La Charte des Nations Unies comme but et moyen de la coopération internationale

Les 14 et 15 juin 2023 s’est tenu à Pékin un Forum international sur le thème “International cooperation and global human rights governance”. Plus de 300 personnalités, dont des universitaires, des membres de gouvernements, d’instituts de recherches, de journalistes, d’une représentante du Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU et de 100 pays y participaient. Une très importante délégation chinoise de haut niveau composée de dirigeants politiques, de membres du gouvernement, d’universitaires, d’experts dans le domaine de l’étude des droits de l’homme était également présente.
Notre ami Jean-Pierre Page y était invité, il a apporté la contribution suivante.
LGS


 

Il n’est jamais inutile de rappeler les textes fondateurs. La modernité et la pertinence de la Charte des Nations Unies constituent la référence essentielle de la coopération internationale, celle fondée sur le multilatéralisme, il n’en est nul autre. C’est ce qu’exprime avec une grande clarté le chapitre 9 et les articles 55 et 56 de la Charte sur la Coopération économique et sociale internationale. Que disent-ils :
Article 55 : “En vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, les Nations Unies favoriseront :
a. le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et des conditions de progrès et de développement dans l’ordre économique et social.
b. la solution des problèmes internationaux dans les domaines économique, social, de la santé publique et autres problèmes connexes, et la coopération internationale dans les domaines de la culture intellectuelle et de l’éducation.
c. le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion.”
Article 56 : “Les Membres s’engagent, en vue d’atteindre les buts énoncés à l’Article 55, à agir, tant conjointement que séparément, en coopération avec l’Organisation.

Dans la continuité de la Charte des Nations Unies, l’adoption de la déclaration de Vienne en 1993 et son programme d’action sur les droits humains ont en fait été surtout marqués par la décision très politique de créer un bureau du Haut Commissaire pour les droits de l’homme, l’OHCHR (Office of the High Commissioner for Human Rights). Cette décision fut inséparable de la réforme des Nations Unies engagée à cette époque sous la pression des États-Unis et de ses alliés occidentaux, des institutions financières comme des sociétés transnationales (STN).

Après la destruction de l’URSS, tenant compte du nouveau rapport des forces international, l’objectif des États-Unis et de ses vassaux était d’en finir avec le multilatéralisme obstacle à sa vision unilatérale d’un monde unipolaire. Cet objectif poursuivi hier, l’est particulièrement aujourd’hui. Cet objectif n’a pas changé, même si le rapport des forces n’est plus le même. En 1993, au nom d’une prétendue promotion des droits de l’homme il fallait en finir avec la mission et le fonctionnement du Centre de l’ONU pour les droits de l’homme. Les prérogatives du Centre étaient alors limitées à un rôle de secrétariat administratif auprès de la Commission intergouvernementale des Droits de l’Homme de l’ONU. Avec la mise en place du Haut Commissaire et la création de l’OHCHR il en fut autrement, on dota celui-ci d’une fonction politique.

Tenir compte de la réalité internationale nouvelle exigeait pour les Occidentaux de faire coïncider le but et les moyens afin de se distancer de la Charte des Nations Unies qui à leurs yeux était obsolète et incompatible avec leurs ambitions de refaçonner le monde.

Pour ce faire, l’OHCHR créé à cette occasion allait donc disposer de moyens politiques et financiers étendus permettant de faire de la « défense des droits de l’homme » une arme à disposition de l’impérialisme pour soumettre le reste du monde.

Aujourd’hui environ 1300 employés travaillent à Genève et New York avec un budget en 2019 de plus de 200 millions de dollars US et l’usage croissant des fonds volontaires dont les financements constituent un autre moyen de pression des pays occidentaux pour la mise en œuvre de leurs stratégies à l’égard de pays dont les orientations politiques ne coïncident pas avec les leurs. C’est également le cas à travers la liquidation de la fonction publique internationale, à laquelle on a substitué une forme de mercenariat ! Dorénavant le recrutement de ce nouveau type de « fonctionnaires » se fait à travers la collaboration d’intérimaires issus d’ONG et de représentants de la société civile.

La vision unilatérale d’un Etat

Faire ce rappel est indispensable si l’on veut comprendre ce qu’était l’objectif véritable de la mise en place de l’OHCHR. En fait, on a voulu substituer à une vision multilatérale, principe essentiel de la fondation des Nations Unies, la vision unilatérale d’un État, en l’occurrence celle des États-Unis qui n’ont jamais caché combien à leurs yeux demeurait dans le système onusien la survivance d’un passé révolu, une sorte d’anachronisme condamné à évoluer ou à disparaître.

C’est ce qui a conduit Washington dès les années 90 à insister sur la mise en place d’un nouvel ordre fondé sur de nouvelles règles rule base order, qui a entraîné à travers la réforme des Nations Unies la définition des missions et la finalité de l’OHCHR, l’usage du concept de R2P le trop fameux right to protect et la légitimation du droit d’ingérence. Autre exemple significatif celui de la circulation maritime qui autorise une interprétation dangereuse et fausse de la liberté de navigation (freedom of the seas) permettant aux USA et ses alliés de multiplier les provocations, en mer de Chine en particulier dans le détroit de Taiwan.

