Qualifié de « bon élève » par le FMI, William Ruto a dû reculer devant la colère de la population kenyanne - non sans une violente répression policière qui a provoqué plus de 30 morts. En cause : le choix du président kenyan d’augmenter la pression fiscale déclenchant une envolée du prix des produits de première nécessité. A l’international, sur pression de Joe Biden, le « bon élève » Ruto a envoyé un contingent d'un millier de soldats kenyans en Haïti. Leur mission : « rétablir l’ordre » sur la petite île d’Amérique centrale, en proie à une instabilité politique structurelle et à une sanglante guerre des gangs... Ajouter « de la guerre à la guerre » : pas de doute, l’OTAN a trouvé son nouvel agent zélé en Afrique de l'Est. (I’A)
Dans notre dernière chronique, nous avons décrit les responsabilités du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale dans la dégradation des conditions d’existence du peuple nigérian, d’une part et des conditions de sécurité d’autre part. La situation au Kenya est malheureusement similaire, constat qui confirme que les mêmes causes produisent les mêmes effets.
A l’origine des manifestations populaires qui ont été sauvagement réprimées se trouve la présentation le 13 juin du projet de budget 2024-2025 prévoyant la hausse de nombreuses taxes et la création de nouvelles conformément aux recommandations du Fonds Monétaire International.
Ce projet prévoyait notamment l’instauration d’une TVA de 16 % sur le pain, d’une autre taxe annuelle de 2.5 % sur les véhicules de particuliers. Cette nouvelle pression fiscale a été la goutte qui a fait débordée le vase d’une colère populaire contre le président William Ruto.
Pour rappel, le nouveau président du Kenya a été élu en aout 2022 avec la promesse de défendre les plus modestes. A peine aux commandes du pays, Ruto se range immédiatement derrière les recommandations d’austérité du FMI en augmentant l’année dernière les impôts sur le revenu et les cotisations de santé et en doublant la TVA sur l’essence.
Nouveau budget du FMI : 30 nouveaux morts
L’annonce du nouveau budget a immédiatement soulevé la colère populaire et en particulier celle de la jeunesse. Les manifestations contre le budget se sont multipliées et progressivement massifiée en prenant rapidement comme nom « occuper le Parlement ».
Après plusieurs manifestations réprimées par des gaz lacrymogènes et des canons à eaux, celle de mardi 25 juin a été ensanglanté par les tirs à balles réelles des forces de l’ordre. Ce jour-là, les manifestants de la capitale Nairobi ont réussi à s’introduire dans le parlement suscitant, en retour, des tirs à balles réelles débouchant sur plus de 30 morts et des dizaines de blessés…
Si le président William Ruto est, bien entendu, le premier responsable, il faut cependant inscrire ses choix budgétaires dans un contexte plus large, celui des pressions de la banque mondiale et du FMI du fait de l’endettement du Kenya.
En janvier 2024 ces deux institutions avaient décidé une troisième augmentation des prêts au Kenya, portant ceux-ci à un montant de 4.4 milliards de dollars pour la période 2021-2025.
Début juin, au moment où se préparait le projet de budget Kenyan, un nouvel accord était signé entre le gouvernement Kenyan et le FMI pour un montant de 976 millions de dollars. Cette générosité est accompagnée de conditions à savoir, la hausse des recettes budgétaire de l’Etat, la privatisation d’entreprises d’Etat et la baisse des dépenses publiques.
Le « bon élève » meurtrier
L’organisme d’assurance des entreprises COFACE présente comme suit cette pseudo « aide » du FMI et de la banque mondiale :
« Le déficit budgétaire devrait poursuivre son repli en 2024. Dans le cadre du programme avec le FMI, le Kenya poursuivra sa consolidation budgétaire. Le gouvernement prévoit principalement des mesures pour stimuler ses recettes (18% du PIB) telles qu’un doublement de la TVA sur le carburant et une hausse de l’impôt sur le revenu […] La privatisation d’entreprises pourrait également être une source additionnelle de recettes ».
