A member of a civil defence team carries out search and rescue operations in a damaged building following a missile strike launched by Iran's Revolutionary Guard Corps (IRGC) on the Kurdistan region’s capital of Arbil, on January 17, 2024. - The IRGC have launched missile attacks on multiple "terrorist" targets in Syria and in Iraq's autonomous Kurdistan region, Iranian state media reported on January 16. (Photo by Safin HAMID / AFP)AFP

Des frappes iraniennes lourdes de sens

La semaine dernière, en moins de 24 heures, l’Iran lançait des frappes sur le territoire de trois pays. Téhéran a notamment affirmé avoir détruit le QG du Mossad au Kurdistan. Comme le souligne M.K. Bhadrakumar, les autorités iraniennes ont agi ouvertement et ont revendiqué les frappes, ce qui n’est pas courant. L’ancien diplomate indien décode le message que Téhéran a lancé avec ses missiles et ses drones dans un climat de tensions croissantes au Proche et au Moyen-Orient. (I’A)

Après des frappes de missiles et de drones sur les territoires de trois pays – la Syrie, l’Irak et le Pakistan – sur une période de 24 heures, Téhéran a pris l’initiative inhabituelle de revendiquer la responsabilité des attaques. Le message ainsi adressé à Washington est très clair : toute stratégie visant à créer une coalition de groupes terroristes dans la région entourant l’Iran sera résolument contrecarrée.

La stratégie US contre l’Iran a commencé à prendre de nouvelles formes après l’attaque du 7 octobre contre Israël et témoigne de l’érosion consécutive de sa suprématie régionale.

Déjà, le rapprochement irano-saoudien négocié par la Chine et l’intégration de ces deux pays, ainsi que les Émirats arabes unis et l’Égypte aux BRICS avaient semé la panique parmi les stratèges étasuniens[1].

Dès le second semestre 2023, des signes montraient que l’axe américano-israélien prévoyait d’utiliser le terrorisme comme seul moyen viable d’affaiblir l’Iran et de rétablir l’équilibre régional en faveur de Tel-Aviv. Compte tenu de la priorité accordée à l’Asie-Pacifique, c’est d’une importance capitale pour Washington qui a toujours besoin de contrôler le Moyen-Orient riche en pétrole. Or, une guerre conventionnelle avec l’Iran n’est plus envisageable pour les États-Unis, car elle risquerait d’entraîner la destruction d’Israël.

Dans le futur, les historiens ne manqueront pas d’étudier, d’analyser et de tirer de sobres conclusions des attaques menées contre Israël par les groupes de résistance palestiniens le 7 octobre. Selon la doctrine militaire classique, il s’agissait essentiellement d’une attaque préventive menée par des groupes de résistance avant que la masse de groupes terroristes soutenus par les États-Unis et Israël – tels que Daesh et Mujahideen-e-Khalq – ne se transforme en une plateforme rivalisant avec l’axe de la résistance.

Rapprochement russo-iranien

Téhéran est conscient de la nécessité urgente de se doter d’une profondeur stratégique avant que les loups ne se rapprochent. Elle a pressé Moscou d’accélérer la conclusion d’un pacte stratégique bilatéral que les Russes, comme on pouvait s’y attendre, ont tardé à finaliser.

Le 7 décembre à Moscou, lors de la « visite de travail » du président Ebrahim Raisi avec Vladimir Poutine, l’un des principaux points à l’ordre du jour était justement la finalisation de ce pacte.

Enfin, le 15 janvier, le ministère russe de la Défense a révélé que Sergey Shoigu avait appelé son homologue iranien, Mohammad-Reza Ashtiani, pour lui faire savoir que Moscou avait accepté de signer le pacte. Le communiqué du ministère de la Défense indique :

Les deux parties ont souligné leur attachement aux principes fondamentaux des relations russo-iraniennes, notamment le respect inconditionnel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’autre partie, qui seront confirmés dans le grand traité intergouvernemental entre la Russie et l’Iran, ce document étant déjà en cours de finalisation. 

Selon l’agence de presse iranienne IRNA, Shoigu a indiqué que l’engagement de la Russie envers la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Iran serait explicitement mentionné dans le pacte. Le rapport ajoute que “les deux ministres ont également souligné l’importance des questions liées à la sécurité régionale et ont insisté sur le fait que Moscou et Téhéran poursuivront leurs efforts conjoints en vue d’établir un ordre mondial multipolaire et de contrecarrer l’unilatéralisme des États-Unis“. [souligné par l’auteur].

Mercredi, Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, a déclaré aux journalistes à Moscou que le nouveau traité consoliderait le partenariat stratégique entre la Russie et l’Iran et couvrirait l’ensemble de leurs liens. “Ce document ne tombe pas seulement à point nommé, il était aussi attendu depuis longtemps”, a déclaré Zakharova.

“Depuis la signature du traité actuel, le contexte international a changé et les relations entre les deux pays connaissent un essor sans précédent”, a-t-elle souligné. Zakharova a ajouté que le nouveau traité devrait être signé lors d’un prochain contact entre les deux présidents.