À ce stade, et à travers les pressions qu’ils exercent par l’instrumentalisation du système des Nations-Unies, l’ambition des États-Unis est de disposer d’un outil permettant d’assurer leur suprématie globale, en s’octroyant un bien-fondé pour toutes les actions et désordres dont ils prennent l’initiative. Ceci est indispensable à leurs yeux pour les guerres préventives à mener, pour les actions supposées contre le terrorisme, ainsi que pour la promotion des lois du marché garantissant la propriété privée. C’est pourquoi, à leurs yeux il faut en matière de droits humains imposer « une gouvernance mondiale » afin de légaliser l’imposition des conditions des États riches sur les pays pauvres, sur les plus faibles ceux en voie de développement à travers l’usage et la systématisation des plans d’ajustements structurels se faisant au nom du respect des droits humains, de la démocratie et d’une bonne gouvernance. L’objectif étant de déresponsabiliser des gouvernements démocratiquement élus à travers des systèmes politiques souverains, en transférant leurs compétences et les gouvernances de l’intérieur vers l’extérieur afin de les confier aux sociétés transnationales et institutions financières, au FMI et à la Banque Mondiale. Cela permettant ainsi de faire renoncer des états indépendants à leurs institutions propres en les forçant à adopter un seul modèle économique, social et politique permettant leur intégration dans le processus de globalisation capitaliste piloté par Washington.

À la fin des années 90 et au nom de la mondialisation néo-libérale, cette approche a permis de réviser radicalement le rôle de l’Assemblée générale de l’ONU en limitant son autorité et ses prérogatives. Ce fut le cas également en dévitalisant l’action de la CNUCED, de l’UNESCO et de l’OIT en faisant valoir l’idée d’un nouveau partenariat entre les entreprises et les salariés, idée qui avait été soutenue au Forum Économique Mondial de Davos autant que par la Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL, à laquelle devait succéder en 2006 la Confédération Syndicale Internationale- CSI). A ainsi été mis en place un groupe de travail consultatif de 15 chefs d’entreprises multinationales , prenant la forme d’un conseil de sécurité économique comme en d’autres temps l’avait été au niveau européen « la table ronde des industriels »(ERT, avec l’appui de la Confédération Européenne des Syndicats(CES).

Dans ce cadre, on peut aussi prendre la référence obsessionnelle qu’est devenu l’usage de sous-traitants pour mener à bien des programmes et des activités de l’ONU, comprenant la recherche de « partenariats stratégiques » avec des acteurs non étatiques et provenant de ce qu’on appelle la société civile (les ONG) ou du secteur privé (les entreprises transnationales) dont par exemple le groupe Merryl-Lynch chargé en son temps de piloter la réforme des Nations-Unies. Une telle évolution en forme de rupture radicale avec les nations fondatrices de l’ONU contribue à l’élimination des valeurs restantes, des principes comme de l’éthique liée au système multilatéral.

Cela est d’ailleurs prolongé par des applications au niveau des états. Par exemple en recourant aux consultants et cabinets d’experts privés dans le domaine de la santé et de la protection sociale. En France ce fût le cas avec la gestion de la crise du Covid 19 qui a été confiée à la multinationale Merry Lynch ou la contre-réforme du système de retraites en France qui a été délégué au groupe financier d’investissements US Blackrock, considéré comme le plus important gestionnaire d’actifs au monde spécialisé dans la gestion des fonds de pension. On pourrait multiplier les exemples qui mettent ainsi directement en cause la fonction publique d’état qu’elle soit nationale ou internationale.

En fait, les États-Unis ne sont pas seulement à la recherche de l’acceptation de la part des États membres de leur vision néolibérale et impérialiste, mais plutôt de les enrôler dans leur application et dans l’acceptation de leurs conséquences au nom de la « communauté internationale » et la reconnaissance du leadership étasunien. C’est ce que cette contribution doit traiter plus loin à travers les « Sommets pour la Démocratie » organisés par Joe Biden et qui ont permis d’atteindre de nouveaux sommets d’hypocrisie dans la définition de la démocratie made in USA.

Par conséquent, s’agissant des droits de l’homme on a ces 30 dernières années assisté progressivement à une rupture nette avec le passé précédent. La nouvelle orientation impliquant de nouveaux organes, de nouvelles procédures, de nouvelles méthodes de travail, et un nouveau type de personnel ayant plus à voir avec des mercenaires diplomatiques qu’avec le service civil international.

Comme cela était prévisible l’OHCHR est très vite apparu comme une arme utilisée unilatéralement par les pays occidentaux, « un cheval de Troie » en quelque sorte avec comme but d’en finir avec la finalité même de la Charte des Nations Unies, c’est à dire : le principe fondamental de l’égalité souveraine des nations, le règlement des différends internationaux par des voies pacifiques, la coopération par le respect de la souveraineté des états, le respect de l’intégrité territoriale, la liberté des peuples et leur libre choix. Autant de principes dont la modernité et la pertinence permettent de défendre et faire vivre le multilatéralisme en tournant le dos à l’unilatéralisme. C’est-à-dire l’implication directe dans les affaires internes d’un état jusqu’ à l’interventionnisme, à l’ingérence, aux sanctions et autres mesures de coercition y compris la guerre.

Par conséquent, 30 ans après la Conférence de Vienne le bilan est donc des plus discutable, il reste à faire. On nous avait promis un monde de paix, de coopération, de développement et de progrès social, on a eu droit aux guerres, aux actions en faveur de changements de régime, à la généralisation des sanctions, à la mise en cause directe de la souveraineté des états, et a un recul social qui pour certains pays a pris la forme d’un recul de civilisation. En fait cette contestation occidentale des finalités de la Charte des Nations-Unies, le non-respect de ses recommandations a fait naître un chaos qui a fait régresser les droits humains. Le monde est devenu plus instable, plus inégal, plus dangereux et moins sur. La crise du capitalisme et de son système néolibéral a fragilisé la plupart des nations, leurs économies, leurs institutions. Leurs services publics ont été dévastés, la pauvreté de masse s’est accrue en même temps que nous avons assisté à l’accumulation sans précédent de richesses, de privilèges en faveur d’une oligarchie parasitaire et corrompue qui entend diriger le monde.

