Khaled Meshall est le dirigeant politique [en exil en Syrie, ndt] du
mouvement palestinien Hamas, qui est parvenu au pouvoir voici
quelques mois grâce à une large majorité acquise lors d'élections
libres et démocratiques en Palestine. En été 2006, le ministre
israélien de la Justice, Haim Ramon, a confirmé publiquement l'ordre
donné en personne d'assassiner Khaled Meshaal.
En 1997, dans la capitale jordanienne, Amman, Meshaal a survécu,
pourrait-on dire par miracle, à une tentative d'assassinat des
services secrets israéliens, le Mossad. Actuellement, ce dirigeant du
Hamas vit en exil à Damas, entouré d'une sécurité renforcée. Khaled,
qui est médecin, est marié et a sept enfants (trois filles et quatre
garçons). Il a été interviewé par Rainer Rupp [RR], un journaliste
allemand du quotidien « junge Welt » publié
à Berlin et diffusé dans toute l'Allemagne.
RR : M. Khaled Meshaal, en votre qualité d'homme politique éminent
du Hamas, vous figurez sur la liste des personnes à assassiner des
services israéliens. Comment êtes-vous devenu membre de la
résistance islamique contre l'occupation israélienne ?
KM : De fait, je suis un des fondateurs du mouvement Hamas ; à
l'intérieur de ce mouvement, la personnalité la plus éminente était
feu le Sheikh Ahmad Yassine. Quand le Hamas fut fondé, en 1987,
j'avais trente et un ans. J' étais parmi ceux qui avaient mis sur pied
des branches du mouvement en Palestine et en-dehors de la
Palestine. Mais l'idée même du Hamas avait commencé à germer dès
le début des années 1970. Le dialogue interne et les
délibérations se poursuivirent durant plus de dix ans, aux fins de
créer un mouvement dirigé contre l'occupation israélienne. Mais le
projet même du mouvement m'occupait déjà le cour et l'esprit à
l'époque où j'étudiais encore à l'Université du Koweït. A l'âge de
vingt-et-un ans, j'ai représenté le mouvement islamique au sein de
l'Union Générale des Etudiants palestiniens de cette université.
RR : Depuis des années et des années, il est suggéré, dans les
médias occidentaux, que les services israéliens auraient joué un rôle
déterminant dans la création du Hamas. Je suppose que vous avez
eu vent de cette histoire ?
KM : Malheureusement, ce bobard est véhiculé par des Arabes, des
Arabes palestiniens. C'est une tentative de porter atteinte à l'image
de notre mouvement. Pour nous, cette accusation est tellement
ridicule que nous ne nous donnons même pas la peine de la
démentir. C'est tellement illogique ! Comment Israël irait-il créer une
organisation qui se consacre à la lutte contre lui ; comment cela
peut-il être ?
RR : L'idée serait que les Israéliens auraient aidé à créer le Hamas
afin de diviser la résistance palestinienne et d'affaiblir le Fatah. ?
KM : De fait, durant les années 1970, la principale force qui
combattait contre Israël était le mouvement Fatah. Par conséquent,
Israël concentrait sa répression militaire contre le Fatah et contre
d'autres groupes, moins nombreux, de la résistance palestinienne,
qui existaient alors. A l'époque, toutefois, le Hamas n'avait pas
encore été réellement créé. Nous ne commencions qu'à peine à bâtir
notre base sociale au sein de la société palestinienne, en nous
focalisant totalement sur les questions sociales, en
organisant une aide sociale, en construisant des hôpitaux et des
écoles, en nous occupant des malades et des nécessiteux. A
l'époque, nous étions engagés exclusivement dans des actions
pacifiques. C'est la raison pour laquelle Israël ne faisait alors rien
contre nous.
En effet, à l'époque, les Israéliens ne savaient pas ce qui nous
traversait l'esprit. Mais alors même que nous nous concentrions
apparemment uniquement sur l'action sociale, en même temps, nous
nous entraînions déjà, dans le plus grand secret, et nous préparions
nos futurs projets de résistance. Les Israéliens, ne voyant pas ce
danger, concentrèrent leur action répressive contre d'autres
formations palestiniennes, et pas contre nous. Et c'est cette inaction
des Israéliens envers nous que certains éléments arabes
palestiniens hostiles au Hamas avancent comme « preuve » d'un
soutien fantasmé d'Israël à la création du Hamas.
RR : Récemment, les relations du Hamas avec le Fatah se sont
considérablement tendues. Y a-t-il toujours une possibilité de former
un gouvernement d'union nationale ?
