Elections présidentielles en Argentine : le danger de l’extrême-droite

Le dimanche 13 août 2023 ont eu lieu en Argentine les élections primaires, ouvertes, simultanées et obligatoire (PASO). Celles-ci permettent de sélectionner les futurs candidats à l’élection présidentielle. Il s’agit d’un processus électoral ouvert à tous les citoyens.

Après les PASO, le panorama électoral en Argentine s’est retrouvé divisé en trois parties plus ou moins égales : l’économiste d’extrême-droite Javier Milei, pour le parti « La libertad Avanza », avec 30% des voix, la droite de Patricia Bullrich pour « Juntos por el Cambio » (unis pour le changement) avec 28% des voix et le péroniste Sergio Massa, actuel Ministre de l’Economie, pour « Union por la Patria » avec 27% des voix. Ces trois candidats aux présidentielles sont ceux qui ont le plus de chances de gagner les élections ce prochain 22 octobre.

Javier Milei est un disciple des économistes de l’Ecole Autrichienne Ludwig von Mises et Friedrich von Hayek. Il s’agit d’un anticommuniste convaincu couplé d’un néolibéral qui propose d’étendre le marché bien au-delà des limites actuelles. Il aspire non seulement à la privatisation du système de retraite et des entreprises d’Etat, mais aussi à la suppression des ministères de la santé et de l’éducation pour des raisons de dépenses inutiles. Il s’est aussi dit en faveur de l’extension du marché du don d’organes c’est-à-dire qu’un rein ou un poumon pourront faire l’objet d’achat et de vente. Mais encore, des biens considérés comme communs et publics, tels que des rivières ou des rues pourront être incorporés au marché. Il propose aussi d’éliminer la Banque Centrale Argentine et d’imposer le dollar américain comme monnaie légale.

La candidate Patricia Bullrich, qui mêle dans son entourage des partisans de droite et d’extrême-droite, se présente comme la défenseure de la sécurité et de l’ordre. Elle a été ministre de la Sécurité Sociale de la Nation en 2001, pendant le gouvernement de Fernando de la Rúa. Elle a voté la baisse de 12% des pensions de retraite, mesure parmi d’autres qui ont conduit le pays dans la crise économique et sociale la plus profonde que le pays ait connu depuis les cinquante dernières années, et qui a eu pour conséquence la démission du Président de la Rúa. Elle a aussi était ministre de la Sécurité sous le gouvernement du Président Mauricio Macri, de 2015 à 2019. Sa gestion a été couplée de répressions policières lors desquelles Santiago Maldonado et Rafael Nahuel notamment ont perdu la vie. Bullrich qui a le culte de la main de fer contre la délinquance a décoré un policier qui avait tué un jeune dans le dos et est en faveur du libre port d’armes à feu. Dans l’espace politique de Bullrich, le modèle de la « Gestapo » comme police efficace pour poursuivre les syndicalistes a été revendiqué, sans que Bullrich critique de telles expressions.

Le troisième candidat qui a des chances de gagner les élections est le péroniste Sergio Massa, actuel ministre de l’économie. Massa est un homme politique pragmatique qui compte sur une bonne relation avec les syndicalistes et la classe moyenne. Ceux qui le connaissent disent qu’il a la qualité de parler avec tout le monde, même avec ceux qui s’opposent radicalement à son mode de pensée. Massa propose de payer la dette au FMI pour gagner en autonomie politique. Cette dette d’environ 45 mille millions de dollars contractée au FMI par l’ex-président Mauricio Macri en 2018 n’a permis la construction d’aucune œuvre publique ni l’amélioration du service public mais a servi à payer des bénéfices spéculatifs aux banques et entreprises qui ont fait fuir les capitaux à l’extérieur du pays. Massa compte sur l’appui de la vice-présidente Cristina Fernández de Kirchner, la leader politique la plus forte en Argentine depuis 2007.

Une démocratie en berne : le lawfare

L’actuelle vice-présidente de la République Argentine, Cristina Fernández, candidate naturelle à la présidence aux vues de sa popularité, a été condamnée à 6 ans de prison pour corruption en décembre 2022 couplée d’une impossibilité à perpétuité d’exercer des charges publiques. Cette proscription politique, née d’une sentence judiciaire, a été prononcée sans preuve, selon le célèbre juriste et ancien juge espagnol Baltasar Garzón.