Le président Kenyan est considéré comme un « bon élève » par le FMI et la Banque mondiale, comme en témoigne les propos d’Antoinette Monsio Sayeh, la directrice générale adjointe du FMI, lors de l’octroi du prêt en janvier : « Le FMI continue de soutenir les efforts des autorités pour maintenir la stabilité macroéconomique, renforcer les cadres politiques, résister aux chocs extérieurs, faire avancer les réformes clés et promouvoir une croissance inclusive et verte ».
Cette reconnaissance louangeuse était la récompense aux déclarations du président Kenyan annonçant, deux mois auparavant, de nouvelles taxes pour un montant de 1,8 milliard de dollars venant après l’annonce quelques mois auparavant, en septembre 2023, de la privatisation de 35 entreprises publiques.
Une première victoire populaire
L’ampleur de la mobilisation populaire a contraint le gouvernement kenyan à retirer son projet de budget.
Annonçant cette décision, il l’explique comme suit : « Après avoir écouté attentivement le peuple kényan, qui a dit haut et fort qu’il ne voulait rien avoir à faire avec ce projet de loi de finances 2024, je m’incline et je ne promulguerai pas le projet de loi de finances 2024, qui sera par conséquent retiré ».
Découvrant brusquement que d’autres ressources sont possibles, le gouvernement kenyan ordonne « la mise en œuvre immédiate de nouvelles mesures d’austérité pour réduire les dépenses, en commençant par le bureau du président et en s’étendant à l’ensemble du gouvernement, réduire les dépenses de fonctionnement présidentielles, éliminer les crédits du pouvoirs exécutifs pour répondre aux besoins sociaux ». Ce recul n’est cependant que tactique car aucune remise en cause des accords globaux avec le FMI et la banque mondiale n’est annoncée.
La crise actuelle se déploie au moment où le Kenya se présente de plus en plus comme un allié fiable des Etats-Unis au niveau international.
Lors de la visite de William Ruto aux Etats-Unis, en mai dernier, le président Joe Biden annonçait qu’il élevait le Kenya « au rang d’allié majeur, non-membre de l’OTAN ».
Amplifier la guerre en Haïti
Ce statut est censé accorder des avantages militaires et économiques. En fait, cette mise à l’honneur du Kenya est la récompense attribuée à William Ruto pour avoir accepté d’envoyer un contingent de 1000 soldats Kenyans à Haïti, décision que Joe Biden présente comme suit : « Notre travail commun sur Haïti contribue à ouvrir la voie à la réduction de l’instabilité et de l’insécurité ».
Dans les faits, il s’agit tout simplement de mettre illégalement sous tutelle Haïti. Hasard de l’histoire, le jour même où coulait le sang à Nairobi, un premier contingent de 400 soldats Kenyans débarquait à Haïti. Par l’envoi de ces troupes, e gouvernement Kenyan répond à la demande du chef de l’Etat Haïtien Ariel Henry qui, rappelons-le, est venu au pouvoir sans élection – à la suite de l’assassinat de Jovenel Moïse en juillet 2021 – et est rejeté par la majeure partie de la population et par des dizaines de partis, syndicats et associations.
Réagissant à cette mission Kenyane à Haïti un collectif d’association haïtienne a envoya une lettre ouverte aux chefs d’Etat africain leur demandant d’intervenir pour « convaincre le Kenya sur la nécessité de ne pas se laisser entrainer dans la logique meurtrière des puissances impérialistes ».
De même l’association états-unienne Alliance Noire pour la paix a dénoncé cette intervention kenyane comme « un impérialisme occidental sous un masque noir ».
La crise Kenyane est un analyseur des stratégies occidentales en Afrique visant à maintenir une dépendance néocoloniale par le biais de l’endettement et à constituer des Etats supplétifs pour maintenir l’ordre là où cela s’avère nécessaire pour ses intérêts.
Saïd Bouamama
Pour aller plus loin :
« Au Kenya, le président retire son projet de budget après des émeutes sanglantes », Romaric Godin, Manuel Marchal, Mediapart, 27 juin 2024
« Kenya-Haïti : sous-traiter l’impérialisme », Frédéric Thomas, Cetri.be, 7 septembre 2023.
Source : Investig’Action
Pingback: