Lyna Al Tabal, accompagnée de Rima Hassan, accueillies par une foule de partisans dans la zone des arrivées de l’aéroport d’Orly, le 7 octobre 2025 (AFP)

Finalement, j’ai visité la Palestine…

Lyna Al Tabal Peron est une universitaire et chercheuse libanaise. Elle faisait partie des militants de la "flottille Sumoud", arrêtés par les forces israéliennes. Voici son expérience dans un centre de détention israélien après son arrestation et celle de ses compagnons.

Ainsi commence ce témoignage — et c’est aussi ainsi qu’a débuté la lettre que m’a adressée mon amie et sœur, Oum al-Qassam, l’épouse du résistant Marwan Barghouti.

Oui, enfin, j’ai visité la Palestine. Une visite à la fois douloureuse et belle — un passage entre deux blessures.

Pour Gaza, pour la Syrie, pour le Liban … pour l’Humanité. Parce que la douleur ne connaît pas de frontières… et la dignité non plus

J’ai vu le désert du Néguev s’étendre devant moi, immobile et sans fin. Je l’ai contemplé pendant deux heures à travers une fente étroite dans un camion métallique clos, impropre même au transport de marchandises avariées. Mais l’occupation avait décidé d’y tester notre capacité à supporter le silence, la chaleur écrasante, le froid artificiel de leurs climatiseurs, et le vacarme des moteurs. Pourtant, voir la terre de Palestine suspendait le temps : les tortures ordinaires de l’occupant semblaient soudain perdre leur prise.

Quand le camion s’est finalement arrêté devant l’aéroport, ils nous ont menacés de nous réarrêter si nous levions les doigts en signe de victoire.

Une armée bardée d’armes, quatrième au monde, un État nucléaire, effrayé par des doigts levés ! Quelle puissance redoute à ce point un symbole ?

Nous sommes sorties calmement, la tête haute, chantant une douce chanson pour la Palestine, scandant nos slogans, brandissant la victoire. Devant nous, s’étendaient les montagnes du Ramon, jusqu’à l’horizon. Un moment de silence, de paix, de spiritualité — comme si le monde s’était arrêté.

Et je vous l’assure : voir la Palestine vaut tout.

Cherchez les montagnes du Ramon sur Google, puis fermez les yeux… Imaginez-les devant vous.

Nous étions un groupe décidé à briser pacifiquement le blocus de Gaza, porteurs de farine, de médicaments, et de ce qu’il reste de conscience humaine. Vous connaissez la suite : notre enlèvement dans les eaux internationales, sous le soleil, en mer. Mais nous nous étions approchés de Gaza… Nous l’avons vue à l’aube, oui, nous avons vu Gaza, kidnappés, sous le ciel de Palestine.

Nous sommes treize personnes à bord d’un petit bateau, issues de huit nationalités, riches de notre diversité et unies par la même volonté

L’« interception » fut, comme ils disent, « professionnelle » — c’est-à-dire illégale, inhumaine, mais toujours « justifiée ».

On nous a conduits au port d’Ashdod, où le théâtre habituel de l’occupation s’est déployé : insultes, menaces, la même haine, le même racisme, inchangés depuis des décennies.

On nous a jetées dans des camions indignes, puis dans une cellule métallique d’à peine un mètre et demi. Une policière m’a poussée brutalement ; ma tête a heurté le mur d’acier. Un instant, j’ai cru qu’elle avait tiré. À côté de moi, l’eurodéputée Rima Hassan m’a glissé : « Ils m’ont frappée aussi. Ils nous mettront peut-être à l’isolement, mais au moins, nous sommes ensemble. »

Nous avons ri — car parfois, la peur, épuisée, devient ironie.

Peu après, ils ont jeté dans la cellule Zoubida, une septuagénaire algérienne, ancienne députée, et Sirine, une jeune militante. Quatre femmes, trois continents, un seul souffle. L’air manquait. La chaleur suffocante fut bientôt remplacée par un froid glacial : une alternance savamment calibrée pour torturer.

