Grande Bretagne :
Le mercredi 8 août l'ASA a étudié une plainte déposée contre la Coalition Save Darfur, un regroupement d'associations, célébrités, et autres activistes basés aux Etats-Unis dont le but est de faire prendre conscience d'un soit disant génocide perpétré par le gouvernement du Soudan dans la région ouest du pays.
http://www.planetenonviolence.org/Grande-Bretagne-la-Coalition-Save-Darfur-condamnee-pour-publicite-mensongere_a1320.html?preaction=nl&id=2544564&idnl=24785&
L'ESPAC (Europeen Sudanese Public Affaires Council, Conseil Européen des Affaires Publiques Soudanaises ), une organisation en général pro Khartoum, s'est plainte auprès de l'ASA à propos d'une publicité publiée dans la presse nationale britannique. Cette publicité affirmait : « UN MASSACRE EST ENTRAIN DE SE PRODUIRE AU DARFOUR …400 000 hommes, femmes enfants innocents ont été tués. » L'ESPAC a dit que l'affirmation qu'il y avait eu 400 000 morts innocents était pure spéculation, et que par conséquent on avait à faire à un cas de fausse publicité, ou tout du moins une publicité mensongère.
L'ASA a examiné les preuves fournies par les deux protagonistes La Coalition Save Darfur et l'ESPAC. La Coalition a cité une étude d'avril 2005 menée par le CIJ (Coalition for International Justice, Coalition pour la Justice Internationale) qui n'existe plus, d'où elle tirait ce chiffre de 400 000 morts. Elle a également cité le point de vue du DC Hagan un professeur de sociologie et de droit à l'Université NorthWest aux US, co auteur de cette étude sur la mortalité au Darfour. Le DC Hagan a publié un article dans le journal Science sur les victimes au Darfour disant que le chiffre avancé était «dans le domaine des possibilités».
Selon les preuves fournies par ESPAC, le General Accountability Office (GAO) US a jugé que c'était l'étude du CRED (Centre de Recherche Epidémiologique sur les Catastrophes), affilié à l'Organisation Mondiale de la Santé et non par celle du CIJ qui était la plus objective et fiable au niveau méthodologie. Le rapport du CRED publié en mai 2005 estimait à 120 000 le nombre de morts attribués au conflit sur une période de 17 mois, de septembre 2003 à janvier 2005. Et ces 120 000 morts n'étaient pas tous des « hommes, femmes, et enfants innocents » : cela incluait les combattants de même que des morts violentes de civils et des morts dus à la malnutrition. Parmi ses preuves l'ESPAC a également cité une lettre écrite par le directeur du CRED le professeur Deborah Guha-Sapir, qui a été publiée par le Financial Times en mai 2005 dans laquelle elle critiquait le rapport du CIJ concernant la mort de 300 000 à 400 000 personnes au Darfour, le jugeant du domaine du «sensationnel».
Le GAO a également trouvé que les chiffres fournis par Hagan étaient « déficients ». En novembre de l'année dernière le GAO a convoqué un groupe de 12 experts pour évaluer la crédibilité de plusieurs estimations sur la mortalité au Darfour. Les experts ont jugé que la source des données de Hagan était « douteuse », qu'Hagan n'avait pas réussi à démontrer les limites de son étude. 10 des experts ont trouvé les estimations d'Hagan « irraisonnables » et 11 ont dit que ses extrapolations étaient « inappropriées ». 11 des 12 experts ont dit qu'ils avaient un niveau de confiance « bas « ou très bas » en ce qui concerne l'étude d'Hagan.
L'ESPAC a également fourni des preuves montrant que les taux de mortalité au Darfour avaient baissé depuis 2005. Ils ont cité un rapport de l'OMS Weekly Morbidity and Mortality Bulletin, de 2006, disant que le nombre de morts en excès au Darfour était tombé en dessous du niveau défini comme celui d'urgence. Ils ont également cité des commentaires faits par Jan Pronk, un représentant spécial pour l'ONU au Soudan disant que les taux de mortalité et de malnutrition avaient diminué drastiquement après 2005, grâce surtout à l'aide reçue et l'établissement de camps de réfugiés. Ceci veut dire que les publicités passées par la Coalition Sauvons le Darfour étaient choquantes pour deux raisons : la première c'est qu'elles s'appuyaient sur des données déficientes la seconde c'était qu'elles avaient pour but de faire prendre conscience du « MASSACRE » de soit disant 400 000 personnes alors que le taux de mortalité était tombé sous celui défini comme niveau d'urgence.
L'ASA s'est donc prononcée contre la Coalition Save Darfur et en faveur de l'ESPAC dans son jugement publié le 8 août. Dans ce jugement il est dit que la Coalition Save Darfur a violé le Code de l'ASA, les clauses 3.2 (sur la division d'opinion) et 8.1 (concernant des sujets d'opinion). L'ASA a dit « bien que l'affirmation apparaisse dans une campagne publicitaire s'exprimant par le biais de mots forts et que la Coalition Save Darfur… était autorisée à exprimer son opinion sur la crise humanitaire au Darfour en termes forts, nous avons conclu qu'il y avait une divergence d'opinion sur la véracité du chiffre contenu et il n'aurait pas du être présenté d'une manière définitive » L'ASA a dit que dans le futur la Coalition Save Darfur devrait « présenter le chiffre comme étant une opinion et non un fait. »
Ce jugement de l'ASA montre à quel point la campagne occidentale menée pour le Darfour et les données de terrain différent : entre une affirmation péremptoire du premier génocide du XXIème siècle et les faits faisant état d'une situation qui reste terriblement inquiétante, une souffrance réelle pour des milliers de civils pris dans la nasse du conflit. L'activisme de Save Darfur et ses représentants dans d'autres pays, impliquant des « people » d'Hollywood et autres et réclamant une intervention militaire vise à jouer sur l'émotionnel, créant un cadre simpliste, enfantin du « bon versus le mauvais » qui sert à dissimuler la réalité de terrain et les enjeux géopolitiques et économiques impliqués.
