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Juan Carlos Tanus: “Les negotiations avec la Segunda Marquetalia permettent la désescalade du conflit en Colombie”

Le gouvernement colombien a récemment initié un processus de dialogue avec la Segunda Marquetalia, dans le cadre de la « paix totale » prônée par le président Gustavo Petro. Dans cet entretien, Juan Carlos Tanus, avocat, directeur de l’Association des Colombiens au Venezuela et militant des droits de l’homme, nous parle de ces négociations et du contexte politique colombien en général.

La Segunda Marquetalia a récemment tenu une première session de dialogue avec le gouvernement colombien, quelle est votre analyse de ces négociations et des accords préliminaires entre les deux parties ?

Nous pensons que ces négociations arrivent au bon moment car le président Gustavo Petro a pris trois grands engagements en faveur de la paix en Colombie, au sein d’un projet de paix totale, en tant que politique gouvernementale. 

Le premier grand pari du gouvernement a concerné l’Armée de libération nationale (ELN), qui avait déjà été approchée par le gouvernement précédent. Le deuxième pari a été fait avec l’état-major central (ECM) et le troisième, dans le cadre de sa politique de paix totale,  se concrétise avec la Segunda Marquetalia. L’élément que nous soulignons est la désescalade du conflit, qui est sans aucun doute liée à une réelle volonté de réduire l’intensité de la confrontation militaire.  Mais, par ailleurs, lorsque l’on dit que la désescalade du conflit doit être intégrale et progressive dans les territoires où la Segunda Marquetalia est présente, nous, depuis l’« Observatoire des conflits, des frontières et des migrations de l’Association des Colombiens », nous estimons que cela concerne entre 65 et 75 municipalités en Colombie. Dans des régions comme les Llanos et l’Orinoquia, cela pourrait constituer une première étape de paix en Colombie.

Le Président Gustavo Petro a mis sur la table la proposition d’une Assemblée Constituante, quels sont ses objectifs et comment faire avancer concrètement le processus ?

En ce qui concerne l’Assemblée nationale constituante, les objectifs sont très clairs pour le gouvernement, mais ils ne le sont pas pour l’autre aile de la politique colombienne. Le pays est divisé entre un pays national qui, bien qu’il ait voté pour Gustavo Petro, n’a pas la formation, l’éducation ou la capacité de comprendre cet autre pays politique. 

Les objectifs d’une Assemblée constituante sont liés à la continuité d’une série de réformes qui ont été présentées au Congrès et qui n’ont pas été approuvées. En d’autres termes, lorsque nous parlons d’une Assemblée Nationale Constituante pour résoudre les lacunes dans le domaine de la santé, c’est dans le but d’avoir un instrument clé pour déterminer l’accès à des soins de santé universels et gratuits, mais aussi pour qu’ils soient financés par l’État. C’est le premier élément, un premier objectif très clair inclus dans cette proposition. 

Le président Petro l’a proposé comme un moyen d’unir le pays, comme un accord national. En nommant Juan Fernando Cristo ministre de l’intérieur, il montre que l’accord politique national est déjà en place. Il a été proposé que le pouvoir local, le pouvoir populaire représenté dans les organisations, se rende dans les territoires pour consulter, débattre et discuter des questions budgétaires et même de la question de la paix, des dialogues régionaux. Cela constitue le fondement essentiel en tant que pouvoir populaire, le pouvoir constituant est précisément assumé par une Assemblée Nationale qui rende des comptes à tous les acteurs et de façon à ce que ce soit la communauté elle-même qui décide comment participer et comment parvenir à un résultat fructueux. 

C’est pourquoi les objectifs de l’Assemblée Constituante, outre la question politique, ont trait à la complémentarité des accords que l’on a tenté d’établir au Congrès colombien mais qui n’ont pas été suffisamment solides. L’Assemblée Nationale Constituante va, sans aucun doute, recueillir des demandes telles que celles formulées par la deuxième Marquetalia, tout comme celles émanant des secteurs populaires où l’Armée de libération nationale (ELN) est présente. La majorité de ces secteurs et de ces communautés ont exprimé une position favorable à l’égard de l’Assemblée Nationale Constituante. En termes de processus, il s’agit d’une décision politique de Petro et des partis alliés, qui visent maintenant un consensus entre les acteurs économiques, ce qui constitue le plus grand nœud gordien pour générer un consensus national.

A mi-parcours du mandat de Petro, et après des résultats négatifs aux élections régionales/locales, quels sont les défis que le Pacte historique doit relever pour consolider son projet et se maintenir au pouvoir lors des prochaines élections ?

Il s’agit d’une question complexe car le Pacte Historique n’est pas encore totalement consolidé ; il arrive avec quelques déficiences au niveau législatif. Le fait de ne pas avoir de majorité l’a contraint à revoir à la baisse certaines de ses exigences en matière de réformes. 

Aujourd’hui, le Pacte Historique n’a aucune chance de se renforcer ou de donner une continuité à un gouvernement plus proche de Petro. Pourquoi ? Parce que les cadres dont ils disposent sont plus étroitement liés aux structures politiques traditionnelles. Je cite l’exemple de Roy Barreras, ambassadeur de Colombie à Londres, il  joue un rôle de premier plan dans le secteur d’influence de Juan Manuel Santos, lequel subit à son tour l’influence hégémonique des États-Unis. Il en va de même pour le ministre colombien des affaires étrangères qui, d’une manière ou d’une autre, est également lié aux structures américaines. 

Le Pacte Historique peut accueillir bien d’autres candidats, mais le problème est celui de leur orientation politique. Il s’agit d’un débat important compte tenu de la réalité que vit aujourd’hui le pays. Une décision pour 2026 doit, sans nul doute, passer par la recherche d’un consensus entre les autres acteurs de la politique colombienne qui sont encore actuellement hégémoniques, qui ont encore des voix dans les régions mais qui se sont rapprochés du Pacte Historique. Certains libéraux, certains conservateurs, certains indépendants qui, d’une manière ou d’une autre, jouent un rôle de premier plan au niveau régional. 

Le premier grand défi du Pacte Historique est d’unir ces différents héritages, les différentes expressions organisationnelles régionales, par le biais d’une candidature qui rende cela possible. Un autre grand défi est de surmonter l’absence d’appareils de communication qui soient efficaces à l’heure de prendre des décisions.

Traduit para Sylvie Carrasco.

Source: Investig’Action

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