À mes yeux, l’utilité de ce Forum de Beijing sur la gouvernance mondiale des droits humains doit donc permettre de nous aider à faire l’état des lieux en prenant en compte l’évolution du système international tout comme la signification des résistances, des oppositions qui grandissent face à ce qui demeure une volonté d’instrumentaliser unilatéralement le système des Nations Unies. Il s’agit de clarifier afin de permettre de surmonter ce qui doit l’être et ouvrir des perspectives crédibles en faveur du multilatéralisme, de la multipolarité comme de véritables alternatives de coopération gagnant/gagnant. Nous avons pour cela besoin de prendre en compte un monde qui change vite, un monde au devenir qui peut être prometteur, mais aussi et contradictoirement incertain.

On ne saurait se contenter d’avoir le regard figé sur l’horizon, nous devons anticiper, voir au-delà de celui-ci. C’est là une ambition autant qu’une grande responsabilité pour toutes les forces de progrès dans le respect de leur diversité.

Le monde change vite

La situation internationale est fondamentalement caractérisée par le tournant géopolitique mondial. Un changement de paradigme donnant lieu tout à la fois à des dangers inédits et inquiétants et dans le même temps au renouveau d’un mouvement d’émancipation, universel et prometteur, fondé sur le choix du développement, de la coopération, du respect de la souveraineté . Cette évolution est caractérisée par le mouvement ascendant d’états qui partant de leurs besoins propres et ceux de leurs peuples, s’unissent, se rassemblent font entendre leur voix de manière autonome et indépendante, mais surtout qui agissent en conséquence. Cette situation inédite est illustrée par des alliances anti-hégémoniques. Elles sont politiques, économiques, financières, monétaires, sociales et culturelles. Elles permettant de redonner du sens à la déclaration sur le droit au développement et à la réponse aux besoins fondamentaux des hommes.

Sur ce point, les attentes sont immenses et sur tous les continents. Ainsi le début de mouvement de dé dollarisation auquel on assiste et qui contribue à se dégager de la tutelle étouffante du dollar dans les échanges fait souffler un vent de panique à Washington et dans les capitales occidentales et un vent d’espoir dans le reste du monde. Cette évolution, dans le cadre de laquelle la Chine joue un rôle déterminant aux côtés d’autres pays comme ceux des BRICS, contribue à un nouvel état d’esprit et à donner du sens à la proposition du président Xi Jinping de militer en faveur d’une ambition planétaire celle de faire vivre une communauté de destin. Il est donc normal que cette proposition suscite soutien et intérêts comme on peut la constater à travers la mise en œuvre du projet des Nouvelles Routes de la Soie (BRI). Cette démarche concrète et innovante témoigne que les moyens existent pour échapper à la logique mortifère que les États-Unis persistent à vouloir imposer. Au fond tout est affaire de vision et de volonté politique.

C’est sans doute pourquoi cet objectif de développement suscite des attaques de la part des gouvernements occidentaux et de certaines institutions internationales et supranationales comme l’Union européenne qui pourtant dans le même temps et contre ses propres intérêts fait face à une crise systémique profonde. Pour ces raisons, les obstacles mis en avant par les dirigeants occidentaux conjointement avec les forces du fanatisme de la finance constituent non seulement un frein, mais un barrage forcené de la part de ceux qui entendent et à n’importe quel prix maintenir leur suprématie sur le reste du monde.

Pour celles-ci il s’agit de maintenir et sauver le système néolibéral qui a prévalu jusqu’à maintenant. Les réunions du G7 et d’autres institutions internationales ou régionales sont ainsi devenues la manifestation d’une fébrilité oscillant entre agressivité et comportement défensif. En fait, l’inquiétude n’a cessé de croire devant le gonflement des dettes publiques et privées, celles liées à l’éducation, à la santé, au logement, aux transports. La récession, l’inflation qui se développe sur le plan social, la stagnation comme la régression du pouvoir d’achat des travailleurs et de leurs familles expliquent les ruptures sociales auxquelles nous assistons. Vouloir faire diversion sur d’autres sujets comme ce que l’on a coutume d’appeler les problèmes sociétaux ne résoudra pas la crise profonde des pays occidentaux qui font le choix de sacrifier les besoins sociaux de leurs peuples, de leurs économies pour défendre et préserver les prétentions totalitaires de Washington.

Par exemple l’état moribond de l’industrie manufacturière aux États-Unis comme dans de nombreux pays européens est une réalité incontestable. La désindustrialisation s’est accélérée et généralisée. Elle a précipité au chômage et dans la misère des millions de gens, elle a contribué à freiner la mise en œuvre du droit au développement, elle a sacrifié l’indépendance et la souveraineté des états. Elle a détruit des communautés, mis en faillite des villes et des villages. La récente crise épidémique en a été le révélateur. Les diversions médiatiques n’ont pas pu résoudre les problèmes liés aux capacités à résister efficacement au Covid19. On a cherché à détourner l’attention des gens par rapport à la gravité de la crise intérieure dans de nombreux pays développés. Ainsi, en France, pays de Pasteur et des vaccins on a fait le choix de capituler devant l’industrie pharmaceutique US, on a été incapable de produire des vaccins et même de se donner les moyens de lutter efficacement contre l’épidémie par le manque de lits d’accueil dans les hôpitaux publics, le manque de personnels compétents, et même de masques et de respirateurs.

