Un des “think tank” les plus influent aux États-Unis, l’Atlantic Council, vient de publier coup sur coup trois documents programmatiques sous un titre révélateur faisant allusion au document qui a théorisé l’entrée en guerre froide desÉtats-Unis en 1946. Cette fois-ci la guerre froide est déclarée contre la Chine en utilisant un langage somme toute répétitif qui montre que lesÉtats-Unis veulent revivre une situation qu’ils ont connue et qui leur a assurée la domination du monde, tout en constatant avec difficulté que leur situation a diamétralement changé.
« La guerre est semblable au feu, lorsqu’elle se prolonge, elle met en péril ceux qui l’on provoquée »
Sun Tzu
L’épidémie mondiale que nous traversons constitue un formidable révélateur des tares du capitalisme mondialisé. Pour la ploutocratie qui gouverne, il importe de concevoir la parade! C’est ce qu’elle fait par le mensonge, la diversion, la division, la violence. C’est le cas avec ce que l’on nomme « la nouvelle guerre froide » contre la Chine. Mais qu’en est-il en réalité ?
En fait, on assiste à une diabolisation(2) qui va de l’ignorance à l’irrationnel, et même parfois au fanatisme. « La guerre n’est-elle pas la poursuite de l’activité politique par d’autres moyens! »(3). Cette campagne internationale dont l’origine est nord–américaine bénéficie de moyens médiatiques considérables(4) et d’une mobilisation politicienne sans précédent qui va de l’extrême gauche à l’extrême droite. De nombreux centres de recherches, des fondations, des institutions, de prétendus experts aux ressources étendues, des organisations non gouvernementales (ONG) se concertent et travaillent pour élaborer des stratégies afin de contrer les progrès incontestables de la Chine. Après Donald Trump, l’élection de Joe Biden permet ainsi de rééquiper politiquement et idéologiquement la « nouvelle » politique étrangère américaine en quête de légitimité. Il importe donc de saisir la portée et la signification de cette activité fébrile contre la Chine! C’est l’objectif de cette contribution au débat.
Fin janvier 2021, le très influent « think tank » “Atlantic Council”(5) publiait un important document de presque 200 pages sur les orientations politiques que devraient suivre les États-Unis à l’égard de la Chine pour les trente prochaines années. Son auteur a voulu rester anonyme. Pourtant, il lui a donné le nom de « The Longer Telegram »(6) en référence au « Long Telegram » du diplomate américain George Kennan qui, à Moscou en 1946 en l’absence de son ambassadeur, avait produit une note de service prospective sur l’Union soviétique et les relations soviéto-américaines. Elle fut reprise par la prestigieuse revue « Foreign Affairs ». Dans les deux cas, il s’agit toujours d’une approche conflictuelle à travers la concurrence entre deux systèmes politiques, l’adversaire désigné quant à lui est toujours le communisme. Mais le rapport entre les deux documents de références s’arrête là, d’autant plus qu’il s’agit de deux pays, de deux histoires, de deux partis et d’un contexte bien différent. La situation de l’URSS au sortir de la Seconde Guerre mondiale, caractérisée par son aura internationale comme par les importants sacrifices qui furent les siens et aujourd’hui la Chine, en pleine ascension économique et politique ne sont en rien comparable, même si les finalités proclamées par ces deux pays, mais en des époques fondamentalement différentes demeurent voisines. Le « Long Telegram » de George Kennan préfigurait ce que serait « la guerre froide », « the Longer Telegram » propose un mode d’emploi pour une « nouvelle guerre froide », dont l’affrontement à ce stade, se fera sur l’économie, le militaire, la politique et surtout l’idéologie.
La vision de l’Atlantic Council se veut anticipatrice, elle recommande de suivre une feuille de route avec des objectifs, des moyens, un agenda. Pour sa mise en œuvre, celui-ci souhaite la recherche d’une identité de vue et d’action entre républicains et démocrates. Ce qui ne devrait pas être une tâche très difficile. À ce stade et sur ce sujet, les différences d’approches entre les deux partis sont insignifiantes. Cela a déjà permis d’influencer l’orientation donnée à la composition de la nouvelle équipe en place à Washington. Ce sera donc la mission du tandem chargé de la mise en œuvre de la politique US, à savoir Anthony Blinken aux affaires étrangères et Susan Rice aux affaires intérieures, voire du trio, si l’on y ajoute Jake Sullivan, le principal conseiller de Joe Biden pour la sécurité nationale, chargé de chapeauter les deux précédents, voire du quartet si l’on complète avec Samantha Power, la nouvelle patronne de US Aid aux 20 milliards de dollars de budget. Tous et toutes sont des fidèles parmi les fidèles de Barack Obama.
Avant d’étudier plus en détail l’attitude que veulent observer au cours des prochaines années les États-Unis envers la Chine, mais aussi la Russie, qui sont désormais les deux ennemis stratégiques officiels, il convient de faire un tour d’horizon de la vision globale des défis mondiaux qui dominent la réflexion sur les bords du Potomac. Cela vaut pour l’attitude de certains pays jugés plus stratégiques que d’autres à l’égard de la confrontation entre Washington, Pékin et Moscou (7).
Pour une opinion publique nord–américaine qui est divisée, polarisée, en proie au désarroi et aux doutes sur elle-même, la crise systémique du capitalisme est bien celle des pays du Nord, elle est marquée par la tendance à la baisse des taux de profits qui est désormais une réalité. Cela exige pour l’administration étatsunienne de trouver une cause à défendre et un ou des ennemis crédibles à désigner. Comme l’a fait remarquer Jake Sullivan « Il faut s’interroger pourquoi beaucoup trop de gens pensent que la méthode pour résoudre le problème de la pandémie de covid 19 est autrement plus efficace en Chine que les préconisations libérales aux États-Unis.” Elles ont provoqué un désastre humain difficilement contestable. Il en conclut donc: « Il faut remettre de l’ordre dans la maison ». Il faut pour cela coordonner autrement et plus efficacement politique intérieure et politique étrangère. « La politique étrangère, c’est de la politique intérieure et la politique intérieure, c’est de la politique étrangère », précise–t-il. Ce qui tend à démontrer que la rupture formelle avec la logique précédente du président Trump “America first” n’est peut-être pas aussi évidente qu’on l’avait annoncé pour les besoins de la propagande. On en tiendra compte, même si on emploiera sans doute des formes plus respectueuses des us et coutumes des salons et des universités de Nouvelle-Angleterre. Un autre langage, certes, mais aussi des moyens renouvelés de négociations et/ou de pressions sur les États étrangers qu’ils soient « alliés/vassaux », ou « ennemis ».
Les adversaires déclarés des États-Unis
Concernant la Chine et la Russie, Jake Sullivan et la nouvelle administration Biden/Harris les considèrent dorénavant comme des outsiders influençant et agissant directement sur la politique intérieure américaine. Ceci témoigne de la vision paranoïaque d’un empire affaibli qui voit partout des États dûment désignés profiter de ses faiblesses et des oppositions régnant à l’intérieur de ses frontières. Sans complexes et avec arrogance, le “ deep state” dénonce, tout en prétendant exercer un « leadership » naturel sur le monde entier. En fait, ce qui semble choquer particulièrement Jake Sullivan, c’est que « La Chine fait essentiellement valoir que le modèle chinois est meilleur que le modèle américain. Elle (la Chine) pointe du doigt les dysfonctionnements et les divisions aux États-Unis ». Chose visiblement incompréhensible dans un pays dont le peuple a été élevé depuis deux cents ans dans la certitude de son invincibilité, de son exceptionnalité, de sa mission planétaire divine et de sa « destinée manifeste », car c’est bien connu, « Only God can save America »!
Parmi les menaces « intérieures », Jake Sullivan constate que désormais les USA ne sont plus protégés des courants internationaux et qu’ils sont eux aussi menacés par un extrémisme violent, quelles que soient la forme et l’origine de celui-ci. C’est sans doute là où l’on voit une nette différenciation de discours par rapport à celui de l’administration Trump/Pompeo. Ces derniers demeurent accusés d’avoir introduit un climat d’incohérences, de chaos, de divisions irréconciliables, voire de guerre civile larvée, dans un pays qui, sans ironie et selon ses dirigeants, sera perpétuellement l’exemple par excellence de la cohésion fondée sur les valeurs de « l’individualisme », de « la libre entreprise » à la base de « l’American way of life ». Alors qu’en réalité la violence a toujours fait partie des éléments centraux de cette société américaine bâtie sur les inégalités, la régression sociale, le génocide des autochtones, le travail des esclaves, la surexploitation, la marginalisation et l’exclusion des nouveaux immigrés, sans parler de la justification à la circulation de 300 millions d’armes à feu dans la population au nom d’un droit imprescriptible inclut dans la constitution américaine.
Ainsi, on constate aux États-Unis le retour de l’image simpliste reprenant les anciens poncifs du « péril jaune », à nouveau associé à celui de la « Chine rouge ». Les agressions racistes contre des membres de la communauté asiatique se sont ainsi multipliées. Elles sont typiques de la manière dont ce pays a toujours traité les minorités. Selon une étude récente, environ 70% des Américano–Asiatiques déclarent avoir été agressés entre février 2020 et mars 2021 (8).
C’est dans ce contexte que Jake Sullivan semble avoir découvert l’isolement international des États-Unis apparu spectaculairement sous Georges Bush Jr. et plus récemment sous la présidence Trump. D’où la nécessité de ramener au bercail des « alliés » considérés comme des « juniors partners » qu’on aurait pendant trop longtemps ignorés, négligés et laissés gambader hors contrôle. Une fois encore, il faudra choisir “Ou vous êtes avec nous, ou vous êtes contre nous!” La nouvelle administration semble consciente du fait qu’elle ne peut plus avancer seule et qu’elle a besoin de l’aide impérative de ses partenaires/vassaux, « Nous serons plus efficaces pour faire avancer notre vision d’une société libre, prospère et équitable si nous le faisons en collaboration avec nos alliés et partenaires démocratiques ». Démocratie à géométrie variable puisqu’elle décrète autoritaires les régimes qui ne conviennent pas à l’hégémonisme américain tout en regardant ailleurs lorsque des violations des droits démocratiques se produisent chez un de ses protégés ou aux États-Unis eux-mêmes.
Par ailleurs, Jake Sullivan cherche à rassurer et à se rassurer lui–même sur la puissance de son pays en s’appuyant sur les chiffres d’une économie calculée en fonction de critères mélangeant production de biens durables et nécessaires, production de biens inutiles et superflus ou production de « valeurs virtuelles » dont la pérennité est de plus en plus contestable. Si l’on accepte les méthodes utilisées pour quantifier sa puissance économique, les USA représenteraient donc encore un quart de l’économie mondiale, ce qui justifierait toujours et encore la défense d’un mode de vie pour qui, « In God we trust! »
Si l’on observe, outre la Chine et la Russie, la liste des ennemis déclarés et des États parias par « l’homme fort » de la nouvelle administration, c’est plutôt une impression de continuité dans la finalité du projet US, même si l’on peut percevoir des nuances, des inflexions. Si des ruptures existent dans la forme entre l’équipe Trump/Pompeo et l’équipe Biden/Harris, le fond quant à lui ne varie pas. Ainsi on trouve toujours dans la cible, Iran, Syrie, Érythrée, Biélorussie, Corée du Nord, Nicaragua, Venezuela, Palestine et bien sûr toujours Cuba. L’ordre de ces pays pourra peut-être un peu changer, mais ce sont sans doute à partir de ceux qui suivent sur la liste où l’on pourra percevoir quelques changements, entre « ennemis » déclarés, partenaires à trouver ou retrouver.
