Jérôme Rodrigues : « Aucun policier français n’a fait de la prison pour la mort d’une personne entre ses mains ».

A la veille de la manifestation du 15 juillet à Paris contre les violences policières, la Macronie ne dort pas tranquille. En décrue ou réellement terminées, les émeutes suite au meurtre policier filmé de Nahel ont causé, à travers la France, 650 millions d’euros de dégâts et plus de 11.000 demandes de dédommagements commerciales… Entretien avec Jérôme Rodrigues, l’une des figures du mouvement des gilets jaunes, qui a aussi vécu dans sa chair l’irréversible violence policière.

 

 

Investig’Action : Quel est votre analyse sur la dizaine de jours d’émeutes déclenchées par le meurtre policier du jeune Nahel ?

Jérôme Rodrigues : Cela va continuer et ça continuera ! Pour au moins deux raisons. D’une part, cette façon spontanée d’être dans la révolte et la colère ne va pas s’éteindre. Ce que nous avons vu la semaine dernière, c’est la spontanéité d’un mouvement très jeune qui s’est mis en branle sans forcément de leadership ni de revendications fiables qui pourraient déboucher sur quelque chose de plus politique. Avec les gilets jaunes, j’ai bien connu cette révolte et colère spontanées qui – si on fait le bilan – n’ont pas débouché sur grand-chose parce qu’à défaut de structuration, il est plus difficile de se faire entendre et plus facile de se faire diaboliser… D’autre part, une fois de plus, personne n’a entendu la détresse de cette jeunesse. Au lieu de les traiter « d’émeutiers », de « casseurs », de « séditieux » ou je ne sais quoi, il aurait fallait prendre en compte leur malaise, leurs souffrances et leur désirs d’aujourd’hui. Une fois de plus, ça n’a pas été fait.

 

 

I’A : Comment expliquez-vous le repli délétère de l’Exécutif français qui a, notamment, conduit le sociologue, Jean-François Bayart1, à comparer Emmanuel Macron aux autocrates Victor Orban (Hongrie), Vladimir Poutine (Russie) ou Recep Tayyip Erdogan (Turquie) ?

J.R : Ces politiques au pouvoir savent-ils faire autre chose que de mettre de l’huile sur le feu ? Au lieu de proposer des solutions concrètes basées sur le fait qu’il existe un véritable problème avec le maintien de l’ordre et l’utilisation qui en est faite, ils continuent à ignorer que la meilleure réponse n’est pas un supplément de coups mais répondre aux attentes des citoyens. Et je m’adresse là à tous les partis politiques français ! Que ce soit l’extrême-droite, repartie dans ses surenchères sur l’immigration alors qu’ils n’ont toujours pas pigé que ces jeunes de cités sont des Français de 4 ème génération. C’est leurs arrière-grands-parents ou grands-parents qui sont arrivés en France. Ils sont peut-être plus Français que moi qui suis de la seconde génération de l’immigration portugaise. Ces gars d’extrême-droite se permettent de balancer des remarques racistes alors que ces jeunes sont aussi Français qu’eux et moi ! Du côté de Macron, on l’a bien compris, c’est le tout-répressif pour faire taire toute contestation. Car, que nous le voulions ou non, nous sommes tous logés à la même enseigne ; qu’on soit gilets jaunes, syndicalistes, gamins de cités, sans-papiers, associations ou simples citoyens, c’est le même tarif ! Si ce n’est pas le pire – la mort -, c’est un œil ou une main en moins, c’est une autre blessure grave, ce sont des gardes à vue et des condamnations à n’en plus finir…

I’A : Sur ces 40 dernières années, la majorité des victimes de violences policières mortelles sont pourtant des jeunes noirs et arabes…

