Comment stopper l’invasion de l’Ukraine

Les Ukrainiens subissent une invasion illégale et brutale de la Russie. Bien que Poutine affirme ne viser que des “cibles militaires”, selon l’ONU plus de 600 civils ont déjà été tués. Nous savons bien comment les guerres se déroulent. Il n’existe pas d’invasion “précise” ou “propre”. C’est le même langage de propagande que nous avons entendu de la part de l’Occident en Irak, en Afghanistan, en Libye. Les agressions internationales ont de lourdes conséquences et peuvent entraîner d’énormes pertes de vies humaines. Une analyse du journaliste d’investigation Chris de Ploeg.

Il y a eu 2,4 millions de morts en Irak. 1,2 million de morts en Afghanistan et au Pakistan à cause de la guerre américaine contre les talibans. Peut-on encore empêcher un tel désastre en Ukraine ? C’est la principale question qui devrait préoccuper tous les commentateurs. Cela, et empêcher une nouvelle escalade, une guerre nucléaire. Comment avancer ?

Les armes n’aideront pas

L’Occident veut à présent envoyer davantage d’armes à l’Ukraine. Cela aidera-t-il ? Examinons les

chiffres : «opération militaire limitée” de la Russie. La Russie déploie actuellement 150 000 soldats russes. Malgré quelques défaites tactiques, l’armée russe continue d’avancer.

Un million de soldats russes en service actif et deux autres millions de la réserve militaire pourraient être déployés. Sans parler de la possibilité d’une mobilisation totale de la population adulte de Russie. Il n’y a donc aucun moyen pour l’Ukraine de gagner cette guerre. L’utilisation d’un plus grand nombre d’armes ne ferait donc que prolonger la guerre et provoquer des effusions de sang inutiles.

Certes, après des années de guerre, la Russie pourrait juger les coûts trop élevés et se retirer quand même. Pensez à la défaite américaine au Vietnam. Ou la défaite soviétique en Afghanistan.

Ces guerres ont entraîné des millions de morts. Aujourd’hui, en Ukraine, le bilan n’est encore que de plusieurs milliers de morts. Est-ce vraiment le scénario que nous souhaitons ? Les décideurs américains et européens se préparent déjà à une guérilla prolongée.

 

L’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton soutient même ouvertement l’idée de transformer l’Ukraine en un « nouvel Afghanistan”. Le politologue ukrainien Ivan Katchanovsky note à juste titre que les pays occidentaux ” veulent combattre la Russie jusqu’au dernier des Ukrainiens “. C’est carrément sanguinaire et criminel.

Retours de manivelle

Armer l’Ukraine présente également un risque élevé de contrecoups. Par exemple, le mouvement terroriste salafiste mondial a été créé par l’opération massive de la CIA en Afghanistan dans les années 1980, lorsqu’elle avait armé les moudjahidine (dont Oussama Ben Laden) dans leur lutte contre l’Union soviétique. L’armement des rebelles en Syrie a mené à l’État islamique et à l’essor d’autres mouvements terroristes.

Qu’il soit clair que la grande majorité de l’armée ukrainienne n’est pas néo-nazie. Pourtant, ce n’est pas non plus un secret que des néo-nazis sont intégrés dans l’armée ukrainienne, comme le bataillon Azov.

Ces dernières années, les néonazis ukrainiens ont déjà reçu des formations et des armes de plusieurs pays occidentaux. Les chercheurs qui étudient l’extrémisme de droite en Europe et en Amérique du Nord soulignent que de nombreux néo-nazis se rendent désormais en Ukraine pour acquérir une expérience de la guerre contre la Russie. Il n’est pas impensable qu’ils reviennent plus tard dans leur pays et qu’ils tirent sur une mosquée.

Les sanctions n’aideront pas

L’Occident fait également pression pour des sanctions. Celles-ci auront un impact majeur sur la population russe, mais aussi sur les populations d’Asie centrale, qui dépendent en grande partie du travail saisonnier en Russie et des transferts de fonds que ces travailleurs envoient à leurs familles.

Les sanctions occidentales contre l’Afghanistan – un coup de pied dans les dents après 20 ans de guerre – provoquent déjà des famines généralisées. Au Venezuela, les sanctions actuelles ont causé quelque 100 000 morts. En Irak, dans les années 1990 : jusqu’à un demi-million d’enfants morts, selon l’UNICEF. Le recours aux sanctions n’est pas un outil léger ni innocent. C’est une arme.