En ce qui concerne la Chine, soyons clairs, Washington entend mettre en œuvre une stratégie de déstabilisation. Plus qu’un changement de régime ce qui est visé est le changement d’un système dirigé par le Parti communiste chinois. Elle considère cette mission comme le défi plus important qu’elle doit affronter. Comme l’a déclaré Joe Biden : « La Chine est le plus grand test géopolitique de ce siècle ». Il a insisté, « la lutte sera intense. Il nous faut nous dresser contre les abus et la contrainte du gouvernement chinois qui sabote les fondements du système économique mondial. » (9).
À ceux qui s’interrogent pour savoir s’il s’agit d’une « nouvelle guerre froide », il faut répondre qu’il s’agit d’une guerre tout simplement, une « guerre hors limites » (10) qui déjà n’est plus une guerre par anticipation. Elle mobilise les administrations américaines depuis plusieurs dizaines d’années.
Selon l’Atlantic Council, les États-Unis doivent prendre en compte dans leur vision l’enjeu capital des droits de l’homme, les risques de tensions et de guerre, et le futur de la direction du Parti communiste chinois. Sont donc concernées en priorité les populations de territoires auxquels il faut « porter assistance » et assurer une défense inconditionnelle. C’est le cas du Xinjiang, du Tibet, de Hong Kong ou de Taïwan et même d’ilots en mer du de Chine du Sud et de l’Est victimes de la prétendue violence et des prétentions territoriales de Pékin. Dans cette nomenclature on ne saurait oublier le rôle que l’on fait jouer à certaines sectes religieuses comme la Falun Gong, à des organisations hâtivement nommées syndicats indépendants ou encore à des individus représentatifs de la soi-disant société civile.
On remarquera que toutes les régions chinoises visées par ailleurs sont les « portes d’entrée privilégiées » des ambitions nord–américaines. La logique suivie par les États-Unis ressemble fort à la tentative de mise en place d’un méga–blocus et de chercher à s’accaparer à long terme les importantes réserves pétrolières et gazières d’une province comme le Xinjiang. Pour la Chine, elles représentent des voies d’accès au monde, ainsi en est-il du projet pharaonique de « la route de la soie » au budget de 1 600 milliards de dollars sans conditionnalités, soit dix fois plus que ce que fut, et avec des conditionnalités écrasantes, le plan Marshall à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Dans sa nouvelle politique, Washington entend affiner l’approche brutale et caricaturale de Mike Pompeo et de sa croisade évangéliste contre le communisme chinois (11). Le Longer Telegram, a, quant à lui, une approche qui se veut plus sophistiquée. Elle veut tenir compte des prétendues différences d’approche et des supposées luttes de tendances au sein du cercle dirigeant du Parti communiste chinois. Pour l’Atlantic Council c’est une certitude, en 2050 les États–Unis et leurs principaux alliés domineront le rapport des forces mondial et régional. La Chine aura été dissuadée de toutes actions militaires contre Taïwan ou d’autres territoires. Ce qui conduit à prévoir que « Xi aura été remplacé par une direction du Parti plus modéré et que les Chinois eux-mêmes seront arrivés a mettre en cause le règne centenaire du Parti communiste ». Pour ce discours incantatoire et volontariste tout en forme de croyance, il n’est laissé aucun espace aux doutes et aux incertitudes « la longue civilisation chinoise ne peut être condamnée à un futur autoritaire » aime à conclure le Longer Telegram.(12)
Cette approche un peu puérile est très significative et au fond très défensive, car elle démontre l’incapacité des États-Unis à se remettre en cause et à atteindre le cœur des institutions de la Chine, la société chinoise elle–même, son économie. Économie, que l’Atlantic Council associe à “l’illibéralisme”, au rôle omniprésent de l’État et à son système politique, c’est à dire la fonction dirigeante du parti communiste, son idéologie, ses dirigeants, au premier rang desquels Xi Jiping présenté comme le partisan d’une interprétation classique du marxisme–léninisme et d’un culte de la personnalité comparable à celui de Mao Zedong et d’un nationalisme militant. Au fond ,75 ans après le Long Telegram de Georges Kennan, Les États-Unis en sont réduits à se référer à la même approche, elle est celle d’une idéologie conservatrice qui consiste à regarder dans le rétroviseur en ratiocinant et en ignorant par aveuglement, en quoi et pourquoi le monde a changé.
Avant d’examiner plus en détail la cible chinoise et la façon dont Washington veut affronter ce challenge de taille, il faut essayer de voir comment est envisagé le traitement de deux autres « ennemis de l’Amérique »: la Russie et l’Iran, dont les relations avec Pékin sont stratégiques sur l’échiquier mondial. En effet, l’évolution de ces alliances particulières confirme les mises en garde que Zbigniew Brzezinski avait lancées voici plus de vingt ans de manière prémonitoire aux différentes administrations US. Pour éviter un scénario catastrophe disait-il, il faut empêcher et à n’importe quel prix que se réalise contre nous, une alliance anti–hégémonique entre ces trois pays, d’autant qu’elles pourraient en annoncer d’autres(13). Le problème aujourd’hui, c’est qu’est devenue réalité la prévision de ce stratège qui avait contribué de main de maître au départ et à l’humiliation de l’URSS en l’Afghanistan.
La Russie
Concernant ce pays ré–émergeant, l’administration Biden et les caciques des partis démocrate et républicain ont critiqué l’équipe Trump pour avoir maintenu des rapports avec la Russie sans rien obtenir d’elle en échange. Cela aurait été imagé à travers une ingérence russe tolérée, voire encouragée par l’ex-président, notamment dans le cadre des élections présidentielles autant que dans l’occupation du Capitole ou encore dans l’ampleur des manifestations entrainées par l’assassinat de Georges Floyd (14). Susan Rice avait vu dans les protestations de masse à travers tout le pays, la marque d’un Vladimir Poutine tirant les ficelles(15). C’est sans doute pourquoi Joe Biden a évoqué la personnalité de ce dernier comme celle « d’un tueur, qui en paiera les conséquences » (16). On devrait donc logiquement s’attendre à la multiplication d’actions hostiles visant Moscou dans l’espoir de voir ce pays se soumettre aux règles édictées par Washington. Il est remarquable de constater que plus la Russie fait l’objet de mise en cause et de sanctions plus celle-ci se rapproche de la Chine. Henry Kissinger avait l’habitude de dire que les États-Unis se devraient d’avoir à l’égard de la Chine des relations qui soient plus fortes qu’entre la Chine et la Russie.
Là encore, les faits confirment les réflexions pertinentes de « Dear Henry » si l’on s’en tient à ce que vient utilement de rappeler l’importante et stratégique rencontre des deux ministres des Affaires étrangères russe et chinois Serguei Lavrov et Wang Yi à Guilin en Chine du Sud(17). Celle-ci a permis de réaffirmer à travers la coopération stratégique entre les deux pays, une profonde identité de vue et toute l’importance du travail en faveur du développement du multilatéralisme dans les relations internationales ! Elle a également montré clairement aux Occidentaux que leur prétendue défense des droits de l’homme ne visait pas à assurer la promotion de ceux-ci, mais à en faire une arme idéologique au service de leur hégémonie. Dans une récente et brillante interview, Serguey Lavrov revient sur les relations entre la Chine et la Russie « Beaucoup écrivent aujourd’hui que les États-Unis commettent une erreur stratégique en déployant des efforts contre la Russie et la Chine à la fois, catalysant ainsi notre rapprochement. Moscou et Pékin ne s’allient contre personne! » (18).
L’importante déclaration commune entre la Russie et la Chine a été faite quelques jours après la première conférence de haut niveau du sommet d’Anchorage entre les États-Unis et la Chine (19). À cette occasion cette dernière a fait preuve d’une grande fermeté quant aux principes qui guident son action. Elle a réfuté les arguments et surtout les provocations, inédites dans ce genre de rencontre diplomatique, elle a invité la délégation nord–américaine à regarder de plus près la situation des droits de l’homme aux États-Unis. « Le Parti communiste chinois n’est pas responsable des problèmes raciaux aux USA », a déclaré Yang Jiechi (20) qui dirigeait la délégation chinoise, invitant les USA à « abandonner leur mentalité de guerre froide ».
Dans ces conditions, la proposition faite à la Russie par Joe Biden de prolonger l’accord START sur les armes nucléaires peut apparaitre comme la carotte que l’on agite envers le locataire du Kremlin pour l’amener sans doute à s’éloigner quelque peu de son allié chinois. Mais que peuvent lui proposer les États-Unis en échange? Les Russes semblent avoir été définitivement échaudés dans leurs désirs de rejoindre le camp occidental, et la dernière intervention de Vladimir Poutine lors du forum virtuel de Davos semble confirmer cette ligne. On peut néanmoins voir dans cette proposition de prolonger les accords type START, une volonté d’empêcher que les tensions internationales n’échappent aux puissances nucléaires.
En tous cas, les discours tenus par Jake Sullivan et Joe Biden au sommet de l’OTAN ou à celui des chefs d’États de la « Quad »(21) semblent indiquer clairement que, derrière les apparences de dialogue, se mettent progressivement en place les nouvelles règles que Washington veut dorénavant suivre, faire appliquer par ses partenaires et imposer à ses adversaires.
Pour cette raison, les USA veulent instrumentaliser certaines institutions internationales comme le Conseil des Droits de l’homme de l’ONU en y reprenant leur place, et prendre en main plus solidement les rapports avec leurs alliés/vassaux au sein de l’OTAN et ceux de la Quad, cette OTAN du sud qu’ils souhaiteraient mettre en place contre leur ennemi désigné, la Chine.
C’est ce que montre la récente réunion de ces deux alliances centrée sur le « danger planétaire » que représenterait Pékin. Pour les vassaux européens qui se sont ralliés sans hésitations, Washington a mis dans la balance la menace que la Russie fait peser sur la sécurité en Europe.
On ne saurait négliger le fait que les trente alliés au sein de l’OTAN ont sensiblement renforcé leurs moyens agressifs aux frontières avec la Russie. C’est le cas en mer Noire, en Turquie et à proximité du Domnbass. Kiev veut accélérer l’adhésion pleine et entière de l’Ukraine à l’OTAN. Enfin, les États-Unis ont décidé d’augmenter leurs effectifs militaires en Roumanie, en Pologne et en Allemagne.