J.R: Oui, c’est vrai, mais je crois qu’aujourd’hui, on ne peut plus vraiment faire la différence avec l’emploi spécifique du racisme : gilets jaunes ou jeunes de cités, on a tous pris exactement la même chose sur la gueule ! A un moment donné, il faut arrêter de faire ces différences, chacun dans son coin, face au gouvernement : le combat se doit d’être uni. On doit absolument tenter de s’unir parce qu’on prend tous la même chose. L’utilisation du LBD [Lanceur de Balles de Défense] l’a démontré : les policiers se sont d’abord « exercés » sur les habitants des banlieues, puis ils se sont « améliorés » sur les gilets jaunes pour enfin « se  parfaire » sur le reste de la population, quel que soit le sujet de contestation (retraites, santé, service publics, etc.) Alors, la gauche ne cesse de répéter que le problème, c’est la loi de 2017, la loi Cazeneuve [sur la libéralisation des conditions d’utilisation de l’arme du policier en cas de refus d’obtempérer]. Non, le problème, c’est la personne qui tient l’arme. Avec ou sans loi, si le mec a envie de péter un câble et de fumer tout ce qui bouge : il va le faire ! Non, le problème n°1, c’est le manque de justice. Le problème, c’est qu’il n’ y a aucun flic français ayant abattu un homme qui s’est retrouvé en prison. En France, aucun policier n’a été condamné à de la prison ferme pour la mort d’une personne entre ses mains. Aux États-Unis, après la mort de George Floyd [25 mai 2020], il y a eu deux ans d’enquête, un procès et le policier [Derek Chauvin] a été condamné à 22 ans de prison. En France, une telle condamnation est impossible ! Comment voulez-vous inculquer le respect de la république s’il n’y a pas de justice ?

 

George Floyd assassiné par Derek Chauvin, le 2025 mai 2020, à Minneapolis… Comme pour Nahel, une jeune femme courageuse a filmé avec son téléphone l’innommable et ses images ont scandalisé le monde entier. En France, il est plus que probable que le policier qui a tué Nahel ne passe pas les 20 prochaines années en prison, au contraire de Derek Chauvin, condamné à 22 ans de réclusion aux Etats-Unis. C’est l’une des causes centrales qui a déclenché la colère de la jeunesse des quartiers aux quatre coins de l’Hexagone…

 

I’A : L’urgence politique est donc de mettre fin à l’impunité judiciaire des policiers ?

J.R : Oui, et nous, nous ne le revendiquons pas depuis une semaine… Aujourd’hui, t’es chauffeur de taxi et tu écrases un enfant : t’es en zonzon le soir même, t’as plus de permis, t’es pas prêt de reconduire ! Tu travailles dans une maternelle, tu blesses un gamin : je te garantis que t’as plus de boulot. Alors, pour le policier qui a tué Nahel, on a de la chance, il est en prison [en détention provisoire qui a été renouvelée] mais le mec continue de toucher son salaire depuis sa cellule, sur ordre de Gérald Darmanin [ministre de l’Intérieur]… Dis-moi quel autre citoyen, qui verrait sa responsabilité engagée dans un tel méfait, garderait son salaire ? A contrario, quelle victime de violence policière parviendrait à garder son emploi ? Par exemple, moi, j’ai tout perdu. Après qu’ils m’aient crevé un œil, j’ai perdu mon emploi puisque je ne pouvais plus bosser comme avant et je me suis retrouvé sans salaire pendant deux ans… Y a pas besoin de tergiverser : il faut que les flics fautifs prennent les sanctions qu’ils ont à prendre. Fin de l’histoire ! Et ça fera réfléchir, le collègue qui veut sortir son calibre et flinguer un jeune. Il pensera : « Putain, le dernier qui l’a fait : il a pris 20 piges. » Oui, en France, il y a une impunité judiciaire pour les policiers. Paradoxalement, beaucoup de policiers sont les premiers à chialer lorsqu’ils arrêtent de véritables criminels et que la punition judiciaire n’est pas en conséquence, à la hauteur des crimes commis. Ça, c’est très français. Chez nous, laver le cul des autres avant de laver le sien, on sait très bien le faire…


I’A : Selon vous, l’éventuelle abrogation de la loi Cazeneuve est insuffisante ?