 

Les sanctions n’ont pas arrêté la Russie avant l’invasion. Elles n’arrêteront pas non plus la Russie maintenant. Selon une étude exhaustive de 115 régimes de sanctions, seuls 4 % d’entre eux ont donné des résultats, et plutôt de nature à renforcer le gouvernement.

La colère populaire est généralement dirigée vers un ennemi extérieur clair, avec lequel le président en exercice peut attiser le nationalisme. C’est exactement la stratégie utilisée par Poutine. Les sanctions sont donc non seulement immorales, mais aussi contre-productives.

Combattre impitoyablement l’évasion fiscale

Ce n’est un secret pour personne que les milliardaires russes disposent d’énormes sommes d’argent dans les paradis fiscaux du monde entier. De l’argent qui est souvent acheminé par le biais de boîtes aux lettres dans le quartier Zuidas à Amsterdam, vers des territoires d’outre-mer de la Grande-Bretagne, comme les îles Bermudes. C’est là que vous pouvez vraiment cibler l’élite russe pour punir l’invasion.

La fin de l’évasion fiscale implique nécessairement la fin de l’hypocrisie. Les élites occidentales et ukrainiennes en pâtiront également. La colère suscitée par l’invasion de la Russie peut être utilisée pour lutter une fois pour toutes contre les inégalités dans le monde.

Le pétrole du Golfe et le gaz de schiste américain ne sont pas une alternative, l’énergie verte en est une

L’idée de s’éloigner du gaz et du pétrole russes doit également être considérée avec une grande prudence. Par exemple, le président américain Joe Biden a envisagé une visite pétrolière en Arabie saoudite, ce même pays qui est le principal responsable de l’invasion génocidaire du Yémen.

Cette guerre a déjà fait 400 000 morts, en majorité des enfants, et a été menée avec des armes occidentales. Alors, ces morts-là sont-ils acceptables ?

Les compagnies pétrolières et gazières d’Europe et d’Amérique du Nord envisagent dans l’augmentation de leur production une alternative à la Russie. Les plus grands acteurs dans ce domaine sont les entreprises américaines extractrices de gaz de schiste, qui sont extrêmement polluantes pour le climat et également désastreuses pour les droits fonciers des peuples autochtones d’Amérique du Nord.

Seules une transition verte urgente et une faible consommation d’énergie offrent une véritable alternative à l’impérialisme fossile de la Russie et de l’Occident.

Davantage d’argent à l’OTAN, c’est de l’huile sur le feu

L’Allemagne a annoncé qu’elle allait augmenter son budget défense de 113 milliards de dollars d’un seul coup, soit plus que l’ensemble du budget militaire de la Russie. Le budget militaire de l’OTAN représentait déjà la majorité des dépenses liées à l’armée dans le monde en 2020. Dix-sept fois celles de l’OTSC, l’alliance militaire de la Russie, du Belarus et d’un certain nombre d’autres pays post-soviétiques.

Davantage d’argent pour l’OTAN ne fait donc que stimuler une course aux armements extrêmement déséquilibrée. Ce sont avant tout les entreprises d’armement qui en profitent et dont les actions ont grimpé en flèche ces dernières semaines.

L’OTAN a déjà exclu la possibilité que des troupes occidentales combattent en Ukraine, une sage décision sans quoi nous irions directement à une guerre nucléaire, tuant potentiellement des milliards de personnes. Cependant, cela signifie également que les nouvelles armes de l’OTAN et les unités de l’armée élargie seront principalement utilisées pour l’agression occidentale contre d’autres pays, comme les bombardements américains qui continuent de pleuvoir en Somalie.

Comme pendant la guerre froide, ce seront principalement les petits pays non nucléaires qui seront les victimes des guerres par procuration entre la Russie et l’OTAN. C’est exactement la raison pour laquelle la plupart des pays du Sud – malgré la forte pression exercée par l’Occident – refusent de s’associer à une nouvelle guerre froide contre la Russie.

La menace nucléaire est réelle

Il n’y a pas seulement un décalage dans les armes conventionnelles. Les États-Unis essaient invariablement d’obtenir une capacité de “première frappe”, qui leur permettrait d’anéantir toute la capacité nucléaire de la Russie avec une attaque nucléaire surprise.