La crise en Ukraine est sur un tout autre plan un exemple significatif. Une large majorité de pays dans le monde ont refusé de s’aligner et de céder aux menaces, aux sanctions, aux exigences des États-Unis et de l’Union européenne devant les conséquences économiques, sociales et financières du fait de l’alignement aveugle de Bruxelles, Berlin, Paris et Londres sur les sanctions de Washington et les orientations irresponsables de l’OTAN qui prétendaient mettre l’économie russe à genoux. En fait, les exemples ne manquent pas pour illustrer que c’est à l’inverse à laquelle nous avons assisté ! Le défaut de paiement pour les USA, l’effondrement ou la fragilisation extrême de nombreuses banques régionales aux USA et en Europe, l’Allemagne entrée en récession, la Grande-Bretagne dont l’économie s’est effondrée, la France qui voit sa notation internationale déclassée doit dans son cas faire face à un mouvement social depuis six mois jamais encore vu depuis 50 ans et à la colère des générations de jeunes des banlieues ghettoïsées. Par conséquent, il n’est pas excessif de dire que le déclin de l’autorité politique des pays occidentaux en suivant aveuglément les instructions de Washington a contribué à l’aggravation de leur propre crise politique, institutionnelle, économique, sociale, financière et monétaire qui de surcroit n’avait pas attendu la crise ukrainienne. Cette situation périlleuse voit simultanément progresser le danger que représentent les idées de l’extrémisme, raciste et fascisant à travers les progrès électoraux significatifs des forces de l’extrême droite leur permettant d’accéder au gouvernement dans de nombreux pays européens.
Aussi, ceux qui au lendemain de la chute du mur de Berlin avaient comme Francis Fukuyama prophétisé « la fin de l’histoire » en sont aujourd’hui à admettre qu’ils se sont trompés. Depuis, le même Fukuyama a affirmé dans une sorte de fuite en avant apeurée « si nous baissons la garde, le monde libéral disparaîtra ». Cette angoisse est significative et ce revirement spectaculaire signifie combien nous assistons aux plus importants changements internationaux que nous avons connus depuis près d’un siècle.
Par conséquent, il faut se féliciter et encourager les initiatives inédites bilatérales ou multilatérales qui cherchent à se dégager du despotisme des donneurs d’ordre qui demeurent cramponnés à l’étalon dollar ou à l’euro en fâcheuse posture et provisoirement sauvé par la restriction du crédit. En fait, le moment est venu de réviser totalement l’héritage désuet des accords de Bretton Woods. Le monde a besoin de coopérations qui soient porteuses d’un renouveau de l’architecture internationale. Le moment est venu de mettre fin à la dictature du dollar et aux tentatives de recolonisation, comme aux pillages qu’entraîne, ce système conçu par les États-Unis à travers sa vision néo-libérale ancrée dans le Consensus de Washington.

C’est pourquoi…

Il n’est plus possible de reporter la réforme de l’architecture financière internationale. Il faut renforcer la voix et la participation des pays en développement à la prise de décision économique internationale. Afin de favoriser le développement durable dans trois dimensions qui pourraient contribuer efficacement à la pleine mise en œuvre de l’agenda 2030 des Nations-Unies. Ainsi :

1- Il est urgent d’assurer la promotion des transferts de technologies et du renforcement des capacités, ainsi que la coopération technologique et scientifique des pays développés vers les pays en développement. Il s’agit là d’actions urgentes possibles et donc crédibles.

2- Il y a également besoin de réformes en profondeur du système commercial afin de promouvoir la croissance économique ; investir dans des projets durables, lutter contre le changement climatique et ses effets négatifs, modérer les prix des denrées alimentaires en augmentant la production alimentaire afin de construire un système mondial dans lequel aucun pays n’est laissé pour compte.

3- Afin de revenir sur la bonne voie, il est crucial de mettre en place un système solide et efficace de commerce et d’investissement.

Ainsi comme on le voit il existe des solutions concrètes qui peuvent permettre de rassembler très largement la communauté internationale.

Par conséquent, si ce qui émerge est fait de potentiels et d’opportunités, la lucidité nous commande également de voir qu’il existe des risques majeurs pour le devenir de l’humanité. Il nous faut admettre que le monde unipolaire conséquence du changement de rapport des forces à en fait produit l’instabilité mondiale, une forme de chaos, la multiplication des crises dont celle en Ukraine en est le témoignage, l’explosion des inégalités sociales, les mesures coercitives comme mode de gouvernance, les dérangements climatiques, le drame des réfugiés, l’intolérance et la montée en puissance des extrêmes là ou l’on pensait qu’elles avaient été éradiquées.

S’il est vrai qu’il n’y a de fatalité en rien et que tout est fonction de la volonté politique dont on fait preuve, il faut avoir le courage de confronter les causes qui caractérise la crise systémique internationale actuelle, les 16 crises dont parlait l’ancien ministre nicaraguayen des Affaires étrangères Miguel D’Escotto Brockman. Elles sont toutes interdépendantes les unes des autres et déterminent le contenu des droits humains fondamentaux et par conséquent du niveau des solutions et réformes qu’il faut entreprendre.

Les peuples ne sont pas dépourvus d’instruments leur permettant de faire face ! Le monde n’est pas condamné à voir son développement régresser ou condamné à résoudre ses problèmes par le seul recours à la force. Le débat, l’échange, le partage en faveur de décisions créatrices, de propositions répondant à des besoins concrets peuvent contribuer à la recherche d’issues à des situations de crise grave comme nous les connaissons, d’alternatives permettant la coopération pour le développement de tous. Il faut pour cela se libérer de l’unilatéralisme, des ostracismes, des politiques de sanctions appliquées unilatéralement et qui sont contraires à la Charte, des conditionnalités et même des fantasmes de certains. Cela exige un état d’esprit nouveau dégagé des conservatismes qui figent et divisent. L’objectif qui doit dominer doit être le choix de se rassembler autour de principes et de valeurs dans le respect des différences et des souverainetés de chaque peuple et de leur libre choix. C’est là une condition essentielle. Il faut remettre en valeur les principes mêmes de la Charte des Nations-Unies et agir pour la faire vivre concrètement.

Par conséquent, nous sommes entrés dans une période de choix importants à assumer, décisifs tant les enjeux et les défis auxquels les hommes doivent faire face sont considérables. Le contenu des décisions et des orientations prises déterminera l’avenir des prochaines générations.

Autocratie et démocratie selon les Sommets de Joe Biden

En décembre 2021 puis en mars 2023, Joe Biden a convoqué successivement deux sommets « pour la démocratie » dont l’impact international est resté assez confidentiel. Loin de convaincre, ces deux initiatives devaient légitimer le leadership incontestable des États-Unis en matière de démocratie. Il en a été autrement !