J.R :  Mais non, ce n’est pas insuffisant : tout est bon à prendre ! Mais cela ne réglera pas les choses en profondeur. A gauche comme à droite, chaque politicien se dirige, comme un crève-la-faim, sur l’ensemble des faits et des faire-valoir pour mettre en place leur idéologie. Au lieu de s’occuper véritablement des problèmes du peuple, des citoyens et des violences policières ! Cet espèce de faire-valoir que Nahel va être, que j’ai été, que toute victime de violence policière finit par être, pendant un temps, afin que tout politique, quel qu’il soit, puisse mettre en place son idéologie, ça commence à me gonfler ! Quand les flics m’ont crevé un œil [le 26 janvier 2019 à Paris], j’ai eu toute la LFI [La France Insoumise] derrière moi, qui me prenait pour un héros ; « L’insoumis des insoumis »… Aujourd’hui, quatre ans plus tard, y a plus personne. Ils n’en ont rien à foutre ! Et lorsque je les appelle pour un problème, pareil : ils en ont rien à foutre ! Quand vous avez un député LFI qui affirme qu’il est possible de contester les amendes de 55 € qu’on se prendrait dans la rue – à savoir que moi j’en ai pour 10.000 € en 5 ans de manifs -, il n’a juste pas compris que c’est pas possible. Quand tu t’amuses à les contester : tu passes à 400 € d’amende ! Et lorsque j’interpelle les gars de LFI pour leur dire : « Eh les mec, à la manif de samedi dernier pour Adama [Traoré], il y a eu des amendes, on compte sur vous pour les contester », c’est marrant, y a plus personne… Autrement dit : faire des tweets de merde, à 5000 retweets, pour appeler les manifestants à contester des amendes en sachant que ça ne va pas fonctionner et qu’on va se prendre une majoration ; que le député LFI a juste ouvert sa gueule mais que, derrière, il ne fait plus rien, c’est facile..


I’A : Vous estimez qu’il y a souvent un hiatus entre le discours public tenus par les dirigeants de LFI et certains de leurs actes sur le terrain ?

J.R : Cela leur arrive… et pourtant, je suis de gauche. D’ailleurs, ce matin, je tchatais dans un espace numérique où il y a, souvent, beaucoup de mecs de gauche. Je leur ai dit : ‘Je ne vous comprends pas : quand je mets une cartouche à Marine Le Pen, une cartouche à Macron ou une cartouche à Eric Zemmour, les trois réunis : je me prends moins de trolls que lorsque je critique des actions de la gauche. Le problème, lorsque tu mets une cartouche à la gauche – parce qu’ils ne font pas que des choses bien – tu es forcément, à leurs yeux, un mec de droite, un agent du patriarcat, un antisémite, un complotiste ou un raciste. Mais non ! On a le droit de ne pas être d’accord, les gars ?! Est-ce qu’on a le droit de dire que vous faites aussi de la merde ?! Aaah, la liberté d’expression… qui va dans un sens et, généralement, pas dans l’autre.


I’A : Pour revenir au problème structurel des violences policières…

J.R : Tu veux que je te dise pourquoi l’extrême-droite est au pouvoir aujourd’hui !

 

I’A : … plusieurs de leurs idées sont au pouvoir : oui, pourquoi ?

J.R : Oui, c’est ça : parce que la gauche a aussi sa part de responsabilités. Exemple : quand le 15 juillet 2020 ou 2021 (je ne sais plus), j’ai deux députés LFI au téléphone, l’un à 17h30 et l’autre à 21h, complètement paniqués à l’idée que Florian Philippot [ex-RN ; président du mouvement Les Patriotes depuis 2017] marchera dans les rues de Paris. Rappelez-vous qu’à partir du 18 juillet 2021, Philippot et ses soutiens ont marché et manifesté pendant un an, tous les samedis, du côté du Trocadéro. Je n’ai jamais vu une contre-manif de gauche… Et quand les deux forte-têtes – pas des gagne-petit, hein ; deux leaders – de LFI m’ont appelé, c’était pour me dire : « Jérôme, dis-moi qu’il y a une manif des gilets jaunes, faut pas que les gens aillent à la manif de Philippot ?! ». « Bien sûr qu’il y aura une manif des gilets jaune, même si notre prérogative n’est pas de se battre contre un parti politique mais pour le pouvoir d’achat. T’inquiète, il y aura une manif et on fera en sorte que ça n’aille pas vers l’extrême-droite », leur ai-je répondu. Pendant 9 semaines, mes camarades et moi avons mis 20 000 personnes dans la rue, chaque samedi, durant tout l’été – du jamais vu en France – pendant que Philippot marchait de l’autre côté. Et les deux mecs de LFI qui m’avaient appelé, tu sais où ils étaient ? En vacances… Ensuite, ils sont venus pleurer parce que le Rassemblement National (RN) a envoyé 89 députés à l’Assemblée Nationale [suite aux élections législatives de 2022]. Là, je les ai envoyé ch… ! Venez surtout pas pleurer, les gars ! Vous avez fait quoi pour que ça n’arrive pas ? Vous avez fait des manifs ? Je me rappelle, quand j’étais gamin, de l’attitude de mon grand-père lorsque l’extrême-droite marchait dans la rue : il descendait avec sa matraque ou sa chaîne de vélo… Aujourd’hui, je ne sais pas si les valeurs de la gauche, c’est le social, mais dans mes valeurs de gauche à moi, la première chose à faire, c’est de se battre contre le racisme.

