Comment les États-Unis comptent-ils garder les maraudeurs de leurs multinationales au sommet?

Se plonger dans la littérature militaire et les documents stratégiques de l’Empire US est souvent instructif. Bien loin des déclarations aussi pompeuses qu’hypocrites sur la démocratie et les droits de l’homme, on y découvre ce qui préoccupe vraiment les dirigeants de Washington. Stephen Gowans s’est plié à l’exercice et nous explique pourquoi les États-Unis sont prêts à dépenser des milliards de dollars pour combattre la Russie et la Chine. (IGA)


 

Le 22 mars, Michael R. Gordon, du Wall Street Journal, a expliqué comment «les Marines prévoient de se rééquiper pour faire face à la menace chinoise». Ce que Gordon appelle la «menace» de la Chine, c’est en fait la menace que la Chine puisse être en mesure de se défendre. (1) Voici des extraits annotés de l’article de Gordon.

Au cours des dernières décennies, la Chine et la Russie ont travaillé sur des systèmes pour contrecarrer la capacité de l’armée américaine à rassembler des forces près de leurs régions. Si la guerre éclatait, la Chine pourrait tenir les avions de guerre américains à distance.

De la même manière, la Russie utiliserait les missiles sol-sol, les défenses aériennes et les missiles anti-navires déployés à Kaliningrad et sur la péninsule de Crimée en mer Noire.

 Les avancées chinoises et russes en état de légitime défense ont conduit le Pentagone à conclure que les États-Unis entraient dans une nouvelle ère de conflit de grande puissance. C’est-à-dire une ère où les États-Unis ne pourraient plus facilement dominer la Chine et la Russie militairement.

 En réponse, le Secrétaire Américain à la Défense de l’époque, James Mattis, a supervisé le développement d’une nouvelle stratégie de défense nationale, qui affirmait que la concurrence à long terme avec la Chine et la Russie était la principale priorité du Pentagone.

 Dans le cadre de la nouvelle stratégie militaire, toutes les branches des forces armées perfectionnent de nouveaux concepts de combat et prévoient de dépenser des milliards de dollars pour les projets que le Pentagone conçoit dans une ère de concurrence accrue avec la Chine et la Russie visant, du côté américain, à surmonter la capacité de la Chine et de la Russie à tenir les forces américaines à distance.

 Parmi une gamme de nouveaux programmes de haute technologie, l’Air Force développe un missile hypersonique qui voyagerait cinq fois plus vite que le son. Le Marine Corps développe la capacité de sauter d’île en île dans le Pacifique occidental pour embouteiller la flotte chinoise.

 Pourquoi Washington ressent-il le besoin de mettre en bouteille la flotte chinoise et de rassembler des forces dans le périmètre de la Russie? Peut-être que la Stratégie de Sécurité nationale américaine de 2017 l’explique.

La Stratégie définit le monde comme «une arène de concurrence continue entre trois grandes puissances: les États-Unis, la Chine et la Russie”. La Chine et la Russie sont désignées comme puissances révisionnistes. Elles sont «révisionnistes» parce qu’elles cherchent à réviser l’ordre international, celui dans lequel les États-Unis ont la primauté politique, militaire et économique. Dans ce monde, la Chine et la Russie cherchent à façonner un monde conforme à leur modèle, à promouvoir leurs propres intérêts aux dépens de l’Amérique et de nos alliés, selon Mattis. (2) À l’origine, la compétition est une bataille pour la suprématie économique. “Nous devons faire tout notre possible”, a déclaré Mattis, “pour faire avancer un ordre international qui est le plus propice à notre prospérité.”

Les griefs spécifiques de la Stratégie pour la Chine tournent autour du défi que pose le Parti Communiste aux intérêts commerciaux américains. La Chine est considérée comme une menace parce qu’elle subventionne ses industries, force les transferts de technologie,  fausse les marchés et décide de rendre les économies moins ouvertes à la libre entreprise américaine. La libre entreprise, dit la Stratégie, est au cœur de l’identité des citoyens américains en tant que peuple. Ce que cela signifie vraiment, c’est que la libre entreprise est au cœur de l’identité des propriétaires de la libre entreprise en tant que classe sociale.

