La semaine passée, Investig’Action prenait le contre-pied de la presse française sur la crise à Madagascar. Nos articles questionnaient la légitimité d’Andry Rajoelina ainsi que les intérêts français et occidentaux cachés derrière cette crise. Des lecteurs ont réagi, jugeant l’analyse pertinente, mais trop complaisante envers l’ (ex ?) président Ravalomanana. Nous leur donnons la parole et publions de nouveaux articles, qui expriment des opinions diverses.
Dans la presse traditionnelle, règne le mythe du journaliste omniscient, détenteur assuré de la vérité. Investig’Action n’a pas cette prétention. A Madagascar, pays mal connu et peu décrit, s’affrontent différents intérêts, et donc différentes versions. L’info est toujours un affrontement. Et donc, pour le lecteur, une recherche.
Nous manquons de recul et de connaissances pour une analyse aboutie de Madagascar, mais voulons quand même aider chacun à s’informer. En commençant par poser ces questions qui nous semblent cruciales…
Quels intérêts politiques et économiques sous-tendent ce changement de régime ? Pourquoi les médias ne parlent-ils pas du pétrole découvert à Madagascar ? Peu avant la crise, le gouvernement créait la société nationale du pétrole dont l’Etat serait le seul actionnaire. Cela a-t-il eu un impact sur cette crise ? Et enfin, une réponse efficace sera-t-elle apportée aux besoins de la population malgache, principale victime du conflit?
Nous vous livrons les divers points de vue. Libre à vous de vous forger votre propre opinion.
Dimanche, l’ampleur de la crise et du mécontentement social àMadagascar a eu une incidence directe sur un groupe de soldats du corpsde l’armée des services technique, administratif et du personnel. Cedernier avait reçu l’ordre de se déployer contre les manifestants quiavaient pris les rues d’assaut. Les soldats ont refusé d’obtempérer, detirer sur les manifestants anti-gouvernementaux et de les réprimer. Ala suite de cet incident, ils ont déclaré qu’ils n’obéiraient à aucunordre du gouvernement.
Un soldat rebelle témoigne : «Nous ne recevrons plus d’ordre de nos supérieurs, nous allons écouter nos cœurs. Nous avons été entraînés pour protéger nos biens et nos concitoyens, et non pas pour leur tirer dessus. Nous sommes solidaires avec eux.»
Les soldats du camp militaire de Camp Capsat, situé dans la périphérie de la capitale de Madagascar, Antananarivo, ont préparé leurs lignes de défense dans l’attente de représailles de la garde présidentielle. Les troupes, fortes de 600 soldats, seraient en possession de stocks considérables d’armes et de munitions.
Ces évènements spectaculaires font écho au poème de Bertolt Brecht : «Mon général, votre tank est si solide», qui continue ainsi :
Il couche une forêt, il écrase? cent hommes.
?Mais il a un défaut: ?il a besoin d’un mécanicien.
??Mon général, votre bombardier est si puissant!?
Il vole plus vite que l’orage? et transporte plus qu’un éléphant.
Mais il a un défaut: ?il a besoin d’un pilote.??
Mon général, l’homme est très utile!?
Il sait voler, il sait tuer. ?
Mais il a un défaut: ?il sait penser.
Ces soldats se devaient de prendre en considération les événements. Ils le disent bien eux-mêmes, ils ont été entraînés pour défendre leurs concitoyens et non pas pour leur tirer dessus. Par conséquent, ils font désormais face à la colère de la classe dirigeante et de sa caste d’officiers.
Le directeur général de la police nationale malgache, M. Talbot Antonin Alexis, a appelé à l’unité de la police, des forces armées et de la gendarmerie dans une tentative désespérée de rétablir l’ordre. Le ministre de la Défense, Mamy Ranaivoniarivo, a clairement fait comprendre qu’il prendrait des «mesures militaires au sein de l’armée». Le ministre n’a toutefois pas expliqué de quelles mesures il s’agirait. Ce manque de détails explique pourquoi les soldats ont préparé leurs lignes de défense.
Le gouvernement a accusé les soldats rebelles d’organiser une mutinerie ; une allégation qu’ils ont démentie. Ils affirment qu’ils ont tout simplement refusé d’être utilisés comme arme contre des manifestants civils. Le colonel Noel Rakotonandrasana, un porte parole des soldats rebelles, explique et réitère : «Nous ne pouvons pas accepter la répression de la population civile».
