats-Unis comme l’agresseur.
Et si même l’imprévisible Corée du Nord lançait un missile sur le Japon ou les Etats-Unis – en admettant que la plus surréaliste des possibilités évoquée régulièrement par les médias US aurait plus de substance que les contes de fées, que se passerait-il ? Les Etats-Unis et le Japon allègeraient-ils, lèveraient-ils les sanctions et normaliseraient-ils les relations ?
Raisonablement – et je dis raisonnablement, parce qu’on peut toujours compter les Etats-Unis pour faire quelque chose selon deux poids, deux mesures – au moment même que l’alarme-o-mètre est passé au code rouge pour quelques missiles nord-coréens, l’Armée de l’Air US a lancé quelques-uns de ses propres missiles Minutemen III. L’un a « volé durant 4.800 miles au milieu du Pacifique, et trois missiles tests sont retombés près des Iles Marshall ». [12]
Il n’y a pas beaucoup de noir et blanc, mais il est évident qu’il n’y a la moindre illégalité ou menace dans les lancements de missile par la Corée du Nord.
C’est également clair que le Conseil de sécurité de l’ONU a agit en tant que comité d’approbation de la politique étrangère des Etats-Unis et de maintien de la domination des grandes puissances sur les faibles. Le but du Conseil de sécurité de l’ONU est de matraquer les pays pauvres pour les écraser afin qu’ils s’ouvrent au maximum à l’exploitation.
Ainsi, bien que l’Iran agisse dans les limites du droit international, on lui dénie le droit souverain à l’énergie nucléaire civile, parce que Washington en a décidé ainsi et qu’il est parvenu à séduire, à faire chanter et à faire pression sur les autres membres détenant un droit de veto pour qu’ils coopèrent.
La Corée du Nord ne peut avoir le droit souverain de se défendre, parce que Washington veut liquider le régime anticolonial, anti-impérialiste du pays, pour le remplacer par le genre de régime fantoche néolibéral qu’elle a installé en Serbie, Irak et Georgie et si elle le pouvait, à Cuba.
Rappelons que Paul Bremer, le proconsul US en Irak, a publié quatre ordres avant de quitter le pays et de céder nominalement la souveraineté aux politiciens irakiens : « la totale privatisation des entreprises publiques, le droit de propriété complet pour les sociétés étrangères sur le marché irakien, le rapatriement complet des bénéfices étrangers… l’ouverture des banques irakiennes au contrôle étranger, l’accès national aux sociétés étrangères et… l’élimination de pratiquement toutes les barrières douanières. » [13]
« Les grèves sont effectivement interdites dans les secteurs-clé et le droit syndical réduit. Une taxe régressive élevée sur les appartements… a été aussi imposée. » [14]
En Géorgie, les Etats-Unis ont formé Mikhail Saakashvili, qui a dirigé les prétendues forces « prodémocratiques » dans la première révolution colorée et « s’est lancé dans une frénésie de privatisations, vendant le secteur énergétique du pays ainsi que l’industrie hydroélectrique ». [15]
Saakashivili envisage que l’OTAN devienne « une alliance qui joue un rôle stratégique dans le Caucase, ce qui servirait les intérêts occidentaux dans la course pour les ressources pétrolières et gazières et procurerait un équilibre à côté du Moyen-Orient ». [16]
Tout comme concernant Cuba, la Commission de Washington pour l’Assistance à Cuba libre propose de privatiser tous les secteurs de l’économie post-Castro de Cuba, y compris les soins de santé et l’éducation.
Si les Etats-Unis liquidaient le régime de Corée du Nord, cette fin signifierait la conversion forcée du pays vers un programme d’absorption du surplus de capital US.
A part la façade qui cache tant d’intérêts des grandes puissances, la législation internationale n’existe pas et n’a jamais existé.
Ce qui existe, c’est la « loi de la jungle », une loi qui opère selon un principe : « Vous êtes arriéré, vous êtes faible. C’est pourquoi vous avez tort. Dès lors, vous pouvez être frappé et réduit en esclavage. Vous êtes fort, c’est pourquoi vous avez raison. Dès lors, nous devons nous méfier de vous. » [17]
La réaction de la Corée du Nord à la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, qui exige qu’elle abandonne son programme nucléaire et ses missiles, ce qui ouvre la voie pour les Etats-Unis à une invasion, a été de rejeter la résolution et de redoubler sa résolution de lutter par elle-même contre les prédations de la loi de la jungle.
Pyongyang a déclaré que « seul le fort peut defender la justice… là où la loi de la jungle prévaut » et que « ni l’ONU, ni quiconque ne peut nous protéger ». L’histoire, dit-il, montre « que seul un pays avec une force puissante peut défendre sa dignité nationale, sa souveraineté et son indépendance. » [18]
1. C’est un pratique journalistique courante de qualifier le dirigeant de la Corée du Nord Kim Jong Il comme imprévisible, sinon insensé, pour prétendre en même temps que le pays se prépare à l’acte irrationnel et insensé d’attaquer les Etats-Unis, une provocation qui entraînerait son anéantissement instantané sous une pluie de missiles nucléaires US. « Prévoir les intentions… de Kim Jong Il est un défi pour les diplomates depuis des années », déclare le New York Times dans son édition du 19 juin 2006. C’est davantage un commentaire inattendu sur la perspicacité des diplomates que sur la santé mentale de Kim.
(Stephen Gowans, 19 juillet 2006]
Traduction: Catherine Dijon
[1] C’est un pratique journalistique courante de qualifier le dirigeant de la Corée du Nord Kim Jong Il comme imprévisible, sinon insensé, pour prétendre en même temps que le pays se prépare à l’acte irrationnel et insensé d’attaquer les Etats-Unis, une provocation qui entraînerait son anéantissement instantané sous une pluie de missiles nucléaires US. « Prévoir les intentions… de Kim Jong Il est un défi pour les diplomates depuis des années », déclare le New York Times dans son édition du 19 juin 2006. C’est davantage un commentaire inattendu sur la perspicacité des diplomates que sur la santé mentale de Kim.
[2] New York Times, 10 juillet 2006.
[3] New York Times, 5 juillet 2006.
[4] New York Times, 10 juillet 2006.
[5] Washington Post, 25 mars 2005.
[6] New York Times, 10 juillet 2006.
[7] New York Times, 11 juillet 2006.
[8] Ibid.
[9] Interrogé par le New York Times à propos de la politique US envers la Corée du Nord, Bolton « s’est dirigé vers une bibliothèque, a sorti un volume et l’a jeté sur la table. Il était intitulé ‘La fin de la Corée du Nord’ (‘The End of North Korea’). ‘ C’est ça’, dit-il, ‘notre politique.’ » New York Times, 2 septembre 3003.
[10] Documentaires BBC 4. Colin Powell : Profil
[11] New York Times, 14 août 2003.
[12] Workers World, 5 juillet 2006.
[13] A. Juhasz, “Ambitions of Empire : The Bush Administration Economic plan for Iraq (and Beyond ?)”, Left Turn Magazine, 12 (février-mars 2004), 27-32, cite par David Harvey, A Brief History of Neoliberalism, Oxford University Press, 2005, p. 6.
[14] Harvey, p 6.
[15] International Herald Tribune, 5 juillet 2006.
[16] New York Times, 17 juillet 2006.
[17] Joseph Staline, Problèmes du léninisme, International Publishers, 1934.
[18] KCNA, 16 juillet 2006.