KM : Il existe une atmosphère positive, entre les mouvements
Hamas et Fatah, au sujet de la formation d'un tel gouvernement
d'union. Depuis un mois, nous avons donné notre accord de principe
sur la formation d'un tel gouvernement.
Toutefois, dernièrement, des obstacles ont commencé à apparaître.
Le premier de ces obstacles, c'est le fait qu'il y ait eu des efforts en
vue de la formation d'un « gouvernement de technocrates », et non
pas en direction de la formation d'un gouvernement d'union
nationale – c'est la manière dont ils veulent écarter le Hamas du
gouvernement. Quand au deuxième obstacle, c' est l'insuffisance
persistante des garanties que le blocus contre nous sera
effectivement levé.
RR : Des garanties ? Des garanties de l'Occident ?
KM : Oui, des Etats-Unis. Nous avons conclu un accord aux termes
duquel, une fois que nous aurons formé un gouvernement d'union
nationale, le siège contre nous sera levé. Le Hamas est très sérieux,
sur ce point. Nous voulons mettre un terme aux souffrances du
peuple palestinien. Mais, étant donné que notre mouvement a
obtenu la majorité des votes et donc qu'il détient la plupart des
sièges au parlement palestinien, nous avons également le droit de
disposer d'une influence prépondérante au sein du gouvernement.
Le principal dilemme, aujourd'hui, tient au fait qu'il y a certaines
forces qui nous dénient ce droit.
RR : Une des questions principales est l'ainsi dite reconnaissance du
« droit d'Israël à l'existence ». Le Hamas est-il prêt à modifier sa
position sur cette question ? En particulier depuis que l'Occident a
fait clairement savoir que c'était là une condition sine qua non de la
levée du blocus à l' encontre d'un gouvernement palestinien à
direction Hamas. ?
KM : Je pense que le monde occidental doit avoir compris,
aujourd'hui, que le Hamas ne reconnaîtra jamais Israël. Comment
pourrais-je reconnaître celui qui occupe mon pays ? Il est illogique
d'exiger du Hamas qu'il reconnaisse Israël. C'est moi, la victime.
L'homme qui n'est pas libre, c'est moi. Celui
qui vit dans la diaspora, loin de son pays, c'est encore moi. Israël a
obtenu une sorte de pays, qui a été imposé comme « fait accompli »
par les Nations unies. Nous, nous n'avons pas de pays. Plus de la
moitié des Palestiniens vivent dans l'exil, pour la majorité d'entre eux
dans des camps, et ils ne peuvent rentrer chez eux. A cause d'Israël,
ils ne peuvent rentrer chez eux, et nous devrions reconnaître Israël
? Mais qui est dans son tort : c'est nous, ou bien c'est Israël ?
RR : Mais la théorie des deux Etats, dont les Américains font la
promo, envisage un Etat palestinien à côté d'un Etat israélien :
est-là, également, quelque chose d'absolument inacceptable pour le
Hamas ?
KM : Non. Non. Permettez-moi de vous dire que le Hamas n'établira
un Etat palestinien qu'à l'intérieur des frontières de 1967, qui
incluent Jérusalem Ouest [je pense qu'il s'agit de Jérusalem Est !
ndt] et la Cisjordanie.
Jusqu'à présent, Israël ne nous reconnaît pas ce droit. Tous les
Palestiniens l'exigent. Mais Israël persiste à violer les droits des
Palestiniens, et l'Occident ne veut pas contraindre Israël à
reconnaître les droits des Palestiniens.
Même quand le président Bush a évoqué un Etat palestinien, le
moins qu'on puisse en dire, c'est que cet Etat était loin d'être défini
avec une extrême précision. Et Ariel Sharon, ainsi, plus récemment,
qu'Ehud Olmert, ont exprimé beaucoup de réserves au sujet de la
proposition de Bush. Ilsrejettent l'idée d'un Etat israélien à l'intérieur
des frontières de 1967.
Ils veulent un Etat d'Israël incluant des parties de la Cisjordanie. En
réalité, le président Bush a même donné son accord à la proposition
formulée par Sharon, selon laquelle Israël conserverait la totalité de
Jérusalem. Et il a exprimé son accord avec Sharon à propos du choix
du dirigeant palestinien idoine, prêt à accepter toutes ces
concessions exorbitantes.
RR : Ai-je bien compris ; vous avez dit que vous seriez prêts à
négocier avec Israël et à l'accepter à l'intérieur de ses frontières de
1967, c'est-à-dire avant qu'il entreprenne ses guerres d'agression et
qu'il ne vole les territoires palestiniens [sic ! ndt] ?