On peut aussi le vérifier également à travers les récentes initiatives militaires de la Quad, en particulier en mer de Chine et dans le golfe du Bengale qui a mobilisé différents pays, y compris la marine française. Ainsi deux bâtiments de guerre, dont un sous-marin nucléaire, ont navigué en février 2020 en mer de Chine méridionale, dans des eaux entourant des ilots revendiqués par la Chine (22). La France d’Emmanuel Macron revendique elle aussi le concept stratégique de « zone indo–pacifique ». Rappelons qu’en avril 2019 des incidents maritimes avaient eu lieu dans le détroit de Taïwan entre des navires français et chinois. Et ce serait la Chine qui serait agressive? Que se passerait-il alors si des sous-marins nucléaires chinois circulaient à proximité de la rade de Brest?
L’Iran
L’épineuse question des relations avec l’Iran avait servi à Trump de moyen pour chercher à s’affirmer sur la scène internationale et face à son opinion intérieure dans le but de renforcer ses tropismes israélo-saoudiens et consolider l’appui du lobby juif en sa faveur. Il sera difficile pour Joe Biden de désamorcer ce facteur de tension tant la diabolisation de l’Iran a fait ses effets. Cette politique de sanctions renforcées coûte très cher au peuple iranien, alors que son intégration dans l’ensemble eurasien par ailleurs est bien engagée. En fait, toute la politique de Washington reste dictée par les impératifs des milieux néoconservateurs dont on connaît les liens avec Tel-Aviv. Ceci est illustré par le rôle joué par la nouvelle vice–présidente Kamala Harris et même par la porte–parole de la Maison-Blanche, Jan Psaki, dont on vient d’apprendre son ancienne relation professionnelle directe avec une entreprise travaillant pour les services d’espionnages israéliens (23).
Israël demeure une préoccupation quasi–obsessionnelle, elle détermine la vision que les États-Unis ont du Proche– et du Moyen–Orient et ne pourra pas manquer d’avoir un impact prolongé aux dépens non seulement de l’Iran, mais de la stabilisation de l’Irak, de la Syrie, du Liban, des droits légitimes des Palestiniens comme des autres pays de l’aire arabe qui pourraient sans cela relever les défis de la paix et du développement. Même s’il est probable que les États-Unis cherchent désormais à se dégager formellement des liens trop unilatéraux qu’ils ont établis avec l’Arabie saoudite qui les a entrainés militairement dans leur guerre contre le Yémen. Cette décision a contribué à distendre les relations toutes aussi stratégiques pour les États-Unis qu’ils entretenaient avec la Turquie et même le Qatar.
Quant à la relation directe au Yémen, il faut noter la prise de distance officielle à l’égard du prince héritier saoudien du fait de son implication directe dans l’assassinat barbare du journaliste Khashoggi. Cette décision, une des premières de Joe Biden, visait surtout à imager sa rupture avec Trump et masquer le fait que, simultanément, les USA ont renforcé leur logistique et leurs bases militaires en Arabie Saoudite pour contrer l’Iran et mettre celle-ci en garde.
Avec le désengagement militaire possible face aux Houthis (« Ansarullah ») du Yémen, Washington prend un pari risqué. Dorénavant, en cas d’un laissez–faire, Téhéran se retrouverait à la porte d’entrée de l’Arabie saoudite, sur une frontière géographique difficile à contrôler, et cela évidemment est impensable. Le choix est plutôt de composer, d’autant que cette guerre donne aux yeux du monde et particulièrement des Arabes une image détestable de l’Arabie saoudite, de ses soutiens US et occidentaux.
L’objectif est donc de reprendre la main. Y compris pour montrer qu’on n’est pas indifférent à l’effrayante situation d’une population yéménite affamée entre guerre et covid 19. On doit donc trouver un moyen permettant d’établir le contact avec l’opposition yéménite qui fait face à un gouvernement officiel totalement isolé dans le pays et ainsi gagner du temps.
Le dossier yéménite va donc peser dans les discussions prochaines avec l’Iran, la Russie et la Chine. Au moment où le dossier libanais devient lui aussi de plus en plus difficile à gérer, entre la crise catastrophique de son système financier corrompu et le renforcement constant de la résistance libanaise.
Ce sont des sujets sur lesquels Joe Biden veut une avancée positive tout en protégeant ses arrières comme l’avait fait Obama. Sans compter qu’il sait qu’en embuscade, se tiennent les deux ennemis privilégiés. L’accord stratégique historique conclu récemment et pour 25 ans entre la Chine et l’Iran a dû le lui rappeler. Celui-ci prévoit une importante coopération économique dans le domaine des transports, de l’énergie, des ports et des services (24). Les routes de la soie y contribueront par ailleurs.
Pourtant, revenir à l’accord sur le nucléaire dénoncé par Trump sera difficile. On constate déjà une administration Biden qui a tendance à présenter l’Iran comme étant « significativement plus proche de produire l’arme nucléaire que lorsque la précédente administration s’est retirée du JCPOA»(25). Ce qui est une manière de dire qu’on ne pourra pas revenir vers cet accord, même si la faute incombe clairement et entièrement aux États-Unis. Mais n’a-t-on jamais vu cet État reconnaître ses erreurs et y remédier?
Notons enfin le bombardement par l’aviation US en Syrie d’une installation censée être iranienne dans la nuit du 25 au 26 février 2021 (26). Cet acte d’agression contre la souveraineté syrienne a voulu constituer un signal de fermeté en direction de l’Iran, de la Syrie, de la Russie, de la Chine et un message d’apaisement en direction de Tel-Aviv et de Riyad.
Chine : mode d’emploi pour une stratégie globale ?
En fait, le Scowcroft Center de l’Atlantic Council a publié en moins de trois mois plusieurs documents sur une stratégie globale à l’égard de la Chine. C’est le cas de l’important et anonyme Longer Telegram, déjà mentionné ici. C’est aussi le cas avec « A Global Strategy 2021, an Allied Strategy for China » en décembre 2020. Cette mission a été confiée à la collaboration d’experts des dix principaux pays de l’Atlantique Nord, de l’Océan indien et du Pacifique oriental sous la conduite de Matthew Kroenig et Jeffrey Cimmino (27). Elle est préfacée par Joseph Nye(28). Enfin, a été publié un plan baptisé « The China Plan : A Strategic Blueprint for Strategic Competition » qui se veut un plan à long terme pour gérer l’ascension de la Chine.
En son temps, Barack Obama avait décidé une révision stratégique des priorités nord–américaines, il avait exprimé une exigence : « Si nous ne fixons pas les règles, la Chine les fixera ». Cette orientation avait succédé à la stratégie « Hub and spoke »(29) en faveur d’alliances asymétriques dans la région asiatique. Les Américains ont toujours eu du mal à gérer leurs relations avec les pays d’Asie qui, si l’on peut dire, se sentent avant toute chose asiatiques. Plus de dix ans après, une chose est certaine, ces trois documents de l’Atlantic Council qui ont l’ambition de renouveler la vision stratégique des États-Unis cherchent à s’adapter et font beaucoup plus qu’opérer une mise à jour du « American Pivot to Asia»(30). Pour y arriver, la déstabilisation, le chaos, est prévue comme méthode. Joe Biden ou plutôt son équipe auront donc la mission de « tenter » de mettre en œuvre cette stratégie dont la cheville ouvrière sera un expert parmi les experts, Kurt Campbell (31), qui devient ainsi le coordinateur de l’Indo–Pacific au sein du Conseil de sécurité de la Maison-Blanche.
Que faut-il retenir des documents inspirés par le « Longer Telegram»?
Une même volonté politique et une même philosophie, mais avec des nuances allant de l’optimisme à un certain pessimisme, qui inspire ces trois contributions du débat stratégique US. La nature du but choisi exige de mobiliser des alliés et partenaires partageant « les mêmes idées », celui de la défense du système néolibéral comme étant censé être le seul “fondé sur des règles”. C’est peut-être là, la principale nouveauté par rapport à la période Trump. En fait, il s’agit de la prise en charge par les États-Unis d’un constat qui touche à la conviction qu’ils ont de leur « exception ». « Seuls », ils veulent éviter la manière de Donald Trump, mais toujours dans la mesure du possible de dicter au monde, à leurs concurrents et à leurs protégés, des conditions à prendre ou à laisser. La raison en est simple: les économies qui ont emprunté le chemin du néolibéralisme sans contrôle et sans frontières sont désormais toutes confrontées à une crise systémique révélée par l’épidémie mondiale. Les puissances occidentales disent vouloir donner la priorité à l’innovation à « l’économie de l’intelligence »(32) tout en réparant leurs infrastructures saccagées pour y substituer de nouvelles en imaginant de nouvelles institutions pour soutenir la coopération “démocratique”, alors même que tous les peuples doutent de plus en plus massivement de la représentativité et de la légitimité d’institutions formellement élues et du bien-fondé du système lui-même.
Au lieu de faire le bilan de ces désastres successifs pour les peuples concernés et y compris pour la crédibilité des États-Unis eux-mêmes, ces documents, dont Joseph Nye a préfacé l’un d’entre eux, suggèrent aux dirigeants occidentaux de rejouer une nouvelle partition qui ressemble sur de nombreux points aux précédentes.
Joseph Nye a par exemple imaginé l’image d’un ennemi en s’appuyant sur une hypothétique menace d’ « agression chinoise dans l’Indo–pacifique “, nouveau concept géopolitique imposé internationalement, mais dont la carte exclut la Chine et dans une certaine mesure l’Asie elle-même et qui n’a d’intérêt que dans une perspective de blocus des capacités de développement et d’approvisionnement de celle-ci. En même temps et paradoxalement, Joseph Nye rêve de voir la Chine coopérer avec Washington « sur des questions d’intérêts communs, notamment la santé publique, l’économie mondiale, la non-prolifération et l’environnement mondial ». Il va même jusqu’à « accepter » l’idée que « la stratégie n’est pas la concurrence perpétuelle ou le renversement du Parti communiste chinois, mais plutôt de convaincre certains dirigeants chinois que leurs intérêts seront mieux servis en coopérant au sein d’un système international fondé sur des règles, plutôt qu’en le remettant en question».
C’est encore et toujours la même méthode d’un pays qui depuis la doctrine Monroe refuse d’admettre la souveraineté, le libre choix et l’indépendance de ceux qui refusent de se soumettre. Sauf que depuis cette époque le précarré étatsunien est passé du continent américain à l’ensemble de la planète, ce qui n’est pas sans contribuer à essouffler « l’empire exceptionnel ». Les États-Unis ne sont-ils pas connus et reconnus comme un violeur impénitent de toutes les législations internationales, à commencer par la Charte des Nations-Unies, ils font de l’ingérence une ligne de conduite et du chaos son modus operandi politique qu’ils ont même théorisé à travers le concept de R2P (Right to protect– droit à protéger(33) . « Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais ». L’humoriste américain Dave Berry parlait des trois principes simples qui caractérisent la politique étrangère des États-Unis de la manière suivante : « 1. Nul n’a le droit d’intervenir dans les affaires d’autrui. 2. Sauf nous ! 3. Ha ha ha ha ! »
À l’origine de la croissance économique chinoise
Notons que si les documents de l’Atlantic Council sont marqués par des formules somme toute peu élaborées et répétitives, certaines tables statistiques qui y figurent présentent un grand intérêt et vont parfois à l’encontre des présupposés présentés. C’est ainsi que l’observation de la croissance économique de la Chine donne, par exemple, des chiffres de 16,94 % et de 19,3 % pour les années 1968 et 1969, époque de reprise économique à la fin de la Révolution culturelle. Celle-ci montre aussi l’essor de l’économie chinoise à partir de la valorisation des « réformes du marché » sous Deng Xiaoping, tout en ignorant le fait qu’elles ont été précédées par la construction de bases économiques et sociales importantes comme l’a démontré l’universitaire chinois Mobo Gao dans son ouvrage « Bataille pour le passé de la Chine, Mao Zedong et la révolution culturelle » (34).