Les États-Unis construisent actuellement une installation de missiles en Pologne, à 160 km de la frontière avec la Russie, et discutent ouvertement de l’installation éventuelle de missiles nucléaires dans ce pays. C’est la même distance qui avait provoqué la crise de Cuba, lorsque l’Union soviétique avait placé des armes nucléaires à Cuba, à 90 miles de la frontière avec les États-Unis.

Ces tensions peuvent également conduire à une “guerre nucléaire accidentelle“, par le biais de fausses alarmes dans des systèmes radar très sollicités. L’histoire montre que le monde a été au bord de la catastrophe à plusieurs reprises pendant la guerre froide.

Augmentation du nombre de missiles nucléaires sur les sous-marins américains depuis 2008. thebulletin.org.

Quoi que l’on puisse penser du régime de Poutine – dictatorial, impérialiste et néolibéral – nous ne devrions plus jamais prendre un tel risque. Nous ne pouvons pas jouer avec la vie de milliards de personnes.

L’expansion de l’OTAN doit cesser

La menace occidentale contre la Russie a des racines historiques profondes. On estime que les seules invasions occidentales contre l’Union soviétique, pendant la guerre civile russe et la Seconde Guerre mondiale, ont coûté près de 40 millions de vies. L’invasion nazie de l’Est a entraîné la plus grande perte de vies humaines jamais enregistrée en temps de guerre.

L’OTAN elle-même a été explicitement créée peu après la deuxième guerre mondiale par crainte d’une guerre potentielle contre l’Union soviétique. Et après le déclin de l’Union soviétique, pour surmonter cette dynamique, la Russie a demandé à plusieurs reprises son admission à l’OTAN, mais en vain. Il est donc compréhensible que la Russie considère l’OTAN avec une profonde méfiance.

Il est désormais bien connu qu’une promesse a été faite au dirigeant soviétique Gorbatchev, à savoir que l’OTAN ne s’étendrait « pas d’un pouce vers l’est ». Depuis lors, quatorze pays ont été ajoutés.

Aux analystes occidentaux qui parlent d’une promesse verbale, sans parler des stéréotypes racistes sur les Russes qui aiment prendre des rendez-vous “dans un sauna avec un verre de vodka”, je dirais ceci.

Les promesses verbales dans la diplomatie internationale étaient très courantes pendant la guerre froide. La crise de Cuba en 1962, alors que le monde était au bord de la guerre nucléaire, a été résolue par un accord informel entre Kennedy et Khrouchtchev. Cet accord est donc très pertinent.

https://twitter.com/RnaudBertrand/status/1498491107902062592?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1498491107902062592%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_c10&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.dewereldmorgen.be%2Fartikel%2F2022%2F03%2F15%2Fhoe-stoppen-we-de-invasie-van-rusland%2F

 

Que la Russie se sente menacée par l’expansion de l’OTAN n’est pas seulement un fantasme de Poutine. Chacun des dirigeants russes, de Gorbatchev à Eltsine, a été clair à ce sujet.

Les sondages montrent régulièrement que la population russe est toute aussi unanime sur cette question. En outre, de nombreux hauts responsables occidentaux avaient reconnu le danger que l’expansion de l’OTAN ne conduise à une guerre avec la Russie. Nous ne pouvons plus ignorer ces voix.

La diplomatie peut mettre fin à la guerre

C’est de loin l’exigence la plus importante de la Russie dans cette guerre : que l’Ukraine reste militairement neutre entre la Russie et l’OTAN. En l’absence de concessions solides comme le roc accordées sur ce point, cette guerre sera menée jusqu’à la dernière goutte de sang.

Ce n’est pas une concession inacceptable. On a toujours cru à tort que les Ukrainiens souhaitaient majoritairement appartenir à l’OTAN. En réalité, ce n’est que très récemment, depuis le renforcement des troupes russes l’année dernière, qu’une majorité en Ukraine est favorable à l’adhésion à l’OTAN. Ces dernières années, le projet d’adhésion à l’OTAN a été porté principalement par une élite politique pro-occidentale, et non par le peuple lui-même.

Cette nouvelle ne vient pas de la presse russe. Capture d’écran The Washington Post

Les autres demandes de la Russie – reconnaissance de l’indépendance des républiques rebelles du Donbass et annexion de la Crimée – peuvent être acceptées dans le cadre du droit à l’autodétermination. L’écrasante majorité de la population locale de ces régions ne veut plus faire partie de l’Ukraine.