Nous fûmes ensuite transférées dans la prison, sections 5 et 6. On avait réparti les femmes dans quatorze cellules. Moi, on m’attribua la cellule numéro 7 — beau chiffre, mauvais présage. À quatre heures du matin, entra Itamar Ben Gvir, le ministre de la Terreur. Il déclara, grotesque : « Je suis le ministre de la Sécurité nationale. » Il était venu, entouré de soldats et de chiens, menacer des femmes endormies. Il me demanda ma nationalité. Je me tus. Mieux valait dormir que d’ouvrir un front.

Ben Gvir, si seulement tu consultais l’intelligence artificielle avant de parler — elle, au moins, a un peu d’intelligence. Si ta stupidité était énergie renouvelable, elle éclairerait tout le Néguev — et peut-être les ténèbres de ton esprit.

Chaque matin et chaque soir, ils comptaient les prisonnières. Quatorze, toujours quatorze. Le chiffre ne changeait pas, mais ils recommençaient. Nous riions à chaque comptage avant de nous rendormir.

Pas de nourriture, presque pas d’eau, les menaces de mort constantes. Aucun avocat, aucun médecin, aucun médicament — même pas du paracétamol.

Cellules israéliennes, photos publiées par Lyna Al Tabal

Chaque jour, on nous menait dans une cage de quinze mètres, type Guantánamo, où s’entassaient soixante femmes, sous le soleil du Néguev, pendant des heures, pour soi-disant attendre un juge qui souvent ne venait pas. Un policier pointa son arme sur ma tête parce que je n’avais pas les mains derrière le dos. « Je vais te tuer », dit-il. Je lui souris.

Notre jeu préféré : lui répondre en chœur — “Allez, tue-nous !” — éteignant la peur comme une bougie.

Les policiers israéliens ne comprenaient pas de quelle planète nous venions. Nous les avons épuisés. Nous chantions « Tahya Falastin ! » et les regardions droit dans les yeux. Parfois, certains baissaient la tête.

Je ne nierai pas la peur. Oui, j’ai eu peur, j’ai tremblé, j’étais épuisée. Mais celui qui détient le droit n’a pas à craindre de le revendiquer.

Les murs du cachot étaient couverts de noms gravés à l’ongle ou tracés à la mine d’un vieux crayon : Abu Iyad, Abu Mamoun, Abu Omar, Abu Muhammad — de Beit Lahia, de Jabalia, de Shuja‘iyya… des hommes déportés avant nous.

Dans la cellule n°7, il y avait aussi Judith, jeune Allemande de dix-huit ans ; Lucía, députée espagnole ; Marita, militante suédoise ; Jona, chanteuse et politicienne américaine ; Zoubida, Hayat d’Al Jazeera, Patty, députée grecque, Dara, réalisatrice…

Femmes de tous horizons, unies par une seule phrase : « Tahya Falastin ! »

J’ai choisi de traiter les geôliers comme des “cas d’étude” : le “gentil”, celui qui me glissait des nouvelles en secret ; le “méchant”, dont le regard tirait des balles ; et “l’indifférent”, automate sans âme, rouage sans pensée.

Puis vint la séance de propagande : on nous força à regarder un film sur le 7 octobre. Nous avons refusé. Nous avons crié : « Arrêtez le génocide à Gaza ! » Ils ont perdu tout contrôle. Ce fut notre dernière bataille — et notre victoire.

Nous étions dans la prison du Néguev, qu’ils appellent en hébreu Ketziot — autrefois Ansar 2, pendant la première Intifada.

De ma cellule, je voyais un terrain vague et, sur un mur, une affiche géante d’une Gaza détruite, surmontée de la mention cynique : “New Gaza”. À côté, un drapeau israélien gigantesque, arrogant.

Telle fut ma visite de la Palestine : torture, menaces, captivité.

Mais j’ai vu les montagnes. J’ai vu Gaza de loin.

Et j’ai vu, de près, la peur israélienne.

Oui, enfin, j’ai visité la Palestine.

Et l’histoire continue…

Rendez-vous en décembre. Les bateaux s’arrêtent un instant, mais ne cessent jamais de voguer. »

Intervention de Lyna Al Tabal à Paris

Hier, nous avons marqué le numéro de nos avocats sur nos bras


Source : raialyoum.com

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