Dans un livre intitulé “Good Muslim, Bad Muslim: America, the Cold War and the Roots of Terror” Mahmoud Mamdani, professeur à l'Université de Colombie aux US, explore comment la brigade des activistes de Save Darfur a transformé le conflit au Soudan en une plateforme morale. D'abord selon Mamdani, ils ont ôté au conflit toute sa complexité politique. Une lutte compliquée entre différentes factions menée pour l'influence politique de même que la terre, les ressources, les droits de pâturage et l'approvisionnement en eau qui diminue drastiquement, est schématisée par la Coalition Save Darfur comme étant un génocide exécuté par des « arabes » contre des « africains ». Comme l'écrit Mamdani, pour les activistes de Save Darfur, dont beaucoup sont des vedettes américaines et des écrivains, l'Irak est un endroit chaotique avec une politique chaotique. Ils préfèrent donc s'impliquer dans une campagne pour le Darfour, malgré la responsabilité de leur propre gouvernement pour ce qui se passe en Irak, parce qu'ils voient au Darfour un endroit « sans histoire et sans politique ; seulement un endroit ou des auteurs clairement identifiables comme des « arabes » sont opposés à des victimes clairement identifiées comme des « africains ».
D'où cette réduction inhumaine du Darfour comme un endroit « sans politique ». Ainsi George Clooney, l'un des « people » qui mène la campagne Save Darfur a dit du conflit « ce n'est pas un problème politique. Il y a seulement ce qui est bon et ce qui est mauvais »Un autre « people » cette fois britannique, Fran Healy chanteur du groupe pop Travis qui a visité le Darfour pour l'ONG Save The Children a écrit récemment dans le tabloïd anglais The Sun : «l'Afrique est un endroit complexe, mais la crise du Darfour est plutôt simple ; Le conflit c'est essentiellement les arabes contre les africains. Tout est lié entre différentes batailles pour des choses comme le pétrole et l'or. » Tous insistent pour présenter le conflit politico historique au Darfour comme « plutôt simple ». Selon Mamdani cela prouve qu'il y a réduction d'un contexte politique complexe à une histoire morale dans un monde peuplé de bons et de méchants, qu'on ne peut intervertir.
Toujours selon Mamdani, les activistes de Save Darfur et leurs relais dans les médias décrivent la violence au Darfour dans des termes exagérés, une » pornographie de la violence » … « fascinés et se fixant sur des détails sanglants, décrivant avec force détails les pires des atrocités, en en tenant une chronique. » L'implication c'est que la motivation des auteurs de ces atrocités se trouve dans la biologie (race) et si ce n'est pas cela alors dans la « culture ». Selon Mamdani, une partie de cette pornographie de la violence repose sur les chiffres toujours fluctuants du nombre de morts au Darfour, qui augmentent ou diminuent inexplicablement souvent dans le même journal à différents jours d'intervalles, oscillant entre 120 000 et 300 000 et 400 000. Pour lui cette approche voyeuriste s'accompagne d'un discours moralisateur dont l'effet est à la fois d'obscurcir la politique de la violence et de mettre le lecteur dans une position vertueuse, pas simplement d'observateur concerné. Bref, les activistes occidentaux sont obsédés par les morts du Darfour, et derrière les détails macabres de comment ils sont morts il y a une recherche d'un sentiment gratifiant d'outrage vertueux.
De nombreux activistes et écrivains occidentaux ont fait cyniquement et opportunément du Darfour « Notre Mission ». Ils ont fait cela par la propagande et les « bonnes actions ». Au niveau propagande ils insistent sur le fait que le conflit est un simple cas de sauvages arabes essayant de décimer des victimes africaines, et ils ont exagéré le niveau de souffrance pour que cela coïncide avec leurs objectifs de héros versus histoire de nouveaux nazis. Les commentaires qui sont fait sur le Darfour cherche de plus en plus non pas à clarifier ce qui se passe mais plutôt à susciter chez les lecteurs un sentiment de colère auto satisfaisante. Non seulement ces activistes ont floué la compréhension du débat sur le Darfour mais pire par le campagne narcissique la Coalition Save Darfur et d'autres ont aidé à prolonger le conflit voire l'amplifier. Ainsi des responsables du Département d'Etat US ont affirmé qu'alors que le conflit faisait rage, certains rebelles ont » laissé brûler les villages, laisser faire les tueries, parce que plus la pression internationale serait grande sur le gouvernement de Khartoum, plus forte serait leur position face à lui. » De plus, l'intensification de la pression internationale et la «peopolisation » de la campagne de Save Darfur a eu pour effet d'enflammer et d'encourager d'autres rebelles basés au Soudan est à renouveler leur guerre contre le gouvernement de Khartoum.
En Afrique, l'ingérence et les « bonnes actions » occidentales peuvent se révéler mortelles et l'activisme de Save Darfur en fait partie.
Traduction/synthèse d'un article de Brendan O'Neill publié le 14 août 2007 sous l'intitulé « Darfur : pornography for the chattering classes » sur www.spiked-online.com