Mission belge en Palestine : interview de Stefaan Declercq
Du 23 au 28 mars 2008, une délégation belge de la société civile s’est rendue dans les territoires palestiniens et en Israël. Stefaan Declercq, Secrétaire général d’Oxfam-Solidarité, faisait partie de cette mission . Impressions au retour.
Suite à cette mission, quelles sont vos premières impressions ?
Ce qui m’a le plus frappé, c’est ce contexte croissant de « dé-développement » dans les territoires palestiniens, l’incroyable régression du bien-être de la population. C’est une situation atypique par rapport à ce que je peux voir ailleurs dans le monde. Le potentiel économique, bien réel, est totalement étranglé par toutes les mesures imposées par Israël. Le problème n’est pas ici un problème de « développement », mais un problème politique : il est clair que la levée des restrictions de mouvement aurait un impact bien plus élevé que toute l’aide au développement actuellement accordée…
Comment la population vit-elle cette situation sur place ?
La société palestinienne n’a jamais cessé de lutter pour son avenir. Toutefois, on ne peut que constater le désespoir croissant au sein de la population. Les organisations culturelles, agricoles ou de santé que nous avons rencontrées sont unanimes : Israël ne fait aucun geste en faveur d’un dialogue politique. Que du contraire. Depuis des années, Israël multiplie les colonies, les barrages, les contrôles, les tracasseries, les réseaux de routes interdites aux Palestiniens…
La conférence d’Annapolis tenue fin 2007 n’a rien changé. Tout cela se poursuit de plus belle, tout comme la construction du Mur de séparation, qui se trouve d’ailleurs à 80 % sur le territoire Palestinien.
Cette situation est évidemment très mal vécue par la population. Le bureau de coordination humanitaire de l’ONU (OCHA) note que 40 % de la Cisjordanie n’est déjà plus accessible aux Palestiniens. Ceux-ci voient progresser les colonies et le Mur de séparation dans leurs terres, et subissent les effets désastreux de cette politique. Les produits agricoles sont en train de pourrir à Gaza car il n’y a plus d’exportations possibles. L’état de santé de la population se détériore jour après jour, notamment du fait de l’accès réduit à l’eau potable.
Même en Israël, la situation des Palestiniens est alarmante. Si les arabes israéliens représentent 20% de la population, ils ne bénéficient que de 4 % des dépenses sociales de base alors qu’ils paient le même niveau d’impôts. Tout cela n’est évidemment pas de bonne augure pour l’établissement d’une paix juste et durable.
La situation est particulièrement préoccupante à Gaza…
Tout à fait. C’est d’ailleurs à Gaza que la problématique de l’eau m’a le plus frappé. A cause du blocus et des restrictions d’approvisionnement en électricité et en carburants, les installations de filtrage et de traitement des eaux usées ne peuvent fonctionner, ce qui met en danger les conditions de vie de toute la population. Par manque de matériel de maintenance, les digues des réservoirs d’eaux usées ont cédé, provoquant des inondations d’eaux sales dans les maisons. Le manque d’énergie oblige les Palestiniens à déverser chaque jour des dizaines de milliers de mètres cubes d’eaux usées dans la mer Méditerranée. Bref, la situation sanitaire est des plus préoccupantes.
En outre, les conditions socio-économiques sont catastrophiques. Huit Gazaouis sur dix sont aujourd’hui sans emploi, et de plus en plus de ménages dépendent de l’aide humanitaire pour survivre. Il est quasiment impossible de sortir de la bande de Gaza pour se faire soigner dans les hôpitaux bien équipés. Cette situation ne peut plus durer.
Quelles sont les perspectives de paix dans un tel contexte ?
Malgré l’ampleur de la crise, 80% de la population palestinienne et israélienne reste fondamentalement attachée à une solution politique, et non à une solution militaire. Des deux côtés, l’écrasante majorité de la population sait qu’il faudra faire des gestes politiques importants pour parvenir à une paix durable, pour faire cesser la violation des droits fondamentaux.
Pourtant, malgré cette volonté de paix, aucune traduction politique n’émane de la part des dirigeants. Les organisations progressistes se retrouvent donc dans une situation fort difficile. Elles ne parviennent plus à faire de lobby politique car les négociations n’existent tout simplement plus. La société civile est donc désemparée, ce qui renforce le désespoir ambiant. Et puis, à cause de la multiplication des colonies et des frontières, les gens croient de moins en moins à une solution à deux États…
Quel doit être le rôle de la Belgique et de l’Europe dans le dossier ?
Une expression anglaise résume bien la situation actuelle : « Europe is a payer, not a player ». Cette attitude doit changer. Les dirigeants belges et européens doivent comprendre que l’aide ne peut se substituer à l’action politique. L’aide belge et européenne est évidemment nécessaire, mais elle ne sert à rien si une action politique déterminée n’est pas mise en oeuvre.
C’est pourquoi nous prendrons, en tant que délégation, contact avec le Ministre De Gucht afin que le Gouvernement belge mette d’urgence la situation des territoires palestiniens à l’agenda du Conseil européen, du Conseil Affaires générales et relations extérieures ainsi que du Conseil de sécurité de l’ONU. A tous ces niveaux, la Belgique doit plaider pour la levée du blocus économique de Gaza et de tous les obstacles à la santé et à l’alimentation.
La Belgique doit également appuyer le principe du « casseur-payeur » : les projets financés par le contribuable belge et détruits par les attaques israéliennes doivent être remboursés par Israël. Le Parlement belge doit aussi oser lancer le débat sur le maintien ou non de l’Accord d’association entre l’Union européenne et Israël. Cet accord permet à Israël d’exporter ses produits vers l’UE à des conditions préférentielles. Or, de nombreux produits exportés sont issus des territoires palestiniens occupés, ce qui ne peut durer. Il s’agit là d’une pratique contraire au droit international dont l’Europe se rend complice en ne renforçant pas son contrôle.
Enfin, la Belgique doit agir sur des dossiers comme le commerce d’armes avec Israël, les droits des travailleurs, les bourses d’études aux étudiants palestiniens ou la diffusion de la culture palestinienne. Les possibilités d’action ne manquent pas.
Plus d’infos :
 Stefaan Declercq, Secrétaire général d’Oxfam-Solidarité
Tél. : 02 501 67 06 — gsm : 0476 46 30 53 — e-mail : sde(at)oxfamsol.be

La délégation arrêtée !
 « Au sommet de Hebron, dans le sud de la Cisjordanie, se trouve une colonie israélienne où nous avions donné rendez-vous à un activiste israélien pour effectuer une visite. Notre guide, ancien commandant de l’armée israélienne, organise des visites des colonies pour dénoncer la situation imposée aux Palestiniens.
Alors que nous sortions du village, des militaires postés à quelques dizaines de mètres vinrent dans notre direction et annoncèrent l’arrestation de notre guide, sans motif. Celui-ci ne broncha pas et s’exécuta mais, à cet instant, les soldats rectifièrent leur propos pour annoncer… l’arrestation de tout le groupe.
Notre guide voulut alors appeler ses contacts, mais le militaire menaça de lui prendre son téléphone. J’ai appelé notre agent de liaison à Jérusalem qui, éberluée, appela alors son avocat. Deux heures plus tard, une patrouille de police vint nous libérer des militaires. Deux heures dans le froid sur la route… Le soldat qui nous avait mis aux arrêts affirma alors qu’il avait dû nous arrêter pour de prétendues raisons de « sécurité ». Cet épisode démontre une fois de plus le caractère totalement arbitraire des opérations militaires dans les territoires palestiniens… »