La grippe dope la santé des firmes

Les intérêts des entreprises pharmaceutiques passent avant ceux des individus, au point de creuser les inégalités en matière de santé publique. Exemple avec la grippe A.

 

L’emballement médiatique autour de l’épidémie de grippe A dans les pays occidentaux fait des heureux. Loin des préoccupations sanitaires, les marchés financiers se sont récemment félicités de la résistance des groupes pharmaceutiques à la crise. D’importants bénéfices sont déjà prévus avec la vente des vaccins contre la grippe A. Un exemple parmi d’autres, Sanofi-Aventis, sixième groupe mondial, a annoncé des résultats meilleurs que prévu au deuxième trimestre 2009. Le principal groupe pharmaceutique français a cumulé plus de 2,3 milliards d’euros de bénéfices depuis le début de l’année.

Avec Sanofi-Aventis, trois autres « Big Pharma » (le Suisse Novartis, l’Anglais GlaxoSmithKline [GSK] et l’Américain Baxter) sont engagés dans une course de vitesse pour mettre sur le marché un vaccin contre la grippe A. Ils forment le quarté gagnant des industries occidentales contactées notamment par la France. Aux États-Unis, les autorités sanitaires comptent commencer, dès la mi-octobre, une gigantesque campagne de vaccination qui cible jusqu’à 160 millions de personnes, et le gouvernement s’est empressé de commander des vaccins à cinq laboratoires, dont Sanofi, GSK et Novartis. Une manne qui fait réagir Pierre Chirac, pharmacien de santé publique et membre de la revue Prescrire : « Les pays les plus riches sont en train de préempter les commandes au détriment des pays les plus pauvres. »

Comme le remarque Dounia Hamet, secrétaire de la Fédération nationale des industries chimiques CGT, « des millions d’êtres humains meurent du paludisme, et tout le monde s’en fout. Mais quand la grippe A risque de contaminer les pays riches, alors c’est le branle-bas de combat, tout le monde s’énerve, il faut trouver un vaccin ! ». Et dans les plus brefs délais. La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a ainsi expliqué fièrement en plein mois de juillet que la France avait négocié la commande ferme de 94 millions de doses de vaccins contre la nouvelle grippe auprès des quatre Big Pharma. Les livraisons « s’échelonneront du mois d’octobre au mois de janvier », promet la ministre. Coût de l’opération : un milliard d’euros pour l’État.

« Il n’y aura pas assez [de vaccins] pour répondre aux besoins des pays pauvres au cours des prochains mois, avertit Christophe Fournier, médecin et président du conseil international de Médecins sans frontières (MSF). De plus, les pays riches d’Amérique du Nord, d’Europe et d’ailleurs se sont déjà assuré l’obtention d’au moins 90 % de la production cette année, en signant des contrats avec les principaux laboratoires. » Christophe Fournier ajoute que, « face aux besoins médicaux, les puissances financières s’imposent et permettent aux pays riches de monopoliser l’accès au vaccin avant qu’il ne soit produit ».

Les Big Pharma ne cessent de répéter que leur mission consiste à garantir l’accès à des soins de qualité pour tous. Il y a cependant deux poids deux mesures. « Peu de laboratoires s’investissent actuellement dans des maladies comme la tuberculose et le sida, souligne Louisette Charroin, responsable CFTC du secteur pharmacie. Pourtant, l’association du sida avec la tuberculose fait des ravages dans le monde. Près d’un tiers des 40 millions de personnes infectées par le virus du sida dans le monde le sont également par le bacille de la tuberculose. Cette co-infection entraîne une mortalité cinq fois supérieure à celle de la tuberculose seule. Pour ce fléau, le phénomène de diffusion mondiale est nettement plus accru qu’avec la grippe A. »
La syndicaliste critique ainsi la tendance de l’industrie pharmaceutique à « n’effectuer ses recherches que dans des domaines plus rentables financièrement et pour les populations les plus favorisées. Seul le paramètre “fort retour sur investissement” déclenchera ou non la mise sur le marché d’un produit ». Au point que l’Organisation mondiale de la santé a dû batailler ferme auprès de Sanofi-Aventis et de GSK (Novartis a refusé) pour obtenir 10 % de la production de vaccin contre la grippe A, et la destiner aux pays pauvres. Ce qui a fait dire à MSF que « les pays développés ont adopté une approche unilatérale, inacceptable face à une pandémie mondiale ».

 

Source: Politis

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