Le mécanisme judiciaire, qui a condamné Cristina Fernández, est connu sous le nom anglais de lawfare. Il s’agit de l’instrumentalisation de la justice pour éliminer les ennemis politiques. Cette technique s’est généralisée en Amérique Latine ces dernières années. Ainsi, des condamnations judiciaires sans preuve pullulent dans la région, avec, comme excuse, la lutte contre la corruption. Celles-ci sont suivies de la proscription de leaders populaires tel que Rafael Correa en Equateur ou Lula da Silva au Brésil. C’est maintenant au tour de Fernández de Kirchner et cela augmente évidemment les chances de candidats tels que Bullrich ou Milei de gagner les futures élections présidentielles.

Dans les années 70, on utilisait les coups d’Etat et les dictatures militaires pour imposer les intérêts des grandes corporations (notamment nord-américaines). Aujourd’hui, les techniques ont évolué vers le lawfare, une manière moins sanglante mais tout aussi efficace de déplacer et proscrire des leaders politiques, sociaux et syndicaux, défenseurs des intérêts de la majorité et opposés aux politiques néolibérales.

Il ne faut pas non plus oublier que Cristina Fernández de Kirchner a souffert d’une tentative d’assassinat le 1er septembre 2022. L’enquête judiciaire a été bâclée et les suspects liés au parti politique de Bullrich et Macri n’ont pas été entendus par les enquêteurs.

Milei : des liens avec la dictature civico-militaire

Le contexte économique de haute inflation, plus de 100% annuel, ne favorise pas Sergio Massa, le candidat du parti au pouvoir. En ce sens, le président du Mexique, Andrés Manuel López Obrador, AMLO, a alerté en disant qu’Hitler avait été élu en Allemagne dans un contexte de forte inflation. Il a aussi critiqué l’ambiguïté politique de l’actuel gouvernement argentin, qui perd en ce moment ses chances de réélections. Selon AMLO, un gouvernement démocratique se doit d’être toujours en faveur des plus pauvres.

Pour sa part, le président du Brésil, Lula da Silva, a comparé Milei à Bolsonaro lors d’une entrevue avec Massa en août dernier et a averti qu’un triomphe de la droite en Argentine signifierait « un retour en arrière de 40 ans en Amérique Latine ».

Le Pape Francisco, un argentin toujours attentif à ce qui se passe dans son pays, a averti, lors d’une interview en avril dernier, qu’il ne fallait pas se fier à « des sauveurs de la patrie sans histoire ». Le Pape a donné l’exemple de l’élection d’Hitler en 1933.

L’excentrique Milei, qui s’est rendu célèbre grâce à ses interventions dans des programmes télévisés, avec un style frontal et grossier, crie et insulte pour disqualifier ses critiques. Pour sa part, il accuse le Pape d’être communiste, il l’a traité d’imbécile qui défend la justice sociale, qu’il compare à du « vol ».

En suivant la même logique, Milei a dit, le 29 août, devant la presse colombienne « qu’un socialiste est une mauvaise personne, un excrément humain ». Face à ces déclarations de l’ultra-droite argentin, le Président de Colombie, Gustavo Petro, lui a répondu à travers les réseaux sociaux en disant : « c’est ce que disait Hitler ».

Dans sa biographie politique, Milei raconte qu’il a travaillé comme conseiller de l’ex général Antonio Domingo Bussi lequel a été condamné en 2008 pour délit de lèse humanité. Lors de la dictature civico-militaire de 1976 à 1983, Bussi a tué, torturé, volé des biens et a fait disparaître plus de mille argentins. Pendant la dictature militaire, plus de trente camps de concentration ont fonctionné sous son commandement. Néanmoins, Milei n’a vu aucun problème moral à travailler pour ce génocidaire argentin.

Néolibéralisme ou péronisme

Il y a beaucoup de théories et spéculations sur le fait que Milei ait reçu autant d’appui lors des PASO. Certains disent que c’est à cause de l’inflation qui dépasse les 100 % et qui a entraîné beaucoup de mécontentement au sein la population envers l’actuel gouvernement. D’autres parlent de masochisme, car ce sont surtout les quartiers populaires qui votent Milei. Ils votent clairement pour quelqu’un qui leur est défavorable.