Sans doute parce que la démocratie n’est pas une référence nord-américaine, mais un bien commun qui s’est forgé à travers les siècles et les siècles par toutes les communautés humaines dans le respect de celles-ci, un droit universel et tangible, qui existe et représente un patrimoine de principes, de valeurs admises par la quasi-totalité des pays du monde. Ainsi, en va-t-il de l’exigence forte que représente la Charte des Nations Unies dont le contenu est cohérent avec ce qui doit ou devrait dominer l’architecture des relations internationales.

C’est à travers le respect de la Charte, des règles et des engagements précis, des conventions, des résolutions comme le pacte sur les droits socioculturels, sur le droit au développement, sur les droits civils et politiques dont une des préconditions est le respect du droit des peuples à l’autodétermination, à l’indépendance, que l’humanité a pu après deux guerres mondiales et bien d’autres conflits poursuivre sa marche en avant. Or, Joe Biden continue et persiste à défendre une vision anachronique du monde qui repose sur une opposition entre blocs au détriment du multilatéralisme. On en revient avec les deux « Sommets » successifs organisés par Washington au cout de centaines de millions de dollars US au début des années 60 et à cette vision du bien et du mal qui rappelle “l’Empire du mal”, “l’axe du mal” et de biens mauvais souvenirs. Faut-il ajouter que parler du bien et du mal comme le fait Joe Biden est une catégorie morale, de mauvaise morale et de mauvaise politique ! En fait il s’agit d’un discours de guerre sainte. Les États-Unis adorent appliquer aux autres ce qu’ils refusent de s’appliquer à eux-mêmes comme c’est le cas flagrant avec l’usage dune juridiction universelle dont le Tribunal pénal international qu’ils refusent d’appliquer pour eux-mêmes .

L’avenir du monde ne peut se concevoir à partir d’une vision dominatrice et arrogante. Or, depuis plus de deux siècles, les États-Unis sont persuadés et ont cherché à persuader l’humanité tout entière de leur exceptionnalité et donc de leur mission divine à diriger toutes les activités humaines sur terre. À Washington contre vents et marées, c’est toujours le cynisme et l’arrogance qui prévaut. Celui qui en son temps faisait dire à la Secrétaire d’État Madeleine Albright “ Si nous devons utiliser la force, c’est parce que nous sommes l’Amérique. Nous sommes la nation indispensable. Nous sommes grands et nous voyons plus loin que d’autres pays dans l’avenir”.

Cette vision archaïque qui s’est exprimé à l’occasion de ces deux « Sommets pour la Démocratie » de 2021 et 2023 continue à influencer la politique étrangère de l’Amérique en se manifestant à travers le consensus bi partisan des républicains et démocrates US. C’est ce qui les conduit à vouloir s’imposer en leader naturel et incontesté, en charge d’un “apostolat”. Selon eux dorénavant et pour le plus grand bien de l’humanité, ce qui doit prévaloir est une seule et unique interprétation de la démocratie comme de la défense des libertés : la leur ! C’est-à-dire “made in USA” exclusive et inclusive.

Pour Washington, il faut dépasser le caractère obsolète des principes qui ont prévalu au cœur du système international pour y substituer de nouvelles règles, des règles nord-américaines. On se souvient comment devant le parlement australien B. Obama avait déclaré en novembre 2011 pour expliquer Pivot to Asia la réorientation stratégique des États-Unis « si nous ne fixons pas les règles, c’est la Chine qui les fixera ». Cette cause prétendument universelle, mais à l’interprétation élastique et unilatérale appartient aux seuls Etats-Unis et justifie à leurs yeux le ralliement de tous les états de la planète à l’exception de ceux qui ont la prétention de voir le monde autrement. Elle a dorénavant été conceptualisée à travers la notion de « démocratie opposée à l’autocratie ». Cette classification arbitraire en forme de proclamation est typique de la manière de voir et de faire des États-Unis, c’est également là leur manière de réécrire l’histoire. Ce sont là les éléments de langage en faveur d’un narratif qui s’est imposé à travers les discours de nombreux hommes politiques occidentaux comme à travers une vision médiatique en forme de pensée unique. Oscar Wilde, le fameux écrivain et dramaturge irlandais avait raison de dire : « Les États-Unis forment un pays qui est passé de la barbarie à la décadence sans avoir connu la civilisation. »

Ainsi, concernant la Chine et la Russie, Joe Biden et la nouvelle administration les considèrent comme des adversaires influençant et agissant directement sur la politique intérieure américaine. Ce qui témoigne de la vision paranoïaque d’un empire affaibli qui voit partout des états dûment désignés profiter de ses faiblesses et même des oppositions régnant à l’intérieur de ses frontières.

Par exemple, Jake Sullivan, le secrétaire national à la sécurité des USA pointe du doigt avec effarement les dysfonctionnements et les divisions aux États-Unis. Mais en fait ce qui est pour lui incompréhensible, c’est que cela arrive dans un pays où le peuple a été élevé depuis deux cents ans dans la certitude de son invincibilité, de son exceptionnalité, de sa mission planétaire divine et de sa “destinée manifeste”.