La Russie a indiqué qu’elle mettrait fin à l’invasion “dans l’instant” si l’Ukraine acceptait les demandes susmentionnées. Il appartient à l’Occident de soutenir pleinement un tel accord, en tenant compte des concessions possibles pour l’Ukraine. Pensez par exemple à une adhésion à l’UE sans adhésion à l’OTAN, comme des pays tels que la Suède et l’Autriche.

Les premiers signes de négociations entre la Russie et l’Ukraine sont prometteurs et pourraient mettre fin rapidement à la guerre.

Annulation des dettes et plan Marshall pour l’Ukraine

L’Occident pourrait également rendre un accord de paix plus attrayant en promettant d’effacer toutes les dettes de l’Ukraine et de cofinancer avec la Russie une sorte de “plan Marshall” pour la reconstruction de l’Ukraine.

Dès avant la guerre, l’Ukraine avait sombré dans une immense pauvreté, en grande partie à cause des politiques d’austérité néolibérales qui lui ont été imposées par les banques occidentales telles que le FMI. Les accords avec le FMI – des politiques très impopulaires – avaient été signés en 2014 par le gouvernement intérimaire non élu d’Ukraine, sous une forte pression des États-Unis et de l’Union européenne. L’Occident a donc aussi une responsabilité à cet égard.

Même à court terme, les besoins en Ukraine sont urgents. La plupart des civils ne combattent pas la guerre mais essaient de survivre. Des millions de citoyens ukrainiens ont besoin d’une aide humanitaire urgente. Cela devrait être la priorité, de même que l’accueil en toute sécurité de tous les réfugiés.

Démilitariser pour une longue paix

La plupart des pays de l’OTAN souhaitent désormais investir davantage dans l’armement. Mais ce dont nous avons besoin, c’est de mettre fin à la course aux armements, et la partie qui dépense le plus pour cela devrait prendre l’initiative. Cela signifie donc qu’il faut réduire le budget militaire de l’OTAN en échange de concessions similaires de la part de la Russie.

C’est bon non seulement pour la paix en Europe, mais aussi pour la paix dans le monde. Les pays de l’OTAN ont causé de loin le plus grand nombre d’effusions de sang au XXIe siècle. À elle seule, la “Guerre contre le terrorisme” a fait environ six millions de morts.

L’attention disproportionnée que l’Occident porte à l’invasion russe est motivée par des intérêts géopolitiques et des sentiments racistes, ce qui laisse dans l’oubli la vie des Yéménites et des Afghans. Cela, nous ne pouvons pas l’accepter.

À terme, l’OTAN – organisation impérialiste des pays les plus riches de la planète – peut également être dissoute et les questions de sécurité de l’Europe transférées à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), dans laquelle tous les pays européens sont représentés.

Le démantèlement de toutes les armes nucléaires – par le biais d’un traité contraignant avec tous les pays sur le champ de bataille – est également crucial. L’OTAN devra également prendre les devants ici, car elle a la suprématie nucléaire et les États-Unis ont également été les premiers à se retirer des traités nucléaires avec la Russie. Les Pays-Bas peuvent commencer à retirer les armes nucléaires américaines de Vonkel. La Belgique peut faire de même avec les armes nucléaires américaines de la base de Kleine Brogel.

Un carrefour de l’humanité

En tant qu’humanité, nous nous trouvons maintenant à un carrefour crucial. Allons-nous dépenser plus d’argent pour les armes et la guerre, ou pour la coopération afin de faire face aux grandes crises de notre temps ? Le montant dont l’Allemagne a soudainement augmenté son budget défense est plus important que le maigre financement pour le climat que le Nord a promis au Sud il y a des années, mais qui n’a toujours pas été versé.

Les événements de ces dernières semaines montrent à quel point il est facile de gagner de l’argent pour acheter de nouvelles machines à tuer et à quel point il est difficile de protéger la vie sur terre. Ces priorités doivent être inversées. Le sort de l’humanité en dépend.

 

Chris Kaspar de Ploeg (1994) est journaliste d’investigation à « Platform Authentieke Journalistiek ». Il est l’auteur du livre Oekraïne in het kruisvuur et il est co-fondateur de Arts of Resistance et de Aralez, organisation populaire pour la décolonisation. Merci à Volodymyr Ishchenko pour son feedback. Il est chercheur à l’Institute for Slavic Studies, Technical University of Dresden.

Source originale : De Wereld Morgen 

Traduction du néerlandais : Anne Meert pour Investig’Action

Photo: Action au parlement européen – Emmelien Lievens/Vrede vzw

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.