KM : Exactement. Maintenant, c'est clair.
RR : En Occident, le Hamas est généralement présenté comme étant
absolument opposé à toute discussion avec Israël. Son unique
volonté serait de jeter les juifs israéliens à la mer. ?
KM : Cela n'est pas la réalité. Tuer des juifs, ce n'est pas notre but.
Depuis des siècles, en Palestine, nous vivons pacifiquement avec des
juifs et avec des chrétiens de nombreuses obédiences. Si nous
luttons contre Israël, c'est parce que cet Etat occupe notre terre et
opprime notre peuple.
Nous combattons Israël afin de mettre un terme à cette occupation.
Nous voulons vivre libres sur notre terre, exactement comme les
autre peuples.
Mais le mouvement sioniste est venu, du monde entier, occuper
notre terre.
Et le véritable propriétaire de ces terres a été chassé de chez lui.
C'est ça, la racine du problème. En raison de multiples facteurs, nous
acceptons aujourd'hui d'édifier un Etat palestinien à l'intérieur des
frontières de 1967. Mais cela ne signifie nullement que nous
reconnaissions Israël. Mais nous sommes prêts à conclure une trêve
sur le long terme avec lui. En acceptant le statut d'Israël, sans pour
autant le reconnaître.
RR : Donc : pas de reconnaissance ? Cela ne signifie-t-il pas
poursuite des tensions, et finalement, guerre ?
KM : Non. Il y a beaucoup d'exemples, dans le monde, dans lesquels
la non-reconnaissance ne constitue absolument pas un facteur de
guerre. Par exemple, la Chine et Taiwan ne se sont pas reconnus
mutuellement, mais elles font du commerce entre elles et coopèrent.
En écartant toute reconnaissance formelle, nous ne voulons tout
simplement pas accorder à Israël la légitimité, étant donné
que c'est lui qui, pour commencer, nous a pris
nos terres.
RR : Nous ne révélons pas un secret en disant que depuis de
nombreuses années, sous les gouvernement Fatah,
les services de sécurité palestiniens
ont été formés et équipés par les Américains, et nommément par la
CIA. N' est-il pas, par conséquent, raisonnable de supposer que
beaucoup de gens, au sein du mouvement du président palestinien
Mahmoud Abbas, sont en train de travailler en secret pour les
Américains et les Israéliens, dont certains, très vraisemblablement, à
des postes éminents ? Jusqu'à quel point pourriez-vous faire
confiance au Fatah, dès lors que vous seriez amenés à
bâtir un gouvernement d'unité nationale ensemble ?
KL : Nous connaissons bien ce problème, nous et d'ailleurs tous les
Palestiniens. Mais tous les gens qui travaillent pour le Fatah ne sont
pas tous à mettre dans le même sac. Il y a, au sein du Fatah, une
énorme motivation pour la « nationalité ». Ce sont nos partenaires
dans la résistance. Mais il y a les autres, ceux dont vous avez parlé.
C'est un fait. Nous connaissons très bien ce problème, et nous le
traitons. De plus, une relation n'est pas toujours, nécessairement,
basée sur la confiance.
RR : Pensez-vous que ce problème est, lui aussi, à la base des
difficultés que vous avez, en ce moment précis, avec le Fatah, en ce
qui concerne la formation d'un gouvernement d'union nationale ?
KM : Oui, c'est le cas. C'est un des problèmes. Malheureusement, il y
a bien les facteurs que vous dites, et aussi des pressions au service
d'agendas politiques étrangers, qui influencent négativement l'arène
politique palestinienne. Mais les forces patriotiques sont celles qui
vont l'emporter. Le peuple palestinien a confirmé cela, lors des
dernières élections [parfaitement] démocratiques.
RR : Le Hamas est-il un mouvement de fanatiques religieux, comme
on le dit en Occident ? Un mouvement avec lequel personne ne
puisse composer ?
Pourtant, le Hamas a été admis et même invité à Moscou par le
gouvernement russe, et ici [en Syrie], vous êtes les hôtes d'un
gouvernement laïc. Tout ceci n'est-il que déguisement ? Quel est le
véritable Hamas ?
MK : Eh bien, laissez-moi vous donner un exemple : nous avons, par
exemple, de bonnes relations avec des chrétiens.
RR : Travaillez-vous vraiment avec les chrétiens, en Palestine ?