Après 1978, les États-Unis, et plus largement toutes les puissances capitalistes, s’étaient auto-persuadées que la Chine en introduisant les principes d’une économie de marché, même si elle était « encore » baptisée de socialiste et en renonçant à entonner des hymnes à la gloire du marxisme-léninisme et de la pensée Mao Zedong, allait inévitablement évoluer vers « la fin de l’histoire communiste » et se convertir au capitalisme et au néolibéralisme « démocratique ». La rage actuelle visant la Chine et ses dirigeants vient donc aussi du fait qu’ayant joué à merveille la partition de l’ouverture des marchés, ce pays est devenu un partenaire incontournable pour certains, un concurrent de taille et la plus grande puissance économique mondiale en devenir pour d’autres(35). Ainsi le FMI prévoit pour 2021 une hausse du PIB de la Chine de 8,4%.
Pourtant force était de constater que la Chine avait non seulement conservé ses structures politiques originelles tout en les modernisant, en sachant faire un bilan autocritique et tout particulièrement, en tirant toutes les leçons des causes réelles de la chute de l’URSS. Ainsi, elle a continué à éduquer son peuple selon les méthodes d’analyses tirées du socialisme scientifique qui donnent sa légitimité, sa vitalité théorique créative et son efficacité au rôle et à l’action du Parti communiste chinois. La Chine est devenue une économie puissante illustrée par sa résistance efficace à la crise mondiale des subprimes de 2006/2008 et sa spectaculaire reprise économique après les vagues de Covid 19. C’est également vrai de son système politique et idéologique alternatif, capable de défier efficacement ses adversaires, et qui a contrario constitue un facteur de délégitimation du système néolibéral(36). C’est donc bien à travers le mouvement du réel qu’est le communisme qu’on cherche à attaquer aussi la Chine, alors même que les dirigeants chinois soutiennent qu’ils n’en sont qu’à la phase de construction des bases du socialisme. Mais si les résultats spectaculaires du peuple chinois font déjà peur à l’ordre encore dominant, c’est qu’ils mettent en évidence la crise existentielle profonde du capitalisme lui-même.
Cela se vérifie d’ailleurs à travers la chute de crédibilité du dollar comme monnaie de référence, de plus en plus mise en cause par de nombreux pays. Avec la montée en puissance du yuan, plusieurs États et institutions internationales, comme l’ONU, se prononcent en faveur d’un nouveau système de réserve mondial. Pendant que des voix autorisées défendent l’idée d’un retour à l’étalon or. Le roi est donc nu et les États-Unis qui avaient annoncé en 1991 « la fin des idéologies » sont eux-mêmes amenés à lancer une nouvelle guerre idéologique contre la Chine populaire et son Parti communiste.
Un système de règles à suivre
Pour George Kennan, l’auteur du Long Telegram de 1946, il fallait, après la victoire des Alliés sur le fascisme, s’opposer au « fanatisme de l’URSS comme aux visées expansionnistes de Staline (…) les États-Unis, leurs alliés et partenaires se devaient de mettre en place « un système international fondé sur des règles ». 75 ans plus tard, les auteurs des trois documents de l’Atlantic Council ne brillent pas par l’audace et l’innovation. Ils répètent le même mantra tout au long de leurs longues analyses.
On aimerait savoir ce qui, sous des slogans et des institutions de façade, se cache derrière les « règles » vantées par les USA, d’autant qu’il s’agit des leurs ! En fait, elles n’ont jamais été vraiment définies ? Pendant la période de la guerre froide citée en référence, le système était au moins obligé de faire des concessions pragmatiques et des compromis, en particulier dans le domaine social, celui du contrôle des armements et du développement des capacités militaires en raison de la peur des grèves, des mouvements sociaux et politiques, de l’émergence des pays issus de la décolonisation et des bouleversements affectant le rapport des forces international. Depuis que les dirigeants occidentaux ont estimé, après la chute de l’URSS, avoir définitivement vaincu les ennemis du marché et de la démocratie libérale, leur arrogance les a poussés unilatéralement à reprendre les acquis sociaux, à limiter les libertés individuelles et collectives par la violence, à renoncer quasi-officiellement aux politiques de désarmement et à saboter le droit au développement des peuples par la recolonisation et le pillage. S’il n’y avait pas l’immense progrès économique et social de la Chine (37), les statistiques mondiales montreraient une aggravation plus significative encore de la pauvreté absolue, de l’accroissement spectaculaire des inégalités par la hausse de la richesse obscène d’un groupe de plus en plus restreint de privilégiés, véritable oligarchie mondiale. Alors en quoi consistent ces « règles » auxquelles on se réfère à tout bout de champ dans une société mondialisée où domine « la concurrence libre et non faussée », ce qu’autrefois on aurait appelé tout simplement la loi du plus fort?
L’Atlantic Council affirme que la Chine voudrait « changer les règles » pour améliorer ses positions internationales et imposer sa domination au reste du monde. En fait, ce sont les États-Unis qui menacent la paix et la coopération mondiales. Pour Washington, il a fallu dès la fin de la Seconde Guerre mondiale faire admettre leur hégémonie au reste du monde. Après la chute de l’URSS, ils l’ont imposé unilatéralement. Aujourd’hui, l’enjeu pour les USA est de maintenir et de conserver cette suprématie, car on assiste à une évolution significative du rapport des forces à travers la montée en puissance de la Chine. En fait, il s’agit du début d’un retournement de situation. Cette évolution est à l’origine d’un certain désarroi doublé d’un aveuglement pour la nouvelle administration américaine.
Plutôt que d’en tenir compte, Joe Biden et son équipe semblent partagés entre l’affirmation de leur leadership qui relève plus d’un monde de fantaisies et le besoin d’étaler leur toute-puissance militaire. Il y a de la schizophrénie dans cette politique américaine qui entend maintenir une domination de plus en plus ouvertement critiquée et contestée. Son choix fébrile d’user de menaces et de recourir à la manière forte s’exprime par le biais de la place déterminante qui est plus que jamais donnée au complexe militaro-industriel. Ceci peut être lourd de conséquences et le jeu de la surenchère peut encourager une nouvelle aggravation de la course aux armements.
Proposé par D. Trump et approuvé dans une belle unanimité par les démocrates et républicains, les États-Unis se trouvent à la tête d’un budget de la défense colossal et sans précédent de 750 milliards de dollars, équivalent à lui seul à celui à tous les autres pays du monde cumulés (38). Près d’un millier de bases militaires US ont été établies hors de leurs frontières, dont un véritable « cordon sanitaire » autour de la Chine, comme d’ailleurs de la Russie et de l’Iran.
Mais, selon l’Atlantic Council et le Longer Telegram, Pékin dorénavant orienterait son poids économique, diplomatique et militaire croissant vers « des objectifs géopolitiques révisionnistes » (sic). Ce qui, par-dessus l’aspect cocasse de l’utilisation de ce terme par des interventionnistes libéraux, démontre que les États-Unis demeurent une puissance conservatrice, opposée à toute prise en compte des changements, à toute révision de ce qu’ils nomment « des règles », en fait les privilèges anachroniques imposés par eux-mêmes et unilatéralement au reste du monde. Cette vision pousse Washington vers une plus grande agressivité dans le but de « garder son rang » coûte que coûte.
Les auteurs des différents documents reconnaissent “Nous espérions autrefois que la Chine devienne ce que nous considérions comme un ‘acteur responsable’ dans un système fondé sur des règles, mais le président Xi Jinping a conduit son pays dans une direction plus conflictuelle”. Autrement dit, ce ne sont pas les États-Unis qui n’ont cessé de mener des guerres depuis 1945 qui seraient « conflictuels », mais la Chine qui n’a jamais engagé d’agression contre quiconque depuis 1949.
Par contre, on est en droit de poser la question de savoir où ont été formés ces terroristes que l’on trouve dans la province du Xinjiang où se pratiquerait un « génocide » selon les USA et les gouvernements occidentaux qui mènent sur ce sujet une campagne médiatique hystérique ? Pourtant, des Ouïghours sont partis combattre en Tchétchénie, en Irak et sont toujours très présents en Syrie. En 2002, l’armée américaine a arrêté 200 terroristes ouïghours engagés dans les rangs d’Al-Qaïda en Afghanistan. Pour ces bandes armées anticommunistes et d’extrême droite, à l’instar de « l’Association américaine ouïghoure » et de « l’Altay Defense », qui prolifèrent en Europe et aux USA avec les dollars de l’officiel National Endowment for democracy (NED), il faut « anéantir la Chine » (39). L’ethnocentrisme anglo-américain a aujourd’hui sans doute atteint un degré inégalé de cynisme depuis que la « puissance indispensable » est entrée dans une crise qui affecte en fait toute la civilisation humaine.
Selon les auteurs des trois documents stratégiques de l’Atlantic Council que nous présentons ici, l’Union soviétique constituait une menace militaire et idéologique directe, mais il n’y avait alors pratiquement aucune interdépendance économique ou sociale entre elle et les USA, alors qu’aujourd’hui il en va tout autrement avec la Chine. C’est là le principal dilemme des dirigeants US. En 2019, ils ont exporté vers la Chine plus de 120 milliards de dollars de marchandises et ont importé 539 milliards de dollars de biens chinois. La guerre commerciale encouragée par Donald Trump a conduit à sanctionner par des surtaxes commerciales les échanges entre les deux pays, la Chine a réagi en conséquence. Les deux pays en ont été affectés.
Cette conflictualité s’exprime également avec la dé- dollarisation qui est dorénavant devenue une réalité. De nombreux pays ne veulent plus dépendre du dollar comme ils l’ont fait pendant des décennies. La Chine, la Russie, l’Inde, l’Iran et d’autres pays encore, signent des accords permettant d’utiliser leurs monnaies nationales dans le cadre du commerce bilatéral. Le futur yuan digital sera la première monnaie virtuelle au monde. Pour le moment, il a déjà fait son apparition en circuit fermé, dans les villes de Shenzhen, Shengdu, Suzhou, et dans certaines entreprises chinoises et étrangères.