 

Jérôme Rodrigues dans une manifestation contre “le pass sanitaire”, à Paris, le 31 juillet 2021.

 

I’A : Lors des « Actes » des gilets jaunes, vous étiez parmi ceux qui ont tenté de faire la jonction avec les quartiers populaires. Pourquoi cela n’a pas marché ? Comme ça ne fonctionne pas aujourd’hui  dans l’autre sens…

J.R: Lorsque ces émeutes ont éclaté et se sont renouvelées, on est venu me voir avec une seule question : « Ils sont où les gilets jaunes ? » Mais vous croyez que les gilets jaunes vont sortir dans la rue avec des gamins de 13 ou 17 ans !? Lorsque j’ai appelé les banlieues à rejoindre ce mouvement, ce n’était pas aux gamins que je m’adressais. Je n’ai pas envie qu’un gamin risque de perdre un œil voire pire. Nous, nous voulions que ce soit ses darons [les parents] qui sortent. J’ai envie que ce soit sa mère qui soit dans la rue ; c’est d’eux qu’on a besoin ! Vous savez, je suis un mec de banlieue, né dans le quatre-vingts-treize (93). J’ai plus de 40 ans de 9-3 : je connais la banlieue. Lorsqu’on vous dit que les gens de cités ne sont pas gilets jaunes, c’est faux ! Je m’appelle Jérôme Rodriguez, de banlieue et gilet jaune. Faouzi Lellouche2, mon principal acolyte, est musulman, directeur de mosquée et il vient d’une cité. Sur Paris, les principales têtes des gilets jaunes sont des mecs de banlieues. Donc, on est concerné, mais de là à sortir dans la rue avec des gamins de 13 ans ?! Non, si je sors, c’est pour récupérer mon gamin, le ramener à la maison parce que je sais ce qui peuvent lui faire les flics : je le porte sur mon visage… L’autre explication pour laquelle la jonction, dont tu parles, ne s’est pas faite : à 1200 € à nettoyer les chiottes des beaux quartiers pour que les cols blancs puissent se soulager dans des toilettes propres ou à bosser après 19h00 pour nettoyer leurs bureaux, beaucoup de banlieusards n’ont 1) pas le temps et 2) ne peuvent pas se permettre de perdre 80 €/jour sur leurs maigres revenus.


I’A : Hier comme aujourd’hui, il est donc extrêmement difficile de fédérer toutes les révoltes françaises légitimes (que ce soit pour le pouvoir d’achat et les services publics, contre les violences policières, l’impunité judiciaire et le racisme structurels)  ?

J.R : C’est ma grande frustration… Au moment des manifs des gilets jaunes, j’avais pris la liberté de parler avec tout le monde. Quelque soit le groupe de lutte associatif, syndical, politique ou autre. Cela m’a été reproché, à l’époque, parce qu’au pays de la liberté, y a toujours des cons qui veulent t’empêcher de la vivre… J’ai donc discuté avec tous les groupes en lutte et ma plus grande frustration, c’est qu’on veut tous la même chose ! Tous ! On veut d’abord exister dans cette société, puis, on a besoin de gagner notre vie convenablement, avec un salaire à la hauteur du travail fourni, pour pouvoir faire plaisir à nos enfants. Voilà ce que la plupart des gens veulent. Avec des méthodes et une histoire différente, tous les groupes de lutte se battent pour la même chose. Seulement, en politique, il y a trop de prophètes convaincus de détenir la vérité. Non content de ralentir les choses, tous ces prophètes finissent par se mettre sur la gueule. Tu prends le NPA, y a trois têtes ; tu prends LFI, y a trois têtes ; tu prends les syndicats, y a 20 millions de têtes. Et chacun tire dans son coin, pour ses propres intérêts, au détriment de l’intérêt collectif.