C’est aussi pourquoi les États-Unis veulent remplacer le droit international par leurs propres règles. Évidemment celles-ci n’ont rien à voir avec les principes fondamentaux du droit au niveau mondial. Au contraire, cela conduit au danger accru d’une polarisation des relations internationales. L’histoire démontre qu’au XIXe comme au XXe siècle, cela s’est toujours terminé par des guerres. C’est pourquoi les Américains inquiets de voir régresser leur domination mondiale veulent créer (ils l’ont déjà annoncé) une nouvelle “alliance des démocraties contre les autocraties”. Entendons par là créer des alliances américaines et pro-américaines, obligeant tous les autres à faire leur choix c’est à dire : « vous êtes avec nous ou vous êtes contre nous ». Les doubles standards et l’hypocrisie devenant la norme visant à justifier les obsessions de Washington d’une « full spectrum dominance », c’est-à-dire celle d’une domination tous azimuts. Si vous refusez de reconnaître cette prétention arrogante, vous n’avez dès lors plus aucune autorité morale pour parler de démocratie, pour proposer et décider. Ce monde revu et corrigé par les États-Unis est en fait un monde parfaitement totalitaire.

Avec une centaine d’états triés sur le volet, et quelques faire valoir de la prétendue “société civile”. Les deux Sommets pour la Démocratie ont donc exclu les “autocrates” et tout spécialement “les plus grandes menaces pour la démocratie et la liberté dans le monde depuis la Seconde Guerre mondiale” que sont la Chine et son partenaire moscovite. Les deux initiatives pourtant promues par les médias mainstream et leurs experts au rang d’évènement mondial n’ont pourtant pas convaincu ! “La montagne a accouché d’une souris” au point que de nombreux observateurs se sont de nouveau interrogés sur les capacités des USA à se revendiquer leader éclairé du monde libre. Certains ayant même l’audace de s’interroger publiquement sur l’amateurisme de l’équipe en place et même sur la sénilité précoce de celui qui a été baptisé “sleepy Joe ».

Si l’on suit Joe Biden et les recommandations de son “Sommet pour la démocratie”, une seule conclusion logique devrait s’imposer, il faut réécrire cette Charte des Nations Unies de 1945 qui définit les buts et les principes de l’ONU au nom d’un fait qui à leurs yeux ne saurait être contesté, à savoir : les “États-Unis sont les premiers défenseurs de la démocrate mondiale”. Ils en sont donc les dépositaires exclusifs et la référence autorisée. Cette fausse légitimité les autorisant à réécrire les règles dans ce sens de leurs intérêts exclusifs.
L’objectif de ces deux “conclaves” étant de fournir un cadre en faveur d’une action collective permettant aux “démocraties” de faire face en étant plus réactives et résilientes face à la Chine et la Russie. Dans ce but, Washington a proposé de “construire une communauté de partenaires engagés dans la rénovation démocratique mondiale.
Par conséquent, les gouvernements qui ont été invités l’ont été en fonction de leur soutien à la politique étrangère américaine, en particulier à la guerre par procuration menée par les États-Unis et l’OTAN contre la Russie, ou au renforcement sans précédent d’une logistique militaire agressive des États-Unis contre la Chine, ainsi plus de 400 bases militaires nord-américaines ceinturent aujourd’hui la Chine.
Avec de telles orientations, il n’est pas surprenant que Taiwan ait été convié à participer, bien qu’il ne s’agisse pas d’un pays, mais d’une partie de la Chine, qui est reconnue comme une province chinoise quasi unanimement par les pays du monde, par les Nations-Unies et même par les États-Unis eux-mêmes. Cette présence a constitué une nouvelle provocation à l’encontre de la Chine. Elle s’est inscrite dans la recherche de prétextes à un conflit militaire en Asie de l’Est qui ne pourrait-être que nucléaire.
Qu’elles ont les priorités adoptées par ces deux “Sommets pour la démocratie” :
1- “Aider les médias indépendants dans le monde” autant dire les médias mainstream et leurs affidés à travers le contrôle par Google, Facebook et d’autres des auteurs de commentaires hostiles aux USA qui se manifestent sur les réseaux sociaux.
2- “Mettre en place des outils permettant des élections libres et équitables” dont a eu un avant gout dans certains pays notamment aux USA ou en Amérique latine.
3- “Lutter contre la corruption” à travers les réseaux nationaux, internationaux et des ONG téléguidées depuis Washington.
4- « Faire pression sur les retardataires” afin qu’ils procèdent à des réformes pro-démocratie.
5- “Prévenir les coups d’État avant qu’ils ne se produisent” et “veiller dans les périodes de transition à garantir l’influence des États-Unis, en sachant montrer qu’elle est son “pouvoir d’exemple et sa solidarité avec les acteurs démocratiques”.
6- “Faire pression sur les états qui ont utilisé la pandémie de Covid19 pour restreindre les libertés de manière draconienne sans justification de santé publique”.
7- “Lutter contre l’influence anti-démocratique de la Chine et de la Russie afin d’endiguer la vague anti-démocratique mondiale”. La mise en oeuvre de ses orientations dont les finalités sont de faire échec et avant tout autre chose à la Chine devra reposer sur la mise en place d’un “partenariat pour la démocratie”
Ainsi, les États-Unis cherchent à se réorganiser sur leur précarré, avec ceux qu’ils considèrent non pas comme des états indépendants, mais comme des vassaux. Par ailleurs et comme toujours il s’agit pour les États-Unis d’instrumentaliser la référence aux droits de l’homme.
En dépit de toute leur rhétorique hypocrite, de tous leurs sourires, mensonges et diffamations cyniques, les États-Unis constituent le plus grand danger au niveau mondial et le plus grand défi pour la vie, la démocratie, la justice et la paix universelle.

Le renouveau nécessaire des Nations-Unies

Ceux qui ont compris à quel point les États-Unis sont un désastre et représentent un danger beaucoup plus fort, doivent être clairs dans leur action de défense effective de la paix, de la coopération et de la vie sur terre. Cela justifie l’existence d’un forum mondial, indépendant et démocratique engagé dans la protection réelle et effective des droits de l’humanité. C’est pourquoi il faut insister et répéter, que les Nations Unies si elles veulent bénéficier de la confiance et faire preuve de crédibilité ne peuvent être un instrument des États-Unis.