Mais ce n’est pas tout, les USA accusent la Chine d’avoir l’intention de prendre le contrôle de dix technologies clés d’ici 2025. Alors que le capitalisme étasunien se trouve dans une crise qui apparait sans issue, les auteurs des trois différents rapports de l’Atlantic Council ont pour seule réponse « nos alliés et nous-mêmes ne sommes pas menacés par l’exportation du communisme, mais par un système hybride d’interdépendance …et l’illibéralisme ». Pour les néolibéraux, le problème serait qu’en Chine le Parti communiste, à travers l’État, exercerait un contrôle sur le secteur privé. C’est ce qui vient d’arriver au géant du commerce en ligne chinois Alibaba accusé d’abus de position dominante et de pratiques anticoncurrentielles en toute impunité. Le groupe a été condamné à payer une lourde amende de 2,3 milliards d’euros au trésor public chinois. On peut comprendre l’étonnement des commentaires dans les médias mainstream au moment où les gouvernements occidentaux déversent par centaines les milliards sur les comptes des groupes multinationaux pour leur permettre de se restructurer et de poursuivre leurs activités toxiques sur les marchés financiers. Avec la nouvelle donne économique, monétaire et politique mondiale, les Américains sont en proie à des problèmes existentiels.
Sur la défensive, Washington s’obstine dans la recherche d’une explication plausible à ses problèmes domestiques tout comme à la chute de la crédibilité internationale de l’Empire. Selon le Longer Telegram, la réponse serait à chercher dans une conflictualité idéologique avec la Chine. On serait tenté de se demander pourquoi trente ans après après la prétendue “fin de l’histoire” et du communisme, de Mike Pompeo à Anthony Blinken, les dirigeants de la diplomatie US ont souligné la nécessité d’être au-dessus des idéologies ? Mais, contradictoirement et dans le même temps, ils veulent dorénavant combattre l’idéologie communiste, le Parti communiste chinois qui incarnerait « une nouvelle forme de totalitarisme ». C’est pourquoi dans les documents de l’Atlantic Council qui servent de références à la nouvelle administration US, on condamne nommément le marxisme-léninisme auquel le Parti communiste chinois se réfère et que, par ailleurs, il entend relancer par l’étude et la formation de ses cadres, contredisant ainsi le dogme et les caricatures d’une Chine qui serait devenue capitaliste.
La réponse étant idéologique, ce n’est plus seulement de changement de régime dont il s’agit, mais bien d’un changement de système. Pour y contribuer, les stratèges de l’Atlantic Council considèrent que le seul moyen pour y arriver impose de prendre en compte le fait que la plus grande faiblesse de la Chine serait son parti communiste. Ce dernier serait divisé, en proie aux luttes de fractions, l’isolement de Xi Jinping serait incontestable et sa survie politique serait posée. La solution consisterait donc à soutenir l’émergence d’une direction plus conciliante et plus ouverte aux thèses libérales, en attendant le moment où les Chinois mettront un terme définitif au règne centenaire du Parti communiste chinois. Évidemment, ce n’est pas pour demain !
Rivalité-coopérative et découplement ?
S’agissant de l’épidémie de Covid19, il est un fait que nombre de peuples à travers le monde ont noté la plus grande efficacité des différents systèmes asiatiques. C’est le cas tout particulièrement de la Chine dont, en terme économique ou sanitaire, les résultats dans le contrôle et la prévention de l’épidémie ont été rapides et effectifs, ce qui lui a permis une récupération spectaculaire. Tout en reconnaissant qu’au cours des deux dernières décennies la contribution de la Chine à la santé publique mondiale a été effective, Washington a décrété, sans expliquer pourquoi, cette coopération aurait tout d’un coup fait défaut lors de la pandémie du COVID-19. La cause en serait un manque de transparence de la Chine. Quand on voit les réactions erratiques et tardives des pays occidentaux sur ce terrain, on ne peut qu’en conclure qu’ils font porter la responsabilité de leur errance à la Chine qui, tout d’un coup, et on ne sait trop pourquoi, aurait renoncé à la coopération sanitaire qu’elle pratiquait précédemment. En fait, la Chine a fourni et continue à offrir du matériel sanitaire, y compris des vaccins à 127 pays et trois organisations internationales (40). Elle a, par ailleurs, appelé à la coopération internationale pour organiser la prévention, le contrôle et la recherche pour stopper l’épidémie du Covid 19, produire des vaccins et rechercher le bien universel en encourageant la coopération scientifique mondiale pour le bien du plus grand nombre. Avec Cuba, elle vient de mettre en place un programme visant à mettre au point un vaccin anti-covid capable de bloquer tous les variants.
En fait, en ce domaine comme en d’autres, la Chine est devenue le premier partenaire commercial d’un plus grand nombre de pays que les États-Unis, ce qui ne peut être considéré comme un échec de sa part. Dans ce contexte, la production en Chine de composants électroniques de pointe, de produits manufacturés rendrait tout découplage avec les États-Unis très coûteux, et donc impossible, à moins de se lancer dans une économie de guerre. Notons que ce problème est identique pour l’Union européenne.
Comme le fait remarquer le général Qiao Liang (41) qui dirige le Conseil pour les Recherches sur la Sécurité nationale chinoise, “les Américains n’ont pas la capacité de produire des respirateurs nécessaire à la lutte contre l’épidémie de Covid 19, dont ils possèdent les brevets. Sur les 1 400 pièces du ventilateur, plus de 1 100 doivent être produites en Chine, y compris l’assemblage final. C’est le problème des États-Unis aujourd’hui. Ils disposent d’une technologie de pointe, mais n’ont pas de méthodes et de capacité de production, ils doivent donc s’appuyer sur la production chinoise”. Il ajoute “Il en va de même pour la guerre. Aujourd’hui, la guerre est toujours une industrie manufacturière. Certains disent que la guerre est une confrontation de réseaux, la puce est reine. Oui, les puces jouent un rôle irremplaçable dans les guerres modernes de haute technologie. Mais la puce elle-même ne peut pas combattre, la puce doit être installée sur diverses armes et équipements, et toutes sortes d’armes et d’équipements doivent d’abord être produits par une industrie manufacturière forte. On admet que les États-Unis se sont appuyés sur une industrie manufacturière forte pour gagner la Première et la Seconde Guerre mondiale”. “En cas d’épidémie ou de guerre, un pays sans industrie manufacturière peut-il être considéré comme un pays puissant ? Même si les États unis continuent à disposer de la haute technologie, à avoir des dollars et à avoir des troupes américaines, tous ces éléments ont besoin d’un soutien manufacturier. Sans industrie manufacturière, qui soutient votre haute technologie ? Qui soutient votre dollar ? Qui soutient votre armée américaine”.
La Chine produit effectivement des composants essentiels pour l’économie mondiale et américaine, y compris pour le domaine militaire, informatique et spatial. Déménager ces productions vers d’autres pays prendrait, estime-t-on, au moins deux années, ce qui pourrait permettre à Pékin d’exercer des pressions insupportables pour l’équilibre des entreprises concernées. Les États-Unis sont donc en quelque sorte enfermés dans une situation de « rivalité coopérative » imposant de faire deux choses contradictoires en même temps, s’opposer et coopérer. On ne voit dès lors pas comment Washington pourrait sortir de cette dialectique impossible sans y perdre encore plus. Seule une guerre permettrait d’ignorer ce processus. Les résultats financiers spectaculaires des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) ne sauraient être l’arbre qui cache la forêt. En fait, le complexe militaro-industriel des États-Unis est le seul secteur productif à ne pas avoir été massivement délocalisé et à s’être même sensiblement renforcé. En plein cœur de l’épidémie, les géants que sont Raytheon, Northrop Grunman, Boeing, Mc. Donnel Douglas, Lockheed Martin, ont même embauché et créé des milliers d’emplois. Ces entreprises ne peuvent se permettre de tomber en panne ! Ils ont aussi besoin de guerres. C’est ce qui permet d’émettre l’hypothèse folle que l’idée d’une aventure guerrière mondiale pourrait germer dans la tête des docteurs Folamour (42) du Pentagone.
Comment relever le défi chinois ?
Les auteurs des différents plans stratégiques à long terme de l’Atlantic Council veulent faire croire que les États-Unis seraient en l’état capable “d’utiliser efficacement leurs ressources de puissance dure et souple (hard et soft) pour défendre et renforcer un système fondé sur des règles”. Car selon le Longer Telegram, la richesse combinée des démocraties occidentales -États-Unis, Europe, Japon – dépassera de loin celle de la Chine (43). En fait, c’est la méthode Coué, qui consiste à se convaincre que « l’on va de mieux en mieux chaque jour ». Pourtant la crise systémique révélée brutalement par la crise pandémique est loin d’être derrière nous. Après le Brexit, puis les divergences entre l’Allemagne et les USA sur le gaz russe et l’enjeu de Nord Stream2 renforcé par un projet d’hydrogène vert(44) et avec les opportunités ouvertes par le projet chinois « des nouvelles routes de la soie» qui engagent un nombre significatif d’États européens(45), et enfin, avec les errements des rapports intra-atlantiques au cours de la présidence Trump qui ont démontré l’effritement du système US, on doit se poser la question de la solidité de l’alliance des États-Unis avec ses « partenaires-vassaux ». Ensuite, il faut examiner la capacité de Joe Biden à accepter de faire des concessions économiques, commerciales et militaires en faveur de leurs alliés, chose sur laquelle les USA n’ont pas brillé au cours des dernières décennies. S’engager plus encore sur la sécurité en Europe face à la menace que ferait planer la Russie en échange d’un soutien des Européens à la croisade contre la Chine se présente comme une solution, qui se heurtera forcément à des contradictions comme cela vient de se manifester à travers la récente rencontre en visio-conférence entre Xi Jinping, Angela Merkel et Emmanuel Macron officiellement sur les enjeux climatiques.
Dans le même temps l’Europe entrainée par l’Allemagne avec l’assistance de la France a signé un accord historique avec la Chine (CAI, EU-China investment Agreement) qui consacre un succès politique indiscutable pour Pékin face à Washington dans la mesure où l’application de sanctions antichinoises US seront rendues plus difficiles et que la réalisation des routes de la soie en Europe se poursuivra avec dorénavant l’implication concrète de 17 pays de l’UE.
Le problème pour les États-Unis est de même nature avec la Quad. Comme le fait remarquer le “South Asia Journal”, l’obstacle auquel se heurte Washington c’est que cette alliance politico-militaire ne fait pas recette en Asie du Sud-Est. Après le récent accord de l’ASEAN et de la Chine, les nombreux programmes de coopération et d’assistance bilatéraux de celle-ci, sans compter les importantes relations de Pékin avec le Japon, la Corée du Sud et l’Australie, sont loin de faciliter le développement d’un contexte favorable pour les ambitions politiques de Joe Biden et de son équipe, a fortiori dans cette région si stratégique pour leurs visées.