Par ailleurs, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, cité par l’agence de presse d’État TASS, a déclaré que la date exacte de la rencontre entre Poutine et Raisi n’avait pas encore été fixée. Il est clair cependant que quelque chose de profondément significatif pour la géopolitique du Moyen-Orient est en train de se produire sous nos yeux.

Le Pakistan à l’oeil

Les frappes de missiles et de drones menées mercredi par l’Iran contre des cibles terroristes sont une démonstration éclatante de sa volonté d’agir en légitime défense dans le nouveau contexte régional et international.

Les soi-disant mandataires de l’Iran – qu’il s’agisse du Hezbollah ou des Houthis – ont atteint l’âge adulte. De leur propre chef, ils décident de leur positionnement stratégique au sein de l’axe de la résistance. Ils n’ont pas vitalement besoin du soutien de Téhéran.

Il faudra peut-être du temps aux stratèges anglo-saxons pour s’habituer à cette nouvelle réalité, mais ils finiront par le faire.

Clairement, considérer les frappes de missiles et de drones iraniennes comme de simples opérations de contre-terrorisme serait les sous-estimer. Notons que l’attaque au Baloutchistan est survenue moins d’un mois après le séjour d’une semaine à Washington du chef d’état-major de l’armée pakistanaise, le général Asim Munir. C’était à la mi-décembre.

Munir avait rencontré de hauts responsables étasuniens, notamment le secrétaire d’État Antony Blinken, le secrétaire à la Défense Lloyd Austin, le président de l’état-major interarmées des forces américaines, le général Charles Q. Brown, le conseiller adjoint à la sécurité nationale Jonathan Finer et, bien sûr, la redoutable secrétaire d’État adjointe par intérim Victoria Nuland, moteur des politiques néoconservatrices de l’administration Biden.

Selon un communiqué officiel publié à Islamabad le 15 décembre sur la tournée de Munir, le Pakistan et les États-Unis “ont l’intention d’accroître leurs interactions” en vue d’engagements “mutuellement bénéfiques”. Le communiqué précise que les deux parties ont discuté des conflits en cours dans la région et ont “convenu d’accroître les interactions entre Islamabad et Washington”.

Le communiqué précise :

“Les questions relatives aux intérêts bilatéraux, à la sécurité mondiale et régionale et aux conflits en cours ont été abordées durant des réunions. Les deux parties ont convenu de poursuivre leur engagement en vue d’explorer les possibilités de collaboration bilatérale dans la poursuite d’intérêts communs”.

Le communiqué ajoute que lors de la réunion entre les hauts responsables de la défense des deux pays, “la coopération antiterroriste et la collaboration en matière de défense ont été identifiées comme des domaines de coopération essentiels”.

Toujours selon le communiqué, Munir a souligné pour sa part l’importance de “comprendre le point de vue de l’autre” sur les questions de sécurité régionale et les développements affectant la stabilité stratégique en Asie du Sud.

Le Pakistan [qui a lancé des frappes de représailles sur l’Iran jeudi] a toujours servi les intérêts US dans la région et le quartier général de l’armée pakistanaise à Rawalpindi a été le maître d’œuvre de cette collaboration.

La tenue prochaine d’élections au Pakistan n’a pas empêché les États-Unis de dérouler le tapis rouge à Munir. Mais fort heureusement, l’Iran et le Pakistan sont suffisamment intelligents pour connaître leurs lignes rouges respectives.

Rebattre les cartes

Les intentions des États-Unis sont claires : contourner Téhéran à l’ouest et à l’est avec des États défaillants faciles à manipuler. Les réunions organisées à la hâte à Davos entre le conseiller US à la sécurité nationale, Jake Sullivan, et de hauts responsables irakiens (ici et ici), dans le sillage des frappes iraniennes, ont souligné :

  • “l’importance de la reprise des exportations de pétrole (vers Israël) par le Kurdistan et le soutien de Washington au partenariat solide de la région du Kurdistan avec les États-Unis
  • l’importance de mettre fin aux attaques contre le personnel étasunien en Irak et en Syrie ;
  • l’engagement des États-Unis à “renforcer la coopération en matière de sécurité dans le cadre d’un partenariat de défense durable et à long terme” ;
  • le soutien des États-Unis à la souveraineté irakien ;
  • l’invitation faite par Biden au Premier ministre irakien Mohammed Shyaa Sudani de se rendre “bientôt” à la Maison-Blanche.

En bref, Sullivan a exprimé l’intention des États-Unis de renforcer leur présence en Irak – et ils ont des objectifs similaires à poursuivre au Pakistan également. Washington fait confiance à Munir pour veiller à ce qu’Imran Khan croupisse en prison, quel que soit le résultat des élections pakistanaises.

Ce réalignement stratégique intervient à un moment où l’Afghanistan est définitivement sorti de l’orbite anglo-saxonne et où l’Arabie saoudite n’a aucune envie d’être un rouage de Washington ou de s’associer aux forces de l’extrémisme et du terrorisme.


Source originale: Indian Punchline
Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action


Note

[1] Voir mon analyse “Les États-Unis se lancent dans une guerre par procuration contre l’Iran“, le 20 novembre 2023

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