Des institutions de coordination et de coopération régionales et mondiales sont essentielles pour la défense effective de la vie des gens. Toutefois, les gouvernements, y compris beaucoup de ceux parmi les plus progressistes, n’en sont pas suffisamment convaincus. Pour ceux qui comme les USA désirent conquérir le contrôle total et absolu de la planète, la guerre est déjà déclarée. Cela est si sérieux que l’on peut affirmer sans aucun doute, que si l’ONU ne change pas radicalement, si elle n’est pas réinventée, elle peut disparaître. C’est pourquoi les peuples doivent se la réapproprier, la soustraire de l’influence de ceux qui ont usurpé son nom afin que ceux qui sont sincèrement intéressés par d’autres relations internationales puissent contribuer à une nouvelle pertinence et une nouvelle efficacité en faveur de la seule et unique organisation mondiale digne de ce nom.

Notre survie dépendra du degré de détermination que nous engagerons pour la défense de la vie et de la vitesse avec laquelle nous remplirons notre devoir visant à créer une ONU indépendante des États-Unis ou de tout autre, et capable de lutter efficacement contre les différentes crises convergentes qui nous assaillent, et par-dessus tout, contre cette prétention absolue de domination de notre planète.

Voilà pourquoi nous insistons pour que les Nations Unies soient réinventées, aussi rapidement que possible, en tant qu’organisation de lutte, de défense effective pour la survie des espèces humaines et de la vie sur terre, menacée comme cela n’a jamais été le cas dans l’histoire. En fait, ce qui devrait dominer en particulier dans le domaine des relations internationales, c’est le respect de l’intégrité des peuples, leur libre choix, la réponse à leurs revendications sociales en particulier celle de la jeunesse, leur souveraineté, leur dignité, mettre un terme aux menaces, à l’ingérence, aux mesures coercitives inhumaines, à la déstabilisation ou à la recherche de changement de régime. Pour chaque état et chaque gouvernement, il faut donc décider, prendre position et rejeter les pressions de toutes sortes.

Il est inacceptable de violer le droit international ou de le remplacer par des règles rédigées en secret comme le font les USA et leurs vassaux, de s’ingérer dans les affaires intérieures d’autres pays et, en général et de tout ce qui contredit la Charte des Nations unies. À l’inverse, il faut bien constater que les documents signés par les dirigeants de la Russie et de la Chine avec d’autres nations soulignent toujours le fait que l’interaction stratégique bilatérale et le partenariat multiforme ne sauraient être dirigés contre personne, mais doivent se concentrer exclusivement sur les intérêts des peuples et des pays concernés. Ils reposent sur une base claire et objective d’intérêts qui se chevauchent et se complètent.

Dans les années à venir, cette démarche sera décisive. Ce sont les réponses politiques à apporter au choix de développement comme à la préservation de notre environnement, ceux qui adressent la réponse aux besoins sociaux du plus grand nombre, de la lutte contre la pauvreté de masse et surtout de l’action contre l’explosion des inégalités, les gâchis et la corruption. Or, comme on peut le constater, on continue à s’accommoder de la spéculation financière, alors qu’elle est devenue irrationnelle, mafieuse, qu’elle gangrène toutes les activités humaines et qu’elle se fait toujours au détriment de l’économie réelle et des besoins des peuples. Peut-on décemment laissez-faire ? Il ne faut pas seulement le constater, il faut passer de la parole aux actes !

Dans ce cadre, prenons un exemple comme le rôle et la place des médias. C’est un autre sujet révélateur en particulier à l’égard de la Chine. Ainsi, dans les déclarations officielles et celles des médias, on interprète l’aide au développement de la Chine en faveur des pays du 1/3monde comme si celle-ci avait pour objectif de rendre ces pays dépendants à travers des pratiques usuraires, ce qui est faux, alors que dans le même temps les États-Unis conditionnent leur coopération à des exigences politiques unilatérales et des conditionnalités, ce qui est vrai.

C’est le cas par exemple d’un pays comme le Sri Lanka ou l’aide la Chine a été internationalement caricaturée pour permettre aux États-Unis avec l’aide de complicités locales d’orienter dorénavant ce pays fondateur du Mouvement des non alignés dans le sens de la conflictualité avec la Chine. La vérité c’est qu’en réalité l’endettement du Sri Lanka à l’égard de la Chine représente moins de 10%, quand celui à l’égard des pays occidentaux et de leurs institutions financières représente les 90% restant. On se souvient que John Kerry alors président du « Committe on Foreign Relations » avait déclaré dans un fameux discours devant le Sénat US : « Les États-Unis ne peuvent pas se permettre de perdre le Sri Lanka ». À l’époque, cette affirmation péremptoire s’accompagnait d’une appréciation critique de la politique des États-Unis face à la Chine. Celle-ci disait-il et contrairement à nous n’impose « aucune conditionnalité politique à Colombo. Or, pour ce qui concerne nos intérêts, il en va autrement, nous fixons des préalables ! De ce fait nous avons grandement sous-estimé l’importance géostratégique de cette ile. C’est ainsi que le Sri Lanka s’est éloigné de l’Ouest ».

Le contrôle et la mise sous tutelle du Sri Lanka est devenu ainsi un enjeu stratégique majeur pour l’impérialisme US, l’OTAN et les anciennes puissances coloniales qui ne peuvent ignorer la place originale de ce pays situé de surcroit à quelques encablures de l’Inde, son puissant voisin et au cœur de l’océan Indien, là ou circule 70% du trafic mondial des containers, et 50% du trafic pétrolier. Le Sri Lanka dispose avec le port de Trincomalee du plus grand port en eau profonde de l’Asie du Sud Est, objet de la convoitise de la 7e flotte ses États-Unis.

