La situation désespérée de l’économie grecque ne fait pas que le malheur des uns, elle fait également le bonheur d’autres. Un groupe « d’investisseurs » financiers a fait des affaires en or sur la dette grecque mardi, simplement en se montrant les plus dénués de scrupules du marché.
Dart Management est un fonds d’investissement basé aux îles Caïmans, territoire britannique connu pour son statut de paradis fiscal. Son modus operandi lui a valu le nom de « fonds vautour ».
Les vautours « investissent » dans les dettes souveraines des pays victimes d’une crise, c’est-à-dire qu’ils rachètent cette dette à vil prix. Puis ils résistent à toute forme d’allègement de cette dette, espérant ainsi se la faire rembourser en totalité. Comme ils n’ont payé qu’une fraction de sa valeur, le remboursement total représente un profit gigantesque.
Les fonds vautours ont fait leurs armes contre les pays en développement. Elliott Associates, un fonds d’investissement spéculatif étasunien a ouvert la voie dans les années 1990 en gagnant un procès qu’il avait intenté au Pérou, ce qui lui a permis d’empocher le quadruple de ce qu’il avait « investi » en rachetant la dette de ce pays. Elliott est également soupçonné de détenir une partie de la dette grecque. Dart, quant à lui, a gagné 600 millions de dollars avec le Brésil après la crise de 1993.
Au cours de ces dernières années, les fonds vautours ont fait main basse sur les pays les plus pauvres. Le Liberia et la Zambie ont tous deux été traînés devant les tribunaux britanniques et ont été condamnés à rembourser des fonds spéculatifs qui avaient racheté des dettes très anciennes à des régimes dictatoriaux pour des prix dérisoires.
Lorsque les pays refusent de payer, les vautours les chassent à travers le monde, tentant de saisir leurs actifs situés à l’étranger. Un fonds vautour particulièrement coriace a même tenté de saisir une aide publique à destination de la République du Congo. À ce jour, la République démocratique du Congo est poursuivie par un autre fond du nom de FG Hemisphere et est engagée dans un litige portant sur des actifs basés à Jersey. L’appel en dernière instance se déroulera le 28 mai prochain à Londres, mais aux termes de la législation de Jersey.
Une loi adoptée dans les derniers jours de l’ancienne législature empêche désormais les fonds vautours de faire des profits sur d’anciennes dettes de pays à faible revenus en portant leur litige devant des tribunaux britanniques, ce qui représente un progrès considérable. Mais cette loi ne s’applique pas aux autres pays (du Nigeria à la Grèce), ni aux dettes récentes.
Le cas de l’Argentine est emblématique de ce qui attend la Grèce dans les années à venir. Depuis que le pays s’est déclaré en cessation de paiement en 2001, après des années à ployer sous le poids d’une dette injuste, il a été assailli de poursuites par des fonds vautours qui ont refusé l’allègement de sa dette. Parmi ces fonds, on retrouve Dart et Elliott, ainsi qu’un groupement connu sous le nom d’American Task Force Argentina, qui a tenté d’utiliser les affaires étrangères des États-Unis pour forcer l’Argentine à payer ses dettes.
Pour ces entreprises, une crise comme celle de la Grèce a de quoi faire saliver. Depuis des mois, les fonds vautours travaillent à la meilleure manière de poursuivre leurs manœuvres prédatrices contre la Grèce. Les vautours ont racheté les obligations grecques soumises à des lois étrangères car les obligations relevant du droit grec ont subi une décote importante.
L’allègement grec a cependant été une aubaine pour les détenteurs d’obligations, qui ont reçu 50 % de leur valeur d’origine à un moment où ces obligations n’en valaient plus que 35 %, en plus d’empocher pour cela une incitation sonnante et trébuchante. Mais ce n’était pas assez pour les vautours. Un cabinet de conseil juridique américain, Bingham McCutchen a été signalé comme essayant de fédérer de tels fonds pour réclamer devant la justice le paiement de la valeur totale de ces obligations.
Pour certains de ces fonds, c’était jour de paye, mardi. Plutôt que de risquer des poursuites, la Grèce a décidé de rembourser 436 millions d’euros de ses dettes soumises au droit étranger. Dart Management aurait reçu près de 90 % de ce total. Alors que l’état providence grec s’effondre et que la société subit une hausse des taux de suicide, de meurtre et une recrudescence du VIH, Kenneth Dart peut se prélasser dans son yacht de 70 mètres au large des îles Caïmans et compter ses sous.
Les détenteurs d’obligations à hauteur de plus de 6 milliards d’euros ont refusé d’échanger la dette grecque : de nouveaux scandales sont donc à prévoir. Mais nous ne sommes pas voués à l’impuissance. Un dirigeant d’un fonds vautour a confié au Financial Times : « Nous prospérons sur le manque d’informations de la population. » La première étape est de rendre transparent le commerce d’obligations. Il est choquant que le peuple grec ne sache même pas qui détient sa dette, quand elle a été rachetée et pour quelle somme.
David Cameron et George Osborne ont clairement affirmé que l’UE devait régler ce problème, mais ils n’ont rien fait pour arrêter les fonds vautours dont la dette relève du droit britannique. Le gouvernement peut forcer les créanciers dépendant de la législation britannique à accepter l’allègement convenu. Il pourrait également aller plus loin et empêcher les gains exorbitants tirés de dettes achetées sur le marché secondaire : une telle loi a déjà été proposée devant le Congrès des États-Unis.
La Grèce est aux avant-postes d’une bataille opposant des investisseurs peu scrupuleux et un peuple qui veut que son économie fonctionne dans l’intérêt général. Il ne suffit pas aux gouvernements de hausser les épaules et de dire « C’est comme ça ».
Source: CADTM