En plus, de nombreux analystes semblent ne pas percevoir l’essor d’autres pays émergents qui sont des partenaires économiques de premier plan dans des programmes et des investissements en partenariat avec la Chine, et cela sans aucune conditionnalité politique. C’est le cas dorénavant en Europe même, mais aussi avec la Russie, la Biélorussie, l’Iran, le Pakistan, la Corée du Sud, l’Asie du Sud-Est, voire la Turquie, sans parler de la croissance en cours de plusieurs pays africains et d’Amérique latine où de dix milliards de dollars en 2000, les échanges commerciaux sont passés à 350 milliards en 2019. Ainsi le Brésil avec l’anticommuniste Bolsonaro à sa tête dépend de la Chine pour un tiers de son commerce et de ses investissements.
Le revers subi par les États-Unis à l’occasion de l’accord des quinze pays de l’ASEAN+3, dont la Chine, en faveur du plus grand traité de libre-échange au monde est un autre exemple significatif (46). Ce partenariat régional économique global (RCEP) concernera plus de deux milliards de personnes, sans compter l’Inde qui réserve sa signature, mais qui a participé comme observateur à ces longues négociations. Par ailleurs, on ne saurait sous-estimer la place que la Chine continue à occuper au sein des BRICS, même si le caractère alternatif et militant de cette alliance a changé du fait de l’alignement du Brésil et de l’Inde sur les États-Unis. On ne saurait perdre de vue aussi le fait que la Chine demeure un important partenaire de l’Inde avec laquelle les échanges commerciaux ont sensiblement augmenté ces dernières années. Le PIB de la Chine est presque cinq fois celui de l’Inde, où l’espérance de vie est de dix ans inférieure à celle de son puissant voisin, et où 30% de la population connaît la malnutrition. Ces réalités sont mises en évidence par la puissance du mouvement social actuel en Inde qui mobilise des centaines de millions de paysans et ouvriers qui assiègent les grands centres urbains.
Quels sont les dix points marquants de l’étude stratégique de l’Atlantic Council pour la décennie à venir
Le document/feuille de route intitulé « An Allied Strategy for China » de l’Atlantic Council est divisé en dix points censés analyser les différents aspects du défi face auquel se trouvent confrontés les États-Unis vis-à-vis de la Chine.
À y regarder de près, on a plutôt l’impression que les auteurs du document tournent en rond avec les mêmes argumentations, sans jamais proposer d’alternatives en lieu et place de la contradiction fondamentale entre la nécessité revendiquée de devoir combattre la Chine et simultanément de devoir coopérer avec elle, en particulier sur les créneaux de l’économie mondiale, de l’environnement et du désarmement.
1/ Le système : Les auteurs constatent d’entrée de jeu que le niveau de vie mondial a presque triplé, mesuré par le PIB par habitant, et que le pourcentage de personnes vivant dans l’extrême pauvreté est passé de 66 % à moins de 10 % depuis 1945, et que le nombre de pays décrétés démocratiques dans le monde est passé de 17 en 1945 à 96 aujourd’hui. Affirmations sans fondements permettant de se remémorer un « glorieux passé » occidental qui néglige délibérément le rôle déterminant qui fut celui du camp socialiste, de la décolonisation, le Mouvement des États non-alignés, pour lequel la Chine a joué un grand rôle. On doit à cet égard rappeler le combat titanesque engagé par les pays du tiers-monde avec la Chine pour essayer d’imposer aux pays capitalistes développés ne serait-ce que le concept même de Droit au développement et de Nouvel Ordre économique mondial(47).
2/ La montée de la Chine : Les auteurs soulignent que Deng Xiaoping a mis en place une série de réformes économiques axées sur le marché qui ont déclenché « un torrent de croissance » qui a permis à la Chine de devenir rapidement une force avec laquelle il faut compter sur la scène mondiale, « La Chine se faisant discrète au fur et à mesure qu’elle s’élevait pour devenir une grande puissance ». Affirmations qui négligent les progrès constants de l’industrialisation de la Chine dans les années 1949-1978 et qui oublient de constater que les réformes chinoises ultérieures n’ont pas été menées selon les dogmes libéraux, mais qu’elles ont laissé une place importante à la planification étatique, au secteur public et au progrès social et sanitaire, dont les progrès incontestables dans tous les domaines se sont poursuivis de manière régulière.
3/ Les faux espoirs et les vraies frayeurs concernant la Chine : Le constat fait par de nombreux chercheurs, experts et décideurs aux États-Unis qui espéraient que la libéralisation de l’économie et la croissance du pays amèneraient la Chine à passer à un système politique progressivement calqué sur le modèle occidental s’est révélé faux. Dorénavant et selon les mêmes, Xi Jinping aurait abandonné l’idée de Deng Xiaoping selon laquelle la Chine devait patiemment attendre son heure. Le Président chinois a fait le choix de mener une politique étrangère fondée sur la souveraineté, la cohésion, l’unité, le respect de la dignité, l’indépendance économique et la réponse aux besoins de tout son peuple, dont on ne rappellera jamais assez qu’il compte 1,4 milliard de citoyens, de 56 ethnies différentes, toutes traitées sur un pied d’égalité et non discriminées pour la promotion sociale, alors qu’aux USA les minorités sont socialement marginalisées. Autrement dit, on reproche aux Chinois de ne s’être pas humblement soumis à l’a priori idéologique et économique des partisans des « règles du jeu » concoctées par les USA.
4/ Le défi chinois, la coopération, mais sans conditionnalité politique : Pékin utiliserait sa puissance économique pour se livrer à des pratiques commerciales déloyales, dominer les secteurs des technologies émergentes, réaliser des investissements en infrastructures qui ne sont pas à la hauteur des normes internationales et exercer une coercition économique à travers l’endettement des pays en développement. En fait, les États-Unis contestent le droit de la Chine à construire, développer ses propres moyens et chercher à s’émanciper de la tutelle des Occidentaux qui continuent à contrôler la grande majorité des flux d’informations économiques, commerciales, juridiques, technologiques, scientifiques, tout en exerçant une dictature sur les brevets et la propriété intellectuelle (48), et cela tout en pratiquant l’espionnage économique le plus poussé au monde.
Les documents de l’Atlantic Council accusent la Chine d’avoir établi des partenariats stratégiques avec d’autres « autocraties », dont la Russie et l’Iran, et de poser ainsi des défis à la « gouvernance mondiale » dont les États-Unis assument le leadership. On ne comprend pas pourquoi la Russie et l’Iran, pays où existe le multipartisme et où se déroulent des élections pluralistes, sont désignés comme « autocratiques ». Le sont-ils plus que les USA dont le bipartisme étouffe par la violence toute démocratie et expression divergente par rapport au système libéral. Dans le même temps, que faut-il penser de leurs alliés comme les monarchies absolutistes du Golfe, le régime colombien des tueries systématiques, l’Inde au racisme et à la pauvreté extrême, sans parler du scandale du camp d’internement US de la base de Guantanamo, que les Américains occupent illégalement en même temps qu’ils imposent un blocus criminel à Cuba.
Pourquoi ne pas évoquer les graves entorses au droit des citoyens et les politiques répressives que l’on constate en France, au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Ces pays soi-disant respectueux de la gouvernance mondiale sont ceux où l’on peut constater une corruption de haut vol, des violences policières répétées et l’inféodation de la justice.
À ce sujet, il est intéressant et positif de noter que la Chine vient de publier un rapport consistant et accablant sur des faits avérés d’atteintes aux droits de l’homme aux États-Unis (49), avec en exergue du document, le cri de Georges Floyd (50) « I can’t breath » (Je ne peux plus respirer) qui est devenu le mot d’ordre de milliers de rassemblements antiracistes à travers le monde.
Sur le plan économique, le défi chinois consisterait donc, selon l’Atlantic Council, dans le vol des technologies des entreprises occidentales par espionnage industriel ou transfert « forcé » de technologies émergentes, ce qui serait censé expliquer la diminution constante de l’écart technologique entre les États-Unis et la Chine. Accusation simpliste qui devrait faire rire tous les analystes qui se préoccupent « d’intelligence artificielle » et qui reconnaissent les progrès spectaculaires de la Chine en ce domaine. Quand la Chine consacre 70 milliards de dollars à l’AI, les États-Unis investissent 11 milliards de dollars. À l’horizon 2030, la Chine en sera le leader mondial (51). C’est toutefois cet argument dérisoire qui a été utilisé par Washington pour justifier la fermeture du plus ancien consulat chinois aux États-Unis, celui de Houston (52), et procéder à l’expulsion de diplomates.
Dans ce contexte, force est de constater que l’initiative chinoise “Une ceinture, une route” « One belt, one road » (BRI) au budget inégalé de 1 600 milliards de dollars constitue un effort massif d’investissements sans précédent dans l’histoire contemporaine, comparé à ce que fût le Plan Marshall des USA en 1947 à l’égard de l’Europe, soit 173 milliards de dollars en 2020, sans évoquer les lourdes conditionnalités que cela entraina pour tous les pays du vieux continent. Justement, ce projet de coopération inédit se fait sans aucune conditionnalité politique, et c’est cela qui le rend attrayant pour les pays concernés. Les projets des futures routes de la soie, terrestres et maritimes, vont se réaliser à travers les besoins urgents d’infrastructures que manifestent de nombreux pays exclus du développement par les politiques néo-coloniales des pays riches. Des ports, des aéroports, des routes, des chemins de fer à grande vitesse, des ponts, des parcs industriels vont se concrétiser, et se concrétisent déjà, ils représentent ce qu’aucune puissance occidentale, même si elle le voulait, ne serait en état de mener à ce rythme. 140 pays se déclarent partenaires de ce projet titanesque qui représentera 4,4 milliards d’habitants et 40% du PIB mondial. Cela se fait d’une manière différente de l’OTAN qui s’est toujours ouvertement « projetée » de façon offensive. À partir d’une vision globale, la démarche des Chinois se situe sur le terrain du développement et de la coopération mondiale sur un pied d’égalité, sans ingérence et sans contreparties politiques, à partir du principe « gagnant/gagnant » encourageant ainsi le multilatéralisme dans les relations internationales.
Pourtant pour l’Atlantic Council, le vaste et ambitieux programme « des nouvelles routes de la soie » constitue la preuve que la stratégie de la Chine vise à accroître son influence géopolitique dans toutes les régions du monde, de concert avec la Russie et l’Iran, dans le seul but serait de contester « le leadership mondial » auquel prétendent unilatéralement les États-Unis.
5/ Les opportunités : Ne pouvant en principe attaquer la Chine de front, à moins de passer directement à l’option militaire, les auteurs des projets stratégiques de l’Atlantic Council doivent tergiverser entre des intérêts contradictoires et essayer de jouer tantôt le chaud tantôt le froid, selon la méthode du « smart power » chère à Joseph Nye, tantôt « hard power », tantôt « soft power». L’ambition déclarée serait d’amener la Chine et ses alliés à accepter la légitimité du leadership américain afin de « coopérer dans les relations économiques, les opérations de maintien de la paix, le contrôle des armements, la santé publique et le changement climatique ». Ce qui reviendrait à une capitulation et un ralliement en bonne et due forme, et ce qui est parfaitement irréaliste. Dans le même temps, bizarrement, les auteurs constatent que les achats par la Chine de bons du Trésor américain ont financé la dette et le déficit des États-Unis. Ils acceptent également de considérer qu’elle a joué un rôle constructif dans la non-prolifération nucléaire et que les États-Unis et la Chine ont coopéré sur différents sujets.
