La renégociation du Traité d’Itaipu, à l’initiative du Paraguay, est une avancée majeure vers la récupération du contrôle de ses ressources naturelles. Mais cette tentative du Paraguay de rétablir sa souveraineté énergétique se heurte directement aux intérêts économiques du Brésil.
En effet, ce Traité conclu en 1973, du temps où les deux pays vivaient sous des dictatures militaires |1|, fixe l’usage des ressources hydroélectriques relevant de leur souveraineté commune au sein de l’entreprise binationale Itaipu (càd en copropriété du Brésil et du Paraguay), et est largement déséquilibré au profit du Brésil. C’est pourquoi en 2008, le gouvernement de Lugo a légitimement décidé d’entamer une renégociation avec le géant latino-américain. Le Paraguay exige entre autres la libre disposition de ses ressources hydroélectriques, un prix juste pour la vente de son électricité au Brésil et l’annulation des dettes illégitimes d’Itaipu. Sur ce dernier point, une avancée de taille : la Cour des Comptes du Paraguay (Contraloría General de la República) qui réalise un audit de la dette d’Itaipu vient de déclarer illégale une dette de plus de 4 milliards de dollars !
L’entreprise binationale Itaipu a accumulé des milliards de dollars de dettes illégitimes, imputables en grande partie au Brésil et à ses entreprises. En effet, le Brésil s’est d’emblée porté garant pour les emprunts contractés pour la construction d’Itaipu. Fin stratège, le Brésil a recouru aux emprunts internationaux dans une très mince proportion, préférant endetter l’entreprise binationale Itaipu auprès de l’entreprise brésilienne d’électricité Electrobras. Dès lors, en collusion avec cette dernière, et profitant de l’état de corruption régnant au Paraguay, le Brésil a pu fixer les conditions de prêt et l’utilisation des ressources ainsi obtenues dans des conditions qui lui étaient entièrement favorables : taux d’intérêt usuriers de 7,5%, remise par Electrobas de 85% des contrats de construction d’Itaipu à des firmes et consultants brésiliens (Camargo Correa, Andrade Gutiérrez, etc.), surfacturation des coûts, etc. Par une série de pratiques illégales, Electrobas détient aujourd’hui environ 90% des créances sur l’entreprise binationale Itaipu. Toutefois, la dette de l’entreprise binationale repose pour moitié sur chacune des parties au Traité. Le Paraguay doit donc 10 milliards de dollars au Brésil via Electrobas ! Par sa décision rendue le 16 décembre 2010, la Cour des Comptes du Paraguay pointe un des actes illicites issu du processus léonin mis en place par le Brésil.
L’avis de la Cour des Comptes dispose que l’application d’un « tarif provisoire » de 10 dollars US/kW-mois, décidée en mars 1985, pour la vente de l’énergie d’Itaipu était illégale. Motifs : ce concept de « tarif provisoire » n’est pas prévu par le Traité ; l’électricité a été vendue à un prix inférieur au coût de production, ce qui est interdit par le Traité. Ce dernier établit que le tarif de l’électricité doit être égal au coût de production de l’électricité. Or, entre 1985 et 1996, les entreprises brésiliennes d’électricité FURNAS et ELECTROSUL, et dans une moindre mesure l’Administration nationale de l’électricité du Paraguay (la ANDE), n’ont pas respecté ce principe, appliquant un tarif inférieur au coût réel. Au 31 décembre 1996, Itaipu a ainsi accumulé une dette illégitime de 4,2 milliards de dollars, générée à 97,5% par les entreprises brésiliennes et à 2,5% par l’entreprise publique paraguayenne ANDE. Plus de 4 milliards de dollars de dettes sont donc directement imputables aux entreprises brésiliennes.
Cependant, en mars 1997, lors d’une réunion à Sao Paulo, le Brésil, en pleine crise économique, a convaincu le président paraguayen de l’époque Carlos Wasmosy (1993-1998) de reconnaître cette dette illégitime comme faisant partie du passif d’Itaipu. Ce qui a comme conséquence pour le Paraguay de rembourser 50 % de la dette illégitime d’Itaipu alors qu’il n’en a pas profité et que seulement 2,5% de cette dette ont été générés par la ANDE.
Tandis que les « barons d’Itaipu » (Wasmosy et consorts, qui ont accumulé des fortunes via le système de corruption) entérinaient ces faits frauduleux, côté paraguayen, la Cour des Comptes enquêtait sur cette dette illégitime de 4,2 milliards de dollars de dettes et statuait déjà, en avril 1997, que « le Paraguay a pris à sa charge une dette qu’il n’a pas à assumer, du fait d’une décision abusive du Conseil d’Administration (d’Itaipú) qui a fixé illégalement le tarif en dessous du prix qui devait être perçu alors, conformément à l’Annexe C (du Traité d’Itaipu)” |2|.
La même année, la Commission Bicamérale d’Investigation du Congrès paraguayen enquête également sur cette dette et remet ses conclusions en mai 1997. Elle déclare “…nulles dans leurs effets et portées les résolutions du Comité de Direction et du Conseil d’Administration (d’Itaipu) qui ont occasionné la dette illicite de plus de 4000 millions de dollars, du fait qu’elles ont violé à plusieurs reprises les préceptes établis par le Traité d’Itaipu. De ce fait, les accords de renégociation de la dette conclus le 31 mars dernier n’ont pas de fondement légal et n’engagent pas la République du Paraguay…” |3|.
Treize ans plus tard, l’avis récent de la Cour des Comptes du Paraguay attestant de l’illégalité de cette dette vient donc confirmer les positions antérieures sur l’illégalité de la dette d’Itaipu. Il permet au Paraguay de répudier la dette illégitime d’Itaipu et de renforcer sa position dans la renégociation avec le Brésil du Traité d’Itaipu. La balle est dans le camp du gouvernement paraguayen !
Source: CADTM
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