A la Libération, en raison de leur rôle dans la Résistance, les communistes semblent devoir jouer les premiers rôles. Le patronat est discret (il a largement collaboré); la droite affirme un christianisme « social » avec le MRP qui fait de la surenchère pour rivaliser avec les gauches…
La masse des citoyens se rallie a ceux qui paraissent les vainqueurs dans l’ordre interne comme dans l’ordre international (I’URSS et les Etats-Unis sont les seules grandes puissances dans le monde de l’après-guerre).
Tout le monde, ou presque, se prononce pour le « socialisme ». L’intelligentsia française est proche ou ralliée au marxisme et J.P. Sartre dénonce les anticommunistes « qui sont des chiens » !
Mais le retour au passé est très rapide. Emmanuel d’Astier de la Vigerie (1), dès 1945, fait état de L’échec de ceux qui voulaient faire de la Résistance une Renaissance, en raison de la vitalité de l’anticommunisme qui a survécu et qui bénéficie du renfort déterminant de l’argent et des services américains (2).
Les forces anticommunistes reconstituées comprennent désormais, au premier rang le parti socialiste SFIO, contre-feu efficace a l’influence communiste, particulièrement dans les différentes élections, ainsi que les milieux d’affaires évidemment qui n’ont subi qu’une fausse épuration.
La droite intellectuelle catholique se mobilise contre le marxisme jugé trop envahissant et contre ceux qui « pactisent » avec lui (3).
Le procès, en 1953, des massacreurs d’Oradour (646 victimes) devant le Tribunal militaire de Bordeaux est « exemplaire ». Il s’achève par des condamnations très modérées (2 peines de mort, 5 a 12 ans de prison pour les autres). Le procès a été « torpillé » par la présence parmi les accusés d’Alsaciens «incorporés» dans la S.S….L’amnistie pour tous est rapidement prononcée : la page est tournée.
Très vite aussi, a partir d’événements particuliers, voire anecdotiques comparés a tout ce qui s’est produit durant la Seconde Guerre mondiale, les milieux dominants, parce que toujours « possédants », imposent une réécriture de l’Histoire (4). Le peuple redevient impopulaire, communistes en tête !
De même que pour le Moyen-âge, on ne voit les paysans que par les yeux des seigneurs, dès les premières années de la IV° République, on voit toujours les communistes par les yeux des «antis», qui ne leur pardonnent pas de leur avoir « fait peur» durant les quelques mois de la Libération !
Une fausse mémoire de la guerre, de la Résistance et de la Libération se construit: l’Armée Rouge n’a pas véritablement joué un rôle essentiel comparé a l’armée américaine, la Résistance, c’est d’abord Londres et les Gaullistes, certainement pas la Résistance intérieure, encore moins les FTP ou le CNR; La Libération c’est l’œuvre de l‘armée française régulière reconstituée, assistée seulement de quelques individus. Les médias et quelques historiens réussissent même à rétablir Pétain comme héros national, au même titre que de Gaulle (5) ! Au moins sont-ils tous deux, a leur manière anticommunistes, ce dont beaucoup leur sont reconnaissants !
Le souvenir du « peuple rouge » et de ses martyrs ne mérite pas davantage d’être conservé que les révoltes paysannes atrocement réprimées tout au long du Moyen-âge, comme celles de Normandie au X° siècle, comme le mouvement des Capuchonnés, véritable guerre de classes selon G. Duby, comme les affrontements nombreux du XIII siècle, comme les tumultes de masses du XIV° siècle, etc. (6).
L’Histoire officielle est ainsi « purifiée » des scories embarrassantes pour les dominants.
II en est de même, évidemment, de la IV° République et des événements internationaux qui se sont produits entre 1946 et 1958. Ce qui domine encore, c’est l’anticommunisme systématique.
L’Union Soviétique libératrice du nazisme redevient plus que jamais l’Empire du Goulag et du totalitarisme, assimilé, c’est un comble, au nazisme lui-même. La naissance et le développement de la Chine Populaire, désormais « Péril Jaune », sans parler du socialisme nord-coréen («stalinien») ou vietnamien (repaire de « viets » rouges), ne sont que l’expression d’un communisme asiatique de type «jurassic park », selon l’expression d’un « expert » en anticommunisme (7).
Le seul monde « civilisé » est américain et la guerre froide fait des Etats-Unis, aux yeux de l’opinion officielle, le gardien du Temple occidental : le « rêve américain » (en dépit du racisme et des profondes inégalités) massivement cultivé en Europe et en France est attractif bien que fondamentalement antisocial (8).
Le mouvement populaire a perdu sa capacité d’initiative et retrouve sa place subordonnée traditionnelle.
Notes:
1) E. d’Astier. Avant que le rideau ne tombe. Ed. Sagittaire. 1945.
2) Voir par exemple, F, Charpier. La CIA en France. 60 ans d’ingérence dans les affaires françaises. Ed. Du Seuil. 2006.
3) Un ouvrage significatif, bien que plus tardif, celui de M. Schumann, Le vrai malaise des intellectuels de gauche (Plon 1957), met en cause J.P. Sartre, F. Mauriac, C. Bourdet, M. Duverger – avec des arguments ajustés a chacun (par exemple p. 28-30, M. Duverger a
soutenu sa thèse de doctorat sous le régime de Vichy, comme de nombreux autres juristes éminents), mais en réalité en raison de leurs liens avec les communistes.
4) Le même phénomène s’est produit des 1795 contre Robespierre et les Jacobins, avec une série d’ouvrages, de gravures contre le « buveur de sang » (par exemple, de l’abbé Proyart. La vie et les crimes de Robespierre sumommé le Tyran). En 1891, on monte encore une pièce de Victorian Sardou, antirobespierriste, « Thermidor » ! Lors du Bicentenaire, on fera silence sur le robespierrisme, car pour les organisateurs, il s’agit de célébrer une révolution sans révolution !
5) La Revue Historia (n° 371, octobre 1977) a publié révolution de l’opinion ; en 1948, les lecteurs du Figaro étaient a 44% favorables a la libération de Pétain emprisonné; en 1971, la Sofres révèle que 60% des Français étaient hostiles à sa condamnation pénale; en 1976.
selon IFOP, 51% des Français trouvaient le rôle de Pétain plutôt « utile », 58% le trouvaient « dévoué», 15% « antisémite », mais 51% anticommuniste !
6) Cf. G. Duby, G. Lardreau. Dialogues. Flammarion. 1980.
7) Formule de F. Gaudemet, in J.L. Domenach. Communisme d’Asie : mart on metamorphose ? Ed. Complexe. 1994.
8) A L’évidence, particulièrement dans les rangs de la jeunesse et de ses générations successives, la bataille idéologique est remportée par le «modèle américain» dont, par ailleurs, les Européens ne connaissent qu’une image pervertie (Newv-York, les jeans’, le Coca, les superproductions a effets spéciaux, la musique-mode, etc.). « On ne prête qu’aux riches » : le monde soviétique ne peut rivaliser, il est infiniment plus pauvre.
Extrait de Charvin, Robert; “L’anticommunisme d’hier à aujourd’hui”, Le Harmattan, 2017.