L’autre option de droite, représentée par Patricia Bullrich, a le désavantage d’avoir gouverné de 2015 à 2019 où la situation économique était encore pire : chute de l’activité industrielle, augmentation du chômage et augmentation de 5 000 % des tarifs des services publics (gaz, eau et électricité). Beaucoup d’Argentins se souviennent donc encore des mauvais résultats économiques et sociaux du gouvernement de Mauricio Macri duquel Patricia Bullrich faisait partie.

A contrario, le candidat de « La Libertad Avanza », Javier Milei, n’a jamais gouverné le pays. Il ne porte pas le désastre de sa rivale de droite et génère l’expectative grâce à son style perturbateur et sa promesse de dollariser le pays. Cette promesse est perçue comme une potentielle stabilisation économique du pays qui est submergé par une inflation chronique.

D’autre part, Milei utilise un discours démagogique en disant que tous les politiciens sont corrompus, qu’ils font partie d’une « caste » qui a fait sombrer le pays dans la crise. Ce discours anti politique a été alimenté pendant des années par les moyens de communication qui ont généré le discrédit en politique. Tout ceci bénéficie aux grandes corporations qui contrôlent maintenant le pouvoir judiciaire et souhaiteraient prendre le contrôle du pouvoir exécutif à travers leur porte-parole : Javier Milei.

Milei souhaite mettre l’État au service du capital pour provoquer de profondes transformations : construire une société où les entreprises prennent les décisions sur le destin d’une société.

L’idéologie néolibérale vantée par les moyens de communication pendant des décennies a fait beaucoup de mal. Ils ont conquis les esprits de nombre d’Argentins qui associent les commandements néolibéraux au sens commun. La logique du marché et de la concurrence s’est étendu en dehors du marché et c’est l’une des raisons pour lesquelles le discours d’extrême-droite de Milei rencontre autant de succès.

Javier Milei a montré son admiration pour Margaret Thatcher, la première ministre du Royaume-Uni, qui avait dit : « L’économie est la méthode, l’objectif c’est de changer l’âme ». Dans ce sens, Milei incarne ce rêve de « l’homme nouveau » mais, dans la version capitaliste du XXIème siècle, représenté par le néolibéralisme. Cette construction de « l’homme nouveau capitaliste » est une réalité que nous percevons dans la critique des citoyens, que nous pouvons écouter dans la rue, sur ceux qui perçoivent des aides sociales, comme l’aide universelle par enfant, Asignación Universal por Hijo, ou les plans sociaux de la part de l’État. Ils sont accusés d’être feignants ou d’avoir des enfants dans le seul but de percevoir des aides sociales.

Malgré l’avancée du néolibéralisme dans le monde et sa philosophie de vie, liée à la concurrence et à la destruction de la solidarité et de l’égalité, les démocraties sociales avancées comptent encore avec des politiques de distribution des richesses.

Ces politiques de justice sociale redistributive sont ouvertement critiquées par Milei qui soutient qu’elles sont financées par le « vol » de ceux qui ont de l’argent pour le redistribuer à ceux qui n’en ont pas. La justice sociale est l’un des piliers idéologiques du péronisme, incarné aujourd’hui par Sergio Massa, candidat à la présidentielle. La bataille électorale est aujourd’hui, plus que jamais, une bataille entre deux conceptions philosophiques et politiques. Massa a déclaré que son triomphe électoral garantirait au pays de ne pas être gouverné par des esclaves de Wall Street.

Le péronisme compte aussi sur ses piliers idéologiques : la défense de la souveraineté et de l’intérêt national. A une époque, ce concept avait amené Perón à incarner une troisième position durant la guerre froide qui ne s’identifiait ni avec Washington, ni avec Moscou. Dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine qui confronte les pays de l’OTAN avec la Russie, la position de l’Argentine devrait rester neutre si on respecte les principes de la doctrine péroniste en la matière.

En 1945, Juan Perón a résumé la campagne électorale présidentielle par la formule « Braden ou Perón ». Spruille Braden était l’ambassadeur des États-Unis en Argentine et représentait l’empire victorieux de la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Il aspirait à contrôler les ressources énergétiques et stratégiques de l’Argentine. Perón était l’obstacle. Aujourd’hui, le péronisme, représenté par Massa, réincarne cet obstacle à l’ambition sans limite des corporations. Il est une limite aux projets de saccage des ressources naturelles et à la répression que représentent Bullrich et Milei.

photo: flickr

source: https://www.investigaction.net/fr/elections-presidentielles-en-argentine-le-danger-de-lextreme-droite/

 

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