Ces évènements surviennent à un moment crucial pour Madagascar. Ils ont eu lieu dans un contexte de lutte de pouvoir acharnée entre l’opposant, Rajoelina, et le président, Marc Ravalomanana. Au début de l’année, Andry Rajoelina, le chef de l’opposition, a commencé à appeler à des manifestations contre le président Marc Ravalomanana. Ce dernier, ne voyant pas ces manifestations d’un bon œil, donna l’ordre aux forces de sécurité de trouver Rajoelina, qui avait entre temps pris ses propres précautions en se réfugiant.
La récente rébellion des soldats trouve son origine dans l’utilisation croissante de l’armée en vue d’écraser la vague montante de protestations déferlant dans le pays. Depuis le début de l’année, près de 100 personnes ont été tuées dans les rues par l’armée. En février, des manifestants se sont rassemblés pour une marche vers le palais présidentiel mais ils furent confrontés à une violente répression et 28 personnes furent tuées.
La population de Madagascar s’élève à 20 millions d’habitants, la plupart d’entre eux vivant dans la misère crasse. Plus de la moitié de la population vit avec moins d’un dollar par jour. À l’instar de la majorité des pays africains, Madagascar a été forcée par la Banque mondiale et le FMI à appliquer ce qu’on appelle les programmes d’ajustement structurel, impliquant privatisation et ouverture de ses marchés aux pays industrialisés les plus puissants. Lors de la dernière récession en 2001-2002, alors qu’une crise politique grave faisait rage dans le pays, le PIB chutait de 12%. Quand à l’inflation, elle atteignait les 9% l’année dernière, affectant gravement les couches les plus défavorisées.
Les élections présidentielles de 2001 ont été extrêmement serrées, mais en avril 2002, la Haute Cour Constitutionnelle a déclaré Ravalomanana vainqueur. Il a par la suite remporté une deuxième élection présidentielle en 2006. Mais depuis, la crise économique mondiale s’est ajoutée aux conditions de vie difficiles de la population. Les dénommées «réformes libérales» de Ravalomanana montrent désormais leur véritable face, une attaque menée à l’encontre de la classe ordinaire des travailleurs de l’île.
M. Rajoelina, «un jeune homme d’affaires charismatique», tel qu’il est décrit dans les médias, est un homme plutôt aisé. Il possède également sa propre chaîne de télévision et sa propre station radio. Il a occupé le poste de maire de la capitale jusqu’à récemment et a profité de sa position pour critiquer le gouvernement. Ainsi, il s’est approprié la colère fermentant au sein des couches populaires. Cette situation a donc également eu un impact dans les rangs de l’armée. Outre le fait de refuser de tirer sur la foule, les soldats s’étaient déjà plaints de leur salaire et des détournements de fonds impliquant leurs supérieurs.
Ce qui est malheureux, c’est qu’il n’existe pas de véritable alternative socialiste s’adressant à la classe populaire et qui pourrait unir les travailleurs, les pauvres et les soldats contre l’élite dirigeante. En 1972, le Parti pour le pouvoir prolétarien (MFM) fut établi en tant que parti d’opposition de gauche. Malheureusement, à l’instar de ce qui arriva par le passé à de nombreuses anciennes forces de «gauche», le parti abandonna ses inspirations gauchistes pour embrasser le libéralisme et changer son nom pour devenir le Mouvement pour le progrès de Madagascar, ce qui lui fit perdre tous ses députés au parlement.
Le vide politique existant dans le pays ne permet malheureusement de choisir qu’entre deux hommes d’affaires. Toutefois, ce mouvement populaire ainsi que la révolte dans les rangs de l’armée montrent clairement qu’il existe un potentiel pouvant marquer un tournant important.
Suite à la mutinerie des gardes frontières au Bangladesh (1) la révolte des soldats à Madagascar met en lumière la thèse que les marxistes ont toujours étayée : dans un contexte de profonde crise sociale, économique et politique, lorsque les masses populaires s’insurgent, les soldats, les «travailleurs en uniforme», fils de travailleurs et de paysans, peuvent se retourner contre leurs supérieurs et refuser d’être utilisés contre leurs concitoyens et par conséquent servir la révolution. La classe dirigeante ne peut pas toujours se reposer sur le célèbre «corps d’armée des hommes». Ce que nous avons observé au Bangladesh et à Madagascar indique l’ampleur croissante de la crise. Ces évènements sont de bon augure pour les travailleurs du monde, ils nécessitent toutefois un leadership conscient et révolutionnaire pour qu’ils se transforment en une force motrice du changement révolutionnaire.
(1)<http://www.marxist.com/bangladesh-soldiers-mutiny-dhaka.htm>
Source: http://www.marxist.com/index2.php?option=com_content&task=view&id=7273&pop=1&page=0&Itemid=726
le 12 mars 2009