La principale préoccupation de la stratégie est que la Chine élargit la portée de son modèle économique dirigé par l’État et réorganise la région Asie-Pacifique en sa faveur au détriment des entreprises américaines.

De plus, Washington s’oppose à la contestation par la Chine de la doctrine Monroe, l’instrument de l’impérialisme américain du XIXe siècle qui déclare effectivement l’Amérique latine comme une sphère d’influence américaine. La Chine, se plaint la Stratégie, cherche à attirer l’Amérique latine sur son orbite grâce à des investissements et des prêts publics.

Les stratèges américains définissent la Russie comme un concurrent de grande puissance pour plusieurs des mêmes raisons. La Russie, dit la Stratégie, cherche à établir des sphères d’influence près de ses frontières, à contester les avantages géopolitiques américains et à renforcer le communisme à Cuba tout en soutenant le Venezuela socialiste.

La Stratégie de Défense nationale 2018 fait écho aux thèmes de la Stratégie de Sécurité nationale:

Le défi central de la prospérité et de la sécurité des États-Unis est la ré-émergence d’une concurrence stratégique à long terme des puissances révisionnistes. La Chine continue de poursuivre un programme de modernisation militaire qui vise l’hégémonie régionale Indo-Pacifique à court terme, et le remplacement des États-Unis pour atteindre la prééminence au niveau mondial dans le futur. En même temps, la Russie cherche à changer les structures économiques et de sécurité européennes et moyen-orientales en sa faveur. La Chine et la Russie sapent désormais l’ordre international en sapant ses principes et ses «règles de conduite».(3)

Le regretté John McCain, une figure principale de l’establishment de la politique étrangère américaine, a expliqué quelles sont les règles de conduite et d’où elles viennent. “Nous sommes l’architecte en chef et le défenseur d’un ordre international”, a écrit le sénateur américain, “régi par des règles dérivées de nos valeurs politiques et économiques”. Il a ajouté: «Nous sommes devenus beaucoup plus riches et plus puissants en vertu de ces règles» de conduite.

Si les objectifs de défense des États-Unis ne sont pas atteints, la stratégie déclare que le non-respect des règles américaines de conduite «entraînera un accès réduit aux marchés qui contribuera à une baisse de notre prospérité et de notre niveau de vie».

Les États-Unis envisagent donc des guerres qui, si elles se produisent, seront des guerres d’extermination industrielle, des guerres d’entreprises, dans le seul but de s’assurer que son groupe de maraudeurs corporatifs reste au sommet. Combien d’entre nous veulent se laisser entraîner dans les conflagrations mondiales pour faire en sorte que les investisseurs américains continuent de recevoir la part du lion des bénéfices potentiels du monde.

 

Source originale: Le blog de Stephen Gowans

Traduit de l’anglais par J-L Scarsi pour Investig’Action

 

Notes:

1. Les conclusions de ce propos sont celles du Ministre Chinois des Affaires étrangères Wang Yi. Le Congrès National du Peuple Chinois na jamais présenté de projet de loi sur les affaires intérieures des États-Unis. Cependant, le Congrès Américain a examiné et adopté un projet de loi après l’autre qui interfère de manière flagrante dans les affaires intérieures de la Chine. La Chine n’a jamais envoyé ses navires et aéronefs militaires dans le voisinage des États-Unis pour fléchir les muscles, mais les navires et les avions de la marine américaine ont fléchi les muscles aux portes de la Chine. La Chine n’a jamais sanctionné aucune entreprise américaine. Au contraire, nous invitons les entreprises américaines à investir en Chine et nous leur avons fourni un environnement commercial sain. Cependant, les États-Unis ont tenté de saisir toutes les occasions et tous les moyens de supprimer les entreprises chinoises. Ils ont introduit des sanctions unilatérales contre les entreprises chinoises en exerçant une juridiction à bras longs et ont tenté de limiter les droits de développement de la Chine. Donc, en parlant de menace, ce n’est pas que la Chine menace les États-Unis, mais les États-Unis menacent la Chine. (Je souligne.)

 2. «Lisez la lettre de Jim Mattis à Trump: texte intégral», The New York Times, 20 décembre 2018.

 3. John McCain, «John McCain: pourquoi nous devons soutenir les droits de l’homme», The New York Times, 8 mai 2017.

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