Suite aux résultats du scrutin européen et à la convocation d’élections Législatives anticipées, Emmanuel Macron a suspendu sa réforme constitutionnelle sur la Kanaky (Nouvelle-Calédonie). Une première victoire des indépendantistes face à cette volonté de minorer définitivement le peuple Kanak sur sa propre terre. Insupportable, le passage en force colonial avait provoqué plus d'un mois de révoltes à travers toute l'île du Pacifique... (I’A)
L’adoption par l’Assemblée nationale française, dans la nuit du 14 au 15 mai derniers, d’une réforme du corps électoral en Kanaky a déclenché l’insurrection populaire la plus importante depuis la décennie quatre-vingts. Cette réforme n’était rien de moins que l’enterrement des accords signés avec le mouvement indépendantiste et un artifice juridique visant à maintenir la colonisation de ce pays.
En effet, celle-ci prévoyait que 25 000 nouveaux électeurs – soit nés sur le territoire, soit y résidant depuis dix ans – participent au scrutin d’autodétermination. La réforme prolonge l’histoire longue d’une colonisation de peuplement qui a conduit à rendre le peuple Kanak minoritaire dans son propre pays. En effet, ce dernier ne représente aujourd’hui que 41.2 % de la population de l’archipel.
En dépit de cet héritage de spoliation, les organisations indépendantistes kanaks ont décidé, en 1983, de partager le droit à l’autodétermination, reconnu par les Nations-Unies, à l’ensemble des communautés installées durablement en Kanaky. A savoir : les Wallisiens et Futuniens, les Tahitiens, les Indonésiens. La réalité leur a donné raison puisque les votes en faveur de l’indépendance ont progressé de 43.3 % en 2018 à 46.7 % en 2020.
En décembre 2021, le troisième référendum d’autodétermination, qui s’est déroulé en plein épidémie du COVID, a été boycotté pour cette raison par les organisations indépendantistes. Cette consultation a été marquée par une chute libre de la participation, en comparaison aux scrutins précédents avec en conséquence un résultat farfelu puisque l’option de l’indépendance n’obtient que 3.5 %.
Légitime révolte kanak
Le résultat de ce référendum indique nettement que le mot d’ordre de boycott des indépendantistes a été massivement suivi et que l’opinion indépendantiste ne cessait de gagner du terrain. Le ridicule du résultat avec une abstention aussi massive n’empêcha pas le président Macron de déclarer : « La Nouvelle-Calédonie restera donc française […] La France est plus belle car la Nouvelle-Calédonie a décidé d’y rester ».
C’est cette perspective indépendantiste portée désormais non plus seulement par les Kanaks mais aussi par d’autres calédoniens que la réforme du corps électoral tentait de faire disparaître totalement. Sans surprise, le refus Kanak s’est transformé en insurrection, pendant près de cinq semaines, faisant neuf victimes, dont sept morts civils, des centaines de blessés et des dégâts évalués à plus de deux milliards d’euros.
L’envoi de 3500 policiers et gendarmes supplémentaires, l’instauration de l’Etat d’urgence et du couvre-feu, les arrestations massives, l’apparition de milices de colons, etc., indiquaient que nous étions dans une guerre coloniale classique.
Les réactions internationales ne tardèrent pas. Le gouvernement français s’est contenté de réagir en indiquant, comme hier à propos de l’Algérie, que la question de la Nouvelle-Calédonie est une question de souveraineté française et ne relève que du rétablissement de l’ordre républicain.
Pourtant, la Kanaky relève, légalement depuis 1986, du droit international du fait de l’inscription à cette date de ce pays dans la liste des territoires à décoloniser des Nations-Unies. L’accord de Nouméa de 1998 stipule que les Nations-Unies sont habilitées à suivre et accompagner le processus de décolonisation.
Solidarités insulaires envers la Kanaky
Le soutien au mouvement populaire Kanak contre le dégel du corps électoral n’a cessé de s’amplifier au cours des deux dernières semaines.
Ce sont les autres colonies françaises qui se sont exprimées en premier, à l’image du Parti pour la libération de la Martinique, du Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale guyanais ou l’Alyans Nasyional Gwadloup.
Le 30 avril, l’alliance des Organisations Régionales Non-Gouvernementale publie un communiqué au titre sans équivoque : « La France sabote le processus de décolonisation de Kanaky sous la direction de Macron » Fin de citation.
Le 16 mai, le collectif des peuples et organisations autonomes de Guyane apportait son soutien aux insurgés dans un communiqué commun :
« Nous demandons l’envoi immédiat de missions de médiation internationale des Nations-Unies : comité des 24, Forum permanent sur les questions autochtones, rapporteur spécial sur les Droits des peuples autochtones, etc. Notre résistance en tant que Peuple autochtone que ce soit en Kanaky, Maohi nui ou Guyane est le fondement même de notre existence. Force à tous nos frères et sœurs en lutte. »
Isolement du colonialisme français
Le 31 mai, l’isolement du colonialisme français franchissait un cap significatif avec la prise de position du Secrétaire général du Forum des îles du Pacifique (FIP), un regroupement d’Etat réunissant 18 membres, dont la Kanaky et la Polynésie française ; deux pays admis exceptionnellement en 2016 en dépit du fait qu’ils ne sont pas encore souverains.