KM : Mais oui. Avec certains d'entre eux. Cette image de fanatisme
religieux, qu'on nous colle sur le dos, a été fabriquée par Israël et l'
administration américaine. C'est une image fallacieuse, qui ne reflète
pas la réalité. Vous savez que l'administration américaine s'arroge le
droit de catégoriser et de classifier les gens de la manière qui lui
convient. Mais comment des pays d'Europe respectables, comme la
Grande-Bretagne, l' Allemagne ou la France, peuvent-ils se laisser
influencer par cette grossière propagande ? Ne devraient-ils pas
rechercher la vérité par eux-mêmes ? Ne devraient-ils pas se forger
une opinion sur la base de la raison, et non pas en fonction de
rumeurs et de 'on-dit' ?…
Mais comment l'Occident devrait-il découvrir la vérité au sujet de la
Palestine et du Hamas ? Tout d'abord, les journalistes occidentaux
devraient venir ici, afin de rencontrer les gens et de voir les choses
de leurs propres yeux. Allez en Palestine, et voyez de quelle manière
les gens y survivent. Ecoutez ce que les gens ont à vous dire.
Entendez les responsables du Hamas et des autres mouvements
palestiniens. Vous devez découvrir la vérité grâce à des contacts directs,
et non pas par l' intermédiaire de tiers.
Et si vous voulez en savoir plus sur le Hamas,
alors allez rencontrer des gens du Hamas. Nous sommes prêts au
dialogue.
Si vous recherchez les raisons pour lesquelles le Hamas a remporté
les élections, sachez que c'est parce que le peuple palestinien a
confiance en nous et aussi parce que le Hamas reflète les
sentiments et les aspirations du peuple palestinien. Et si vous
examinez le Hamas attentivement, alors vous n'y découvrirez aucune
forme de corruption, aussi minime soit-elle. En
revanche, vous constaterez que le Hamas est très proche du peuple,
et qu'il répond véritablement aux besoins du peuple. Dès lors que
les Palestiniens ont élu le Hamas, la volonté populaire doit être
respectée, y compris par l' Occident.
RR : Mais quid des reproches de fanatisme religieux, formulés à votre
encontre ?
MK : C'est facile à réfuter. Si le Hamas était effectivement un
mouvement de fanatiques religieux, il n'aurait tout simplement pas
été élu par le peuple palestinien, parce qu'en Palestine, il y a
plusieurs partis et groupes sociaux. Il y a notamment des chrétiens,
qui travaillent avec nous. Par exemple, un des députés de Gaza, élu
sur la liste du Hamas, est un médecin chrétien. Et la majorité des
musulmans et des chrétiens ont voté pour lui.
En réalité, les idées du Hamas sont des idées modérées. Nous
pratiquons la tolérance envers tout le monde. Et nous traitons les
musulmans et les chrétiens sur un pied d'égalité. Sur ce plan, nous
travaillons avec tout le monde, qu'il s'agisse de gens religieux,
libéraux ou laïcs, que ce soit à l' intérieur de la Palestine ou
àl'extérieur. Et nous avons des relations avec les pays du
Moyen-Orient, mais aussi avec l'Europe et avec l'Afrique. Le Hamas
est un mouvement ouvert. Nous ne combattons pas Israël parce que
les Israéliens sont des juifs, mais bien parce qu'ils occupent notre
terre.
RR : L'Occident vous reproche de commettre, dans votre lutte contre
Israël, des actes terroristes ?
MK : Non, je n'accepte pas ce reproche. Il y a une énorme différence
entre le terrorisme et la résistance. Le terrorisme, nous sommes
contre. La Résistance, cela n'a rien à voir avec le terrorisme. Ce
qu'Israël est en train de faire, c'est ça, le terrorisme. Quant à nous,
nous résistons. Tout simplement parce que nous ne faisons que
réagir contre l'agression israélienne et contre l'occupation de notre
territoire par les Israéliens.
La résistance, c'est notre droit légitime à l'autodéfense.
[* Cette interview de Khaled Meshaal a été réalisée en anglais à la
fin novembre 2006, à Damas, par Rainer Rupp, journaliste et
économiste allemand.
Elle a été publiée initialement le samedi 16 décembre par le
quotidien allemand «junge Welt », distribué dans toute l'Allemagne.
Voir l'article en ligne à l'adresse URL suivante :
http://www.jungewelt.de/2006/12-16/001.php ]
18 décembre 2006
Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier, membre de Tlaxcala, le
réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction
est en Copyleft pour tout usage non-commercial : elle est libre de
toute reproduction, à condition de respecter son intégrité et de
mentionner auteurs et sources.