Ce constat n’est pas sans expliquer l’acharnement mis ces vingt dernières années pour déstabiliser, diviser, contribuer ouvertement à des changements de régime à Colombo et remettre en selle les forces de l’oligarchie locale dépendante de Londres, Bruxelles et Washington. On ne pardonne pas au Sri Lanka d’être invariablement soutenu par la Chine, la Russie, Cuba, l’Iran, le Venezuela et beaucoup d’autres.

Quelles perspectives ?

Le système capitaliste libéral s’acharne à faire reculer les droits sociaux conquis souvent par de grands sacrifices. La crise actuelle est significative, il faut réduire par tous les moyens ce que l’on nomme abusivement le cout du travail.

Il existe dans le monde une guerre d’ampleur majeure qui a été déclarée et qui connait un développement constant, celle qui s’attaque aux milliards de pauvres, d’affamés, de sans-logis, de personnes privés de santé, d’emploi et d’éducation, de sécurité. Mais il y a aussi une guerre contre les Arabes, contre les descendants d’Africains, d’Asiatiques et de Latino-Américains qui sont les propriétaires de pétrole, de gaz ou de minéraux stratégiques, dont celui des terres rares.

« La Conférence mondiale des droits de l’Homme » à Vienne affirmait voici 30 ans que l’extrême pauvreté et l’exclusion sociale constituent une violation de la dignité humaine et que des mesures urgentes sont nécessaires pour parvenir à une meilleure connaissance de l’extrême pauvreté et de ses causes, y compris celles liées au problème de développement afin de promouvoir les droits des plus pauvres et de mettre fin à l’extrême pauvreté et l’exclusion sociale et de promouvoir la jouissance des fruits du progrès social. Or ce qui domine c’est la régression sociale dans tous les domaines. Là est donc le défi majeur auquel nous devons faire face.

Comme il y a 30 ans, le contexte dans lequel nous nous trouvons n’est pas neutre. En 1993, cette conférence des Nations Unies à Vienne intervenait peu de temps après la destruction de l’URSS et celle d’une expérience historique unique. Court-circuitant les Nations-Unies les pays membres du directoire de l’OTAN allaient pousser leurs pions et se préparer à intervenir militairement en Yougoslavie au nom de la morale, de la démocratie, des droits de l’homme et de « l’humanitaire » pour régler des questions nationales aux racines complexes. Le choix allait être de généraliser « le droit d’ingérence » théorisé depuis sous la forme du concept de R2P ou de « droit à protéger » y compris par la guerre.

On en connait les résultats : la Yougoslavie démantelée, l’Irak aux centaines de milliers de morts et à l’immense patrimoine culturel détruit, la Libye livrée à la misère, au pillage et la violence, la Syrie soumise aux pires exactions, que dire du Soudan et de près de 60 pays du monde qui connaissent les guerres, la pauvreté extrême. Ce sont également les drames de millions de réfugiés qui fuient les conflits et les destructions de leurs communautés et qui lorsqu’ils recherchent un lieu de vie sont rejetés au-delà des côtes des pays européens, ou des frontières nord-américaines par ceux-là mêmes qui invoquent le respect des droits humains comme l’étendard de leur action. Pourtant, au détriment du progrès social et de la solidarité la plus élémentaire, les crédits d’armements sont en augmentation exponentielle. C’est le cas aux USA au point d’atteindre pour cette année la somme sans précédent de 813 milliards de dollars quand dans le même temps plus de 30 millions d’Américains ne bénéficient d’aucune assurance maladie, dont un grand nombre d’Afro-Américains.

Ainsi autre exemple en France le gouvernement entend mettre en œuvre un arsenal répressif sans précédent à travers sa nouvelle politique migratoire aux accents racistes. Mais ce n’est pas tout dans ce pays qui se revendique de la libre pensée et des droits humains, on assiste à un recul inquiétant de l’esprit critique, la vie intellectuelle est encadrée, normalisée, complaisante, elle accompagne la pensée dominante. On criminalise l’action syndicale, sociale et environnementale, on réprime et on assassine les jeunes des banlieues ghettoïsées, on viole systématiquement les prérogatives du Parlement, on fait usage d’une répression policière aveugle vis-à-vis de ceux qui contestent pacifiquement la mise en œuvre d’une contre-réforme d’un système de retraites condamné par près de 80% de la population française, moins de 50% des citoyens participent aux différents processus électoraux. Tout cela illustre la gravité des atteintes aux libertés publiques dans un pays comme la France et qui
pourtant se prétend patrie des droits humains n’hésitant pas à donner des leçons au monde entier en matière de respect des droits de l’homme..

Dans les années à venir, ce qui sera décisif sont les réponses politiques à apporter au choix de développement comme à la préservation de notre environnement, ceux qui adressent la réponse aux besoins sociaux du plus grand nombre, de la lutte contre la pauvreté de masse et surtout de l’action contre l’explosion des inégalités, les gâchis et la corruption.

Or cette situation fait l’objet d’un rejet qui grandit, non seulement dans les paroles, mais dans les actes. Il faut prendre appui sur cette dynamique et l’encourager. Il y a donc là, une exigence à laquelle personne n’est dispensé de réfléchir : être capable d’anticiper les contours autant que le contenu d’une « communauté de destin », contribuant à donner confiance dans une alternative crédible et une ambition pour tous les peuples sans exclusive. N’est-ce-pas Sun Tzu qui disait que « celui qui n’a pas
d’objectifs ne risque pas de les atteindre ».

 

Jean-Pierre PAGE

*Ancien responsable du Département international de la CGT.

Derniers ouvrages parus 
 :
– “La Chine sans oeillères”, 2021, Editions Delga . Ouvrage collectif, co-dirigé avec Maxime Vivas.
– “Les divagations des antichinois en France, 2022, Editions Delga. Avec Aymeric Monville et Maxime Vivas.
– “La Russie sans oeillères”, 2022, Editions Delga. Ouvrage collectif, co-dirigé avec Aymeric Monville et Maxime Vivas.

 

Source: Le Grand Soir

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.