6/ Les objectifs : Les auteurs de ces trois analyses prospectives prônent également une politique visant à affaiblir le concurrent chinois, d’où leur navigation à vue entre dénonciations répétées et proclamation de leur désir de voir s’établir une relation stable avec la Chine.
Incapable d’expliquer l’évolution de la position chinoise sur les domaines incriminés, le choix revient encore et encore sur la mise en cause politique et idéologique. Fort logiquement du coup, les stratèges de l’Atlantic Council privilégient les problèmes de personnes. Le défi étant réduit à considérer que « les coopérations sur des questions d’intérêts mutuels » seront « difficiles à réaliser avec Xi comme président et la génération actuelle de dirigeants du PCC au pouvoir ». Il va donc falloir « résister aux pratiques économiques déloyales et à la propagation du capitalisme autoritaire dirigé par l’État … soutenir les droits de l’homme, la démocratie et la bonne gouvernance » en Chine comme dans les autres pays ciblés par Washington.
7/ Renforcer : Pour faire face à cette « menace » que représente le système chinois, pour le combattre, le faire reculer tout en lui demandant de coopérer sur les questions « d’intérêts mutuels », la réponse n’est pas des plus simples. L’Atlantic Council s’est donc résolu à essayer de « rééquilibrer » un rapport des forces qui devient défaillant. Il propose de « créer de nouvelles institutions pour faciliter la collaboration entre des alliés et des partenaires partageant les mêmes idées en Europe, dans la région indo-pacifique et dans le monde. » C’est quasiment reconnaître que les coûteuses institutions occidentales existantes sont inefficaces et qu’il faut donc rajouter des couches bureaucratiques au millefeuille. On constatera également dans ces documents et dans bien d’autres concoctés à Washington que le « pragmatisme américain » à visée consumériste a tendance à céder la place à une vision philosophique de plus en plus idéaliste, émotionnelle et moralisatrice des relations entre États, censées être basées non plus sur un partage d’intérêts, mais « d’idées », chose sans doute moins calculable et donc moins coûteuse pour un État surendetté.
8/ Défendre : Dans le même temps, on entend « préconiser, financer et développer de nouvelles capacités militaires et de nouveaux concepts opérationnels pour parvenir à une posture de combat crédible dans la région indo-pacifique ». Cela explique l’obsession des États-Unis sur le Parti communiste chinois qui, selon eux, viserait désormais à dominer le monde avec une armée de classe mondiale d’ici 2035.
Pour donner à la nouvelle administration un début de cohérence apparente et d’anticipation, c’est sur ce terrain que vont plancher dans les mois à venir des myriades de hauts fonctionnaires du trésor, du complexe militaro-industriel et de l’espionnage US. C’est là, la mission de Lloyd Austin (53), le général afro-américain placé à la tête du Pentagone qui doit sous quatre mois présenter le rapport d’une commission d’une dizaine d’experts qui vont élaborer le volet militaire de la stratégie, en lien avec l’OTAN et la Quad.
C’est dans ce but en principe « défensif » qu’il faudra travailler pour « réduire la dépendance économique à l’égard de la Chine et offrir des opportunités économiques compensatoires aux alliés et partenaires vulnérables ». Bien malin qui saura imaginer un moyen pour arriver à de tels résultats, lesquels ne manqueront pas de coûter très cher, d’autant plus qu’ils s’apparentent à la quadrature du cercle. Ils recèlent, si l’objectif assigné devait être maintenu coûte que coûte, des risques élevés de confrontations militaires, singulièrement en mer de Chine du sud, dans le détroit de Formose ou, comme cela vient d’être illustré ces dernières semaines, par une dangereuse proximité entre des navires chinois et américains au large des Philippines ou encore à travers la violation des eaux côtières indiennes par un bâtiment de la 7e flotte des USA.
La répétition page après page de proclamations incantatoires suivies de dénonciations visant à « contrer les opérations d’influence chinoise et défendre la démocratie et la bonne gouvernance …mettre en lumière la corruption du Parti communiste chinois, les violations des droits de l’homme et encourager les réformes en matière de droits de l’homme en Chine » …tout en voulant « Maintenir un équilibre de pouvoir à l’encontre de la Chine dans l’Indo-pacifique » sonne comme un aveu de faiblesse compulsive. Cela n’est pas sans expliquer l’étendue des pressions exercées en forme de recolonisation contre des pays comme le Sri Lanka, dont le Pentagone, comme New Delhi, aimerait faire un porte-avions naturel pour accueillir la 7e flotte et la logistique militaire anticipatrice des États-Unis en prévision d’un conflit avec la Chine. Il faut noter que c’est à Colombo, sous la pression populaire, qu’un accord de coopération militaire entre le Sri Lanka et les États-Unis baptisé MCC (54) a été mis en échec. Il aurait donné toutes libertés, et sans aucun contrôle des autorités locales, à la mise en place d’importantes infrastructures permettant une présence importante et permanente de soldats US à l’intérieur du Sri Lanka, en plus de l’accès et du contrôle de ses ports et aéroports. Cette volonté nord-américaine vis-à-vis de la « perle de l’Océan Indien » n’est pas non plus indifférente au souci de stabilité de l’Inde qui est devenue le partenaire privilégié des États-Unis dans la région.
Ce qui renvoie à l’enjeu stratégique que représente dorénavant le contrôle des corridors maritimes et les ports dans cette partie du monde qui représente 70% du trafic maritime mondial pour le pétrole et 50% de celui des containers, sans parler des 30 km qui séparent l’Inde du Sri Lanka à travers le Palk Straits qui est connecté directement au Golfe du Bengale où d’importantes manœuvres militaires ont lieu régulièrement. De ce point de vue, le navire bloqué pendant plus d’une semaine dans le canal de Suez et qui a fait trembler les marchés constitue un cas particulièrement éclairant (55). Surtout quand ils sont associés avec la dimension maritime « des nouvelles routes de la soie » comme c’est le cas pour les ports en eaux profondes d’Hambatota, Trincomalee et Colombo au Sri Lanka ou celui de Gwadar au Pakistan où les installations sont soumises aux provocations armées d’un Front de libération du Baloutchistan formé, équipé et encadré par la CIA (56).
9/ Engager : « Magnanimes » dans leur jeu du chat et de la souris où ils s’imaginent à la place du chat, les dirigeants américains et associés entendent « imposer un prix à la Chine pour son comportement menaçant. En même temps, ils doivent également démontrer les avantages d’une participation plus complète à un système mondial fondé sur des règles ». Ce pour quoi il faut malgré tout « Maintenir des lignes de communication ouvertes avec la Chine, même si la concurrence s’intensifie » et s’assurer « Le soutien du peuple américain (qui) est essentiel pour assurer la viabilité d’une stratégie à long terme. » Conclusion pour le moins prudente qui témoigne d’un sentiment de faiblesse intérieure qui permet sans doute de mieux comprendre des textes qui se veulent « stratégiques » et qui sont en fait selon la logique libérale binaire « gagnant-perdant ». Objectif auquel les Chinois répondent par « gagnant-gagnant ».
La Chine pour faire progresser la perception qu’elle a de sa vision stratégique globale a, elle aussi, besoin d’un instrument politique qui lui permettra de ne pas compter uniquement sur sa force et ses capacités économiques. C’est le but du CICA (Conference on Interaction and Confidence Building Measures in Asia) créé à l’initiative de Xi Jinping. Cette institution reprend à son compte le « Hub and Spoke Strategy » des Américains, mais cette fois, en donnant un sens concret à la coopération entre la Chine et les pays de la région asiatique et son rôle dans le système financier qu’elle s’est donnée à travers la AIIB (Asian Infrastructure Investment Bank)(57).
10/ Application : Après tout ce qui a été écrit plus haut, les auteurs de l’Atlantic Council, sans doute conscients que le défi chinois pour beaucoup de pays s’appuie principalement sur l’attractivité de son modèle économique, en arrivent à conclure « aucun pays ne doit être forcé de choisir entre les États unis et la Chine. Les pays peuvent, et doivent, s’engager avec la Chine dans des domaines d’intérêt mutuel, mais ils doivent également travailler avec le reste du monde pour se défendre contre les comportements chinois qui violent les normes internationales et leur imposer des coûts ». Cette formulation laisse penser que, inconsciemment, les auteurs de ces trois études se considèrent implicitement non plus comme étant au centre, mais comme faisant partie « du reste du monde » et donc qu’ils se sentent minés intérieurement par la possibilité à terme d’une future et possible « défaite », ou pour le moins, d’un profond bouleversement du rapport des forces mondial.
Et c’est peut-être ainsi qu’il faut comprendre une phrase de conclusion d’un de ces longs et laborieux documents fidèles à la logique du « Longer Telegram »: « Le monde libre a un palmarès impressionnant de réussites dans la lutte contre les rivaux autocratiques de grande puissance et dans la construction d’un système fondé sur des règles. En poursuivant cette stratégie – et avec une volonté politique, une résistance et une solidarité suffisantes – ils peuvent une fois de plus survivre à un concurrent autocratique et offrir au monde une paix, une prospérité et une liberté futures ». Aux vieux mythes quelque peu décatis des « pères fondateurs » américains vient s’ajouter cette formulation somme toute « survivaliste » qui pose la question du comportement qu’auront les États-Unis confrontés à la perte de « leadership », perspective imminente au regard de leur fonctionnement pour le moins erratique, en particulier depuis la crise du Covid 19, sans oublier les problèmes existentiels avec les alliés/partenaires de l’Union européenne ou ceux d’Asie du Sud-Est.
Ceux-là mêmes qui affirment d’un côté que les masses ne sont pas prêtes à se soulever en faveur d’une « pensée Xi Jinping » soutiennent que la Chine, ou la Russie, mènent une guerre idéologique qui atteint dorénavant les profondeurs de l’Amérique. Là est bien leur problème !
Pour conclure provisoirement…
Il est connu que les Américains sont des gens impatients, par contre, les Chinois ne le sont pas. En fait, les Chinois grands joueur de Go et de de Mah-Jong sont non seulement patients, mais savent donner du temps au temps. Les Chinois voient loin et savent faire le choix de stratégies sur le long terme, y compris sur plusieurs dizaines d’années, c’est ce qu’ils font actuellement. Les Américains aiment travailler dans le court terme, ils cherchent à gérer au mieux leur lourde bureaucratie, leurs luttes intestines, leurs alliances et mésalliances, leurs divisions chroniques, leurs querelles et la concurrence entre leurs institutions, et même des élections tous les quatre ans, dont les résultats peuvent être inattendus.
