Les 27 États membres n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur un éventuel assouplissement de l’embargo européen sur les armes lors du Conseil des Affaires étrangères de l’UE du 27 mai. La conséquence de ce désaccord n’est pas des moindres : elle implique la levée totale de l’embargo actuel sur les armes destinées à la Syrie.
La levée de l’embargo européen sur les armes destinées à la Syrie: quelles implications ?
En conséquence, la question qui se pose désormais est de savoir si cette levée d’embargo implique que les États européens pourront effectivement, et de manière légitime, livrer des armes et du matériel militaire à la rébellion syrienne, à partir du vendredi 31 mai, à minuit.
Tout d’abord, les États membres de l’UE se sont engagés à ne pas transférer d’équipement militaire avant le 1er août 2013. Pourquoi alors ne pas avoir prolongé l’embargo jusqu’à cette date ? William Hague, le chef de la diplomatie britannique, soutenu par la France, a déclaré que la levée de l’embargo permettrait notamment d’accroître la pression sur le régime de Bashar Hafez al-Assad. Selon lui, le message de l’Europe est désormais très clair: si le régime refuse toute solution négociée et continue de violer les règles les plus élémentaires du droit international humanitaire et des droits de l’homme, les États européens pourraient armer les rebelles. Jusqu’au mois d’août, la levée de l’embargo fonctionnerait donc principalement comme un moyen de pression, avec pour objectif d’inciter à la résolution politique de ce conflit sanglant.
Les 27 États de l’Union européenne se sont également imposé plusieurs conditions pour d’éventuels transferts d’armes vers la Syrie. Premièrement, des armes peuvent être envoyées uniquement à la Coalition nationale. Deuxièmement, tout transfert doit avoir pour objectif la protection des civils. Troisièmement, il faut s’assurer de l’identité du destinataire et de l’utilisateur final. Enfin, chaque licence doit être évaluée au cas par cas, eu égard à la Position Commune de l’UE réglementant les exportations d’armes. Au vu de ces conditions contraignantes, même si l’embargo sera bientôt levé, il restera difficile, notamment pour la France et le Royaume-Uni, de justifier l’envoi de matériel militaire vers la Syrie.
Le plus grand défi, pour les États membres qui souhaiteraient armer l’opposition syrienne, restera de prouver que le transfert d’armes vers la Syrie respecte les critères de la Position Commune. Une lecture attentive de ce document européen contraignant mène à la conclusion que les États européens doivent refuser d’exporter des armes notamment lorsqu’il existe un risque manifeste que ces armes soient utilisées lors de flagrantes violations du droit humanitaire ; lorsqu’elles peuvent prolonger ou aggraver le conflit armé ; et lorsqu’il existe un risque manifeste que ces livraisons d’armes mettent en danger la paix, la sécurité et la stabilité régionale. Dès lors, une interprétation stricte de la Position Commune permet de conclure – au vu de la situation chaotique actuelle en Syrie – que les États membres européens doivent s’abstenir de toute livraison d’armes.
En ce qui concerne les trois autres conditions que se sont imposées les États européens, il y a également des problèmes pratiques qui limitent de manière importante la possibilité d’armer l’opposition syrienne. D’une part, on peut se poser la question de savoir comment un État exportateur pourrait s’assurer que les armes soient uniquement utilisées par des membres de l’opposition qui appartiennent à la Coalition nationale, reconnue aujourd’hui comme le principal interlocuteur officiel de l’Europe. D’autre part, les rapports de l’ONU et de plusieurs instituts de recherche témoignent de la difficulté pour cette Coalition nationale de garantir un stockage adéquat du matériel militaire et d’éviter une prolifération et circulation incontrôlées des armes dans le pays. Enfin, il a été établi clairement que l’opposition syrienne – bien que ce soit à plus petite échelle que le régime de Assad – se rend aussi coupable de torture, massacre, viol et autres violations graves du droit humanitaire. Un État européen ne peut donc nullement garantir que des armes envoyées aux rebelles ne soient utilisées pour de pareils actes condamnables.
De plus, il existe un risque avéré de dégradation de conflit, tant au niveau interne que régional, voire international. Tout d’abord, parce que – comme nous le constatons déjà aujourd’hui – les armes pourraient bientôt se trouver dans les pays voisins. En outre, il est fort probable que si l’Europe commence à armer l’opposition syrienne, les alliés de Assad, tels que la Russie, l’Iran et le Hezbollah, intensifient également leurs transferts d’armes vers l’armée et les services de sécurité du régime alaouite.
A la réglementation européenne, s’ajoutent les règles de droit international qui, généralement, interdisent le soutien militaire de groupes armés engagés dans une guerre civile. Le cadre légal européen et international existant limite donc fortement les possibilités d’armer à l’heure actuelle l’opposition syrienne. La levée de l’embargo ne devrait donc théoriquement pas ouvrir les portes à des transferts d’armes importants vers la Syrie. Néanmoins, il reste à voir ce qu’il se passera effectivement sur le terrain dans les prochains mois. Parce qu’une question cruciale reste toujours sans réponse : dans quelle mesure les États européens se sentent-ils réellement liés par ces normes européennes et internationales ?