 

Jérôme Rodrigues dans une manifestation contre la politique antisociale du président Macron, à Paris, le 7 décembre 2019.

I’A : Que pensez-vous du différentiel des « cagnottes » : 1,6 million d’euros récoltés pour la famille du policier, Florian M., qui a tué Nahel, et un peu de plus de 400.000 € récoltés pour la famille de Nahel ?

J.R : La première cagnotte est évidemment dégueulasse. D’autant que je le répète : ce policier continue de toucher son salaire malgré sa détention. Cette cagnotte a permis à des dizaines de milliers de fachos de faire du bruit médiatique, d’exprimer leurs instincts grégaires en versant de l’argent via leurs ordinateurs ou leurs portables. C’est évidemment plus facile que d’assumer et défendre leurs convictions racistes dans la rue… C’est d’abord à la mère de Nahel que je pense. Aujourd’hui, elle est bien entourée, mais année après année, elle va se retrouver seule, comme cela arrive à toutes les victimes de violences policières… Le montant de sa cagnotte a montré qu’il existe encore une belle solidarité, même si les fachos se sont mieux organisés et ont récolté plus. Quoi qu’il en soit, cet argent est plus que nécessaire car, en France, la justice est extrêmement cher. Dans mon cas, rien que pour avoir accès à mon dossier, cela ma coûté 750 €. Cependant, pourront-ils vraiment percevoir l’argent de ces cagnottes ? Cela me rappelle ce qu’a vécu le copain Christophe Detttinger [surnommé par la presse française « le boxeur des gilets jaunes » après que, lors d’une manif le 5 janvier 2019, le boxeur pro ait frappé un policier qui venait de tabasser une manifestante]. Tandis qu’il était en détention, une cagnotte a aussi été lancée pour sa famille. Celle-ci a récolté 150.000 € en quelques jours ! Mais lui ou sa famille n’ont jamais pu les toucher : il a été condamné à 1 an de prison ferme et 18 mois avec sursis.3 Ce qui s’inscrit dans cet habituel traitement judiciaire bancal : sévérité totale pour les gilets jaunes, dont 3000 ont été condamné à de la prison ferme, et impunité totale pour les policiers qui ont mutilé des gilets jaunes, comme pour celui qui a tué Zineb Redouane à Marseille ; une grand-mère de 80 ans qui était juste sur son balcon, en dessous d’une manif de gilets jaunes4 et qui a reçu un tir de LBD en plein visage…

 

I’A : Comme d’autres l’exigent, faut-il supprimer l’IGPN [Inspection Générale de la Police Nationale], tant décriée pour son manque d’indépendance dans son « examen » des violences policières ?

J.R : Je suis favorable à la fin de l’IGPN pour toute enquête au pénal. Il faut effectivement en finir avec cet autre système protectionnel où des collègues défendent d’autres collègues. Si cela peut se comprendre, c’est humain, ça ne peut plus durer : il s’agit avant tout de la mort ou de mutilations d’êtres humains ! Regardez ce qui se passe dans le cas de Nahel où une enquête a été confiée à l’IGPN. Quinze jours après les faits, la jeune femme qui a filmé, de face, le meurtre de cet ado n’a toujours pas été entendue par l’IGPN… Alors que ces mêmes fonctionnaires étaient dans ma chambre d’hôpital juste après que leurs collègues m’aient crevé un œil ! D’ailleurs quelle a été « la sanction » prise contre ce policier  ? Cinq jours de suspension… C’est vraiment avec cette disproportion, cette injustice, qui se double voire se triple, que j’ai un problème. Je n’ai pas de problème avec les policiers en général. D’ailleurs, j’ai beaucoup plus de policiers qui viennent s’excuser pour ce que m’ont fait leur collègue que de policiers qui me détestent. Je dénonce précisément l’impunité judiciaire des policiers et cette gestion du maintien de l’ordre ou tout contestataire, tout « suspect », risque son intégrité physique. Mais je ne suis pas favorable au désarmement de la police, comme le veut le collectif des Mutilés Pour l’Exemple5. A cause de cela, beaucoup d’entre-eux me détestent, même si je parle toujours d’eux dans les médias. Pourtant, on doit rester unis malgré nos divergences. J’ai le droit de penser et de défendre que, pour arrêter les terroristes du Bataclan [2015], les flics n’allaient pas y aller avec des fleurs ou des lance-pierres.