Au fond, cette période nouvelle dans laquelle nous sommes désormais entrés de plain-pied démontre de manière irréfutable que le système dominant qui s’est imposé depuis la disparition de l’URSS ne fonctionne pas ou plus, qu’il existe une autre voie, des moyens en forme d’alternative pour répondre aux besoins de l’humanité tout entière. Cette idée est devenue une évidence pour un grand nombre de personnes et de pays à travers le monde qui constatent qu’un autre système fonctionne mieux et qu’il existe dans le but de soigner, de travailler, de s’éduquer, de se cultiver et de préserver la planète d’agressions militaires ou environnementales de toutes sortes.
« L’Orient est rouge » proclamait une œuvre de la culture chinoise du milieu des années 1960. Henry Kissinger quant à lui faisait le constat suivant: « La Chine s’irriterait profondément de toutes les tentatives visant à lui dicter ce qu’elle doit faire chez elle. Le regard qu’elle porte sur l’ingérence de l’Occident dans son histoire vient encore accentuer cette susceptibilité générale. Depuis que les guerres de l’opium du XIXe siècle ont contraint le pays à s’ouvrir, les Chinois ont considéré l’Occident comme l’agent d’une interminable succession d’humiliations. Pour leurs dirigeants, le refus farouche de s’incliner devant les prescriptions de l’étranger est un impératif moral ».
« La Chine s’est éveillée » (58), et les experts de l’Atlantic Council seraient bien inspirés de réfléchir à l’opinion lucide de celui qui fut l’artisan de la reconnaissance de la République populaire de Chine par les États-Unis et de la première rencontre historique de leurs dirigeants, ce qui constitua à l’époque l’équivalent d’un tremblement de terre à l’échelle mondiale.
drweski.bruno@orange.fr
Source: La pensée libre
Notes :
- Les moines du temple de Shaolin en Chine s’entrainent au Kung Fu et aux arts martiaux en cassant des briques avec la main, ou la tête.
- Maxime Vivas, « Ouïghours, pour en finir avec les fake news », le route de la soie, Editions, décembre 2020.
- Carl Von Clauzwitz (1780-1831), théoricien militaire prussien.
- Mobo Gao, « La fabrique de la Chine », Editions critiques, mars 2021
- L’Atlantic Council est un de plus influents « think tank » US, représenté sur les cinq continents. Sa structure européenne vient de publier une importante interview d’Emmanuel Macron. L’Atlantic Council est financé par les gouvernements de 25 États, dont les USA, la Norvège ou les Emirats arabes unis et plusieurs sociétés multinationales. Dans son ancien directoire, outre Brent Scowcroft qui fut le secrétaire à la sécurité de Georges Bush senior, on trouve Susan Rice, Peter Holbrook, …un ancien secrétaire général de l’OTAN et une dizaine d’anciens patrons de la CIA.
- « Senator Dan Sullivan on The Longer Telegram and the need for a new American China strategy », Atlantic Council, 23 mars 20121.
- Jeff Seldin, « Biden’s National Security Approach Sees Merger of Foreign », Domestic Policy, January 29, 2021 08:49 PM https://webmail1h.orange.fr/webmail/fr_FR/read.html?FOLDER=UF_ACTION+R…
- « États-Unis : Les agressions contre les asiatiques pourraient faire le jeu de Pékin », Les Echos, 31 mars 2021.
- « Pour les USA de Joe Biden, la Chine reste le plus grand défi du siècle », Asialyst, février 2021
- Qiao Liang et Wang Xiangsui sont les auteurs de la « Guerre hors limites », un ouvrage sur l’art de la guerre asymétrique, Essai poche, 2006.
- Voir la conférence de Mike Pompeo, “Communist China and the Free World’s Future” (July 23 2021) https://ge.usembassy.gov/communist-china-and-the-free-worlds-future-july-23/
- « Toward a new national China strategy » rebaptisé “the Longer telegram”. Atlantic Council, janvier 2021. Préface de Frederic Kempe, président de l’Atlantic Council.
- Zbignew Brzezinski, « Le grand échiquier (the grand chessboard) », Bayard, 1997.
- Voir à ce sujet les déclarations de Susan Rice ou Nancy Pelosi qui ont vu dans les évènements du Capitole la main de Vladimir Poutine.
- Bruno Drweski, Jean-Pierre Page, « USA : Révolution sociale ou révolution colorée », Le Grand Soir, juillet 2019
- « Poutine est un tueur… » selon J.Biden sur la chaine ABC citée par France Info, 17 mars 2021
- « Le sens d’une déclaration commune », la rencontre Lavrov et Wang Yi, Histoire et société, 23 mars 2021.
- « Le monde vu par Lavrov » interview sur la première chaine de tv russe. < https ://geopragma.fr/le-monde-vu-par-lavrov >.
- « Guerre des mots pour la première confrontation entre l’équipe Biden et la Chine », Europe1, 19 mars 2021
- Yang Jiechi est membre du Bureau politique du PC chinois et Directeur de la Commission centrale des affaires étrangères du PCC.
- « Quad », la quadrilatérale: alliance militaire des USA, Inde, Japon, Australie contre la Chine et soutenue par la France dans l’océan indien et le Pacifique, rebaptisé par Washington pour la circonstance région Indo–pacifique.
- « La marine française a patrouillé en mer de Chine méridionale », Le Figaro, 9 février 2021.
- « Biden spokesperson Jan Psaki worked for Israel spy firm », Electronic intifada, 25 mars 2021
- « L’Iran et la Chine signent un pacte de coopération stratégique de 25 ans », Le Figaro, 27 mars 2021.
- JCPOA : « Joint Comprehensive Plan of Action », Accord de Vienne sur le Nucléaire Iranien conclu le 14 juillet 2015 entre les cinq membres du Conseil de Sécurité (USA, Chine, France, Grande–Bretagne et Russie), l’Allemagne, l’Union européenne et l’Iran.
- « Bombardements américains en Syrie », Sputnik news, 26 février 202.
- Matthew Kroenig et Jeffrey Cimmino & others, “Global strategy 2021 : An allied strategy for China”, https://www.atlanticcouncil.org/global-strategy-2021-an-allied-strateg…
- Joseph Nye est un théoricien des relations internationales. Membre de la Trilatérale et ancien doyen de l’université d’Harvard, ancien sous–secrétaire d’État, il est un des hommes les plus influents de la politique étrangère US. Il a théorisé les concepts de « smart, soft et hard power ».
- G. John, I. Kinberry, « American hegemony and East Asia order », Princeton, 2004.
- Kenneth Liberthal, Brookings Institute, 21 décembre 2011.
- « Obama pivot to Asia architect will be Biden’s China troubleshooter », The Daily Beast, 13 janvier 2021.
- A cet égard, il est intéressant de découvrir l’article paru récemment et qui dépasse de loin l’analyse de la situation lamentable de la France dans le domaine de la recherche scientifique car il montre en fait l’affaiblissement de toutes les puissances occidentales dans ce domaine et la montée de la Chine au premier plan, en terme de dépôts de brevets et du nombre d’articles scientifiques. Sylvestre Huet, « Sciences : le déclin français s’accentue », Le Monde, 25-02-2021.33
- “R2P”, ou droit à protéger est une théorisation du droit d’ingérence mis au point entre autre par Bernard Kouchner et développée par Madeleine Allbright et Richard Willianson, « Report on the responsibility to protect ». United States Holocaust and Memorial Museum. 23 juillet 2013.
- Mobo Gao, « Bataille pour le passé de la Chine », Delga, 2020.
- Jean-Claude Delaunay, « Les trajectoires chinoises de la modernisation et de développement », Delga, 2018
- Remy Herrera et Zhiming Long, « La Chine est-elle capitaliste », Editions Critiques, février 2019.
- La Chine a annoncé, dix ans plus tôt que prévu par les engagements internationaux du Programme de Développement durable des Nations Unies, l’éradication complète de la pauvreté absolue dans son pays, au début 2021. En l’espace de huit ans, l’État chinois a sorti de la pauvreté 100 millions de Chinois vivant en zone rurale.
- « Le budget militaire US 2020 est comparable à celui de tous les autres pays cumulés », il avait été soutenu par Donald Trump et approuvé par les démocrates et les républicains, Sputnik, 24 décembre 2019.
- Ajith Sigh, “Activistes Ouighours et extrême droite”, The Grayzone, cité par Histoire et Société, 31 mars 2021
- “L’autorité sanitaire chinoise appelle à la coopération internationale face à l’épidémie”, French.China.org, 20 avril 2020.
- Interview du général Qiao Liang dans la revue « Conflits », 7 mai 2020. Qiao Liang et Wang Xiang, qui sont les auteurs de la « Guerre hors limites », un ouvrage sur l’art de la guerre asymétrique, Essai poche, 2006.
- « Docteur Folamour », film de Stanley Kubrick, avec Peter Sellers, 1964
- “The Atlantic Council, Global 2021, an allied strategy for China”.
- « Nord Strean 2, Allemagne et Russie renforcent leur alliance par un projet d’hydrogène vert », La Tribune, 16 février 2021
- « L’UE face aux nouvelles routes de la soie, contradictions et perspectives », IRIS, 2018
- Cette zone de libre-échange engage dix États de l’ASEAN (Indonésie, Thaïlande, Singapour, Malaisie, Philippines, Vietnam, Birmanie, Cambodge, Laos et Brunei), la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
- Tamara Kunanayakam, « Quel développement, quelle coopération internationale ? », CETIM, Genève, 2007.
- OMPI : Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle, totalement contrôlée par les pays occidentaux dont les USA
- < http://www.xinhuanet.com/english/download/2021-03-24/reportonUShumanrightsviolations.doc >
- Georges Floyd est un Afro–américain assassiné de sang froid par la police de Mineapolis en 2020. Ce crime a entraîné des manifestations impressionnantes aux USA et pendant plusieurs mois. Voir notre article « Révolution sociale, révolution colorée », Le grand Soir, juillet 2020.
- La Chine prête à tout pour devenir le leader mondial de l’AI », Les Echos, 20 février 2020
- “Les États-Unis ferment le Consulat chinois de Houston pour protéger la propriété intellectuelle américaine”, Le Monde, 22 juillet 2020.
- Le général Lloyd Austin a été préféré comme Secrétaire à la défense à l’interventionniste de choc Michèle Flournoy à qui on réserve s,ans doute un rôle de premier plan. Lloyd Austin est un criminel de guerre notoire lié directement à travers son conseil d’administration au complexe militaro-industriel, particulièrement au groupe Raytheon, troisième producteur d’armes aux États-Unis.
- MCC : Millenium Challenge Corporation, la proposition US de mise en place d’un MCC au Sri Lanka a finalement été rejeté pare le gouvernement de Colombo.
- « La semaine ou un navire a bloqué les marchés », L’Express, mars 2021
- Le Front de libration du Baloutchistan est opposé à la politique d’Imran Khan de coopération avec la Chine et a mené plusieurs attaques, entre autre contre le port Gwadar et en 2020 contre la bourse de Karachi.
- Lee Jaehyon, « China is recreating the hub and spoke system in Asia », The Diplomat, 11 septembre 2015.
- Alain Peyrefitte, « La Chine s’est éveillée », Fayard, 1996