Baron Waqa, le Secrétaire général de ce FIP a déclaré : « La France est responsable de la crise. […] La France a provoqué cette crise en ne reconnaissant pas la demande des Kanaks de reporter le troisième référendum. […] Nous demandons à la France de retirer ses propositions législatives, de revenir à la table des négociations et d’établir un nouvel accord avec les indépendantistes et les anti-indépendantistes du territoire sinon la violence continuera ».
Loin d’amener le calme, le choix de Macron et de son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, de passer en force à radicalisé les positions indépendantistes. Ainsi, par exemple, l’Union Calédonienne, la composante la plus importante du FLNKS a proposé, le 8 juin, de proclamer l’indépendance de la Kanaky pour le 24 septembre prochain ; jour du 171 ème anniversaire de l’annexion du pays par le colonialisme français.
Son président, Daniel Goa a déclaré : « La France nous a tellement trompée que notre souveraineté ne pourra qu’être immédiate, pleine et entière. Nous proposons de fixer cette déclaration de souveraineté le 24 septembre. Que la France valide ou non cette option cela ne change rien pour nous. Déjà une cinquantaine de pays sont prêt à nous reconnaître et à nous soutenir internationalement. Nous allons également mener dans les prochains mois des démarches auprès du groupe des BRICS et des pays non alignés ».
Au chapitre des prises de position internationales, il convient également de mentionner les propos de la porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, Maria Zakharova, en date du 18 mai dernier : « Nous considérons la crise sociopolitique en Nouvelle-Calédonie comme le résultat de l’inachèvement du processus de décolonisation et une autre confirmation que la politique de la France à l’égard de ses anciennes colonies, rebaptisées territoires d’outre-mer, est dans une impasse. Je voudrais vous rappeler que selon la classification de l’ONU, la Nouvelle-Calédonie est un territoire non autonome. En termes simples, une colonie où le processus de décolonisation lancé sous les auspices de l’ONU dans les années 1960 n’est toujours pas achevé. »
L’aubaine de la dissolution
Comme pendant la guerre d’Algérie, ces dénonciations du colonialisme français ont suffi pour que le gouvernement hexagonal invoque la « main de l’étranger » afin d’expliquer l’insurrection du peuple Kanak. Si la lutte de libération nationale du peuple algérien était réduite aux ingérences de Moscou et Du Caire, celle du peuple Kanak est attribuée à l’Azerbaïdjan, la Russie et la Chine.
Commentant ces accusations, l’anthropologue du CNRS, Benoit Trépied a est estimé que « ces accusations relèvent d’un réflexe impérialiste. Ces discours sur la Chine, l’Azerbaïdjan, ce sont des éléments de langage politico-médiatique qui circulent à Paris, mais c’est évidemment une façon de détourner l’attention sur la responsabilité du gouvernement ».
C’est donc dans un contexte d’isolement grandissant de Paris que s’est déroulé le scrutin des élections européennes. Celles-ci ont été marquées dans l’archipel par une abstention massive. Ainsi, 86. 87 % des électeurs qui se sont abstenus contre 80 % en 2019.
La dissolution de l’Assemblée nationale apparaît ainsi comme une aubaine pour désamorcer la situation. Trois jours après celle-ci, Emmanuel Macron a annoncé, le 12 juin : « Le projet de loi constitutionnelle qui a été voté dans les mêmes termes par les deux chambres, j’ai décidé de le suspendre parce qu’on ne peut pas laisser l’ambiguïté dans la période ».
Si ce sursis peut effectivement ramener momentanément le calme, celui-ci ne peut être que provisoire. Tant qu’un droit à l’autodétermination n’est pas entièrement respecté, il suscite inévitablement des mobilisations populaires pour l’obtenir. Quant à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie et à ses choix de rapprochement avec telle ou telle puissance, ils ne concernent que le peuple Kanak.
Saïd Bouamama
Pour aller plus loin :
Manuel Marchal, Kanaky Nouvelle-Calédonie : Emmanuel Macron suspend le projet de loi constitutionnel, Témoignages du 13 juin 2024, consultable sur le site : https://www.temoignages.re/
Pierre Morel, Nouvelle-Calédonie : trois questions sur l’ingérence de l’Azerbaïdjan, dénoncée par Gérald Darmanin, Ouest France du 16 mai 2024, consultable sur le site : https://www.ouest-france.fr
Source : Investig’Action