 

Jérôme Rodrigues et Priscilla Ludosky, la gilet jaune qui a lancé la pétition, en décembre 2017, pour ce vaste mouvement de contestation populaire ; que la plupart des médias français s’évertuent à juger aujourd’hui “terminé” mais qui reste présent à chaque grande manifestation nationale…

 

I’A : Selon certains chroniqueurs français, les émeutes – dont les auteurs sont âgés en moyenne de 17 ans – auraient cessé sur ordre des dealers des cités, « dérangés dans leur business ». C’est aussi votre avis ?

J.R : Non, pas maintenant. Si ces émeutes avaient duré trois semaines, comme en 2005, on pourrait tenter de creuser cette affirmation, toujours difficile à établir par définition. Mais là, après dix jours d’émeutes, le Biz a continué de tourner ! Partout, et hors des cités. Aujourd’hui, comme pour tout le reste, on livre à domicile. Les trois quarts du shit est vendu aux jeunes et moins jeunes des beaux-quartiers. Non, je crois plutôt à la conjonction de deux facteurs. 1) Pas mal de gamins ont commencé à voir ce qu’ils risquaient avec la répression et 2) Beaucoup de daronnes et darons sont intervenus ou se sont débrouillés pour qu’ils cessent de sortir la nuit… En même temps, faut expliquer que pendant que la plupart de ces gamins allaient casser, leurs parents, eux, travaillaient. Quand il n’y a personne à la maison, ça donne aussi envie de faire des conneries… Je le sais : je les ai faites aussi jusqu’à ce que je me fasse bien « recadrer » par mes parents. Plus globalement, dans les cités ou les quartiers riches, il y a ce problème de l’enfant-roi. On ne sait plus ou on a beaucoup de mal à dire «non» à nos gosses. J’ai travaillé 20 ans dans le commerce du jouet, à vendre des Barbie et des Playstation  : j’ai vu l’évolution, j’ai vu ce que les gamins se permettent avec leurs parents et comment ceux-ci sont souvent démunis ou épuisés…

I’A : L’enseignant et activiste au QG Décolonial6, Youssef Bousoumah, a diffusé le message suivant sur Facebook : « Je suis fier de ce pays quand il est en émeutes. C’est le meilleur de son histoire, ça prouve qu’il vit.» Qu’en pensez-vous ?

J.R : Cette phrase désigne plutôt bien la situation. Donnez-moi un exemple de révolution non-violente ? Même la légendaire « Révolution des œillets » [coup d’État militaire contre la dictature de Salazar au Portugal en 1974]7 n’a pas été aussi pacifique qu’on a tendance à le dire. Elle a fait 4 morts et 45 blessés. Toute aspiration à la révolution a son lot de victimes et de dégâts matériels. De même, je réfute les gens qui disent qu’en France « nous sommes en dictature ». Non, nous n’y sommes pas. Mon père a connu et enduré la dictature sous Salazar et ce n’est pas ce que nous vivons actuellement en France. En fait, les médias ont souvent tendance à opposer les pacifistes aux violents. Mais ils oublient la catégorie des pacifistes qui comprennent la violence. Et quand tu perds un œil, quand tu perds un frère, quand tu es injustement condamné et emprisonné, il est normal, qu’à un moment donné, tu aies envie de mettre une droite dans la gueule des défenseurs de ce système.

 

Propos recueillis par Olivier Mukuna

 

2https://www.tiktok.com/@viralplace78_/video/7209556497209085189

 

 

 

 

 

 

 

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